Contenu du sommaire : Service national : le creuset

Le ministre de la Défense répond par écrit à nos questions concernant le rôle intégrateur du service national et tire les enseignements du rapport Biville (voir p. 7) à propos des jeunes Français d'origine maghrébine appelés sous les drapeaux.

Le ministère de la Défense a demandé au colonel Biville de lui faire des «propositions sur l'intégration des Jeunes à travers l'armée et en particulier à travers le service national». Ce rapport, daté d'avril 1990, fait apparaître que les jeunes Français d'origine maghrébine voient dans le service militaire une deuxième chance : l'espoir d'une intégration dans une société où ils n'ont pas encore trouvé leur place... Non seulement leurs attentes sont insatisfaites mais ils s'estiment victimes d'un traitement inégalitaire, en particulier dans la possibilité de pratiquer leur religion. A ces revendications professionnelles, identitaires..., les cadres apportent souvent des réponses maladroites et inadaptées (cf. encadré pp. 15-17). De ce constat découle une série de cinquante-deux propositions, car «faciliter l'intégration dans les armées mais aussi dans la société par les armées implique une clarification et une redéfinition des priorités ainsi qu'une action en profondeur sur les hommes et sur les structures».

Commandée par le ministère de la Défense en 1985, cette étude concerne notamment les Jeunes des DOM-TOM, ceux de faible niveau général et les jeunes Français d'origine algérienne. Menée de 1986 à 1989, elle s'appuie sur des entretiens avec des jeunes avant le service, des cadres et des jeunes pendant le service, des «experts» ainsi que sur une analyse des fichiers des Bureaux du service national (BSN). Nous en avons sélectionné les extraits concernant les jeunes des DOM-TOM. Pour ces derniers, le service national, auquel ils sont en majorité favorables, est vécu comme une étape importante. C'est pour eux la possibilité d'acquérir un métier, de s'affirmer... Mais leurs attentes et leurs difficultés particulières d'intégration (adaptation au climat, éloignement de la famille, tendance au regroupement...) désorientent l'encadrement qui n'y voit qu'exigences revendicatives ou refus de s'intégrer. Une incompréhension qui crée bien souvent des situations tendues.

En collaboration avec Hommes & Migrations, l'émission «Voix du Silence », produite par Antoine Spire avec l'assistance de Jeannette Patzierkovsky, programme sur France Culture le samedi 1er décembre 1990 à 10h, une enquête sur le service national des jeunes issus de l'immigration. De cette émission, nous reproduisons ici le témoignage de trois jeunes ayant récemment effectué leur service militaire dans l'armée française. D'après Rachid Kaci et plus encore Malik Zeghdoudi, Français d'origine algérienne, il semblerait qu'une frange des sous-officiers, à l'instar de la société française, ne soit pas épargnée par la tentation raciste. Jean-Luc Simon, originaire des Antilles, n'a pas quant à lui été victime du «racisme ordinaire» lorsqu'il était conscrit, c'est-à-dire jusqu'en septembre 1990. Ces expériences, banales ou malheureuses, ne valent bien sûr que pour elles-mêmes. Si on ne doit pas généraliser à partir de cas individuels, on peut tout de même s'interroger sur un malaise qui, d'après les conclusions mêmes du rapport Biville, touche une part non négligeable des appelés d'origine maghrébine.

Le service militaire des doubles-nationaux a cessé d'être une question marginale avec l'arrivée à l'âge adulte d'un nombre croissant de jeunes issus de l'immigration. Si la plupart des conventions diplomatiques privilégient le service militaire dans le pays de résidence, des conventions particulières avec l'Italie, la Tunisie et l'Algérie laissent en revanche au binational le libre choix du pays dans lequel il servira. Les jeunes d'origine maghrébine, lorsqu'ils ont décidé d'effectuer leur service en France, demandent qu'on apprécie ce choix et ils attendent beaucoup de leur temps de service... au risque d'être souvent déçus. Le point de vue d'un officier de réserve.

A Scionzier, dans la vallée de l'Anse, une rencontre avec des jeunes d'origine algérienne, Laïd, Saïd, El Hakim et les autres : Laid fait son service militaire en France, Saïd et El Hakim l'ont fait en Algérie. Avec leurs mots de tous les jours, ils racontent, comparent, expliquent... s'opposent.

Qu'est-ce qui conduit un militaire à se «recycler» dans l'action associative en faveur d'une meilleure cohabitation entre Français et immigrés ? François Grémont, ancien colonel de l'infanterie de Marine et membre d'Inter service migrants, nous répond qu'il n'y a pas de contradiction : «l'armée est une des grandes institutions françaises et les militaires doivent participer comme les autres à la vie du pays».