Contenu du sommaire : Après la Guerre du Golfe. Bilan et conséquences, en France et dans le monde

«Le fait d'avoir une population arabo-musulmane nombreuse sur son territoire pose à la France un problème d'interculturalité qui, s'il était totalement assumé, permettrait à celle-ci (...) d'apporter sa contribution à l'évolution des relations Nord-Sud en Méditerranée». Comment, lorsque l'on préside à cet observatoire privilégié qu'est l'Institut du Monde arabe, analyse-t-on la position de la France face à la nouvelle donne internationale provoquée par la guerre du Golfe ? Comment voit-on l'avenir des relations franco-arabes ; le rôle des Maghrébins de France face au dialogue euro-arabe ?

La guerre du Golfe a sans doute modifié le regard que porte la société française — médias, classe politique et «opinion» — sur la place des populations maghrébines et d'origine maghrébine en France. C'est cette «nouvelle donne» que Sami Naïr analyse ici.

La guerre contre l'Irak a remis à l'ordre du jour la réflexion sur le rôle stratégique de l'information. Spectacle en continu malgré l'absence d'informations, journalistes non spécialistes de la région, autocensure, censure... ont fait de cet événement hautement médiatisé ce que certains spécialistes considèrent comme la plus grande manipulation de l'opinion publique jamais entreprise. En encadré (p. 20), Hédi Dhoukar revient sur l'image de l'Arabe véhiculée par les médias occidentaux.

L'émigration arabe vers l'étranger est souvent associée à l'Europe et plus particulièrement à la France. Cependant, l'émigration des ressortissants des pays arabes vers l'Amérique est un mouvement beaucoup plus ancien et très vaste. Ils sont aujourd'hui près de trois millions aux Etats-Unis et la guerre du Golfe les a projetés au devant de la scène, ce dont ils se seraient bien passés. Leur présence jusqu'à maintenant avait été plutôt discrète.

Président de I 'American Arab Relations Committee et secrétaire général du National Council on Islamic Affairs, le Dr Muhamed Mehdi, né en Irak, vit aux Etats-Unis depuis plus de trente ans. Il a consacré plusieurs livres à la communauté arabe américaine et rencontré tous les leaders du monde arabe.

L'appartenance à une religion — en l'occurrence la religion musulmane — ne peut expliquer à elle seule les comportements au sein d'une population par ailleurs extrêmement diversifiée. Ceci vaut pour les religieux et, plus encore, pour les laïcs qui ne fondent pas leur vision du monde à l'aune de la seule religion. Toutefois, les croyances religieuses contribuent elles aussi à façonner les attitudes ou les opinions. C'est en ce sens que Mustapha Belbah est allé enquêter à chaud, dans les mosquées d'une part et dans les lieux de sociabilité ordinaires d'autre part, pour tenter de cerner la palette des réactions et des prises de position au sein des musulmans — laïques et religieux — de France, face à l'événement «guerre du Golfe».

Pendant que sur les terrains d'opérations, les militaires fourbissaient leurs armes, que dans les cabinets gouvernementaux, les politiques révisaient leurs tactiques et que dans les studios de télévision, les journalistes en ébullition cédaient au «syndrome Apocalypse now» ; dans le huis clos des consultations psychiatriques, la guerre du Golfe faisait aussi ses ravages. Attaché à la consultation psychiatrique du Centre Françoise Minkowska1, le docteur Rachid Bennegadi a reçu de nombreux migrants traumatisés, ébranlés dans leurs tentatives d'intégration, percevant de l'intérieur ce conflit comme une brèche ouverte sur le néant. Sa position de praticien d'origine maghrébine mais aussi d'intellectuel permet à Rachid Bennegadi de porter un regard protéiforme sur la pathologie mentale résultant de cette guerre, regard distancié du thérapeute, mâtiné de quelques douleurs personnelles.

Pour quelles raisons les trois peuples du Maghreb ont-ils réagi sensiblement de la même manière lors de la guerre du Golfe ? Quel est, à cette occasion, le sens profond de leur apostrophe à la France ? Quelles leçons peut-on tirer de cette crise quant à l'avenir des relations franco-maghrébines ? Basé pour l'essentiel sur des entretiens avec un militant nationaliste tunisien qui a bien connu les années de l'après-guerre et celle des luttes anticoloniales, cet article tente de cerner certains aspects de ce que Hédi Dhoukar appelle «l'aliénation des pays maghrébins à l'égard de la France».

Face au groupe principal des musulmans de France, caractérisé par un niveau assez bas de formation et de culture, où l'on trouve aussi bien des gens d'âge mûr que des jeunes, se déployèrent les stratégies de deux groupes beaucoup plus réduits, celle des leaders putatifs en quête de légitimation politique et celle des «intellectuels» — ou plutôt «honnêtes hommes » ou encore mieux «adib», comme on les appelait à l'époque des Abbassides — en quête d'authentique médiation.

Durant et après la guerre du Golfe, on a beaucoup parlé de l'«humiliation» des Arabes, humiliation qui serait consécutive à une série de revers, anciens et plus récents, et dont la défaite irakienne serait l'ultime épisode. Maxime Rodinson entend remettre à sa juste place cette notion et ce qu'elle sous-tend, et revient sur l'histoire des relations entre le Monde arabo-musulman et les Occidentaux, relations génératrices selon lui d'une «culture du ressentiment».

Le 4 septembre 1990, le journal Le Monde publiait un article intitulé «Pour l'Irak» et signé Jilani Jeddi, avocat à la Cour de Tunis (voir encadré ci-contre et page suivante). Albano Cordeiro fut son ami. Jilani Jeddi, animateur des mouvements étudiants à Tunis dans les années 60, s'est retrouvé à Grenoble, en situation d'exil, suite à la répression de l'Etat bourguibiste. Au début des années 70, à Grenoble toujours, Jilani Jeddi, Raymond A. et Albano Cordeiro militaient ensemble au sein du Comité Français-Immigrés local. En hommage à Jilani, Raymond A. a reproduit l'article en question dans le journal du mouvement qu'il anime à Grenoble. Albano Cordeiro s'adresse à Raymond, à propos de cet article.