Contenu du sommaire : La (dé)politisation des organisations internationales

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 76, juillet-septembre 2017
Titre du numéro La (dé)politisation des organisations internationales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 5-6 accès libre
  • Thema

    • La politisation résiliente des organisations internationales - Franck Petiteville p. 9-19 accès libre
    • L'art de la fugue : les droits des femmes à l'Assemblée générale de l'ONU - Simon Tordjman p. 21-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 1946, date du vote unanime de la première résolution sur « les droits politiques de la femme », la question des droits des femmes s'est maintenue quasiment sans interruption à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations unies. Jusqu'en 2016, elle a donné lieu à l'adoption régulière et largement consensuelle de près de 350 résolutions. Cette banalisation permet-elle pour autant d'établir la dépolitisation de cet organe principal de l'Organisation ? Assiste-t-on à la limitation de son « pouvoir de débattre » au profit d'une fonction essentiellement procédurale, limitée à la reconnaissance et à la validation de principes préalablement débattus dans d'autres espaces ? L'apparente neutralisation de l'Assemblée générale n'est pas pour autant synonyme d'évacuation de toute dimension politique. À rebours de l'idée selon laquelle la politisation de l'Assemblée générale se réduit essentiellement aux clivages qui s'y donnent publiquement à voir, cette analyse entend montrer que ladite politisation s'y déploie également « par décentrement », selon des registres spécifiques, dans le cadre et en relation avec d'autres espaces institutionnels (conférences mondiales, ECOSOC, Conseil de sécurité).
      The Art of Fugue: Women's Rights in the United Nations General Assembly In 1946, the first resolution on the “political rights of women” was unanimously adopted by the United Nations General Assembly. Since then, the question of women's rights has almost uninterruptedly remained on its agenda. Up till 2016, nearly 350 resolutions have been regularly and/ or consensually adopted. But does the banalization of this issue suffice to show that the General Assembly has been depoliticized? Has a fundamentally procedural function limited to recognizing and endorsing principles already debated in other spaces been substituted for its “power to debate”? The General Assembly's apparent neutralization nevertheless does not entail a thoroughgoing evacuation of politics. Contrary to the idea that the politicization of the General Assembly is mainly restricted to its publicly visible divisions, this article seeks to show that such politicization also takes place “by decentering”, through specific registers and in relation to other institutional spaces (world conferences, ECOSOC, Security Council). ■
    • « On ne fait pas de politique ! » Les pratiques de dépolitisation au PNUD et au PNUE - Lucile Maertens, Raphaëlle Parizet p. 41-60 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      « On ne fait pas de politique ! » Cette revendication commune aux organisations internationales (OI) est au cœur du questionnement développé ici. L'analyse comparée entre le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) permet, dans un premier temps, de s'interroger sur la dépolitisation, entendue ici comme une entreprise politique de technicisation produite par les OI, qui s'incarne dans des assemblages de pratiques volontairement présentées comme hors du politique : interprétation et problématisation techniques ; diffusion d'une vision apolitique du travail des OI ; intervention et assistance techniques qui positionnent les OI en experts « neutres » de leur champ. Elle conduit, dans un second temps, à mettre au jour les effets parfois inattendus de ces assemblages de pratiques hétérogènes : contournement des débats bureaucratiques et politiques ; neutralisation au profit du maintien d'un statu quo ; monopolisation d'un champ d'action, avec le soutien, au moins tacite, des États membres. Ce faisant, elle contribue à une meilleure compréhension de la perpétuelle tractation entre le politique et le technique au sein des OI.
      “We Don't Do Politics!” Practices of Depoliticization in UNDP and UNEP “We don't do politics!” Here is a commonly encountered claim among international organizations (IOs). This article examines it through a comparative analysis of the United Nations Development Programme (UNDP) and the United Nations Environment Programme (UNEP). The comparison allows questioning the process of depoliticization, here understood as a political enterprise of technicization performed by IOs. Depoliticization is carried out through an assemblage of practices deliberately presented as outside of politics. These include technical interpretation and problematization, the dissemination of an apolitical vision of the IO's mission and technical intervention and assistance that position IOs as “neutral” experts within their fields. This comparative analysis also reveals the potential unintended consequences of these assemblages of heterogenous practices, including the bypass of bureaucratic and political debates; the neutralization of political disputes as a means to maintain the status quo; and the monopolization of a field of action, with the support of member states, at least tacitly. The article thus contributes to a better understanding of the permanent negotiation between the political and the technical within IOs. ■
    • Une représentation dépolitisée ? L'Organisation internationale du travail de 1919 à nos jours - Marieke Louis p. 61-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le but de cette analyse est de dévoiler, dans une perspective socio-historique, les logiques séculières de dépolitisation à l'œuvre au sein de l'Organisation internationale du travail autour d'une question en apparence très politique : la représentation tripartite des gouvernements, des travailleurs et des employeurs. Nous distinguons une dépolitisation positive de la représentation, découlant d'une adhésion historique de l'institution au paradigme fonctionnaliste, et une dépolitisation négative, qui vise à discréditer le débat sur la représentation. Souvent complémentaires, ces deux logiques enserrent, voire étouffent, les séquences de politisation de la représentation, qui se manifestent sur un mode principalement contestataire, notamment au sujet de la composition du Conseil d'administration de l'OIT. Dans les deux cas, tout est entrepris pour faire de la représentation une question d'ordre technique et administratif et non l'objet d'un débat politique, jugé néfaste au bon fonctionnement de l'organisation.
      A De-Politicized Representation? The International Labor Organization from 1919 to the Present From a socio-historical perspective, this article seeks to reveal the secular dynamics of de-politicization within the International Labor Organization as they impinge upon what would appear to be a very political question: the tripartite representation of governments, workers and employers. I distinguish between a positive politicization of representation resulting from the institution's historic adherence to a functionalist paradigm and a negative depoliticization, which seeks to discredit the debate over representation. These two dynamics, which often complement one another, constrain and even smother sequences of the politicization of representation, which mainly take the form of protest, particularly in what regards the composition of the ILO's board of directors. In both cases, all efforts are made to convert representation into a technical and administrative question rather than an object of political debate, the latter being seen as detrimental to the organization. ■
    • De la « gestion » au contrôle des migrations ? Discours et pratiques de l'Organisation internationale pour les migrations - Antoine Pécoud p. 81-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est une organisation peu étudiée dont le mandat concerne pourtant l'un des enjeux les plus politisés des pays occidentaux aujourd'hui. La présentation ici de l'histoire, de la doctrine et des pratiques de l'OIM montre qu'elle a été longtemps une organisation fragile, dans un contexte où les politiques migratoires ne faisaient pas l'objet d'un régime international solide, mais qu'elle s'est imposée, depuis les années 1990, comme un acteur incontournable de la mondialisation et de l'externalisation des politiques migratoires. Sa stratégie consiste à dépolitiser les enjeux migratoires et à promouvoir une gestion technique des migrations, centrée sur leur utilité économique pour toutes les parties (pays d'origine, pays de de destination et migrants). Cela lui permet d'apparaître comme un intermédiaire neutre, accepté aussi bien par les États que par les acteurs de la société civile et du secteur privé. Cependant, cette dépolitisation s'accompagne d'un alignement de l'OIM sur les intérêts des pays d'immigration occidentaux, et rend donc possible des interventions hautement politiques, en particulier dans les pays d'origine des migrants.
      From “Managing” to Controlling Migration? Discourses and Practices of the International Organization for Migration Although its mandate concerns what is today one of the most politicized issues in Western countries, there have been few studies of the International Organization for Migration (IOM). An examination of its history, doctrine and practices shows that it has long been a fragile institution in a context in which there was no solid international regime to govern migration policies. Since the 1990s, however, it has established itself as a key actor in the globalization and externalization of migration policies. Its strategy consists in depoliticizing migratory issues and promoting a technical management of migration that focuses on its economic utility for all parties (origin countries, destination countries, migrants). This allows IOM to present itself as a neutral intermediary that is at once accepted by states, civil society and the private sector. However, this depoliticization is accompanied by an alignment on the interests of western immigration countries and therefore makes highly political interventions possible, particularly in sending countries. ■
    • Transferts et continuités de la politisation à l'Organisation mondiale de la santé : le cas des substituts du lait maternel - Auriane Guilbaud p. 101-119 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'analyse des débats relatifs à l'alimentation des nourrissons par des substituts du lait maternel qui se sont tenus au sein de l'Organisation mondiale de la santé dès la fin des années 1960 permet de revenir sur les stratégies et techniques de (dé)politisation mobilisées par les ONG, les entreprises, les États, les bureaucraties des OI dans et autour de l'arène des organisations internationales. Les notions de politisation et dépolitisation sont utilisées ici dans le but d'éclairer le fonctionnement de l'OMS, au-delà de son caractère « technique » très souvent supposé, et de mettre en évidence les investissements dont elle fait l'objet, en particulier de la part d'acteurs non étatiques. Les trois stratégies identifiées – provoquer le conflit versus rechercher le consensus, aspirer à la publicisation versus au confinement, avoir recours à des principes idéologiques versus prôner une approche pragmatique – sont mises en œuvre par différentes techniques (recours à des représentants politiques, à des experts, à des arguments scientifiques ou techniques, à des médias) et de manière différenciée selon les types d'acteurs. Moment structurant pour l'OMS, la question des substituts du lait maternel a suscité des effets d'entraînement de la politisation, désormais permanente avec un élargissement sectoriel à de nouvelles thématiques.
      Transfers and Continuities in the Politicization of the World Health Organization: The Case of Breast-Milk Substitutes By examining the debates that took place from the late 1960s onwards within the World Health Organization regarding the practice of feeding breast-milk substitutes to infants, one may revisit the strategies and techniques of (de) politicization used by NGOs, companies, states and IO bureaucracies within and adjacent to the arena of international organizations. The present article uses the notions of politicization and depoliticization in order to clarify the operation of the WHO beyond what is very often taken for its “technical” character and to underscore the investments made in it, particularly on the part of non-state actors. The three strategies identified here – provoking conflict rather than seeking consensus, desiring publication rather than containment and appealing to ideological principles instead of promoting a pragmatic approach – are implemented by various techniques (appealing to political representatives, experts, scientific or technical arguments, the media) and in differentiated manner depending on the type of actor. A formative moment for the WHO, the question of breast-milk substitutes generated knock-on effects of politicization. These subsequently became permanent and underwent sectoral expansion to new themes. ■
  • Varia

    • Gouverner la dissidence. Sociologie de la censure sous régime autoritaire : le cas du rock contestataire biélorusse - Yauheni Kryzhanouski p. 123-145 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les résultats d'une enquête empirique menée sur la politisation du rock contestataire biélorusse durant la période 1983-2013 permettent de cerner la transformation des modalités de la censure dans un régime autoritaire post-soviétique. La censure est envisagée ici d'un point de vue inclusif et structural comme l'élément d'un système plus général de « gestion de la dissidence » qui ne se résume pas aux méthodes répressives immédiates, mais possède aussi des dimensions implicites, invisibles et non restrictives. Il apparaît dès lors, d'une part, que le phénomène revêt dans les régimes autoritaires contemporains un caractère plus informel, diffus et imprévisible, et que la censure économique y est de plus en plus importante ; d'autre part, que les activités, les producteurs et les produits culturels censurés se politisent systématiquement ; enfin, que le volet restrictif de la censure s'accompagne de dispositifs d'encadrement et de cooptation des activités culturelles contestataires.
      Governing Dissidence. The Sociology of Censorship under Authoritarian Regimes: The Case of Belorussian Protest Rock Drawing on the results of an empirical study of the politicization of Belorussian protest rock in the period 1983-2013, the article discusses the transformation of forms of censorship in the post-Soviet authoritarian space. Censorship is here considered from an inclusive and structural point of view as part of a more general system for “managing dissidence”, one that cannot be reduced to immediate repressive methods but also possesses implicit, invisible and non-restrictive dimensions. It thus appears that the phenomenon assumes a more informal, diffuse and unpredictable character in contemporary authoritarian regimes, where economic censorship plays an increasingly important role. At the same time, the cultural activities, producers and products that are subject to censorship are systematically politicized. Finally, the restrictive aspect of censorship is accompanied by mechanisms that allow for cultural activities involved in protest to be managed and coopted. ■
    • Les élections éthiopiennes de 2015 : un drame en trois actes pour l'opposition libérale multinationale - Jean-Nicolas Bach p. 147-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les élections générales éthiopiennes de 2015 ont été largement considérées au pire comme un non-événement, au mieux comme un événement dont le dénouement, à savoir la victoire du parti au pouvoir, l'EPRDF, était connu d'avance. De fait, cette victoire a bien eu lieu (avec 100 % des sièges remportés). Cependant, pour les formations partisanes de l'opposition, l'échéance électorale de 2015 a constitué un tournant majeur, surtout pour la branche qui avait connu un succès historique aux élections de 2005 et que nous qualifions ici d'opposition libérale multinationale. La victoire totale de l'EPRDF en 2015 signifie en effet pour elle la fin d'un rêve, celui de s'unir pour reproduire le succès électoral de 2005. Cette analyse entend expliquer un tel échec et en tirer les enseignements quant à la nature et au fonctionnement du système de partis éthiopien, à savoir la fragmentation continue de cette branche depuis le début des années 1990 et la pertinence à penser le champ partisan selon un clivage multinational/ethnonational au-delà duquel toute alliance semble compromise.
      The 2015 Ethiopian General Election: A Three Act Drama for the Liberal Multinational Opposition The 2015 general election in Ethopia was widely seen as a non-event at worst and an event the outcome of which – the victory of the ruling EPRDF party – was preordained at best. And it did indeed win (with the hegemonic party taking 100 % of the seats). For opposition parties, however, the 2015 election was a major turning-point. This was especially so for those belonging to what I refer to as the liberal multinational opposition, which had enjoyed historic success in the 2005 election. For the parties belonging to this opposition, the EPRDF's total victory in 2015 represented the end of a dream, that of joining forces to reproduce the electoral success of 2005. The present article seeks to explain this failure and draw lessons regarding the nature and operation of the Ethiopian party system particularly in what regards the unremitting fragmentation of this political current since the beginning of the 1990s and the relevance of conceiving the Ethiopian party system along a multinational/ ethnonational cleavage outside of which any alliance seems jeopardized. ■
    • Enseigner l'histoire à Taïwan : l'impossible concorde ? - Vladimir Stolojan-filipesco p. 167-188 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 1945 et jusqu'à la démocratisation des années 1990, le Parti nationaliste chinois a imposé à Taïwan un régime autoritaire avec pour corollaire des politiques identitaires faisant de l'île une Chine idéalisée. Il s'agissait de présenter le gouvernement en exil de la République de Chine comme le seul à pouvoir légitimement représenter la Chine sur la scène politique internationale. Ce grand récit a été mis à mal à partir du moment où le parti a commencé à relâcher son emprise sur la société insulaire. En 1997, les premiers manuels scolaires accordant plus de poids à l'histoire taïwanaise qu'à celle du continent chinois ont été adoptés, non sans affrontements entre les conservateurs défenseurs d'une identité sino-centrée et les tenants d'une identification taïwano-centrée. Certes, cette réforme n'a pas été remise en cause par la suite, mais des débats similaires se sont produits à chaque édition de nouveaux programmes du secondaire. Cette étude revient sur l'ensemble de ces discussions depuis 1997 en s'attachant à souligner leur lien avec les alternances gouvernementales qui se sont succédé depuis 2000.
      Teaching History in Taiwan: Impossible Agreement? From 1945 until the democratization of the 1990s, the Chinese Nationalist Party imposed an authoritarian regime on Taiwan and, with it, a set of identitarian policies that represented the island as an idealized China. This amounted to presenting the government in exile of the Republic of China as uniquely capable of legitimately representing China on the international political scene. This grand narrative began to crumble as soon as the Party began to loosen its grip over the island society. In 1997, the first textbooks giving greater weight to Taiwanese history than to that of continental China were adopted, provoking confrontations between conservative defenders of a Sino-centric identity and supporters of a Taiwan-centric identification. While this reform was not subsequently called into question, similar debates took place with the publication of each new high school program. The present article revisits the course of these discussions since 1997, underscoring how they have been linked to changes of government since 2000. ■
  • Lectures