Contenu du sommaire : Les modes d'accueil des jeunes enfants : des politiques publiques à l'arrangement quotidien des familles

Revue Revue française des Affaires sociales Mir@bel
Numéro no 2, avril-juin 2017
Titre du numéro Les modes d'accueil des jeunes enfants : des politiques publiques à l'arrangement quotidien des familles
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier thématique : Les modes d'accueil des jeunes enfants : des politiques publiques à l'arrangement quotidien des familles

  • La déclinaison des politiques nationales en dispositifs locaux

    • Politiques locales de la petite enfance : les enjeux de qualification de la demande de place en établissement d'accueil du jeune enfant - Elisa Herman p. 41-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'accès aux établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) dépend fortement des dynamiques locales : les territoires sont inégalement pourvus en crèches, les familles concernées ont des besoins hétérogènes et les services en charge de la petite enfance mettent en œuvre des politiques d'attribution des places différentes selon les territoires. Cet article s'appuie sur une enquête qualitative menée auprès de familles et de professionnel•le•s pour analyser les enjeux de la demande de place en EAJE. Il permet de comprendre les arbitrages générés par un travail de qualification des demandes, dans lequel se déploient les registres du travail social d'écoute, de l'activité administrative et de la prévention, ajustés aux contextes locaux. Les acteurs mettent donc principalement en avant deux enjeux : celui d'assurer la mixité sociale dans les lieux d'accueil et celui d'apporter une réponse publique à des demandes singulières.
      Access to Early Childhood Education Centres (ECEC) is highly dependent on local dynamics: regions are unequally provided with crèches, families have a range of different needs, and regional variations in access norms to Early Childhood Education Centres are set by children's services. This article, based on a qualitative survey of families and professionals, analyses the challenges of meeting the demand for places in ECECs. It clarifies the decisions required in the work of defining demand, work that involves the social work registers of listening, of administrative activityand child protection, adjusted to the local contexts. The agencies therefore tend to highlight two main issues, namely ensuring social diversity in Early Childhood Education Centres, and providing a public response to particular demands.
    • Management, rapports de force et coordination interprofessionnelle en établissement d'accueil du jeune enfant - Benoit Cret, Pierre Moisset, Christophe Pascal p. 63-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est d'étudier le lien entre management et processus de réarticulation des professions au sein des Établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) à travers l'histoire singulière d'un service municipal de la petite enfance, en mettant en avant les rapports de pouvoir au sein des structures d'accueil. En s'appuyant sur une étude de cas exhaustive de 98 entretiens semi-directifs au sein de 11 EAJE d'une des communautés urbaines les plus importantes de France, nous identifions quatre configurations organisationnelles et les problèmes de management y afférents.
      The aim of this article is to study the link between management and the process of reorganising occupations within Early Childhood Education Centres (ECEC) by looking at the unique history of an early childhood municipal service, emphasising the power relations within the childcare structures. Based on an exhaustive case study of 98 semi-directive interviews in 11 ECECs in one of the largest urban communities in France, we identify four organizational configurations and their associated management problems.
    • Des tout-petits « peu performants » en maternelle. Ambition et misère d'une scolarisation précoce - Pascale Garnier, Gilles Brougère p. 83-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Relancée récemment, la scolarisation précoce des enfants de deux ans à l'école maternelle représente à la fois un mode d'accueil des jeunes enfants et un dispositif qui vise à lutter contre les inégalités sociales de réussite scolaire. Nous rappelons tout d'abord les ambitions de cette politique nationale initiée au début des années 1980, avant d'examiner ses réalités grâce à un travail d'enquête empirique mené dans une classe d'école maternelle d'un réseau d'éducation prioritaire renforcé. En conjuguant l'observation des enfants et des entretiens avec leurs parents et l'enseignante soutenus par des montages vidéo, nous montrons comment les exigences scolaires auxquelles sont d'emblée confrontés les jeunes enfants mettent une partie d'entre eux en difficulté, que ce soit sur le plan de la discipline corporelle ou de leur investissement dans le travail scolaire. L'analyse met également en regard la participation des enfants aux activités de la classe avec les interactions développées entre pairs, afin de montrer comment les différenciations socioculturelles et de genre face aux attentes scolaires sont aussi imbriquées dans le développement des relations sociales entre les enfants.
      The recently relaunched policy of schooling children from 2 years of age is both a means of caring for young children and a measure to combat social inequalities in academic success. Firstly, we review the objectives of this national policy initiated in the early 1980s, before examining its realities through an empirical survey conducted in a nursery class in a priority education area. By combining observations of children and interviews with their parents and teacher, backed up by video montages, we show how the demands of school which young children face from the outset put some of them in difficulty, either in terms of physical discipline or their investment in schoolwork. The analysis also underlines the link between the participation of children in classroom activities and their peer-to-peer interactions, in order to show how differentiated sociocultural and gender-based responses to the expectations of school are also intertwined with the development of social relationships between children.
    • L'implication des entreprises dans l'articulation emploi-famille : les enseignements d'une enquête de terrain - Delphine Brochard, Marie-Thérèse Letablier p. 103-121 avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début des années 2000, la politique publique incite les entreprises à investir le champ de l'articulation vie professionnelle-vie familiale, en développant des dispositifs au-delà de leurs obligations légales, pour en faire un enjeu de négociation et de stratégie. Cet appel explicite à l'initiative des entreprises combine incitation fiscale, incitation au partage des bonnes pratiques et incitation à la négociation sociale. L'objectif de cet article est d'explorer dans quelle mesure les entreprises répondent à ces incitations publiques, sur la base d'une étude menée pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT) auprès de 16 entreprises multi-établissements de taille intermédiaire et de grande taille, représentant un ensemble varié d'activités et de localisations géographiques. Cette étude qualitative, qui croise les points de vue des directions et ceux des représentants CFDT, offre un aperçu de la façon dont employeurs et représentants syndicaux s'emparent de la question de l'articulation emploi-famille, les résultats auxquels ils aboutissent et les obstacles à leur action dans ce domaine.
      Since the early 2000s, public policy has encouraged companies to take action in the field of work-family life balance by developing mechanisms that go beyond their legal obligations, making them a negotiating and strategic issue. This explicit call for businesses to take the initiative combines tax incentives, incentives for sharing good practices, and encouraging collective bargaining. The objective of this article is to explore the extent to which firms respond to these public incentives. It is based on a study for the CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail) of 16 large and medium-sized multi-site companies representing a varied spectrum of activities and geographical locations. This qualitative study, which brings together the views of management with those of the CFDT representatives, provides an insight into how employers and trade union representatives take up the question of work-family life balance, the results they achieve, and the obstacles they encounter in their action in this area.
  • Articuler vie familiale et vie professionnelle : des aspirations des parents aux arrangements quotidiens

    • De la naissance à l'école maternelle : des parcours de mode d'accueil diversifiés - Quentin Francou, Lidia Panico, Anne Solaz p. 123-147 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En France, la politique de la petite enfance affiche l'objectif de laisser aux familles un large choix, afin que les parents puissent trouver un mode d'accueil adéquat et continuer ainsi leur activité professionnelle s'ils le souhaitent. Toutefois, certains modes d'accueil, comme les crèches, continuent d'être difficiles d'accès. Ces difficultés ont déjà été mises en avant avec des données en coupe. Les données de l'enquête Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants réalisée en 2013 permettent de compléter cette approche grâce à un calendrier mensuel rétrospectif des modes d'accueil depuis la naissance. Nous utilisons des analyses de séquences pour décrire ces parcours jusqu'à l'entrée à l'école, ainsi que les caractéristiques des familles. Nous trouvons une grande stabilité dans les parcours d'accueil des jeunes enfants en France ayant accès à des modes d'accueil formels, qu'ils soient individuels ou collectifs. Néanmoins, 15 % des enfants connaissent des parcours avec plusieurs changements de modes d'accueil ou connaissent des modes d'accueil informels ; ce dernier recours, notamment aux grands-parents, est plus fréquent de la part des ménages des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées.
      Early childhood policies in France aim at providing families with an array of childcare arrangements, allowing parents to continue their professional activity if they so choose. However, some types of childcare, such as crèches, are still difficult to access. These difficulties have already been highlighted by cross-sectional data. Data from the Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants [Survey of childcare arrangements of young children] survey conducted in 2013 allow completing this approach with the help of a monthly retrospective calendar detailing the use of various childcare arrangements since birth. We use sequence analysis to describe these pathways, as well as family characteristics, up to school entry. We find great stability in trajectories of early childhood care for young children in France with respect to access to formal modes of childcare, whether individual or collective. Nevertheless, 15% of children go through several changes in the type of childcare used or are looked after through informal arrangements. This latter form of childcare, which involves grandparents in particular, is more frequent in households characterised by less advantaged socio-professional occupations.
    • Continuer, réduire ou interrompre son activité professionnelle : le dilemme des mères de jeunes enfants - Karine Briard p. 149-168 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quels sont les ressorts et les freins à la décision des mères de réduire, d'arrêter ou de poursuivre leur activité professionnelle dans les premières années de l'enfant ? Les motifs donnés par les mères d'un enfant de moins de trois ans témoignent du dilemme auquel elles sont confrontées entre le souhait de s'en occuper et préserver leur vie professionnelle, économiser des frais de garde et conserver un salaire. La stabilité de l'emploi, le statut, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau d'études apparaissent déterminants dans le maintien en activité, mais ni des horaires contraignants ni la situation de couple ne distinguent les femmes ayant choisi de s'arrêter des femmes en activité. La question de la garde des enfants se pose pourtant différemment pour ces dernières selon qu'elles sont seules ou en couple : le recours à un mode de garde, formel ou non, est l'unique alternative qu'ont les femmes seules pour disposer de souplesse horaire sans réduire leur temps de travail, alors que le conjoint peut assurer le relais dans la garde pour les femmes en couple. En particulier, des horaires décalés ou irréguliers de la mère favorisent la garde parentale et la participation des pères.
      What are the motivating and limiting factors for mothers in deciding to interrupt, reduce, or continue their professional activity during the years of early childhood? The reasons given by mothers of children under three years of age reflect the dilemma they face between their desire to care for their children and to preserve their professional lives, to minimise childcare costs while maintaining a salary. Job stability, status, occupational category, and educational level appear to be decisive in maintaining employment, but neither restrictive working hours nor marital status distinguish those women who choose to stop working from those who choose to remain in work. The question of childcare, however, is posed in a different way for working mothers, depending on whether they are single or in a relationship. The use of formal or informal childcare is the only alternative available to allow single women access to flexible working hours without reducing their working time, while the partner can ensure continuity of childcare for women who are part of a couple. In particular, mothers' irregular hours favour parental childcare and the involvement of fathers.
    • L'articulation travail-famille chez les mères en activité continue et à temps plein : une question de distanciation subjective ? - Lucie Goussard, Laetitia Sibaud p. 169-186 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'activité féminine continue à temps plein donne lieu à des expériences variées de l'articulation travail-famille et s'avère porteuse de tensions organisationnelles (renvoyant aux modes de garde), temporelles et subjectives, tant sur le plan professionnel que familial. La « distanciation subjective » est mise à mal lorsque des interférences du travail dans la famille et de la famille dans le travail apparaissent. Cette vigilance permanente que représente la charge mentale est difficilement quantifiable. Elle est relative, au sens où son poids varie d'une femme à une autre et selon les moments dans la trajectoire socioprofessionnelle. Les mères sont souvent prises au piège de cette vigilance permanente en raison de la pesanteur des rôles sociaux. Il en résulte certaines formes de « résistances » amplifiant les mises en tension de l'articulation travail-famille.
      Full-time working women's activity gives rise to a variety of work-family life balance experiences. The type of child care is a source of organisational tension, both temporal and subjective, for both work and family life. The “subjective distancing” is undermined where there is intrusion of work into family life and of family life into work. It is difficult to quantify this mental workload of permanent conscious attention. It is relative, in the sense that its weight varies from one woman to another, and it varies at different points on the socio-professional trajectory. Mothers are often trapped, due to the weight of social roles. As a result, certain forms of “resistance” amplify the stresses of the work-family life balance.
    • La prise en charge des jeunes enfants par l'aide grand-parentale : un mode de garde composite - Morgan Kitzmann p. 187-206 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En marge des structures formelles de garde, certains parents ont recours à l'aide informelle des grands-parents pour la prise en charge des jeunes enfants. Cet article s'attelle à montrer que l'aide des grands-parents n'est pas homogène. Elle prend des formes diverses. En s'appuyant sur des entretiens qualitatifs, cette analyse permet de dégager différents types de garde, leurs modalités et leurs déterminants : la garde intensive, la garde de dépannage, la garde de routine et enfin la garde de loisirs. D'une part, selon l'appartenance sociale, les individus vont plus ou moins mobiliser certains types de garde. D'autre part, ils peuvent mobiliser un même type de garde de différentes façons, selon la façon qu'ils ont d'adopter la norme de bonne grand-parentalité. La prise en compte du milieu social d'origine et de la structure familiale met en lumière des ressources grands-parentales inégales selon les individus ; ceci mène alors à penser des grands-parentalités et non une image uniforme de la grand-parentalité.
      On the margins of formal childcare arrangements, some parents rely on informal help from grandparents for the care of young children. This article strives to demonstrate that grandparental help is not homogeneous – it takes various forms. Based on qualitative interviews, this analysis makes it possible to identify different types of childcare, their modalities, and their determining factors: intensive childcare, temporary childcare assistance, routine care, and finally, recreational care. On one hand, individuals will mobilize certain types of childcare more or less according to social milieu. On the other hand, they can mobilize the same kind of care in different ways, depending on their individual manner of adopting the norms of good grandparenting. Taking family structure and social milieu of origin into account highlights the unequal grandparenting resources of individual parents. This leads to considering the grandparenthood mode of childcare as being varied rather than uniform.
    • Organiser la garde des enfants quand on est mère seule : une spécificité des mères immigrées ? - Tatiana Eremenko, Xavier Thierry, Laure Moguérou, Rose Prigent p. 207-228 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les familles monoparentales rencontrent plus de difficultés à concilier la garde de leur enfant et une activité professionnelle, souvent indispensable au niveau de vie du foyer. Ces obstacles peuvent s'accentuer dans le cas des familles immigrées, plus souvent confrontées à une précarité sociale et économique. Mobilisant deux enquêtes récentes, cet article compare les solutions d'accueil préférées et adoptées par les familles avec des enfants en bas âge, caractérisées par les situations conjugale et migratoire des mères. Les mères immigrées seules plébiscitent et utilisent davantage les crèches que les autres groupes de mères. Toutes choses égales par ailleurs, les modes de garde choisis et utilisés par ces femmes ne présentent pas de réelles différences avec les femmes non immigrées en situation de monoparentalité ; en revanche, elles se distinguent de leurs homologues immigrées en couple.
      Single-parent families find it more difficult to reconcile childcare and maintaining employment, generally essential to the household's standard of living. These obstacles become more pronounced among immigrant families, which more often face social and economic insecurity. Drawing on two recent surveys, this article compares the preferred and adopted childcare solutions of families with young children, in relation to the marital and migratory status of the mothers. Single immigrant mothers prefer and use nurseries more than other groups of mothers. All other things being equal, the types of childcare chosen and used by these women do not present any real differences with of non-immigrant women in single-parenting situations. However they differ from their immigrant counterparts living with a partner.
    • Profiter des enfants ou s'offrir du temps ? Les conditions auxquelles les pères prennent un congé parental - Myriam Chatot p. 229-246 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La récente réforme du congé parental (2014) a instauré un partage entre les parents de l'allocation pouvant être associée au congé parental d'éducation afin d'encourager les pères à avoir davantage recours au congé. La faible proportion de pères bénéficiaires du congé serait-elle donc due à la méconnaissance des pères de ce dispositif, ou à leur peur que sa souscription n'entrave leur carrière professionnelle, comme l'ont affirmé certains défenseurs de la réforme ? D'après 37 entretiens réalisés auprès des hommes ayant pris un congé parental, si les conditions d'emploi de chacun des conjoints ont un rôle à jouer dans la décision de la prise du congé au masculin (stabilité de l'emploi de la mère, hypogamie1), les conditions que l'homme se fixe pour s'autoriser à prendre le congé semblent également décisives. En effet, les pères ne semblent se projeter dans le congé qu'à condition de ne pas s'occuper seulement des enfants pendant cette période, signe d'un investissement possible du congé différent entre les hommes et les femmes.
      The recent parental leave reform of 2014 introduced parental sharing of the allowance associated with parental leave, in order to encourage greater use of such leave by fathers. Is the low proportion of fathers who take advantage of parental leave the result of their lack of knowledge of this scheme or, as some advocates of the reform have claimed, the result of a fear that utilising such leave would hamper their careers? According to 37 interviews with men who took parental leave, while the employment conditions of both parents play a role in the decision to take male parental leave (stable employment of the mother, hypogamy), the conditions of taking parental leave that men set themselves also seem decisive. Indeed, fathers only seem to envisage taking leave providing they do not solely” care for children during this period, a sign of possible different levels of engagement between men and women.
  • Confier son enfant, accueillir des enfants : les professionnel•le•s face aux parents

    • Pourquoi les parents préfèrent-ils la crèche ? Les représentations hiérarchisées des modes de garde professionnels - Marie Cartier, Anaïs Collet, Estelle Czerny, Pierre Gilbert, Marie-Hélène Lechien, Sylvie Monchatre p. 247-264 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans un contexte de montée de la bi-activité des conjoints, la question du choix du mode de garde se pose de façon aiguë pour les parents de jeunes enfants. Or, bien que l'offre de garde en crèche soit moins répandue que celle par les assistantes maternelles, les parents manifestent un rejet assez net de ces dernières et leur accordent moins spontanément leur confiance. À partir d'une enquête par entretiens auprès de 32 couples, l'article interroge les raisons de cette disqualification persistante des assistantes maternelles, en soulignant les différenciations sociales de ce jugement selon la position des parents et la pente de leur trajectoire, et également selon le genre. Si les parents des classes supérieures tendent à écarter le recours aux assistantes maternelles dans le cadre de ce qui s'apparente à une présomption d'incompétence de classe, les parents des classes moyennes et populaires expriment quant à eux des attentes éducatives et socialisatrices différenciées, inspirées de la « culture psy », d'une réinterprétation scolaire de l'éveil de l'enfant et d'un attachement à la crèche comme préparation à l'école maternelle exigeant des enfants discipline et autonomie. Ces attentes se doublent, dans les couples de classes populaires interviewés, de la crainte de confier leurs enfants à des femmes incontrôlables, soupçonnées d'échapper aux contraintes de l'emploi salarié.
      The choice of childcare is an acute question for parents of young children in a context of rising numbers of two-parent working families. Although the availability of crèche-based childcare is less widespread than the availability of childminders, parents show a fairly clear rejection of the latter and award them their trust less spontaneously. Based on a study of interviews with 32 couples, the article examines the reasons for this persistent disqualification of childminders, emphasizing the social differentiation of this judgment according to gender as well as to the parents' social position and evolution. While upper-class parents tend to exclude the use of childminders in a manner resembling a presumption of class-related incompetence, middle and working-class parents express differentiated educational and socializing expectations inspired by a cultural interest in psychology, an academic reinterpretation of early learning, and an attachment to the crèche as a preparation for kindergarten that instils discipline and autonomy in children. These expectations are compounded in the working-class couples interviewed by a fear of entrusting their children to women who cannot be controlled and who they suspect operate outside the restrictions imposed upon employees.
    • Asseoir sa légitimité professionnelle auprès des parents. Les stratégies de légitimation éducative des assistantes maternelles - Marie Cartier, Marie-Hélène Lechien p. 265-281 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans un contexte de montée de la « cause des enfants » et d'insistance sur les premiers apprentissages, les assistantes maternelles ne sont pas d'entrée de jeu légitimes du point de vue de leurs capacités éducatives et ce en dépit des politiques de professionnalisation. Comment assoient-elles alors leur légitimité professionnelle en matière éducative auprès des parents, qui préfèrent souvent la crèche pour leurs enfants en âge de marcher, censée mieux les préparer à l'école maternelle ? S'appuyant sur deux corpus d'entretiens approfondis avec des assistantes maternelles (36 entretiens en Loire-Atlantique et en Haute-Vienne, réalisés entre 2010 et 2014) et avec des parents de jeunes enfants (32 couples interviewés dans le cadre d'une post-enquête qualitative Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants en 2015), cet article met au jour plusieurs stratégies de légitimation professionnelle (preuves matérielles du travail, contre le soupçon d'inactivité attaché à l'image de femme au foyer, que sont la salle de jeux, les activités et les cahiers).L'article montre que la plupart des assistantes maternelles rencontrées mettent en œuvre des stratégies de légitimation professionnelle, pas seulement celles qui se désignent comme les plus professionnelles ou sont désignées comme telles par les personnels plus qualifiés encadrant leur travail. L'article souligne enfin que le travail de légitimation s'avère d'autant plus efficace que les preuves éducatives, loin de revêtir une signification unilatérale, sont susceptibles de perceptions plurielles tant du côté des parents aux propriétés sociales différenciées que du côté des assistantes maternelles elles-mêmes.
      In the context of a rising interest in the “defence of children” and an emphasis on early learning, the educational skills of childminders are disregarded from the outset, despite policies designed to reinforce a professional approach. How then can they establish their professional legitimacy in the educational field amongst parents who often prefer crèches for their children of walking age, which they believe are a better preparation for kindergarten? This article is based on two corpus of in-depth interviews with childminders (36 interviews in Loire-Atlantique and Haute-Vienne carried out between 2010 and 2014) and parents of young children (32 couples interviewed as part of a qualitative post-survey follow-up to the Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants [modes of childcare and child reception facilities for young children] survey 2015). It highlights several strategies to increase professional recognition (material evidence of work such as a games room, activities, and notebooks, in response to the suspicion of inactivity attached to the image of a housewife).The article shows that strategies to increase professional recognition are implemented by most of the childminders encountered, not only by those who regard themselves as the most “professional,” or are designated as such by more qualified employees supervising their work.Finally, the article stresses that efforts aimed at professional legitimacy are all the more effective since proof of educational skills, far from having a unilateral meaning, are open to varied interpretations, both on the part of parents with differentiated social characteristics as well as bychildminders themselves.
    • Les évolutions majeures des aides aux familles ayant de jeunes enfants depuis 1945 - Bertrand Fragonard, Céline Marc p. 282-300 accès libre
    • Les politiques d'accueil des enfants en France et en Europe. Atouts, limites et perspectives - Claude Martin p. 301-308 accès libre
    • Les relations entre parents et professionnels de la petite enfance : un système d'attentes et de conventions sociales - Bertrand Geay p. 309-315 accès libre
    • Le travail auprès des jeunes enfants : quels apprentissages pour quelles pratiques professionnelles ? - Anne-Lise Ulmann p. 316-327 accès libre
    • Les modes d'accueil sont des espaces transitionnels, à mi-chemin entre l'intime et le public - Sylviane Giampino p. 328-337 accès libre
    • Colloque « Petite enfance : regards croisés sur les modes d'accueil des jeunes enfants » organisé par la Direction de la recherche, de l'évaluation et des études statistiques (DREES) le mardi 15 novembre 2016 - Pauline Virot p. 338-349 accès libre
    • Appel à contributions pluridisciplinaire sur : « Les modes d'accueil des jeunes enfants : des politiques publiques à l'arrangement quotidien des familles ». Pour le numéro de mars-juin 2017 - p. 350-358 accès libre
  • Autre thème

    • Les enjeux et les impacts de la réforme territoriale sur la mise en œuvre des politiques sociales - Cyprien Avenel p. 359-392 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, nous livrons une analyse des enjeux et des impacts de la nouvelle réforme territoriale sur la conception de la politique sociale et sur les modalités de sa mise en œuvre au plan local. Après la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM, 2014), puis la loi relative à la délimitation des régions (2015), la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe, 2015) pose à nouveau la question du devenir des compétences sociales sur les territoires. Nous proposons une mise en perspective critique de cette réforme, qui recentre notamment les départements sur les solidarités, mais maintient leur rôle de chef de file dans une position incertaine entre la consolidation des grandes régions et la montée en puissance des pouvoirs intercommunaux et métropolitains. Pour autant, le projet du transfert de certaines compétences sociales aux métropoles soulève plus de questions qu'il n'en résout et révèle un engagement très limité de ces dernières en ce domaine. L'enjeu de la décentralisation, en définitive, réside moins dans l'organigramme canonique de la répartition des compétences, que dans l'élaboration progressive d'une nouvelle réponse sociale substituant aux interventions verticales et sectorielles usuelles une approche plus transversale et décloisonnée, non seulement corrective et réparatrice, mais également plus préventive et inclusive.
      In this article, we analyse the challenges and impact of the new territorial reform on the design of social policy and the details of its implementation at local level. The law on the new territorial organization of the Republic (NOTRe, 2015) — following the law to modernize territorial public action and affirm the status of large cities (MAPTAM, 2014) and the law on the delimitation of regions (2015) — once again raises the question of the future role of the region in social policy. We propose a critical perspective of this reform, which refocuses the action of the départements on solidarity while maintaining their role as “leader” in an uncertain position between the consolidation of large regions and the increasing importance of intercommunal and metropolitan powers. However, the plan to transfer some social jurisdiction to metropolitan entities raises more questions than it answers, and reveals the very limited commitment of these entities to this field. The decentralisation issue ultimately lies less in the established distribution structure of policy responsibilities than in the gradual elaboration of a new social response, replacing the usual vertical and sector-based interventions with a more transversal and decompartmentalized approach which is not only corrective and restorative, but also more preventive and inclusive.