Contenu du sommaire : Traduire et introduire les sciences sociales d'Asie orientale

Revue Tracés Mir@bel
Numéro Hors-série no 17, 2017
Titre du numéro Traduire et introduire les sciences sociales d'Asie orientale
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Avant-propos - Olivier Allard, Christelle Rabier p. 7-8 accès libre
  • Éditorial

    • Traduire et introduire les sciences sociales d'Asie orientale - Christelle Rabier p. 11-25 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'introduction du numéro revient sur le choix, par l'équipe de coordination, de traduire trois textes singuliers écrits en japonais par l'architecte et l'ethnologue urbain Kon Wajirô en 1927 sur son entreprise modernologique ; en chinois par le politiste Yu Keping en 2010 sur les innovations gouvernementales et en coréen par la sociologue Yang Hyunah sur les pratiques d'avortement en Corée (2013). Ces traductions et les commentaires qui les accompagnent ont conduit à réfléchir aux géographies et langues de la traduction, aux régimes de scientificité mobilisés, comme à la grammaire de la comparaison, au sein de l'aire régionale, mais aussi entre Occident et Asie de l'Est.
      In this “Translating and Introducing” issue, the introduction explains the reasons behind the choice made by the editorial team to translate “What is modernology ?” by the Japanese urban ethnographer and architect Kon Wajirô (1927); a reflection in Chinese by the political scientist Yu Keping on governmental innovations (2010); and a research in Korean by the sociologist Yang Hyunah on perceptions of aborting practices in South Korea (2013). These translations and their commentaries question geographies and languages of translation, operating epistemologies, as well as scales of comparison, within East Asia and globally.
  • Japon : Kon Wajirô

    • Le quotidien d'un trait de crayon. Les pérégrinations savantes de Kon Wajirô dans le Tokyo des années 1920 - Alice Doublier p. 29-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au milieu des années 1920, suite au grand tremblement de terre du Kantô, l'artiste et intellectuel Kon Wajirô (1888-1973) entreprend, avec quelques amis, d'observer les mouvements et le quotidien des habitants de Tokyo. Cette nouvelle science du temps présent, qu'il appelle modernologie, se constitue comme une compilation infinie des menus faits et des détails de la vie contemporaine, restitués par une série de dessins, croquis et graphiques. Cet article propose de rendre compte de cette expérience inédite de capter le présent qui se déroule sous nos yeux en retraçant le parcours singulier de son principal protagoniste.
      In the middle of the 1920's, a few years after the Great Kantô Earthquake, artist and intellectual figure Kon Wajirô (1888-1973) begins, with the help of some friends, to observe the movements and daily lives of Tokyo's inhabitants. This new science, called modernology, aims at compiling the infinite variations of contemporary life's ordinary practices and details, through numerous drawings, sketches and graphs. This paper intends to reflect on this original attempt to grasp the present by recounting its main protagonist peculiar path.
    • Qu'est-ce que la modernologie ? - Kon Wajirô p. 43-53 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans ce texte rédigé en 1927, Kon Wajirô (1888-1973) – penseur inclassable et prolifique, actif dans des champs aussi variés que les études folkloriques, l'architecture, la planification urbaine, l'étude des vêtements et le dessin – propose une synthèse des enquêtes collectives qu'il mène dans les rues de Tokyo depuis la deuxième moitié des années 1920. Manifeste de la modernologie, nouvelle science consacrée à l'observation des pratiques quotidiennes de ses contemporains – dans la ville et au-delà – que Kon entend fonder en contrepoint à l'archéologie et à l'ethnologie, le texte revient sur la genèse d'une telle entreprise et en particulier sur le rôle fondateur du grand tremblement de terre du Kantô de 1923 dans le sentiment d'urgence à collecter la vie qui se déroule sous ses yeux, avant de proposer des pistes de recherches nécessaires à la compilation exhaustive et détaillée des mœurs de son temps.
      In this text he wrote in 1927, Kon Wajirô (1888-1973), an unclassifiable and prolific intellectual whose works addresses various fields such as folklore studies, architecture, urban planning, clothing studies, or drawing, reflects on the research that he and some of his colleagues undertook in the streets of Tokyo during the second half of the 1920's. The text serves as a manifesto of modernology : a new science devoted to the fine-grained observation of daily practices of contemporary men and women – within and outside the city – that Kon whished to build as a counterpoint both to archeology and to ethnology. Kon recalls here the genesis of such a project and especially the emergency to collect life happening in front of his eyes that he felt immediately after the Great Kantô Earthquake of 1923. He also proposes numerous topics of inquiry necessary to the exhaustive and detailed compilation of present-time habits.
    • Kon Wajirô, au passé et au présent - Damien Kunik p. 55-70 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La modernologie est une discipline inventée de toutes pièces par le folkloriste et architecte Kon Wajirô (1888-1973) à la suite du grand tremblement de terre de 1923 qui dévaste Tokyo et sa région. Marginale en son temps, éphémère, critique à l'égard des présupposés des sciences sociales japonaises sans pourtant parvenir à faire école, celle-ci sera pourtant régulièrement invoquée et réinterprétée par des générations successives d'artistes et d'intellectuels. Cet article fait le point sur la création, l'histoire et le devenir de la modernologie, le parcours complexe de son créateur et l'intérêt qu'elle peut encore présenter aujourd'hui du point de vue des sciences humaines et sociales.
      Modernology is a discipline created from scratch by folklorist and architect Kon Wajirô (1888-1973) in the ruins of Tokyo, following the Great Kantô earthquake of 1923. Marginal at the time, ephemeral, critical of the assumptions of Japanese social sciences yet unable to reform them, modernology has however been invoked and reinterpreted by successive generations of artists and intellectuals. This article reviews the birth, the history, and the course of modernology, the complex career of its creator, and the relevance of the subject for contemporary social sciences and humanities.
    • Les inventaires du quotidien, pratiques et logiques de collecte - Federica Tamarozzi p. 71-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Tout semble opposer la modernologie et l'ethnologie européenne (choix des terrains, méthodologie, buts recherchés…), pourtant les deux disciplines ont partagé un même intérêt pour la culture matérielle et produit des documents qui présentent des similitudes formelles. Sans nier l'irréductible différence qui sépare les deux productions intellectuelles, cet article se propose d'observer leurs étonnantes proximités. Procédant par analogies, il questionne aussi la place de l'enquêteur et la façon dont il choisit de restituer les fruits de ses observations. Un même vertige semble s'emparer de ces entreprises savantes qui cherchent à concilier le détail et la vue d'ensemble, dans l'espoir de restituer fidèlement la réalité sociale et matérielle de leur pays.
      Everything seems to oppose modernology and European ethnology (fields of investigation, methodology, purposes…). Both disciplines however shared the same interest for material culture and produced documents which show formal similarity. Without denying the inflexible difference that separates both intellectual productions, this article analyses their apparent and surprising closeness. Proceeding by analogies, the author also questions the place of the observer and how he chooses to compile data. The same feeling of vertigo seems to seize these scholarly activities which tentatively reconcile the detail and the overview, in hopes of restoring the social and material reality of their country.
  • Documents

  • Chine : Yu Keping

    • Yu Keping, un politiste en Chine - Émilie Frenkiel p. 105-120 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article explore les rapports complexes entre science et politique en Chine. Il offre des éléments de contextualisation pour comprendre l'article de Yu Keping, « Quelles innovations faut-il encourager et promouvoir ? » (2010) traduit dans ce numéro. Il examine le travail d'un chercheur chinois de haut niveau – universitaire reconnu, démocrate et proche du pouvoir – et le rôle des institutions dans lesquelles il a longtemps œuvré – le Bureau central des traductions et compilations et l'Institut de recherche en innovations gouvernementales. Son travail sur les innovations locales permet ainsi d'aborder la place particulière de la science politique en Chine, la posture académique de ce politiste, le mode de gouvernance chinois et de comprendre le rôle joué par les innovations institutionnelles expérimentées aux échelons locaux, qui sont parfois érigées comme modèles et étendues à une échelle plus vaste.
      The article explores the complex interactions between science and politics in China. It contextualizes Yu Keping's article “Which innovation we should foster and promote?” (2010) translated in the issue. Yu, a Chinese well-known scholar nationally and worldwide, supports gradual democratization while being very close to power, as former member of interesting research centers – the Central Translation and Compilation Bureau and the Center for Chinese Government Innovations. His scholarly work on local innovations, thus, provides a gateway into the understanding of Chinese political science's recent history, the academic stance of a political scientist in China and the specificities of Chinese governance. It discusses the role local institutional innovations play in the national Chinese context, as models which may be promoted.
    • Quel type d'innovation faut-il encourager et promouvoir ? - Yu Keping p. 121-141 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les projets ayant candidaté au Prix des innovations gouvernementales locales chinoises entre 2000 et 2010 et identifie six critères déterminants : les transformations socio-économiques, l'élargissement de la participation des citoyens à la vie politique, le développement des processus politiques, l'accroissement de l'autonomie des citoyens, l'impact de la mondialisation et enfin, la transformation du Parti communiste chinois de parti révolutionnaire en parti au pouvoir. Ces innovations gouvernementales locales témoignent d'une tendance générale au développement politique, à la décentralisation du pouvoir, à la construction d'un État de droit et à la diminution des formes autoritaires de la politique, au profit d'une gouvernance modernisée et plus démocratique, favorisant la prise de décision et l'autonomie des citoyens. Bien que le gouvernement central chinois n'annonce pas de réformes politiques à long terme, ces initiatives novatrices à l'échelle locale dessinent une perspective de transition politique vers un système moins autoritaire, en vue d'une gestion participative expérimentée par le bas et susceptible de transformer fondamentalement le système politique chinois.
      This article analyses the projects which applied to the Chinese local government innovation prize between 2000 and 2010 and identifies six main criteria: socio-economic transformations, expanding citizen participation to political life, developing political processes, enhanced citizen autonomy, the impact of globalization and the Chinese communist party's shift from revolutionary party to ruling party. Local government innovations reflect the overall orientation towards political development, decentralizing power, building the rule of law and reducing authoritarian forms of politics, for more modern and democratic governance with greater citizen decision-making and autonomy. Despite the fact that the Chinese central government has not announced political reforms in the long run, these local innovative endeavours outline a prospective political transition towards a less authoritarian system, experimenting with grassroots participatory management likely to deeply transform the Chinese political system.
    • Repenser la séquence démocratique. Analyse quantitative et qualitative des innovations gouvernementales en Chine - Chunyu Shi p. 143-157 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La lecture de l'article de Yu Keping invite à réfléchir à la spécificité du lien entre les universitaires et les gouvernants chinois ainsi qu'au contexte politique et idéologique dans lequel se déroulent les innovations gouvernementales locales. Cela nous conduit à nous interroger sur les caractéristiques mais surtout sur les particularités de ces innovations. Partant d'une analyse quantitative et qualitative sur les 114 projets d'innovations locales détaillées par le texte de Yu, ce commentaire propose un regard nouveau sur les évolutions politiques et institutionnelles en Chine.
      Yu Keping's article invites us to reflect on the specificity of the link between academics and the Chinese government as well as the political and ideological context in which local innovations take place. This leads us to wonder about the characteristics but especially the peculiarities of these innovations. Based on a quantitative and qualitative analysis of the 114 projects of local innovations detailed in Yu's text, this commentary proposes a new perspective to assess political and institutional developments in China.
    • Demandes sociales, gouvernance et médiation intellectuelle en Chine postmaoïste - Éric Florence p. 159-166 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte souligne combien la notion d'innovation gouvernementale est étroitement liée à l'idée de transformation incrémentale du système politique, ainsi qu'au renforcement de la capacité de gouverner et à la consolidation de la légitimité de l'État-parti. L'accent est mis également sur l'importance du cadre institutionnel d'expression et sur le recours par le politologue Yu Keping à un genre de formulation récurrent mettant dans un premier temps en évidence les réalisations accomplies en matière de gouvernance dans le but, dans un second temps, de proposer des améliorations fonctionnelles des mécanismes de gouvernance.
      This paper highlights how much the notion of governmental innovation is closely related to the idea of incremental transformation of the political system and to the strengthening of the Party-state's capacity to govern as well as to its legitimacy. The focus is also put on the relevance of the institutional genre of expression and to the use by the political scientist Yu Keping to highly recurrent modes of formulation that firstly stress the achievements in the Party-state's endeavours to improve governance in order secondly to put forward functional improvements to the governing mechanisms.
    • La science politique et l'innovation gouvernementale. À propos d'un texte de Yu Keping - Yves Sintomer p. 167-175 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comme nombre d'intellectuels chinois, Yu Keping s'inscrit dans une tradition d'intervention des sciences sociales dans le débat public mais aussi dans le conseil au gouvernement. Son texte « Quel type d'innovation gouvernementale faut-il encourager et promouvoir ? », qui tire le bilan du Prix de l'innovation de la gouvernance locale, montre la voie que devaient selon lui emprunter les réformes politiques dans la Chine de l'ancien président Hu Jintao. Une démocratisation prudente, fondée sur les services rendus aux citoyens, l'efficacité, la modernisation de l'État et une plus grande transparence de son action ; et secondairement sur la justice sociale, la prise en compte d'une société civile plus indépendante, et la consultation des citoyens-usagers. Une réforme intégrant potentiellement les élections mais différant de la démocratie élective occidentale – une perspective aujourd'hui remise en question sous la présidence de Xi Jinping.
      Yu Keping is part of a strong tradition of Chinese intellectuals and social scientists who engage in the public sphere and advise governments. His article “Which type of innovation must be fostered and promoted?”, which assesses the Prize for innovation in local governance, indicates the path that according to him political reforms should have followed in President Hu Jintao's China. A cautiously managed democratization, relying upon the services provided by local governments, efficiency, state modernization, increased transparency; and secondarily social justice, the recognition of a more independent civil society, and the consultation of citizens-consumers. This reform was supposed to include elections, but in a form that would have differed from Western competitive party elections –a perspective which is no more on the agenda under Xi Jinping's presidency.
  • Corée du Sud : Yang Hyunah

    • Statut de l'avortement et mouvements féministes en Corée du Sud - Florence Galmiche p. 179-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte vise à présenter les grandes lignes du contexte historique, social et politique des débats sud-coréens sur l'avortement. L'une des caractéristiques de la situation de l'avortement en Corée du Sud réside dans le grand décalage entre son statut juridique et sa réalité : illégal, l'avortement est très largement pratiqué. De plus, l'inscription du débat sur l'avortement dans la question plus large du droit des femmes à l'autonomie est tardive. Depuis les années 1960 et plus encore 1970, l'avortement, bien qu'interdit sauf exceptions, a été toléré, voire encouragé politiquement dans le cadre d'un contrôle démographique. Cette situation a changé dans les années 2010 avec la nouvelle priorité nataliste de l'État et la décision de renforcer la pénalisation de l'avortement. Celui-ci est alors arrivé au cœur des débats publics et la revendication d'un droit à l'avortement est devenue un enjeu important pour les mouvements féministes sud-coréens. Les féministes ont commencé à se mobiliser pour sa légalisation dans le cadre, en règle générale, de revendications plus larges sur le droit à l'autonomie des femmes, y associant aussi l'importance de l'éducation sexuelle et du choix en matière de contraception.
      This paper aims at briefly presenting the historical, social and political context of the debates on abortion in South Korea. The situation of abortion in Korea is characterized by a gap between its legal status and its reality: in spite of its illegality (in most cases) this practice is extremely common. In addition, debates about abortion entered the broadest discussion about the women's rights to autonomy only recently. Since the 1960s and even more the 1970s, abortion has been politically tolerated and even sometimes encouraged by population control policies. This context changed around 2010 when the state decided to reinforce the criminalization of abortion as a way to increase birth rate. Abortion arrived as a major topic in public debates and the claim for its legalization became an important issue for South-Korean feminist movements. Feminists have started to mobilize for its legalization, generally in the context of broader claims for women rights to autonomy, and while also advocating the importance of sexual education and better contraceptive choice.
    • Note sur la traduction du coréen - Florence Galmiche, Pierre-Emmanuel Roux p. 189-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette note accompagne la traduction du coréen vers le français d'un article sociologique de Yang Hyunah portant sur le statut de l'avortement en Corée du Sud au regard du droit et de l'expérience des femmes. Ce bref texte vise à présenter les coulisses de cette traduction pour mieux comprendre les questions qui se sont posées et les choix qui ont été opérés, en ce qui concerne certaines caractéristiques de la langue coréenne, le positionnement de l'autrice et des enjeux de vocabulaire.
      This note brings additional information about the translation from Korean to French of a paper written by the sociologist Yang Hyunah on the legal status of abortion in South Korea and the experience of women. This short text aims at presenting the process of this translation in order to give a better understanding of the questions we met and the choices we made concerning characteristics of the Korean language, the positioning of the author and some lexical issues.
    • Le recours constitutionnel contre le délit d'avortement et la voix des femmes : une étude des perceptions de l'expérience de l'avortement - Yang Hyunah p. 195-236 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette étude est un examen critique de la décision constitutionnelle de 2012 concernant l'article 270 (Avortement réalisé par un médecin ou assimilé) du code pénal sud-coréen. Fondée sur une double approche légale et sociologique, elle analyse les résultats d'une enquête empirique sur les expériences et perceptions féminines de l'avortement. Ce faisant, nous cherchons à faire entendre la voix des femmes, de surcroît dans un contexte où la Cour constitutionnelle peine à la reconnaître ou à l'accepter, tout particulièrement quand il s'agit d'avortement. La première partie de notre article présente la situation de l'avortement en Corée du Sud, plus précisément son statut légal et sa réalité sociale. Bien que la plupart des cas d'avortement soient illégaux au regard de la loi, les enquêtes montrent que cette pratique est extrêmement courante en Corée du Sud. Est-ce que cela signifie que les femmes coréennes bénéficient d'un droit à l'avortement dans la pratique ? Comment pouvons-nous interpréter ce phénomène en tant que chercheuses féministes en sociologie du droit ? La seconde partie de notre texte privilégie une approche qualitative pour analyser le résultat de notre enquête. Elle explore comment les femmes parlent de leur expérience de l'avortement et comment celle-ci affecte leurs relations avec les autres, en particulier avec leur partenaire masculin. Elle montre également comment cette expérience influence la perception qu'ont les femmes des relations sexuelles ainsi que leur subjectivité sexuelle. Cet article soutient que si les décideurs politiques reconnaissent qu'aucune contraception n'est parfaitement fiable pour prévenir des grossesses non désirées, alors ils doivent aussi accepter les besoins qui en découlent pour les femmes. Il défend également l'idée qu'en Corée, l'avortement n'est pas seulement lié aux revendications d'autonomie des femmes : il correspond aussi à un besoin désespéré.
      This paper is a critical review of the Constitutional decision held in 2012 regarding Article 270 [Abortion by the Medical Personnel] of the South Korean Criminal Code. Grounded on the “law and society” approach, our study investigates the result of an empirical survey on women's experiences and perceptions of abortion. In this way, we aim at making the women's voices heard, especially in a context where the Constitutional Court does not seem to acknowledge it, even when it comes to abortion. The first part of our article presents the main aspects of abortion in South Korea and focuses on its legal status and social reality. Although most cases of abortion are illegal according to the law, surveys show that this practice is extremely common in South Korea. Does it mean that, in practice, Korean women benefit from a right to abortion? As feminist socio-legal scholars, how are we to understand this phenomenon? The second part of this paper uses a qualitative approach to analyze the result of our survey. It explores how women express their experience of abortion and how it affects their relations with others, in particular with their male partner. It also shows how this experience affects women's perception of sexual relationships as well as their sexual subjectivity. This paper argues that if policy makers acknowledge that no contraception can perfectly prevent unwanted pregnancy, then they also have to accept the consequent needs of women. It also advocates that abortion in Korea is not only related to women's claim for autonomy, but can also be a desperate necessity.
    • Avortement, dépénalisation et droit à la vie du fœtus : le cas coréen au prisme de l'exemple japonais - Isabelle Konuma p. 237-245 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Cour constitutionnelle sud-coréenne déclara conforme à la Constitution une disposition du code pénal condamnant l'avortement réalisé par un médecin ou assimilé. C'est dans ce contexte que Yang Hyunah choisit d'apporter un éclairage sur l'état de droit et la pratique de l'avortement, en construisant sa démonstration autour de la voix des femmes. Dans le présent article, nous analysons le texte de Yang dans une logique comparatiste avec le régime eugéniste et la pénalisation de l'avortement au Japon, ainsi qu'avec le développement des mouvements féministes et des personnes handicapées.
      The Constitutional Court of Korea declared in conformity with the Constitution a provision of the penal code condemning abortion carried out by a doctor or assimilated. It is in this context that Yang Hyunah chooses to shed light on the rule of law and practice of abortion, building her demonstration around the voice of women. In this article we analyze Yang's article in a comparative logic with the eugenic regime and the penalization of abortion in Japan, as well as with the development of feminist movements and the disabled movements.
    • Le particulier et l'universel - Fabrice Cahen p. 247-252 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article de Yang Hyunah peut se lire comme un texte féministe engagé mais cherchant à concilier la critique d'une décision juridique avec le respect des normes académiques d'écriture, d'une part, et avec un certain nombre de valeurs établies qui, selon les adversaires de l'IVG, voleraient en éclat en cas d'extension de l'accès légal à l'avortement, d'autre part. Cette recherche de consensus n'est sans doute pas étrangère au choix d'une démarche sociologique aussi attentive à l'intériorité psychologique des personnes enquêtées. Si cette recherche sous contraintes ne peut prétendre embrasser l'entièreté du problème traité, elle n'en met pas moins en relief, du point de vue de l'expérience et des représentations de l'avortement, ou encore du rapport des femmes et des hommes concerné-e-s à la loi, des mécanismes dont la ressemblance avec des situations historiques plus connues est frappante.
      Yang Hyunah's paper is both a committed feminist paper and a cautious and moderate text: while the author explicitly seeks to criticize a conservative court decision, she abides by academic writing norms and established values, which would be shattered in the case of extension of legal access to abortion, according to its opponents, seems to avoid any disruptive argument. This is probably one of the reasons why her study rests on a peculiar method, with a strong focus on the individual and psychological side of the issue. Even though such a difficult research cannot encompass all the integral issues of abortion, the paper sheds light on a series of interesting facts. In a comparative perspective, it reveals experiences and representations (notably regarding law consciousness), that prove to be strikingly similar to better-known historical cases.
    • Cris et chuchotements du corps féminin à l'épreuve de l'avortement : une approche psychanalytique - Mi-Kyung YI p. 253-260 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En tant que psychanalyste franco-coréenne et chercheuse intéressée par la question du féminin et de la féminité dans une perspective interdisciplinaire et transculturelle, l'auteur propose une approche psychanalytique des voix intérieures des femmes ayant vécu une expérience d'avortement. Peut-on envisager une conflictualité propre à l'expérience d'avortement ? L'auteur prend la question du corps féminin comme un fil d'Ariane pour explorer quelques pistes de réflexion afin de dégager les voies de dialogue et de confrontation que l'épreuve de l'avortement est susceptible de tracer entre différentes disciplines, ainsi qu'entre différentes aires géographiques.
      As a French psychoanalyst of South Korean origin adopting a cross-cultural perspective on women and womanliness, the author proposes a psychoanalytical reading of the inner voices of French and Korean women who have experienced abortion, so as to enlighten the nature and the meanings of internal conflicts specific to the experience of abortion. Following the thread of the body, the author tries to highlight some key paths of dialogue and nodes of confrontation that the event of abortion may fuel in various disciplines and cultural areas.
  • Épilogue

    • La patience de l'Autre : Asie, sciences sociales, traduction - Alain Delissen p. 263-278 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pourquoi s'exposer à l'embarras de traduire les humanités et les sciences sociales de l'Asie ? Comment aller au-delà du constat d'un échange inégal entre le berceau occidental des disciplines et ce que proposent les penseurs du monde d'aujourd'hui ? En posant quelques jalons à partir de la Corée et de l'Asie, on esquisse des pistes de réflexion fondées sur une expérience pratique. La traduction est abordée selon plusieurs angles : des flux de traductions à ce que pourrait être un programme d'histoire culturelle qui saisirait traduction et traducteurs dans une histoire longue, ou la contribution de l'activité traductrice aux débats qui traversent monde savant et espaces publics. On en retient deux points. Un premier souligne un surinvestissement du côté des notions. S'y néglige le trouble que produisent des manières d'argumenter éloignées des normes qui s'imposent à nous. Un second dénonce une illusion : l'espoir que, face au rendement décroissant de nos disciplines, une nouvelle batterie d'idées vienne vite les régénérer. La patience de l'Autre – la traduction réflexive – produit au ras des textes des outils d'analyse fine que les « aires culturelles », souvent tentées par le commentaire surplombant, déjouent.
      Why to engage in the ungrateful task of translating the social sciences of Asia? How to overcome patterns of unequal exchange between disciplines embedded in Western languages and fresh scholarly proposals elaborated in other languages of the world? Building on examples taken from Korea and Asia, this article aims at offering insights into translation, both as a practice and an object of research. Starting from a quick look at the Index translationum and flows of translation, it then broaches a programme designed at re-exploring cultural history from the angle of translations, and translators. It finally questions the location of translation in current academic and public debates. This paper also propounds two sorts of conclusive remarks. For one thing, it appears that translation studies overinvest in pondering concepts while under-investigating the more complex problems conveyed by the issue of argumentation, academic genres, and the normalization of scholarly writing. For another thing, too high expectations bear on less-translated languages when they are expected to quickly deliver new ideas to rejuvenate worn-out theories. Patient and reflexive translation might be a slow boat to Asia: it is a safe boarding for anyone who seriously wants to engage with otherness.