Contenu du sommaire : Le conte comme esthétique et stratégie du détour dans la littérature et le cinéma

Revue Germanica Mir@bel
Numéro no 61, 2017
Titre du numéro Le conte comme esthétique et stratégie du détour dans la littérature et le cinéma
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • ‪Introduction‪ - Andrée Lerousseau p. 7-10 accès libre
  • ‪L'inimaginable délice de mourir‪ : Hofmannsthal, Hesse et le conte merveilleux - Patrick Bergeron p. 11-24 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article nous sert à démontrer que Hugo von Hofmannsthal et Hermann Hesse ont tous deux recouru à la forme du conte merveilleux pour décrire des initiations douloureuses et des contenus graves où la mort est omniprésente. Nous examinons l'atmosphère tantôt onirique, tantôt lugubre qui s'en dégage ainsi que les stratégies narratives qui s'y mettent en place.
    ‪This paper aims to demonstrate that Hugo von Hofmannsthal and Hermann Hesse have both used fairy tales as a way to depict painful initiations and serious content in which death is omnipresent. It focuses on the dreamlike and dreary atmosphere that emerges from their fairy tales and on the narrative strategies they unfold.‪
  • ‪‫« Jean le C‪hanceux patauge dans le sang »‪ : ‫« ‪Figures renversées‫ »‪ du conte dans Le Nazi et le Barbier d'Edgar Hilsenrath - Andrée Lerousseau p. 25-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article se propose d'analyser la façon dont Edgar Hilsenrath revisite le conte dans son roman Le Nazi et le Barbier, paru en traduction anglaise en 1971 à New York, et dont le manuscrit original ne trouvera un éditeur en Allemagne qu'en 1977. On s'attachera plus particulièrement au « retournement parodique » et à l'inversion des figures, motifs et personnages de trois contes des frères Grimm : Jean le Chanceux, en référence à la lecture que suggère Böll du roman tout entier, Dame Holle et Hansel et Gretel. Dans un détour par le conte comme stratégie narrative et un recours à l'esthétique du grotesque qui confère à la satire sa radicalité, Hilsenrath entend confronter la société allemande de l'après-guerre et la génération du miracle économique à cette catégorie d'hommes auxquels Hitler dut sa carrière et démonter par le biais de l'absurde à la fois les préjugés antisémites et le discours philosémite particulièrement répandu en Allemagne à l'époque qui sont à ses yeux les deux faces d'une même médaille. La refonte complète du conte dans une intensification de l'horreur apporte également la preuve que ce genre littéraire doit être reconsidéré après la Shoah, ce qui vaut également pour la satire.
    ‪This paper explores the provocative reappropriation and the parody of the German fairy tale tradition in Edgar Hilsenrath's novel ‪The Nazi and the Barber‪ which was first published in Germany in 1977 after several translations. The article focuses on three Grimms' fairy tales: ‪Hans in Luck‪, according to the interpretation of the roman suggested by Böll in his review, ‪Mother Holle‪ and ‪Hansel and Gretel‪. The narrative strategy of detour through the travesty of “untouchable” fairy tales and the recourse to the aesthe­tics of the grotesque is the way taken by the Jewish writer to face the after-war German society and the generation of the « Economic Miracle » with a past, which was widely denied, and with the type of ordinary people who made Hitler's assumption possible, and to figure and subvert both anti-Semitic racial stereotypes and a fallacious philo-Semitic discurse. The several transgressions in the novel make too the demonstration that both tale as a narrative and satire as literary device must be revisited in post-Holocaust literature.‪
  • ‪La régression comme double stratégie du détour et du retour dans Kali, eine Vorwintergeschichte de Peter Handke‪ - Gauthier Labarthe p. 45-59 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article examine le recours par Peter Handke à la forme épique traditionnelle du conte sous l'angle à la fois du détour et du retour dans Kali, eine Vorwintergeschichte. Dans ce roman, le personnage principal, une chanteuse, décide en effet de retourner sur les terres de son enfance pendant la Troisième Guerre mondiale. Elle vit dans un premier temps parmi les réfugiés et les survivants du conflit armé, puis se met à la recherche d'un enfant perdu. Endossant le rôle de la revenante dans un monde endeuillé et peuplé de présences spectrales, la chanteuse se mue elle aussi en survivante. Elle subit dès les premières pages du texte une mort apparente qui la plonge dans un monde peuplé d'ombres. Confronté à l'inexpérimentable, le conte apparaît très vite comme un moyen au service d'une écriture de la survie dont l'effet principal est d'ouvrir aux mystères de l'être et du monde afin de retrouver dans le merveilleux et l'inouï du conte l'indication de la perte initiale.
    ‪This article analyses Peter Handke's use of the traditional epic form of the tale and discusses the ways in which this form corresponds to a strategy of indirect progression in the novel ‪‪Kali: eine Vorwintergeschichte‪‪. In this work, the main character, a former singer, returns to the land of her childhood during the Third World War. She lives at first among refugees and survivors before embarking on a quest for a missing child, throwing her into a land buried by grief. In this world of shadows, the woman re-experiences a traumatic fear that leads to symbolic death. Faced with the unspeakable, she composes a tale as a means of survival.‪
  • ‪Wie ich mir das Glück vorstelle de Martin Kordic et l'esthétique du conte‪ - Emmanuelle Aurenche-Beau p. 61-72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article étudie l'esthétique du conte dans le roman Wie ich mir das Glück vorstelle de Martin Kordic (Förderpreis du prix Chamisso en 2015) qui décrit la survie d'un jeune garçon dans un pays ravagé par la guerre. Après avoir analysé la manière dont l'auteur donne à voir l'irruption et la réalité de la guerre dans la vie de son personnage principal, il étudie les aspects qui peuvent apparenter le récit au conte (tendance à l'abstraction, absence de contextualisation historique et géographique, parataxe, juxtaposition d'épisodes, refus de la causalité et de la psychologie, importance de la transmission) tout en s'interrogeant sur la présence d'autres références intertextuelles, comme le roman picaresque, notamment le Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen (écriture à la première personne, naïveté du héros, composition en épisodes liés aux rencontres du personnage, structure circulaire, présence d'éléments utopiques).
    ‪The article deals with the aesthetics of tale in the novel ‪‪Wie ich mir das Glück vorstelle ‪‪from Martin Kordic (Förderpreis of the Chamisso-Prize in 2015) that describes the survival of a young boy in a war-devastated country. After analysing the way the author shows the upsurge and the reality oft the war in the life of his main character, the article studies the aspects that can bring the novel close to a tale (tendency to abstraction, absence of historical and geographic contextualization, parataxis, juxtaposition of episodes, refusal of causality and psychology, importance of transmission) and questions the presence of other intertextual references such as the picaresque novel, especially the ‪‪Simplicius Simplicissimus‪‪ from Grimmelshausen (first-person-narration, naivety of the hero, composition in episodes corresponding with the meetings of the main character, circular structure, presence of utopic elements).‪
  • ‪Deux contes du théâtre d'ombres‪ : à propos du Montreur d'ombres d'Arthur Robison (1923) - Tamara Eble p. 73-87 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article se propose de dégager le double enjeu esthétique et narratif du détour par le conte dans le chef-d'œuvre d'onirisme Le Montreur d'ombres (Schatten – Eine nächtliche Halluzination, 1923) d'Arthur Robison, apogée de la mise en scène des ombres dans le cinéma fantastique de la République de Weimar. La séquence centrale repose sur deux contes emboîtés, racontés par un illusionniste afin d'empêcher le drame qu'il pressent entre les convives d'un dîner, au moment où les tensions atteignent leur paroxysme. Le premier est un conte en ombres chinoises qui met en scène un triangle amoureux, reflet métaphorique de la relation entre le comte, son épouse et l'un de leurs invités. Le deuxième conte est une amplification du premier au cours duquel les ombres des convives sont désolidarisées des corps par l'illusionniste. Devenues autonomes, elles vivent les désirs érotiques latents de leurs propriétaires, jusqu'à l'éclatement de violence final. Associée à l'esthétique de la suggestion élaborée au sein des contes par le recours aux ombres, silhouettes et reflets, la stratégie narrative du détour par le récit à tiroirs sous forme de contes met en place une distanciation qui permet de confronter les protagonistes à l'indicible. Au sein du film, le conte central cristallise le sentiment de terreur intime face à une image dérangeante de soi, mais revêt par là même une fonction thérapeutique.
    This paper focuses on the tale as both an aesthetic and a narrative strategy of detour in Arthur Robison's dreamlike masterpiece Warning Shadows (Schatten – eine nächtliche Halluzination, 1923), in which the use of highly contrasting shadows that contributed to the reputation of Weimar cinema reaches its peak. The film's structure is that of a frame story and its central part consists of a tale within a tale. These two tales are told by a shadow puppeteer who wants to prevent a tragic turn of events: as a character of the frame tale, he senses the impending danger of the conflicts that exist between the participants of a dinner and tries to cut them short. First, he tells a fairy tale in the fashion of chinese shadow puppetry. Being a love triangle, it's a metaphoric reflection of the relationship between the count, his wife and her admirer. Then, the illusionist frees the participant's shadows from their bodies and turns them into the protagonists of the second tale, thus amplifying the meaning of the first one. The shadows fullfill the subconscious erotic desirs of their owners, leading to an indescribable outburst of violence. In association with the aesthetics of suggestion (which uses shadows and mirror reflections even within the nested tales), the strategy of detour through the framed tales gives the characters the distance they need in order to face the unspeakable. By bringing them face to face with a disturbing image of themselves, the tales take on a therapeutic function.
  • ‪« Je n'ai jamais eu aucun lien réel avec le romantisme allemand » (W. Herzog)‪ : Notes sur Les Nains aussi ont commencé petits - Jeremy Hamers, Lison Jousten p. 89-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les Nains aussi ont commencé petits (W. Herzog, 1970) a fait l'objet de nombreuses lectures qui se sont principalement attachées à attribuer une signification politique et sociale à ce film atypique. Ces entreprises interprétatives sont suscitées par la singularité essentielle qui fonde le long-métrage : un casting exclusivement composé de nains. À rebours de ces approches explicatives qui abordent le film en tant que « parabole », mais partant de la singularité qui en est à l'origine, ce texte démontre que la figure du nain et, corollairement, quelques contes de Grimm auxquels le film renvoie l'analyste (Sneewittchen, Das eigensinnige Kind, Wie Kinder Schlachtens mit einander gespielt haben), invitent au dépassement du paradigme explicatif lui-même. C'est donc en quelque sorte à un mouvement de déconstruction de l'intérieur, à partir du cœur même de ce qui justifiait la posture explicative, que ce texte construit un plaidoyer pour une approche des productions culturelles qui lui tourne résolument le dos.
    Even Dwarfs Started Small (W. Herzog, 1970) has been the subject of numerous analyses and many comments which identify the political and social significations of this untypical film. These interpretative approaches are aroused by the main striking singularity of Herzog's movie: a cast fully made up of actors who suffer from various types of dwarfism. Against the grain of interpretations which consider the film as a parable, this article examines some intertextual references to show that the figure of the dwarf and, as a corollary, some Grimms' fairy tales (Sneewittchen, Das eigensinnige Kind, Wie Kinder Schlachtens mit einander gespielt haben) can actually lay the groundwork of a deconstruction of the explanatory paradigm. Taking the main incentive of the interpretative approach that is the dwarf, as a starting point, this text thus argues for an open understanding of cultural production which resolutely turns its back on this very approach.
  • ‪« L'ombre d'une corne de taureau »‪ : ou le conte de L'Enfant obstiné chez Alexander Kluge - Maguelone Loublier p. 109-125 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La mosaïque de contes et de récits qui peuplent l'œuvre cinématographique d'Alexander Kluge est à la fois un détour et la condition de possibilité d'une transmission des expériences et des sentiments humains. Par le réemploi de contes et de récits mythiques, mis en résonance avec des événements historiques, Kluge prend le parti d'interroger l'Histoire en marge d'histoires individuelles – fictives ou réelles. Sur les traces des frères Grimm et du ‫« ‪chiffonnier‫ ‪‫»‪ benjaminien, le réalisateur creuse l'Histoire allemande et assemble un matériau hétéroclite : il prête sa voix à des « enfants obstinés » qui, par-delà la mort, nous font signe et persistent à exprimer des sentiments et à manifester leur capacité de résistance. Les voix qui ponctuent ses films semblent renouer avec la pratique du récit oral : à la recherche d'images et de récits capables de dire l'Allemagne et son Histoire, les voix du ‫« ‪conteur-chiffonnier‫ »‪ interpellent les spectateurs et les inscrivent dans la chaîne de la tradition pour former une mémoire commune. Ce sont des voix atemporelles et sans corps visible qui prennent le risque de raconter des histoires et invitent le spectateur à repenser les traumatismes du xxe siècle.
    The multitude of tales and stories that inhabit Alexander Kluge's cinematic work is both a detour and the condition of possibility of a transmission of human experiences and emotions. By re-using tales and mythical stories that are connected with historical events, Kluge chooses to interrogate history on the margin of individual stories, fictional or real. On the trail of the Brothers Grimm or of the Benjaminean « ragpicker », the filmmaker excavates German history and collects heterogeneous materials: he gives his voice to « obstinate children » that persistently continue to express emotions beyond death, and manifest their ability to resist. The voices that punctuate the films seem to revive oral tradition: by looking for images and stories that reveal Germany and its history, the voices of the « storyteller-ragpicker » speak to the spectators and place them in the chain of tradition in order to create a collective memory. These timeless, disembodied voices take the risk of telling stories and urge the spectator to rethink the traumas of the 20thcentury.
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