Contenu du sommaire : Le marché comme instrument d'action publique
Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | no 4, octobre-novembre 2017 |
Titre du numéro | Le marché comme instrument d'action publique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le marché comme instrument d'action publique
- Des marchés au service de l'État ? - Matthieu Ansaloni, Andy Smith p. 9-28 Ce dossier prend pour objet une modalité de régulation politique centrale, celle par laquelle les agents de l'État, pour prendre en charge un problème public, initient un marché. La réflexion s'organise autour de deux questions : la première traite de la généralisation, à partir des années 1980, de cette pratique gouvernementale ; la seconde porte sur ses effets, notamment la contribution des agents de l'État à peser sur les régulations économiques et sociales. Prenant pour appui les études de cas que regroupe ce dossier, cette introduction suggère deux lignes d'analyse : la première est que cette modalité de régulation, qui puise principalement dans les phénomènes traditionnels de délégation (privé et public), présente une faible innovation instrumentale. Son essor résulte non pas tant d'un grand dessein politique, mais davantage d'une série d'expérimentations qui ont gagné des secteurs toujours plus nombreux. Rejetant le débat clivé entre gouvernement à distance versus désengagement de l'État, la seconde ligne d'analyse est que la capacité de cette modalité de régulation politique à orienter les comportements des individus dépend de l'autonomie du segment administratif qui la porte, ainsi que des instruments que leurs agents développent.Do markets work for the state ?
This special issue is centred upon a key mode of political regulation : how and why state representatives create markets when seeking to tackle a public problem. Our introduction is organized around two questions. The first deals with the generalization of this phenomenon as of the 1980s ; the second tackles the effects of this trend, notably in terms of the capacity of state representatives to impact upon economic and social regulation. Drawing upon the contributions made in the rest of this special issue, here two lines of analysis are developed. Firstly, we claim that because most of the creation of “state markets” builds upon previous bureaucratic practices, such as delegations of public authority, these instruments are not highly innovatory. Indeed, they are generally not the result of some over-arching, top-down design, but rather the progressively generated outcome of sector-specific experimentations. Secondly, we seek to go beyond overgeneral conclusions about the effects of states' markets upon governmental influence and practice. One set of authors sees these markets as always strengthening the state through a process of “government at a distance”, whereas another instead sees these same markets as the sign of states that have given up power to economic actors. Considering that responses to this question need more empirical research, we claim instead that the effects of state markets can only be fully evaluated by taking into account the segment of the state involved and the precise types of market instruments they have respectively developed. - Quand la sécurité maritime vire de bord : Sa mise en marché par l'État : désengagement ou nouvel interventionnisme ? - Violette Larrieu p. 29-49 Longtemps, les pouvoirs publics français ont refusé l'externalisation de l'usage de la force armée. En 2014, l'État a initié, par une loi, un marché de la sécurité armée dans le domaine maritime, sous l'autorité d'une agence (le Conseil national des activités privées de sécurité). Cet article montre que ce projet a été porté par le syndicat des armateurs (les bénéficiaires de la loi), Armateurs de France, et le Cluster maritime français, prenant le rôle d'entrepreneurs politiques (policy entrepreneur). Profitant de l'ouverture d'une fenêtre d'opportunité, du fait de prises d'otages médiatisées et d'un contexte politique favorable, les armateurs ont « codé » leur discours pour légitimer le recours au secteur privé. Entre la mise en avant de son caractère inéluctable et la réaffirmation du maintien de la prérogative régalienne de l'État à travers son action de contrôle, la mise en marché de la sécurité maritime a pris une forme hybride, à l'intersection du protectionnisme et du libéralisme.The outsourcing of french maritime protection through a state-made market
Until 2014, the French authorities had refused to outsource the use of armed force in war zones. However, in July of that year, a law was passed in order to allow private companies to participate in areas of naval conflict under the authority of a state agency (the National Council of Private security activities). This article demonstrates that this policy project was supported by the national union of ship owners, Armateurs de France, and the French Maritime Cluster : the principal beneficiaries of the law thus played the role of policy entrepreneurs. Their demands were placed on the political agenda in part thanks to the media coverage of hostages taking and a favorable political context, both of these elements creating a window of opportunity. Anticipating the reluctance of politicians to adopt legislation over this matter, ship owners adapted their discourses to justify the use of the private sector, by highlighting its “unavoidability” and by reaffirming the sovereign power of the state as the controller of a new market for maritime security. In this way, the outsourcing of French maritime protection has been driven by a hybrid model that combines both liberalism and protectionism. - La mise en marché de la frontière, un produit d'État : Compagnies privées et mise en œuvre de la politique du visa Schengen - Federica Infantino p. 51-73 Tout en restant une activité emblématique de l'exercice de la souveraineté, le contrôle des frontières se réalise de plus en plus avec l'appui de compagnies privées. À partir d'une enquête essentiellement ethnographique, cette contribution offre une lecture sociologique du processus qui a conduit à l'adoption de la coopération public-privé afin de mettre en œuvre la politique du visa Schengen dans les consulats. L'article montre quelles sont les configurations d'acteurs privés et publics à l'origine de la délégation de « tâches administratives » à des entreprises privées. En suivant la fabrication de cette politique, des enceintes européennes jusqu'aux ministères nationaux et les organisations privées et publiques qui la traduisent en pratiques, cet article met en exergue le décalage entre le cadrage qui entend la coopération comme stratégie d'amélioration du service public et les logiques étatiques de ce choix. Dans un contexte de réforme des règles européennes, les États signataires de l'accord de Schengen ont utilisé la coopération avec des compagnies privées pour d'autres objectifs : réduire les coûts du contrôle européanisé, se défaire du fardeau de la mise en œuvre, dégager la responsabilité des gouvernants.The marketization of the border : a matter of states
Border control lies at the core of state sovereignty. Nevertheless, it is often shared with private companies. Based on in-depth ethnographic research, this contribution presents a sociological analysis of the process that has lead to the adoption of public-private cooperation as a standard mode of implementing the EU's visa policy. It reveals the configurations of private and public actors who have been responsible for the delegation of so-called “administrative tasks” to private companies. Having traced the making of EU visa policy, from European arenas to national ministries, and thereby identified the private and public organizations which put the policy into practice, a gap is highligted between the problem framing that interprets public-private cooperation as the improvement of public services and the underlying state logics which have structured this choice. Within the context of the reform of European rules, the member states of the Schengen Agreement have used public-private cooperation for other purposes : diminishing the costs of control induced by new European rules, getting rid of the burden of day-to-day implementation and reducing the responsibility of state actors. - Quand l'État fait son marché, quels effets pour les opérateurs ? : Genèse et mise en œuvre de la sous-traitance dans la politique de l'emploi (1945-2014) - Thierry Berthet, Clara Bourgeois p. 75-99 À partir de l'après-guerre, le placement des demandeurs d'emploi est un monopole d'État confié à une agence publique, l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Le milieu des années 2000 a été le moment d'un tournant qui opère une brèche dans ce monopole en amplifiant le recours à des quasi-marchés de prestataires privés. En dépit d'une sémantique qui fait une place centrale à la notion de « marché » du travail et de l'emploi, cet article s'attachera à démontrer que la régulation des prestations d'accompagnement et de placement offertes aux chômeurs demeure entre les mains de l'opérateur public. L'analyse de la genèse de la sous-traitance dans la politique de l'emploi permet de révéler que ce phénomène obéit davantage à des impératifs contextuels qu'à une perspective stratégique globale et qu'il demeure marginal. De plus, l'analyse du fonctionnement concret des marchés de prestations aux chômeurs via les pratiques des prestataires de services permet de mettre en valeur le poids des instruments d'action publique au regard du renforcement des rapports de force entre acteurs de l'insertion professionnelle.Liberalizing the labor market ?
Since the post-war period, the placement of jobseekers in France has been a state monopoly entrusted to a public agency, the National Employment Agency (ANPE). The mid-2000s represents a turning point in breaking this monopoly by initiating the use of quasi-market private providers. Despite a semantics that focuses on the notion of “the labor market”, this article demonstrates that the employment policy's implementation remains firmly controlled by the public employment service. The chronological analysis of subcontracting in employment policy undertaken here reveals that this phenomenon is more a matter of contextual imperatives than of a marketization strategic perspective which, at best, remains peripheral. Moreover, fieldwork-based analysis of the concrete practices of public employment service agents and private providers highlights the weight of public policy instruments in reinforcing pre-existing power relations between the actors specialized in social insertion through work. - Le recours au marché comme processus politique : Les réformes du gouvernement de coalition britannique (2010-2015) dans la santé et la police - Patrick Hassenteufel, Jacques de Maillard p. 101-126 Cet article porte sur la mise en place d'instruments de mimétisme marchands de l'État dans deux secteurs en Angleterre : la santé et la police. Trois aspects sont mis en avant : le recours à des prestataires privés, la mise en concurrence par l'évaluation de la performance et la création d'un marché interne. Leur mise sur agenda, leur adoption et leur mise en œuvre sont analysées lors de la séquence du gouvernement de coalition (2010-2015) en mettant en avant l'importance des processus politiques qui permettent aussi de comprendre les limites du recours aux instruments marchands et les différences inter-sectorielles.Recourse to markets as a political process
This article focuses on the introduction and implementation of market instruments in two policy sectors in England : healthcare and security. Three dimensions are highlighted : outsourcing from the public to the private sector, the introduction of competition based on performance indicators and the creation of an internal market. Agenda-setting, decision-making and implementation behind these dimensions during the Coalition government (2010-2015) are analysed as a political process. This perspective provides a means of understanding the limits of marketisation and key differences between the two policy sectors. - Gouverner par le marché : Gouvernements et acteurs privés dans les politiques internationales de développement - Olivier Nay p. 127-154 Cet article s'intéresse aux relations entre gouvernement et marché dans les politiques de développement. Il montre que l'essor des mécanismes marchands dans la mise en œuvre de l'aide internationale est un phénomène institutionnel lié aux nouvelles stratégies d'intervention des États bailleurs du développement. Nous avançons tout d'abord l'idée que l'intégration des arènes de gouvernement et des espaces du marché a été largement encouragée par les réformes de gouvernance impulsées par les États au nom d'une meilleure efficacité de l'aide. Nous montrons ensuite que la prolifération des normes privées internationales utilisées dans les pratiques de développement renvoie, pour partie, à un processus de délégation d'autorité par lequel des États confient à des organismes privés un pouvoir d'édicter des normes, tout en conservant des moyens d'en contrôler la pleine effectivité. Au final, le marché constitue, pour les États bailleurs, une nouvelle modalité de conduite de leur politique internationale, transférant une partie de la charge de l'aide au développement aux acteurs privés, tout en leur offrant, en retour, l'ouverture de nouveaux marchés rémunérateurs.Governing through the market
This article focuses on the relationship between governments and markets in development aid policymaking. It argues that the spread of market-oriented mechanisms within international assistance is an institutional process that is linked to the changing foreign policies of major donor countries. First, this article shows that the integration of government and market spheres mostly results from donor countries' efforts to reform the existing global aid architecture in the name of development effectiveness. Second, it argues that the proliferation of international private norms used in development practices partly reflects a process of delegation of authority through which states have transfered regulatory powers to private organizations, while preserving a capacity to influence the implementation of norms. Eventually, this article demonstrates that the market is a way for donor countries to steer their international aid policy, transferring part of the burden of development aid to private actors and, in return, giving them access to new, often lucrative, markets.
- Des marchés au service de l'État ? - Matthieu Ansaloni, Andy Smith p. 9-28
Lectures
- Comptes rendus - p. 155-171