Contenu du sommaire : Le social avant la sociologie

Revue L'Année sociologique Mir@bel
Numéro Vol. 67, no 2, 2017
Titre du numéro Le social avant la sociologie
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Études réunies et présentées par François Vatin

    • Introduction - François Vatin p. 287-294 accès libre
    • De la philosophie sociale à la sociologie : science, normativité et politique - François Vatin p. 295-312 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se penche sur l'histoire de l'expression « philo­sophie sociale ». Apparue au milieu du XVIIIe siècle, elle désigne d'abord les valeurs et normes de conduite profanes par opposition aux règles religieuses. En concurrence avec d'autres expressions, elle désigne au cours du XIXe siècle le projet de science du social avant que s'impose le terme de « sociologie ». Après l'instauration académique de la sociologie cette expression reste utilisée. Elle prend alors une connotation normative par opposition à l'ambition positive de la sociologie. L'histoire des usages de l'expression de philosophie sociale montre toutefois que la question est plus complexe. Elle nous invite à discuter la combinaison de positivité et de normativité présente dans toute science du social.
      From social philosophy to sociology: science, normativity and politics This paper studies the history of the phrase “social philosophy”. Appearing in the mid-eighteenth century, this phrase first refers to the values and norms of secular behavior as opposed to religious rules. In competition with other phrases, the social philosophy refer in the course of the nineteenth century to the social science project before the term sociology was privilegied. After the academic establishment of sociology, this expression is still used. It then takes on a normative connotation as opposed to the positive ambition of sociology. The history of the uses of the phrase of social philosophy shows however that the question is more complex. It invites us to discuss the combination of positivity and normativity present in all social science.
    • Montesquieu et le social - Brian C. J. Singer p. 313-332 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Bien des auteurs ont considéré Montesquieu comme le premier à « découvrir le social ». Cet essai propose qu'il y a en fait quatre découvertes qui introduisent trois sens différents du social par rapport au politique : un sens « onto­logique » qui traite de ce qui influence le politique; un sens « épistémologique » qui examine le politique à partir d'une perspective non-politique ; et un sens « substantiel » qui décrit, dans certains régimes, une sphère largement non-réglée par le pouvoir politique ou des lois juridiques. La conclusion considère le sort De l'esprit des lois, s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles le livre a eu si peu d'influence en sociologie et, malgré cela, sur sa pertinence actuelle.
      Montesquieu and « social » A number of authors have considered Montesquieu as the first to “discover the social”. This essay proposes that there are actually four discoveries that introduce three different senses of the social, each relative to the political: an “ontological” sense that speaks of what influences the political from “behind”; an “epistemological” sense that examines the political from a non-political perspective; and a “substantial” sense that describes in certain regimes a sphere largely unregulated by political power or juridical laws. The conclusion considers the fate of The Spirit of the Laws, asking why the book has had so little influence in sociology and why, nonetheless, it still remains relevant.
    • Aux sources de la sociologie. Science et politique de la « société » au XVIIIe siècle - Laurence Kaufmann p. 333-366 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'esquisser la configuration historique qui a rendu possible la co-émergence de la « société », désormais considérée comme étant le cadre ultime de l'existence collective, et d'un ordre de discours réflexif inédit, éminemment sociologique, sur la société et ses fondements. Car ce n'est pas seulement l'objet de la sociologie, c'est-à-dire la « société », qui s'impose au XVIIIe siècle comme une chose dont le fonctionnement sui generis est à comprendre et éventuellement à modifier. C'est également le mot même de « sociologie » qui apparaît pour la première fois dans les écrits d'Emmanuel-Joseph Sieyès, l'un des plus grands législateurs de la Révolution française. Avec l'apparition du mot et de l'objet de la « sociologie », les tensions entre individu et société, nature et artifice, pluralité sociale et unité politique, deviennent une problématique aussi bien scientifique que politique. C'est la portée politique de ces tensions, dont nous sommes bon an mal les héritiers, que ce retour aux sources de la sociologie vise à déployer.
      At the roots of sociology The aim of this paper is to unfold the historical configuration that made possible, at the end of the 18th century, the emergence of « society » as the new ontological frame of collective existence as well as an « object » whose functioning sui generis is to understand and possibly to modify. This configuration did not only allow the invention of the object of sociology, that is, « society » ; it also led to the invention of the very word of « sociology », which appeared for the first time in the manuscripts of Emmanuel-Joseph Sieyès, one of the greatest legislators of the French Revolution. With the co-emergence of the « word » and the « object » of sociology, the potential antagonisms between individual and society, nature and art, social plurality and political unity, became a political and a scientific issue. This is the political significance of these antagonisms we inherited that this return to the roots of sociology aims to highlight.
    • Heurs et malheurs de l'histoire universelle - Salih Dogan p. 367-396 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      De l'effervescence intellectuelle qu'a connue le XIXe, les philosophies sociales de Comte, Spencer et Cournot avaient toutes en commun de proposer une classification sur le modèle des sciences de la nature. Ces trois œuvres ont marqué, de leur esprit encyclopédique, l'acte fondateur des sciences sociales en même temps qu'ils ont fourni un cadre général permettant à la fois de dépasser les limites de la sociologie actuelle et de penser de manière globale le devenir des sociétés. Le rejet des philosophies de l'histoire au XXe siècle a fait perdre de vue ce que ces synthèses – ainsi que les classifications à travers elles –, permettaient lorsqu'elles coordonnaient plusieurs processus afin de rendre l'histoire intelligible. L'émergence de cette « philosophie de l'histoire universelle » ne correspondait certes pas à une histoire universelle à la manière des anciennes chroniques, ni à l'image de l'« histoire mondiale » actuelle mais dans la mesure où elle fournissait des schèmes de pensée, nous tenterons de montrer qu'elle permettait d'ordonnancer le fait social au sein de sa matrice historique.
      Fortune and misfortune of universal history, From the intellectual effervescence of the nineteenth century, the social philosophies of Comte, Spencer, and Cournot all in common propose a classification on the model of the sciences of nature. These three works, with their encyclopaedic spirit, have marked the founding act of the social sciences, while at the same time they have provided a general framework enabling them both to go beyond the limits of current sociology and to think globally about the future of social sciences. The rejection of the philosophies of history in the twentieth century made us lose sight of what these syntheses – and the classifications through them – permitted when they coordinated several processes in order to make history intelligible. The emergence of this “philosophy of universal history” certainly did not correspond to a universal history in the manner of the old chronicles, nor to the image of the present “world history” but insofar as it provided schemes of thought, we shall try to show that it allows the social fact to be organized within its historical matrix.
    • Lire la réforme sociale en France (1864) de Le Play - Antoine Savoye p. 397-422 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La méthode de science sociale que Le Play, prolongeant ses Ouvriers européens (1855), met en œuvre dans La Réforme sociale en France, est restée largement incomprise de ses contemporains. Cette incompréhension n'a pas été levée par la sociologie moderne qui s'est désintéressée de l'ouvrage, l'excluant même de son corpus de référence. (Re)visiter, aujourd'hui, La Réforme sociale en France éclaire la double histoire de la science sociale et de la sociologie. Sa lecture permet aussi de penser quelques uns des enjeux actuels, théoriques et pratiques, de la sociologie.

      Reading Le Play's La Réforme sociale en France (1864)
      The method used by Le Play in La Réforme sociale en France has not be understood. Neither by his contemporaries, nor by modern sociology. Evaluating this major contribution will enlighten the history of Le Play's social science but also sociology's one. Morever, reading La Réforme sociale en France can explain some of today's sociology issues.
    • Inventorier et inventer la société. Constantin Pecqueur (1801-1887) : expertise sociale et processus de socialisation - Clément Coste p. 423-452 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le premier socialisme se confond avec la naissance d'une pré-sociologie, physiologie, physique ou « science sociale ». Ses représentants éminents sont souvent désignés comme étant Saint-Simon, Auguste Comte et Philippe Buchez, via la diffusion du journal Le Producteur. La volonté d'opérer le passage de la physiologie individuelle à la physiologie sociale est en effet une caractéristique essentielle du saint-simonisme. Parmi les jeunes saint-simoniens du moment 1825-1832 figure le méconnu Constantin Pecqueur (1801-1887). S'il ne fréquente pas longtemps la famille saint-simonienne, lui reprochant en particulier son aporie politique, l'œuvre postérieure de Pecqueur témoigne d'une volonté évidente de s'inscrire dans ce mouvement d'édification d'une science sociale capable de rivaliser avec l'économie politique. À l'image de toute cette tradition émergente, l'œuvre de Pecqueur ne respecte pas la séparation entre connaissance et pratique, science et politique. Au contraire, elle témoigne d'une volonté d'élaborer un système de connaissances sur la société qui soit capable de nourrir un projet politique. Comprendre la société du XIXe siècle permet de « spéculer » son avenir, rêver cet avenir permet de rénover son actualité.
      Identifying and imagining society The first notion of socialism is sometimes confused with the birth of a “social physiology” or “social science”. Its leading representatives were often referred to as Saint-Simon, Auguste Comte and Philippe Buchez within the Saint-Simonian newspaper, Le Producteur. The desire to make the transition from individual physiology to social physiology was an undeniably central feature of Saint-Simonianism. Between 1825 and 1832, among the young Saint-Simonians at the time, there circled the little-known Constantin Pecqueur (1801-1887). While he did not frequent the Saint-Simonian family for long, criticizing in particularly its political aporia, his later work played a part in the construction of a social science capable of competing with political economy. Reflecting the totality of this emerging tradition, the work of Pecqueur does not adhere to the separation of knowledge and practice, science and politics. Rather, it reflects a desire to develop a system of know­ledge pertaining to society, which would be capable of sustaining a political project. Understanding the 19th century society enables the “speculation” of its future, while imagining this future would enable the reformation of its present.
    • Ernest Solvay, Max Weber et l'énergie. De l'évaluation énergétique de l'activité sociale aux valeurs sociales des activités énergétiques. - Marco Saraceno, Thomas Seguin p. 453-480 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article est consacré à l'énergétisme social du philanthrope belge Ernest Solvay, théorie de la fin du XIXe siècle concevant la sociologie comme une discipline appelée à faire en sorte que la société tende vers son rendement maximum à travers l'application des lois énergétiques physico-chimiques aux phénomènes sociaux. Cette théorie conduit à des impasses riches d'enseignements pour les tentatives contemporaines qui s'attachent à fonder une sociologie de l'énergie. Comme le montre Max Weber dans un texte critique qui sera au cœur de notre article, en réduisant l'efficacité sociale de l'énergie à sa mesure technique, Solvay ne saisit pas l'enjeu de toute analyse sociologique de l'énergie : l'étude des processus socio­culturels par lesquels une société valorise comme « utile » une certaine transformation d'énergie.
      Ernest Solvay, Max Weber and the energy This article is dedicated to the social energetism of Belgian philanthropist Ernest Solvay, theory of the end of nineteenth century conceiving socio­logy as a discipline that required to ensure society would tend to the best efficiency through the application of physical and chemical laws of energy to social phenomena. This theory leads to some difficulties that are rich of lessons for the contemporary attempts seeking to found a sociology of energy. As Max Weber shows in a critical text that will be at the heart of our article, by reducing social efficiency of energy to its technical measure, Solvay does not grasp the stakes of any sociological analysis of energy : the study of the sociocultural processes by which a society values as “useful” a certain transformation of energy.
    • La représentation disciplinaire du « social » dans les références et les lectures du jeune Durkheim (1879-1894) - Matthieu Béra p. 481 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La recherche des sources et des influences se fait le plus souvent par auteur et nécessite une grande érudition spécialisée. On propose ici de considérer non plus les influences singulières ou auctoriales, mais disciplinaires et collectives, prises et reçues par le jeune Durkheim (1879-1894). Nous avons tenté, en nous calant sur ses propres récits rétrospectifs de l'histoire de la sociologie, de présenter cette dernière comme une synthèse des différentes disciplines qu'il s'était appliqué à connaître pour les mettre ensemble. Notre corpus est constitué par ces récits rétrospectifs (1887-1915), mais aussi par les références de ses publications jusqu'au Règles (essentiellement celle contenue dans sa thèse de 1893), et par ses lectures, quand elles ont laissé des traces de ses passages dans plusieurs bibliothèques publiques où il travailla entre 1879 et 1894 (à l'ENS, Sens, Troyes, Bordeaux).
      Social” as “disciplines” in young Durkheims's references and readings, Generally, works on sources and influences are made from author-to-author, which needs a great scholarship. What we do here is different: we have tried to present sociology as a great synthesis of different disciplines, referring to what Durkheim wrote himself on the history of the social science. Our corpus is made of three: his own story-telling of the beginnings of Sociology (form 1887 to 1915); the references of his thesis (1893) and their repartition disciplines by disciplines; third, his “invisible readings” tracked by the recent discoveries of loans registers in different Libraries in which he used to work from 1879 to 1894, in Paris (ENS), Sens, Troyes and Bordeaux.
  • Analyses bibliographiques générales