Contenu du sommaire : L'Homme-machine I

Revue L'Homme et la société Mir@bel
Numéro no 205, janvier 2018
Titre du numéro L'Homme-machine I
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • L'Homme-machine I. Le travailleur machine

    • Introduction. Des discours aux pratiques : femme, enfant, et homme-machine au travail - Florent Le Bot, Olivier Dard, Claude Didry, Camille Dupuy, Cédric Perrin p. 19-26 accès libre
    • L'invention de « l'ouvrier-machine » : esclave aliéné ou pure intelligence au début de l'ère industrielle ? - François Jarrige p. 27-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La figure de « l'ouvrier-machine » – dont le publiciste Lemontey annonçait dès 1801 qu'il serait « timide et sédentaire », « prodigieusement ignorant, crédule et superstitieux » – est un enjeu de débat récurrent aux premiers temps de l'industrialisation. En explorant les usages de l'expression « ouvrier-machine » et les interprétations contradictoires qu'elle suscite dans la première moitié du XIXe siècle chez les théoriciens de l'économie politique et parmi les artisans et ouvriers qui prennent la plume pour décrire leur condition de travail, l'enjeu est d'explorer la généalogie et les fonctions de ce thème de l'homme-machine. De la condamnation morale de l'ouvrier aliéné et esclave du machinisme à la célébration de l'ouvrier devenu « pure intelligence », tout un spectre de significations s'élabore pour caractériser cette figure nouvelle aux premiers temps de l'âge industriel et ainsi tenter d'en fixer les contours et les significations.
      The figure of the “machine-worker” – which the publicist Lemontey described in 1801 as “timid and sedentary”, “prodigiously ignorant, credulous and superstitious” – was the object of recurring debate at the beginning of the industrialization. In exploring the uses of the expression “machine-worker” and the contradictory interpretations which it provoked in the first half of the nineteenth century among the theoricians of political economy and among craftsmen and workers who try to describe their condition of work, the aim of this paper is to explore the genealogy and functions of this human-machine theme. From the moral condemnation of the alienated and enslaved worker to the celebration of the worker as a “pure intelligence,” a whole spectrum of meanings is elaborated to characterize this new figure in the beginning of industrial age and thus endeavoring to define its contours and meanings.
    • Deux ouvriers-machine, avant et après Taylor - Barthélemy Durrive p. 53-86 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La métaphore de l'homme-machine, qui peut signifier différentes choses, a pris un sens précis et littéral dans le cadre de la constitution d'une sous-discipline nouvelle (en France, entre la fin des années 1850 et celle des années 1910) appliquant la physiologie de l'activité musculaire à l'étude du travail humain. Cette « physiologie du travail professionnel » a été initialement développée sans connaissance des travaux de Taylor, mais elle a pris un tournant décisif (qui amènera à son échec, puis à un renouvellement profond sous la forme de l'ergonomie) en rencontrant le taylorisme, introduit entre-temps en France. En se focalisant sur la description des dispositifs expérimentaux, le présent article propose de comparer deux moments dans cette histoire – 1858 (avec le « moteur-homme » de G.-A. Hirn) et 1913 (avec le « rendement de la machine humaine » chez J. Amar) – pour mesurer la différence de sens qu'a pu prendre la métaphore.
      The simile comparing humans to machines may bear different meanings. Yet, as a brand new scientific program applying muscle physiology to the study of human work gradually appeared in France (roughly between 1860 and 1920), the metaphor began being used in a literal sense. “Professional work physiology” was first developed without any reference to Taylor – as his writings were not translated into French until the late 1900's. When these two scientific traditions met, however, “professional work physiology” took a different turn. This paper investigates how, by comparing two different moments in this gradual formation of a novel discipline: 1858 and 1913, that is: before and after Taylor's writings are introduced in France. Focusing each time on the experimental setups involved, the first part of the paper studies G.-A. Hirn's “man-motor”, while the second studies Jules Amar's “yield of the human machine”. The aim is to understand how the meaning of the simile evolved.
    • « L'homme des machines » de Georges Bernanos - Olivier Dard p. 87-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans La France contre les robots, essai publié en 1947, Georges Bernanos (1888-1948) traite de « l'homme des machines ». Il y dénonce un monde « voué à l'Efficience et au Rendement » et déplore de constater que « la civilisation des machines » fabrique des « hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner ». La contribution est organisée en trois temps. Il s'agit d'abord de resituer cette réflexion sur « l'homme des machines » dans le contexte des années 1930-1940 et le prolongement de l'œuvre bernanosienne. Sont ensuite analysés le contenu de la prose bernanosienne puis la réception de La France contre les robots dans la France de la Reconstruction. Une réception somme toute limitée, même si aujourd'hui cet essai suscite un regain d'intérêt.
      In his book titled La France contre les robots (France against robots) and published in 1947, Georges Bernanos (1888-1948) deals with the topic, the “man of machines”. He denounces a “world devoted to efficiency”. He deplores the fact “that the civilization of machines manufactures men accustomed from their childhood to desire only what machine can give them”. The paper is organized in three parts. First, it is necessary to situate this reflection about the “man of machines” in the context of the 1930-1940's and the prolongation of the work of Bernanos. Next, the content of the Bernanos prose is analysed and then the reception of La France contre les robots in the context of the France of Reconstruction. A very limited reception even though this book arouses a renewed interest.
    • Vocabulaire et controverses autour de la cybernétique et du transhumain, années 1960-1970 - Alexandre Moatti p. 109-131 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nous faisons un panorama choisi, et non exhaustif, de controverses médiatiques sur le thème de « l'homme-machine » au cours des années 1960-1970, et du vocabulaire utilisé. Un premier groupe d'auteurs, à caractère critique, est constitué par des proches du situationnisme comme Lefèvre (et son cybernanthrope) ou Vaneigem. Un deuxième groupe, exaltant la cybernétique, est constitué de ceux (Armand, Moles) qui se veulent « visionnaires de la modernité » (et que Vaneigem qualifie de « chiens de garde du futur »). Un troisième débat est celui auquel se livrent deux figures tutélaires de la science à cette époque, le biologiste Jean Rostand et le jésuite Pierre Teilhard de Chardin – l'un évoquant timidement le surhumain et l'autre théorisant sa notion d'ultra-humain. Ces trois pôles sont aussi étudiés du point de vue du caractère médiatique des auteurs, des réseaux qu'ils forment, et du vocabulaire qu'ils utilisent à propos de l'homme-machine.
      We make a chosen, but not exhaustive, panorama of media controversies on the subject of “man-machine” during the years 1960-1970, and the used vocabulary. A first group of critical authors are constituted by situationists such as Lefèvre (and his cybernanthrope) or Vaneigem. A second group, exalting cybernetics, is made up of those (Armand, Moles) who see themselves as “visionaries of modernity” (and which Vaneigem calls “guard dogs of the future”). A third debate is produced by two tutelary figures of science at that time, the biologist Jean Rostand and the Jesuit Pierre Teilhard de Chardin – one timidly evoking the surhumain and the other theorizing his notion of ultra-humain. These three poles are also studied from the point of view of the media position of the authors, the networks they form, and the vocabulary they use on the topic of man-machine.
    • L'enfant-machine : Note sur la fabrique et la machinerie dans Le Capital - Claude Didry p. 133-151 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      « Les premiers mots de l'emploi capitaliste de la machine furent donc pour le travail des femmes et des enfants ! » Loin des envolées optimistes du Manifeste, la machine du Capital précipite les enfants dans le travail, en requérant une masse de manœuvres ou en conduisant les parents à placer les enfants dans des secteurs traditionnels où les métiers sont devenus des opérations parcellisées et sans avenir. En ce sens, la machine détruit la famille ouvrière et réduit à néant la capacité autoémancipatrice d'une classe ouvrière enfermée dans des tâches abrutissantes dès le plus jeune âge. Mais elle éveille le besoin d'une main-d'œuvre en mesure d'accompagner les développements technologiques par une culture technique élargie, la « révolution industrielle » comme mise en cause permanente du processus de production annonçant le « plein développement » de l'humanité envisagé dans l'Idéologie allemande.
      Far from the optimistic revolutionary horizon of the Manifesto, Capital's machine precipitates children into labor, requiring a mass of maneuvers or leading parents to place children in traditional sectors where trades have become parallelized and futureless operations. In this sense, the machine destroys the working-class family and destroys the self-emancipating capacity of a class locked in debilitating tasks from the youngest age. But it arouses the need for a workforce able to accompany technological developments with an expanded technical culture, the “industrial revolution” as a permanent reconsideration of the production process announcing the “full development” humanity envisaged in the German Ideology.
    • Pierre Bézier et ses machines-outils : La pensée technique d'un mécanicien en miroir des controverses machinistes de son temps (1920-1980) - Alain P. Michel p. 153-183 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pierre Bézier (1910-1999) est un ingénieur innovateur de Renault, pionnier de l'automation et de l'informatique industrielle. Il était un technicien de son temps, fier de ses actions dans des domaines de pointe de l'industrie. De leur côté, les sciences humaines produisent une abondante littérature qui rend compte du phénomène machiniste et proposer des théories à propos des transformations sociales qui en découlent. À partir des archives personnelles de Bézier combinées à celles de l'entreprise Renault, je propose de confronter l'expérience d'automatisation de l'ingénieur à l'évolution de la littérature industrialiste tout au long de sa carrière (1920-1980). Les perceptions culturelles et politiques des uns face aux ressentis techniques de l'autre. Beaucoup de polémiques des sciences sociales échappent au praticien. En miroir (déformé), les débats des chercheurs ne sont pas toujours des réactions directes aux évolutions des machines. La culture et la technique ont des agendas distincts, mais non étanches.
      Pierre Bézier (1910-1999) was major innovator in the field of automation and industrial computing. He was a Renault engineer and technician of his time, proud of his achievements high-tech industry throughout his career (1920-1980). Meanwhile the social science researchers produced an abundant literature that reflected the machinist phenomenon and proposed theories about social transformations arising therefrom. My point is that there was a distorted mirror between these two worlds. I confront the experience of an engineer to the evolution of the industrialist literature through Bézier's personal archives combined with Renault's company records. Many social science controversies about machines are absent of the practitioner's files and vice-versa. Sometimes they match and other times they compete. Culture and technology have separate agendas...
    • Un ordre économique sans machine ? : Penser et repenser l'artisanat et la société française au XXe siècle - Cédric Perrin p. 185-209 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Confronté à l'industrialisation des économies européennes, l'artisanat a pu apparaître comme un ordre économique sans machine. Or, cette identification à un travail purement manuel pose problème et elle interroge sur les façons dont l'artisanat a été pensé. L'article montre d'abord qu'il s'agit d'une construction sociopolitique fondée sur un rejet de la modernité. Celle-ci a fait obstacle à la compréhension des dynamiques qui ont travaillé ce secteur de l'économie française au XXe siècle. En effet, les machines ont bien pénétré dans l'artisanat et la question est bien davantage de savoir comment s'est opérée cette mutation, avec quels moyens, quels obstacles… Enfin, l'introduction des machines a transformé les modes opératoires du travail artisanal, mais en suivant des relations complexes dans lesquelles l'artisan transforme également les machines et produit son propre rapport à la machine.
      Confronted with the industrialization of the European economies, Artisanat may have emerged as an economic order without machine. However, this identification in a purely manual work raises problem and it questions about the manners of which the craft was thought. The article shows at first that it is a socio-political construction based on a rejection of the modernity. This one impeded the understanding of the dynamics wich worked this sector of the French economy in the twentieth century. Indeed, machines penetrated well into the artisanat and the question is much more to know how this mutation was made, by what means, what obstacles... Finally, the introduction of machines transformed the modus operandi of the craft work, but by following complex relations in which the craftsman also transforms the machines and produces his own relationship to the machine.
    • Contrôler le travail et les relations sociales ? : Tensions et ambivalences autour de la division du travail dans l'industrie chimique et pharmaceutique - Cynthia Colmellere p. 211-243 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article porte sur la perpétuation de l'ordre social du capitalisme dans deux industries de flux – la chimie et la pharmacie. Les deux études de cas approfondies concernent des modifications importantes des installations et de l'organisation du travail. L'analyse du travail de modification montre que : 1) les ingénieurs et managers se saisissent de la division du travail comme d'un objet scientifique pour agir sur les relations sociales et les relations hommes-machine, 2) les travailleurs déploient des formes de résistances individuelles et collectives, en réponse à cette rationalité technicienne et managériale. Au-delà de ce constat bien connu, l'étude du travail de ces différents acteurs révèle qu'ils mobilisent les ressorts comme les critiques de la division du travail dans des discours et des attitudes parfois contradictoires. Elle contribue ainsi à la compréhension du travail et de ses régulations en lien avec les reconfigurations de l'ordre social du capitalisme.
      This article analyses the perpetuation of the social order of capitalism in two flow industries - chemistry and pharmacy. The two in-depth case studies deal with major changes in facilities and work organization. The analysis shows that: 1) engineers and managers use the division of work as a scientific tool to act on social relations and human-machine relations; 2) workers develop individual and collective resistances, in response to this technical and managerial rationality. Beyond this well-known result, the study of these actors' discourses and practices reveals that they mobilize resources as well as critics of the division of work in sometimes contradictory discourses and attitudes. It thus contributes to the understanding of work and its regulations in the perspective of the reconfigurations of the social order of capitalism.
    • Quand l'ouvrier devient robot : Représentations et pratiques ouvrières face aux stigmates de la déqualification - David Gaborieau p. 245-268 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les entrepôts de la grande distribution alimentaire, les ouvriers manutentionnaires travaillent avec un casque audio sur les oreilles et un micro devant la bouche. C'est une voix numérique qui leur indique les tâches à réaliser et ils valident chacun des gestes effectués par reconnaissance vocale, en prononçant des mots clés. Lorsqu'on les interroge sur le contenu de leur travail, ils ne manquent pas de se comparer à des « robots », dépossédés de leur capacité à agir en dehors du script imposé. Les observateurs extérieurs en font souvent de même, sidérés par ce dialogue étrange entre un outil numérique et des humains qui répondent à ses injonctions. Si cette conception de la « robotisation » n'est pas satisfaisante au regard de l'enquête menée en immersion dans les entrepôts, l'analyse critique de cette terminologie et de ses ressorts symboliques amène un éclairage nouveau sur la façon dont le monde ouvrier est perçu et se perçoit.
      In food retail warehouses, handlers work with headphones on their ears and microphones in front of their mouth. A digital voice tells them what they have to do and they validate all their actions pronouncing key words for the voice recognition system. When asked about the content of their work, they compare themselves to “robots,” lacking the capacity to act outside the imposed framework. Outside observers often borrow this comparison to express their astonishment in reaction to this unusual dialogue between a digital tool and humans following orders. The results of my fieldwork show that such a vision of robotization is not appropriate. I analyze how this symbolic terminology of workers' perception and self-perception is used and the questions it raises, thereby proposing a new approach of the working-class image.
  • Note critique

  • Comptes rendus