Contenu du sommaire : Avec ou sans les Frères. Les islamistes arabes face à la résilience autoritaire

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 78, janvier-mars 2018
Titre du numéro Avec ou sans les Frères. Les islamistes arabes face à la résilience autoritaire
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 5-7 accès libre
  • Thema : Avec ou sans les Frères. Les islamistes arabes face à la résilience autoritaire

    • Dynamique et omniprésente diversité de la référence islamiste - Laurent Bonnefoy, François Burgat p. 11-19 accès libre
    • Le maréchal et les cheikhs : les stratégies religieuses du régime et leurs complications dans l'Égypte de al-Sissi - Stéphane Lacroix, Ahmed Zaghloul Shalata p. 21-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nous nous attachons ici à analyser les stratégies de gestion du champ religieux mises en œuvre en Égypte par le régime du maréchal al-Sissi, après le coup d'État de l'été 2013 qui a mis un terme à la « parenthèse révolutionnaire » de 2011-2013 marquée par le triomphe électoral des Frères musulmans. En fait, le régime suit une double stratégie : d'une part, dans un registre hérité de la période Moubarak, il s'appuie sur les seuls acteurs islamistes à avoir soutenu le coup d'État, la Prédication salafiste et son parti al-Nour, dans le but de les ériger en substitut légitimiste des Frères musulmans ; d'autre part, dans une logique plus « nassérienne », il cherche à remettre en selle les institutions d'un islam officiel à prétention hégémonique pour reprendre le contrôle des mosquées. Nous examinons les motivations des acteurs religieux impliqués dans ces stratégies, et nous intéressons aux tensions que celles-ci, ainsi que leur articulation, génèrent dans les champs politique et religieux. Cette étude de cas nous permet de nourrir la réflexion sur les ressorts de la légitimation religieuse des régimes autoritaires arabes.
      The Field Marshal and the Sheiks: The Regime's Religious Strategies and Their Complications in al-Sissi's Egypt This article examines the strategies that Field Marshal al-Sissi's regime in Egypt has implemented to manage the religious field in the aftermath of the 2013 coup d'État that put an end to the “revolutionary parenthesis” of 2011-2013, a period marked by the electoral triumph of the Muslim Brotherhood. In fact, the regime follows a twofold strategy: consistent with the precedent set under Mubarak's government, it seeks to establish the only Islamist actors that supported the coup d'État, the Salafist movement and its al-Nour party, as a legitimist substitute for the Muslim Brotherhood; in more “Nasserian” vein, it seeks to restore power to the institutions of a hegemonic, official Islam in order to regain control of the country's mosques. This article examines the motivations of the religious actors involved in these strategies and considers the tensions that these strategies and their interrelations generate in the political and religious fields. This case study contributes to discussions regarding the sources of religious legitimization for Arab authoritarian regimes.
    • Sous le signe de Rabia : circulations et segmentations des mobilisations (trans)nationales en Turquie - Marie Vannetzel p. 41-62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de l'été 2013, à la suite du renversement par l'armée du président Morsi et du massacre de ses partisans, le geste de la main présentant quatre doigts tendus et le pouce replié est devenu un symbole de solidarité avec les Frères musulmans égyptiens (FM). S'il s'est diffusé à travers le monde, c'est en Turquie que ce geste, appelé « signe de Rabia » en référence au nom de la place où le massacre a eu lieu, a connu le succès le plus important, tout en prenant des significations différentes. Comment rendre compte de son adoption et de son adaptation dans le contexte turc ? Ce processus est-il dû à la présence de nombreux exilés FM dans ce pays ? Cette étude montre que, loin de ne constituer qu'un contexte d'accueil, les espaces nationaux et transnationaux islamiques en Turquie ont été les coproducteurs du signe et de ses interprétations. Elle met en évidence la façon dont la circulation de ce signe s'articule à des logiques non seulement de synchronisation des mobilisations dans ces espaces, mais aussi de segmentation, notamment entre ces espaces et l'espace diasporique des FM.
      Under the Rabia Sign: Circulations and Segmentations of (Trans)National Mobilization(s) in Turkey In summer 2013, following the Egyptian Army's ouster of President Morsi and the massacre of his supporters, a hand gesture featuring four outstretched fingers, thumb folded back, became a symbol of solidarity with the Egyptian Muslim Brotherhood (MB). Though it has since spread across the world, it is in Turkey that this gesture, known as the “Rabia sign” in reference to the site of the massacre, has had the most success, even as it takes different meanings. How is one to understand its adoption and adaptation in the Turkish context? Is this process due to the presence of many MB exiles in this country? This study shows that, far from merely constituting a context of reception, the national and transnational Islamic spaces in Turkey have coproduced the sign and its interpretations. It demonstrates that the circulation of this sign has been intertwined with the synchronization of mobilizations in these spaces but also with their segmentation, particularly in what concerns these spaces and the diasporic space of the MB.
    • Les rebelles syriens d'Ahrar al-Sham : ressorts contextuels et organisationnels d'une déradicalisation en temps de guerre civile - Ahmad Abazeid, Thomas Pierret p. 63-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Issu de la mouvance jihadiste, le groupe rebelle syrien Ahrar al-Sham a opéré depuis sa création en 2011 un mouvement de déradicalisation idéologique. Cette mue, parachevée en 2017 avec l'adoption officielle du drapeau national syrien, s'est traduite par une posture « révisionniste » du groupe qui l'a graduellement éloigné des factions les plus radicales et rapproché du courant dominant révolutionnaire. Cette trajectoire peut être lue à la lumière de facteurs contextuels, en l'occurrence l'influence des États sponsors de l'insurrection syrienne et l'émergence en 2011 d'un projet de révolution populaire opposant une option idéologique crédible au projet jihadiste. Toutefois, la réponse d'Ahrar al-Sham à ces stimuli externes ne peut se comprendre qu'à travers ses ressorts organisationnels, c'est-à-dire un sevrage précoce vis-à-vis des réseaux jihadistes transnationaux et la mise en place d'une structure décisionnelle collégiale qui a permis la consolidation de l'aile réformiste du groupe aux dépens de sa rivale doctrinaire. Cette étude d'un processus de déradicalisation en temps de guerre civile entend enrichir la réflexion sur les dynamiques de modération des groupes islamistes, essentiellement étudiées jusqu'ici dans des contextes de paix ou d'adieux aux armes. Elle contribue également à une prise en compte des mécanismes de transformation idéologique des groupes armés non étatiques, question largement délaissée par les travaux théoriques sur les guerres civiles.
      The Syrian Rebels of Ahrar al-Sham: Contextual and Organizational Motors of Deradicalization in a Time of Civil War Originating in the jihadist movement, the Syrian rebel group Ahrar al-Sham has since its creation in 2011 pursued a path of ideological deradicalization. Reaching completion in 2017 when the group officially adopted the Syrian national flag, this transformation is reflected in its adoption of a “revisionist” stance that gradually distanced it from the most radical factions and drew it closer to the dominant revolutionary movement. This trajectory may be interpreted in the light of contextual factors – specifically, the influence wielded by state sponsors of the Syrian uprising and the 2011 emergence of a popular revolutionary project presenting a credible ideological alternative to that of the jihadists. Yet the response of Ahrar al-Sham to these external stimuli can only be understood by reference to its organizational dynamics – that is, its precocious decision to break with transnational jihadi networks and the establishment of a collegial decision-making structure that allowed the group's reformist wing to consolidate itself at the expense of its doctrinaire rival. This study of the deradicalization process in a context of civil war seeks to contribute to discussions of the dynamics of moderation among Islamist groups, which have hitherto mainly been studied in peacetime or end-of-conflict contexts. It also contributes to our understanding of the mechanisms of ideological transformation among non-state armed groups, a question broadly neglected by theoretical work on civil wars.
    • Recompositions islamistes sunnites et polarisation confessionnelle dans le Yémen en guerre - Laurent Bonnefoy, Abdulsalam al-Rubaidi p. 85-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le conflit yéménite, qui a suivi, quatre ans après, les mobilisations pacifiques du « Printemps » de 2011, est souvent interprété, hâtivement, à travers une grille de lecture géopolitique qui fait de lui la marque de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, sur fond de fracture confessionnelle. Dépassant cette approche, nous nous intéressons aux recompositions politico-religieuses survenues dans ce pays depuis 2013, en contexte de conflit violent. Nous interrogeons les processus de construction de la polarisation entre sunnites et chiites, en rupture avec un agencement confessionnel particulier, et les effets produits au sein du champ islamiste sunnite. La relégation du parti al-Islah, représentant les Frères musulmans, s'accompagne d'une montée en puissance des entrepreneurs salafis. Cette dynamique signale la reconfiguration des ressources mobilisées, en affirmant la valorisation de l'engagement militaire. Dès lors, notre contribution appréhende le conflit armé en tant que moment privilégié pour observer les processus de fabrique des identités à partir des déclarations d'entrepreneurs islamistes, des alliances nouées sur le front ou des confrontations.
      Sunni Islamist Reconfiguration and Sectarian Polarization in Wartime Yemen Coming four years after the peaceful mobilizations of the “Arab Spring” of 2011, the Yemeni conflict is often hastily interpreted in geopolitical terms as an expression of the sectarian rivalry opposing Saudi Arabia and Iran. We seek to move beyond this approach, examining the politico-religious reconfigurations that have taken place in this country since 2013 in a context of violent conflict. This article considers the processes by which, breaking with a particular sectarian arrangement, the Sunni-Shia polarization was constructed and the effects thereby produced within the Sunni Islamist field. The relegation of the al-Islah party, which represents the Muslim Brotherhood, has been accompanied by the growing power of Salafist entrepreneurs. This dynamic is a sign of the reconfiguration of mobilized resources and affirms the prestige of military engagement. We therefore consider the armed conflict a privileged moment for observing processes of identity construction as they are reflected in the statements of Islamist entrepreneurs, the alliances created at the front and confrontations.
  • Varia

    • Internet et propagande jihadiste : la régulation polycentrique du cyberespace - Valentine Crosset, Benoit Dupont p. 107-125 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis quelques années, les pouvoirs publics et la société civile rendent Internet responsable de la diffusion de contenus jihadistes. Pour faire face à cette accusation qui a pris une dimension internationale, les États, les entreprises technologiques et la société civile ont mis en place des pratiques et des solutions de contrôle qui se présentent cependant sous l'aspect d'un ensemble fragmenté et dispersé. Nous souhaitons ici rendre compte de ce système complexe en adoptant l'approche de la gouvernance polycentrique. Cette approche contraste avec une vision étato-centrique dans la mesure où elle favorise la mise en réseau de centres de régulation à plusieurs niveaux des problèmes globaux. Notre analyse s'appuie sur une cartographie détaillée des différents dispositifs impliqués dans la régulation des contenus jihadistes. Tout en montrant le caractère pluricentrique et hétérogène de ces dispositifs, nous présentons ceux-ci comme un système « agonistique », dans lequel les rapports sont à la fois marqués par le conflit et par une prise en compte mutuelle. Nous démontrons toutefois que le conflit n'empêche pas l'action, puisque, à terme, les structures d'autorité polycentriques ont permis l'émergence d'une nouvelle architecture et de nouvelles normes visant à faciliter le contrôle des flux informationnels.
      The Internet and Jihadist Propaganda: The Polycentric Regulation of Cyberspace In recent years, governments and civil society groups have blamed the Internet for spreading jihadist content. States, technology companies and civil society groups have established monitoring practices and solutions to address these concerns, which have assumed an international dimension. Taken as a whole, however, such efforts remain scattered and fragmented. The present article seeks to take stock of this complex system by adopting a polycentric governance approach. This approach contrasts with a state-centric vision to the degree that it favors establishing networks among centers for regulating global problems at several levels. The present article draws on a detailed cartography of the various measures that have been taken to regulate jihadist content. In addition to demonstrating the pluricentric and heterogenous nature of these measures, we present them as an “agonistic” system in which relations are simultaneously marked by conflict and mutual awareness. Yet conflict does not preclude action: over time, polycentric authority structures have given rise to a new architecture and new norms intended to facilitate control of information flows.
    • Un vote organisé par des gangs ? Observation d'une mission d'observation internationale de l'élection présidentielle de 2014 au Salvador - Erica Guevara p. 127-146 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment se construit le regard de l'observateur électoral international ? Si la normalisation, la généralisation et les conséquences des dispositifs d'observation électorale internationale abordés en tant qu'instruments de « promotion de la démocratie » ont été longuement analysées, les modalités concrètes de production des données de ces missions n'ont été que très peu explorées. À partir de l'observation participante d'une mission coordonnée par une organisation internationale lors de l'élection présidentielle de 2014 au Salvador, nous étudions la façon dont se définissent les critères de ce qui « mérite d'être observé », et dans quelle mesure le dispositif parvient à modeler et à orienter le regard de l'observateur. Le processus de formation permettant de transformer le volontaire néophyte en observateur international compétent est ici retracé, ainsi que les paradoxes du travail sur le terrain, notamment la difficulté pour l'œil étranger à qualifier ce qui est regardé. Ainsi, au Salvador, la standardisation de la méthode d'observation et l'impératif de neutralité ont conduit l'OI à dépolitiser et à écarter de l'étude l'un des principaux enjeux de l'élection : le comportement électoral des maras (gangs criminels transnationaux de jeunes, responsables de l'impressionnant taux de décès violents au Salvador), sur lequel il n'existe encore aucune donnée.
      An Election Held by Gangs? Observation of an International Observation Mission to the 2014 Presidential Election in El Salvador How is the gaze of the international electoral observer constructed? While the normalization, generalization and consequences of international election observation systems, seen as tools for “promoting democracy”, have been extensively analyzed, very little attention has been given to the concrete ways in which these missions produce data. On the basis of participant observation of a mission coordinated by an international organization during the 2014 presidential election in El Salvador, this article studies the manner in which the criteria of what is “worth observing” are defined and the degree to which the system succeeds in shaping and directing the observer's gaze. It outlines the training process by which the neophyte volunteer is transformed into a competent international observer as well as the paradoxes of fieldwork, particularly the difficulty that a foreigner's eye has in describing what it sees. In El Salvador, the standardization of the observation method and the imperative of neutrality thus led the IO to depoliticize and exclude from its study one of the election's main issues: the electoral behavior of the maras (the transnational criminal gangs of young people responsible for the high rate of violent death in El Salvador), on which there is still no data.
    • Les tensions de l'affirmative action dans l'Afrique du Sud post-apartheid. Une analyse de la jurisprudence des tribunaux du travail - Soline Laplanche-Servigne p. 147-166 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 1998, le gouvernement sud-africain a mis en place des mesures radicales destinées non seulement à lutter contre les discriminations mais aussi à corriger les inégalités produites par le régime de l'apartheid. L'une de ces principales mesures est la loi d'équité dans l'emploi (Employment Equity Act, EEA), votée en 1998. On aurait pu penser que cette loi protègerait fortement les bénéficiaires de l'affirmative action et qu'il serait difficile pour des Blancs, non membres des « groupes désignés » (« designated groups »), d'obtenir gain de cause en plaidant la discrimination raciale injuste. Or il s'avère que dans la majorité des litiges où la discrimination est reconnue injuste par le juge, cette reconnaissance se fait en faveur de plaignants blancs. Sur la base de ce paradoxe, nous examinons la nature des arguments échangés dans les tribunaux du travail et ce qui fonde la distinction établie par le juge entre discrimination raciale juste et injuste. Ces litiges permettent d'appréhender sous un jour nouveau la victime de discrimination post-apartheid, figure dont les contours ne suivent plus forcément une stricte ligne d'opposition entre Noirs et Blancs.
      The Tensions of Affirmative Action in Post-Apartheid South Africa: An Analysis of Labor Court Jurisprudence Since 1998, the South African government has established radical measures intended, not just to fight discrimination, but also to rectify the inequalities produced by the Apartheid regime. At the forefront of these measures is the Employment Equity Act (EEA), which was adopted in 1998. One might expect this law to strongly protect the beneficiaries of affirmative action, and courts to rarely rule in favor of whites when they sued for unjust racial discrimination. Yet it turns out that, in the majority of lawsuits in which a judge finds there has been unjust discrimination, it is on behalf of white plaintiffs. On the basis of this paradox, this article examines the nature of the arguments exchanged in labor courts, arguments that supply the basis for the judge's distinction between just and unjust racial discrimination. These lawsuits cast new light on the victim of post-Apartheid discrimination, a figure whose contours no longer neatly coincide with a black-white line of division.
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