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Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 261, octobre-décembre 2017 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Adolescents en guerres mondiales, entre transgression et filiation - Manon Pignot p. 3-8
- La jeunesse ottomane, enjeu des luttes nationales (1914-1919) - Nazan Maksudyan p. 9-29 À partir du milieu du XIXe siècle et surtout pendant la Première Guerre mondiale, les enfants furent un des enjeux de l'agitation nationaliste, sociale et religieuse. La structure multireligieuse, multiethnique, multilingue de l'Empire ottoman et la désunion de l'idée de nation ont compliqué ce que les enfants ottomans représentaient. Des combats de rue aux organisations de scoutisme, des campagnes de « protection de l'enfance » à l'ouverture d'orphelinats, les enfants ottomans issus de différentes identités communales ont incorporé et reproduit la crise politique interne et les rivalités en tant qu'agents et cibles de la politique nationaliste. Fondé sur la recherche dans les dossiers de la police ottomane, la presse, les livres scolaires et les articles des organisations de jeunesse, cet article se concentre sur la politisation et la socialisation des enfants et des jeunes ottomans selon des lignes ouvertement ethniques, religieuses et nationalistes.The role of the Ottoman youth in the national struggle (1914-1919)From the mid-nineteenth century onwards, and particularly during the First World War, children were one of the main stakes of nationalist, social and religious upheavals. The multi-religious, multi-ethnic, and multi-lingual structure of the Ottoman Empire as well as the divisions over the idea of nation have rendered the representation of Ottoman children more complex to apprehend. From street fights to boy scouts organizations, from child protection awareness campaigns to the creation of orphanages, Ottoman children from different communal identities embodied and reproduced the internal political crisis as agents of the latter and targets of nationalist politics. Based on research founded on Ottoman police records, the contemporary press, school books, and youth organizations' publications, this paper focuses on the politicization and socialization of Ottoman children and youths along overtly ethnic, religious, and nationalist lines.
- « Les enfants ne vont pas au front » : les combattants juvéniles de la Grande Guerre - Manon Pignot p. 31-47 Les ado-combattants sont des « invisibles visibles » de la Grande Guerre. Invisibles dans les archives officielles et dans le même temps étonnamment présents sur les photographies. Cet article, premiers pas d'une recherche en cours, est né de cette présence/absence mystérieuse, à l'heure où – centenaire oblige – on croit tout savoir et tout connaître de la Première Guerre mondiale. Le sujet est encore neuf, notamment dans les pays de la « vieille Europe » où les historiens, contrairement à l'historiographie anglo-saxonne, ont jusqu'ici porté peu d'attention au phénomène. Pour autant, le travail à faire reste immense car la thématique des ado-combattants – ces individus trop jeunes pour combattre légalement mais trop vieux pour accepter de rester à l'arrière, notamment à l'école – se perd, le plus souvent, dans des considérations générales sur le volontariat. Ceci dit, même quand les historiens lui prêtent attention, c'est pour analyser le phénomène de l'engagement juvénile en termes de transgression : transgression de l'ordre social, transgression culturelle inhérente à la transition pubertaire de cette classe d'âge. L'explication transgressive est assurément juste, et passionnante, mais elle est aussi insuffisante pour comprendre un phénomène commun à tous les pays belligérants. La présente contribution propose de s'appuyer sur la transversalité européenne pour relire ce phénomène au regard de l'anthropologie historique, c'est-à-dire pour l'interroger en termes de filiation et questionner ce qui, dans ce désir de guerre, relève autant du rite de passage que du passage à l'acte.“Children don't fight on the front line”: juvenile fighters in the Great War
Juvenile fighters were “visibly absent” from the Great War. Absent from official archives and yet surprisingly present on photographs. This article—as a premise to ongoing research—emerged from this singular presence/absence in the context of the centenary of the First World War, despite the fact that all aspects of the period are now deemed to have been uncovered. In fact, the subject is still new, notably in the countries of “old Europe”, where historians—contrary to Anglo-saxon historiographers—have heretofore paid little attention to the issue. Yet, there remains much to do: the issue of juvenile fighters—too young to fight legally and yet too old to stay behind at school—is often lost in wider considerations about volunteers. When historians do pay attention to the issue, their analysis usually focuses on juvenile military recruitment in terms of transgression: the transgression of a social order or the cultural transgression inherent to puberty. Although the transgressive interpretation is undoubtedly true and fascinating, it is nevertheless insufficient to comprehend a common phenomenon to all belligerent countries. This paper thus seeks to base itself on European transversality to consider this phenomenon through the lens of historic anthropology, that is to question it in terms of filiation and what can be considered as much as a rite of passage than taking action. - Entre motivation et mobilisation, parcours d'enfants-soldats russo-soviétiques en guerres mondiales - Olga Kucherenko p. 49-66 Cet article offre une analyse comparative du phénomène des enfants-soldats sur le front oriental des deux guerres mondiales. Il tend à démontrer que la participation d'enfants aux hostilités était relativement importante mais qu'il serait erroné de les qualifier de victimes. En effet, nombre d'entre eux prirent les armes de manière volontaire pour diverses raisons, notamment d'ordre idéologique, bien que leur utilisation fût limitée aux objectifs militaires. Tout en révélant leurs motivations à prendre part au combat, cet article s'intéresse aux divers chemins que les enfants empruntaient pour arriver au front, leurs vies quotidiennes sur la ligne de front et leur utilisation à des fins militaires.Motivation and mobilization: trajectories of Russian-Soviet juvenile fighters in the World Wars
This paper offers a comparative analysis of the phenomenon of child-soldiering on the Eastern Front in both World Wars. It shows that children's participation in the hostilities was fairly extensive, but it would be incorrect to classify them all as victims. Indeed, many willingly took up arms for various reasons, not least because of ideological influences, although their use was always subordinated to military objectives. As well as revealing their combat motivations, the paper also discusses the paths the children took in order to get to the front, the routines of their life on the frontline and the ways they were used for military purposes. - Den' Pobedy... ou Le Jour de la Victoire. Brève histoire des jeunes Espagnols combattants en URSS (1941-1945) - Verónica Sierra Blas p. 67-79 L'Union soviétique fut un des pays alliés du gouvernement républicain espagnol lors de la guerre civile. Staline envoya des troupes, des armes, des vivres et du matériel sanitaire en Espagne et accepta l'arrivée des 2 895 enfants évacués entre 1937 et 1938 afin de les protéger de la guerre. Le gouvernement républicain et le régime soviétique envisageaient tous deux leur éloignement comme provisoire, mais la victoire de Franco et le début de la Seconde Guerre mondiale signifièrent que leur évacuation devint un exil permanent pour la majorité d'entre eux. Quand Hitler envahit l'Union soviétique en juin 1941, la majorité des enfants (désormais adolescents) s'engagèrent dans l'effort de guerre, soit en apportant de l'aide à l'arrière, soit en combattant sur la ligne de front. Combattre auprès des Soviétiques fut non seulement un moyen pour ces jeunes Espagnols d'exprimer leur gratitude pour l'accueil et les soins reçus, mais aussi la meilleure démonstration de ce que devait être leur destinée : continuer la lutte contre le fascisme d'abord entreprise par leurs familles en Espagne. Cet article relate leurs histoires en se fondant sur les carnets, lettres, mémoires et autobiographies rédigés avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.Den' Pobedy... or Victory Day. A brief history of young Spanish fighters in the USSR (1941–1945)The Soviet Union was one of the countries which supported the Republican Government during the Spanish Civil War. Stalin sent troops, arms, food supplies and sanitary material to Spain, and also accepted the 2,895 children that were evacuated between 1937 and 1938 in order to protect them from the war. The Republican Government and the Soviet Regime both believed that these children would be away from their country for a few months only, but Franco's victory and the outbreak of the Second World War made it impossible and transformed the evacuation into permanent exile for a majority of them. When Hitler invaded the Soviet Union on June 1941, the majority of these children (now teenagers) decided to participate to the war effort by helping in the rear or fighting on the frontlines. Fighting alongside the Soviets was a way for these Spanish children to express their gratitude for the care and acceptance they had received, and was also the best demonstration that they were prepared to fulfill the role of their destinies: continue the fight against fascism that their families had begun in Spain. This article briefly relates their stories thanks to the diaries, letters, memoirs and autobiographies that they wrote before, during and after the Second World War.
- Une jeunesse pour la guerre : la Hitlerjugend (1922-1945) - Lisa Pine p. 81-92 Cet article souligne que l'histoire des enfants-soldats lors de la Seconde Guerre mondiale tient pour une large part au rôle que jouèrent les Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend ou HJ). Il retrace le développement de la Hitlerjugend, mouvement de jeunesse devenu canal de recrutement pour le personnel de guerre. L'Allemagne avait une longue et fière tradition de mouvements de jeunesse au sein de laquelle la HJ occupe une place particulière. Les Jeunesses hitlériennes en vinrent à incarner un esprit ouvertement militaire, que caractérisait une masculinité dure et martiale très différente des autres formes de masculinité qui s'épanouissaient jusqu'alors dans les institutions traditionnelles telles que la famille, l'école et l'église. L'article débute par une exploration de l'histoire des Jeunesses hitlériennes, afin de mettre en contexte la période de guerre, avant d'analyser la formation de ce mouvement, les expériences vécues en temps de guerre et la transformation de ses membres en véritables soldats. Dans la quête d'expansion territoriale ou Lebensraum (« espace vital ») du Troisième Reich, la génération Hitlerjugend joua un rôle important pour la Volksgemeinschaft (« communauté nationale »), la guerre et la conquête de l'empire. Au cœur de la guerre, garçons et filles allemands furent recrutés pour la défense antiaérienne, les premiers parfois envoyés dans les régiments de la Wehrmacht ou de la SS. Enfin, vers la fin de la guerre, de jeunes garçons furent recrutés par la Volkssturm (la milice populaire), défendant l'État national-socialiste jusqu'à la fin en 1945.Youth for war: the Hitlerjugend (1922–1945)This article argues that the history of teen combatants in war needs to take into account the role of the Hitler Youth (Hitlerjugend or HJ) in the Second World War. It traces the development of the HJ from a youth movement to the conduit for wartime personnel. Germany had a long and proud tradition of youth movements—this article maintains that the place of the HJ in this was distinctive. An overtly military ethos came to be exemplified in the Hitler Youth, encompassing a hard, martial masculinity much different from other types of maleness embodied in traditional institutions such as the family, school and church. This article begins with an exploration of the history of the HJ, in order to put the wartime period into context. It then explores HJ training and wartime experiences and the transformation of HJ boys from youth group members into soldiers. The Third Reich was a regime that sought territorial expansion and Lebensraum (“living space”): the HJ generation had a significant part accorded to the Volksgemeinschaft (“national community”), the war and the conquest of empire. At the height of the war, German boys (and girls) were drafted into anti-aircraft (flak) work. Moreover, HJ boys went into the Wehrmacht and into the SS. Towards the end of the war, young boys entered the Volkssturm (people's militia), defending the National Socialist state until the bitter end in 1945.
- Jeunes collaborateurs durant la Seconde Guerre mondiale : quelles réponses à quelles transgressions ? (Belgique, 1944-1947) - Aurore François p. 93-106 Durant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation de la Belgique par l'Allemagne, plusieurs milliers de jeunes Belges se sont engagés dans des activités pro-allemandes, principalement via des mouvements de jeunesse collaborationnistes, amenant certains à commettre des faits graves de trahison ou de dénonciation. Au lendemain de la Libération, lorsque l'État belge s'est emparé de la délicate question de la répression de l'incivisme, le sort des enfants et des jeunes collaborateurs a été réglé principalement par les tribunaux pour enfants, qui ont inscrit cette nouvelle mission en cohérence avec l'objectif de traiter et rééduquer la jeunesse délinquante. Croisant les déclarations politiques, les discours des praticiens et les dossiers des tribunaux, cette contribution démontre comment les tribunaux pour enfants ont privilégié à l'égard des jeunes inciviques une option de réinsertion, en accord avec le projet d'épuration des adultes et en dépit parfois de l'incompréhension que ce projet suscitait dans la population. L'engagement antipatriotique des jeunes, qui souvent ont marché dans les pas de leurs parents, sera peu questionné et les idées pro-allemandes de leurs parents ne seront pas perçues comme un obstacle éducationnel majeur, mais bien comme une carence passagère et surmontable.Young collaborators during World War II (Belgium, 1944-1947)During World War II and the occupation of Belgium by Germany, several thousand young Belgians engaged in pro-German activities, mainly via collaborationist youth movements, leading some of them to commit serious acts of treason or denunciation. Shortly after the Liberation, when the Belgian State took up the delicate question of the repression of collaboration, the fate of young collaborators was mainly settled by the juvenile courts, who assumed this new mission in coherence with their mission of treatment and rehabilitation of juvenile delinquents. Combining political declarations, speeches by experts and court cases, this contribution shows how the juvenile courts privileged an option of rehabilitation with respect to those young offenders, in agreement with the project of reforming adults and sometimes despite the incomprehension the project caused in the population. The antipatriotic engagement of those young people, often following in their parents' footsteps, was seldom interrogated and their parents' pro-German ideas were not seen as a major educational obstacle, but rather as a momentary and surmountable deficiency.
- Notes de lecture - p. 107-137