Contenu du sommaire : Se protéger de la police, se protéger sans la police

Revue Mouvements Mir@bel
Numéro no 92, novembre 2017
Titre du numéro Se protéger de la police, se protéger sans la police
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier : Se protéger de la police, se protéger sans la police

    • Éditorial - Francis Dupuis-Déri, Anahita Grisoni, Yves Jouffe, Martin Lamotte, Noé Le Blanc, Julien Talpin p. 7-10 accès libre
  • Les femmes noires face à la police : Entretien avec Andrea Ritchie - Francis Dupuis-Déri p. 11-20 accès libre avec résumé
    Andrea Ritchie est une immigrante noire et lesbienne dont l'engagement, la recherche et les écrits portent sur le contrôle policier des femmes et des personnes LGBT noires et de couleur depuis deux décennies. Elle est présentement chercheuse en résidence au Barnard Center for Research on Women, travaillant sur l'axe Criminalisation, race, genre et sexualité, et elle a été boursière senior en 2014 du fonds Soros Justice. Elle a récemment publié le livre Invisible No More : Police Violence Against Black Women and Women of Color (Beacon Press, 2017). Elle est la co-auteure de deux autres livres, Say Her Name : Resisting Police Brutality Against Black Women (2016) et Queer (In)Justice : The Criminalization of LGBT People in the United States (2011). Née à Montréal, elle a vécu et milité à Toronto pendant huit ans dans les années 1990. Elle réside aujourd'hui entre Chicago, Brooklyn et New York.
  • Se protéger de la police aux États-Unis : Pratiques militantes du mouvement Black Lives Matter - Charlotte Recoquillon p. 21-29 accès libre
  • Les guerrières de Rio de Janeiro : femmes et violence policière dans les favelas - Anne-Marie Veillette p. 30-37 accès libre avec résumé
    Qu'elles soient perpétrées par la police ou par les gangs, les violences ont pour principales victimes les femmes et les enfants. Comment celles-ci résistent-elles à cette violence quotidienne et fortement genrée ? Ce texte plante le décor historique et actuel des favelas brésiliennes, où les conflits entre la police et les narco-trafiquant·e·s ont des répercussions létales sur les simples habitant·e·s. La narration des violences, l'engagement dans des mouvements locaux et internationaux de défense des droits humains, représentent pour les femmes des favelas des manières d'exprimer ces injustices, allant jusqu'à se nommer « les guerrières » pour faire état des difficultés de la vie quotidienne.
  • L'espace des mobilisations contre les violences des forces de l'ordre en France depuis les années 1990 - Anthony Pregnolato p. 38-47 accès libre avec résumé
    Emergées dès les années 1960, les mobilisations contre les violences des forces de l'ordre ont connu, depuis les années 1990, une médiatisation et une politisation croissantes. Autour de la cause construite par ces mobilisations s'est constitué un espace organisé par les initiatives de cinq pôles militants. Si leurs modes d'action et leurs définitions des enjeux diffèrent, ils peuvent aussi trouver des formes d'alliance et de consensus.
  • Du bidonville algérien de Nanterre à la jungle de Calais : Entretien avec Emmanuel Blanchard - Renaud Epstein p. 48-59 accès libre avec résumé
    Dans les années d'après-guerre, les Algériens de métropole ont fait l'objet d'une surveillance et de violences policières d'une intensité exceptionnelle. Cette police d'exception a suscité des réactions diverses, des manifestations aux émeutes, en passant par la construction d'une contre-société FLN dotée de ses propres organisations disciplinaires, ou par la structuration d'espaces de protection relative comme les bidonvilles. À l'heure où se multiplient, sous l'effet de l'action policière, des camps informels de migrants dans les villes européennes, Mouvements revient sur cette histoire française avec Emmanuel Blanchard, spécialiste de l'immigration algérienne et président de Migreurop (un réseau euro-africain d'associations, de militants et de chercheurs dont l'objectif est de lutter contre la généralisation de l'enfermement des étrangers et la criminalisation de l'émigration).
  • Entre justice pour les victimes et transformation des communautés : des alternatives à la police qui épuisent les féministes - Laurence Ingenito, Geneviève Pagé p. 61-75 accès libre avec résumé
    Mise en place par les groupes féministes pour lutter contre les violences masculines au sein de la gauche radicale, la justice transformatrice s'inspire notamment des modes de résolution des conflits des communautés autochtones du nord de l'Amérique. Alternatif au système juridique classique, ce principe a pour objectif tant la réparation émotionnelle et physique des victimes de violences que la transformation des causes sociales menant à cette violence. Dans ce contexte, l'individu agresseur comme la société qui permet le crime sont considérés comme coupables...
  • « Femmes, frappez en retour ! » : La lutte féministe contre les violences sexuelles en milieu militant, en France et en Allemagne - Hanaline Brel, Émeline Fourment p. 76-84 accès libre avec résumé
    Comment lutter contre les violences sexuelles dans les milieux militants ? Ce texte se penche sur les réflexions féministes qui traversent les gauches radicales allemande et française depuis les années 1990. Ne souhaitant pas recourir à la police ou à l'institution judiciaire, trois stratégies s'offrent aux victimes et à leurs allié·e·s : la pédagogie, via l'éducation des agresseurs, la confrontation directe et l'organisation d'une justice interne alternative. Celles-ci s'avèrent cependant souvent peu efficaces devant les soutiens que rencontrent les agresseurs, si bien que de nombreuses femmes choisissent aujourd'hui de s'auto-organiser en groupe de défense féministe non-mixte. Si elles parviennent ainsi à faire sans la police, il ne semble pas que ces pratiques alternatives permettent de maintenir l'unité des collectifs militants.
  • « Ne me libérez pas, je m'en charge ! » : Enjeux et perspectives de l'autodéfense féministe - Robine Anders p. 85-93 accès libre avec résumé
    La police s'avère en général inefficace lorsqu'il s'agit d'endiguer les violences faites aux femmes, et se mue souvent en instrument de répression des mouvements qui luttent contre la domination masculine et le patriarcat, contribuant à la reproduction de l'ordre sexué. Face à ce constat, des militantes féministes s'auto-organisent pour apprendre à se défendre elles-mêmes. L'autodéfense féministe constitue ainsi une autonomisation face aux institutions et une reprise de pouvoir des femmes sur elles-mêmes. Si ces pratiques sont anciennes au sein du mouvement féministe, elles semblent se développer et se professionnaliser ces dernières années, d'abord dans les pays anglo-saxons et plus récemment en France. Si leur succès conduit parfois à une forme d'institutionnalisation, en rompant avec les manières d'agir attendues du rôle social assigné aux femmes, l'autodéfense féministe permettrait de briser l'ordre sexué et racial qui structure la société hétéropatriarcale et de contribuer à l'empowerment des groupes minorisés.
  • Cinq femmes fortes : Faire face à « l'insécurité » dans une « cité de la peur » - Gérôme Truc, Fabien Truong p. 94-103 accès libre avec résumé
    Au regard de la défiance, voire de la rage à l'égard de la police exprimées par de nombreux habitant·e·s des quartiers populaires – et pas seulement par les « jeunes » – les forces de l'ordre n'apparaissent plus comme un recours face aux formes de violence interpersonnelle qui émaillent le quotidien. En retraçant le rapport au quartier de cinq femmes d'une cité de l'Essonne, cet article illustre comment la sociabilité de voisinage et la constitution de l'espace domestique en refuge leur permet de résister à « l'insécurité » sans la police. Selon leur degré de proximité sociale avec les dealers, les marchands de sommeil ou les proxénètes, elles s'avèrent cependant inégalement en mesure de contribuer à cette forme d'auto-organisation populaire.
  • Face à la violence et à la vulnérabilité humaine Les réponses juridiques autochtones au Canada : Entretien avec Hadley Friedland & Val Napoleon - Martin Lamotte, Martin Lamotte, Patrick Simon, Nacira Guénif-Souilamas p. 105-115 accès libre avec résumé
    Dans cet entretien, les chercheuses autochtones Val Napoleon et Hadley Friedland reviennent sur les traditions juridiques autochtones et leurs rapports à l'État canadien. En prenant notamment pour exemple le Wetiko, qui peut être comparé au droit pénal canadien, elles reviennent sur les principes qui sous-tendent ces traditions juridiques et appellent à ce que les lois autochtones soient reconnues comme des lois à part entière. Dans son travail, Val Napoléon développe une théorie juridique autochtone liée aux thèmes de territoire, gouvernance et conflit. Hadley Friedland quant à elle porte son attention sur les principes juridiques encadrant la violence et la vulnérabilité et la façon dont les sociétés cries y font face.
  • Enjeux de la sécurité dans un espace révolutionnaire autonome : les équipes d'intervention contre les agressions sexuelles place Tahrir - Magda Boutros p. 116-124 accès libre avec résumé
    Au-delà de l'espoir soulevé par le printemps arabe, les dynamiques qui ont traversé l'Egypte depuis 2011 en appellent à un regard sur les recompositions sociales qui ont eu lieu à cette période. C'est notamment le cas des équipes d'intervention contre les cercles d'agressions sexuelles de la place Tahrir. Avec une occupation de la place jour et nuit par les manifestants hommes et femmes, à des moments et de manière inhabituelle, cette mobilisation a donné lieu à des agressions sexuelles collectives visant à l'intimidation et à la répression, souvent par les forces de l'ordre. Quels sont les défis qui s'imposent aux militant·e·s intervenant pour la protection des femmes de la place Tahrir ? Ce texte livre une sociologie fine des personnes et des techniques engagées pour gérer la violence et assurer la paix sur les lieux du soulèvement.
  • Autodétermination et police communautaire : Guerrero-Mexique - Emilie E. Joly p. 125-136 accès libre avec résumé
    Dans l'État du Guerrero au sud du Mexique, les communautés indigènes se sont dotées depuis les années 1990 de corps de police et de justice autonomes. Cette expérience constitue un cas assez unique d'auto-organisation des enjeux de sécurité par la population. Elle s'inscrit dans l'histoire longue des revendications d'autodétermination des peuples indigènes face à l'État postcolonial, médiatisée par l'expérience zapatiste au Chiapas. Mais c'est également pour répondre aux manquements des forces de l'ordre officielles face aux violences dont sont victimes les peuples indigènes qu'une police communautaire s'est imposée comme une nécessité. Ce sont ainsi plusieurs centaines de policiers – souvent des hommes – dans un territoire de 100 000 habitant·e·s, qui effectuent des rondes et parfois des arrestations. Peu professionnalisée et décentralisée, la police communautaire constitue une brèche dans le monopole de la violence légitime détenu par l'État. Si celui-ci voit ces initiatives d'un bon œil quand elles permettent de déléguer le travail de maintien de l'ordre, il s'avère cependant bien moins conciliant quand la police communautaire touche des puissants auprès desquels les autorités officielles sont généralement bienveillantes.
  • Paix entre nous, guerre au système : la justice du crime à São Paulo - Gabriel de Santis Feltran p. 137-144 accès libre avec résumé
    Depuis 1993, dans les prisons et quartiers périphériques de São Paulo, un groupe criminel, le Primeiro Comando da Capital, a émergé comme une juridiction alternative. Alors même qu'il s'agit à l'origine d'un collectif de prisonniers et que ses chefs se trouvent souvent derrière les barreaux, ce groupe régule les commerces illégaux et tranche les différends, avec pour effet une baisse significative des actes de violence dans ces territoires livrés au seul harcèlement policier.
  • « Santé ! Et que la police se tienne loin de nous ! » : Entretien sur le quartier d'Exarcheia à Athènes - Noé Le Blanc p. 145-156 accès libre avec résumé
    Ce toast athénien en dit long sur les rapports qu'entretiennent les habitant·e·s avec la police. Notamment, le petit quartier populaire d'Exarcheia, dans le centre d'Athènes, illustre la devise selon laquelle l'anarchie, c'est l'ordre moins le pouvoir. Centre névralgique de la culture de la résistance athénienne, siège en particulier de l'école polytechnique, bastion de l'opposition à la dictature des colonels au début des années 1970, la police n'y est pas nécessairement bienvenue. S. Bonicci, militant français qui y a effectué plusieurs séjours prolongés à partir de 2014 avant de s'y installer en février 2016, revient sur l'organisation de cet espace où la régulation des conflits se fait en partie autrement.
  • La colère du middleman : quand la communauté chinoise se manifeste - Ya-Han Chuang p. 157-168 accès libre avec résumé
    Depuis 2010, la communauté chinoise de Paris s'est mobilisée à plusieurs reprises contre les violences et les meurtres dont plusieurs de ses membres ont été victimes. En quelques années, elle a construit un répertoire d'actions collectives, reflet de la formation d'une conscience communautaire. Emergence d'une jeunesse familière des médias français ; prise de conscience de la nature raciste, appelant une réaction antiraciste, des agressions ; réinterprétation, voire subversion du mot d'ordre de « sécurité » ont permis la maturation d'une nouvelle génération militante soucieuse de se réapproprier les valeurs républicaines pour combattre les discriminations.
  • Varia

    • La SFIO et la police dans les rues du Paris des années 1930 - Matthias Bouchenot p. 169-178 accès libre avec résumé
      La crainte d'une prise du pouvoir fasciste dans les années 1930 amène les socialistes de la région parisienne à développer leurs propres moyens de défense autonome. Initialement pensés comme des services d'ordre de grandes manifestations pacifiques, la montée en puissance des ligues et la conflictualité croissante du champ politique orientent certaines sections de la SFIO vers l'auto-défense. Les groupes d'extrême-droite ne sont pas les seuls adversaires, la police – notamment quand elle protège les meetings des partis fascistes – pouvant également constituer une cible. À l'occasion du « massacre de Clichy » en 1937, on compte des morts de part et d'autre, ce qui conduit à l'exclusion par la SFIO – alors au pouvoir – des franges les plus radicales et violentes du parti. Cet épisode marque la mise à distance des pratiques d'auto-défense par le mouvement socialiste.