Contenu du sommaire : Les migrant.e.s dans l'impasse des gouvernances
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 93, mars 2018 |
Titre du numéro | Les migrant.e.s dans l'impasse des gouvernances |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Les migrant·e·s dans l'impasse des gouvernances
- Éditorial - Viviane Albenga, Armelle Andro, Barnabé Binctin, Pauline Brücker, Anahita Grisoni, Antoine Lagneau, Sarah Mazouz, Patrick Simon, Daniel Veron, Youri Lou Vertongen p. 7-11
- Pour en finir avec la moralisation de la question migratoire - Jocelyne Streiff-Fénart p. 13-21 La gouvernance des migrations s'accompagne d'une mise en sens des actions de contrôle des migrations destinée à masquer la dimension politique des choix effectués et de leurs conséquences dans une production lexicale moralisatrice. Jocelyne Streiff-Fénart déconstruit les inventions terminologiques et les catégories utilisées par les instances de contrôle des migrations et en appelle à une sortie par le politique avec l'instauration de la libre circulation.
- Sortir librement de son pays, entrer librement en Europe : arguments du débat - Alain Morice p. 22-31 La liberté de circulation n'a pas bonne presse : accusée de tous les maux, elle est au mieux considérée comme une option utopique. Pourtant, nous rappelle Alain Morice, beaucoup d'arguments plaident en sa faveur si l'on fait le décompte des impasses de la politique restrictive des migrations et de leurs conséquences dramatiques. Il nous propose ici une revue de détail des arguments du débat.
- L'accord UE-Turquie et les hotspots grecs : les sales arrangements de l'Europe forteresse - Claire Rodier p. 32-40 Alors que la Turquie est devenue l'un des principaux points de passage vers l'UE avec la Libye, les instances européennes ont négocié un accord visant à bloquer les passages vers l'Europe et à « réadmettre » des migrants repoussés du territoire européen. Claire Rodier avance que non seulement les termes de l'accord déconsidèrent le Conseil européen, mais qu'ils criminalisent les migrants et transforment les structures d'accueil en véritables prisons, ce qui disqualifie littéralement le droit d'asile.
- Une nouvelle « gouvernance » des migrations ? Ce que disent les organisations internationales - Antoine Pécoud p. 41-50 Les organisations internationales, que ce soit des agences de l'ONU ou d'autres organisations, interviennent de façon plus volontariste dans la gouvernance des migrations. Cet intérêt n'est à proprement parler pas nouveau mais il s'est amplifié à mesure que les migrations prenaient de l'ampleur et étaient inscrites sur l'agenda international. Antoine Pécoud interroge les objectifs et l'action de ces organisations et se demande si elles sont à même de modifier la gouvernance des migrations, et si oui, dans quelles directions.
- La santé des immigré·e·s entre réponse médicale et approche sécuritaire - Caroline Izambert p. 51-59 La santé des migrant·e·s est longtemps restée impensée dans le contexte français, invisibilisée par le cadre plus large de l'accès à la santé des plus vulnérables. Depuis le début des années 1990, l'avènement des logiques comptables dans le pilotage des politiques de santé publique et le durcissement des règles du droit au séjour ont conduit à multiplier les tentatives de remise en cause du droit des étranger·e·s à être soigné·e·s.
- Violences de genre et « crise » des réfugié·e·s en Europe - Jane Freedman p. 60-65 En 2015 plus d'un million de réfugié·e·s sont arrivé·e·s en Europe, fuyant des guerres, des conflits et des violences dans leurs pays d'origine. Le nombre d'arrivées actuelles dans l'Union européenne a diminué, mais il y en a toujours des milliers de personnes qui tentent chaque jour de rejoindre l'Europe, et des milliers qui périssent en mer en essayant d'y arriver1. Cette augmentation du nombre de réfugié·e·s arrivant en Europe depuis quelques années a mené certains à parler d'une « crise » des réfugié·e·s ou une « crise » migratoire. Mais nous pourrions plutôt décrire une « crise » des politiques de l'Union européenne en ce que les instances de décisions politiques tant au niveau régional qu'au niveau national n'ont pas réussi à trouver une solution permettant d'offrir une protection adéquate à ces personnes cherchant refuge2. La notion de « crise » a été évoquée par des dirigeants politiques pour justifier et légitimer un contrôle des frontières encore plus accru, et dans certains cas des fermetures complètes des frontières sur les routes des réfugié·e·s. Justifiés par la nécessité d'assurer la « sécurité » des pays et des populations européennes, ces contrôles ont des impacts extrêmement négatifs sur la sécurité des personnes qui essayent de trouver une protection en Europe, avec des conséquences particulièrement importantes pour les femmes réfugiées, et un impact sur les expériences de violences vécues par ces femmes.
- La gauche face à la crise de la gouvernance des migrations - Damien Carême, Ugo Palheta, Barnabé Binctin, Pauline Brücker, Patrick Simon, Youri Lou Vertongen p. 66-79 Avec la dite « crise des réfugié·e·s », les gouvernements européens ont confirmé leur obsession sécuritaire dans la gestion des phénomènes migratoires. Loin d'assurer l'accueil et la protection sur le terrain, ils privilégient davantage le tri et le contrôle, et le cas échéant le refoulement, des migrant·e·s, bafouant ainsi les principes fondamentaux d'une Convention de Genève par ailleurs dépassée pour traiter du contexte actuel. Particulièrement absente des débats depuis le fameux « été des migrations » en 2015, la gauche européenne s'est montrée incapable de produire des contre-offensives aux discours de repli sur soi qui font le lit, aujourd'hui encore, d'un durcissement des politiques d'asile. Comment expliquer cette mise en retrait des forces de gauche, institutionnelles ou non, pourtant attendues comme alternatives aux mesures restrictives décidées en matière migratoire ? C'est la question que nous avons posée à deux personnalités de gauche, engagées à leur échelle dans le soutien et l'accueil des migrant·e·s.
- Tactiques de la mobilité migratoire. S'affranchir du « vrai » et du « faux » - Daniel Veron p. 81-89 Que peuvent avoir en commun ces sans-papiers malien·ne·s, sénégalais·es ou mauritanien·ne·s rencontré·e·s à Paris pour qui le « purgatoire de la clandestinité1 » est une étape connue et anticipée, ces Sénégalais·es mourides croisé·e·s à Buenos Aires qui oscillent entre le Brésil et l'Argentine au gré des opportunités de régularisation, ou encore ces migrant·e·s mexicain·e·s côtoyé·e·s à Montréal et s'étant vu·e·s notifier l'obligation de quitter le Canada après le rejet de leur demande d'asile2 ? Toutes et tous se débattent, de près ou de loin, à des degrés différents, et au cours de trajectoires migratoires diverses, contre l'illégitimité – et donc très souvent l'illégalité – de leur mobilité. Dès lors, elles et ils composent, bricolent ou s'organisent tant bien que mal face aux dispositifs de « l'institution frontière3 », en cherchant à en contourner les rigidités afin de pénétrer sur des territoires ou s'y maintenir.
- Une expérience urbaine de l'exil à Berlin : entre contraintes et stratégies de contournement - Anika Dippel p. 90-98 En suivant Rami, un réfugié irakien arrivé à Berlin au printemps 2015, Anika Dippel met en évidence le lien entre épreuves administratives, parcours urbain et trajectoires individuelles. Attentive aux contournements discrets du système d'hébergement des demandeur·se·s d'asile et des réfugié·e·s à Berlin, elle analyse les réponses possibles aux contraintes imposées par les institutions administrant les exilé·e·s et les relogements successifs dans la capitale allemande et sa région. Elle montre ainsi comment s'émanciper de la « condition réfugiée » passe aussi par des pratiques urbaines ordinaires et les formes spécifiques d'identification qui en découlent.
- « On a fait la révolution pour être libres. Libres de partir » : les départs des harragas de la Tunisie en révolution - Catherina Guisa p. 99-106 Le 28 octobre 2017, un groupe de harragas tunisiens bloqués dans le hotspot de l'île de Lampedusa (Italie) publient un communiqué où ils annoncent le début d'une grève de la faim pour « réclamer [leur] droit de circulation et pour protester contre l'expulsion forcée ». Ces jeunes hommes qui ont quitté la Tunisie après la révolution sont souvent sommés de se justifier, aussi bien du côté de l'Europe que de la Tunisie, alors même que ces migrations peuvent être analysées comme un prolongement du phénomène révolutionnaire.
- Réfugié·e·s érythréen·ne·s dans le monde arabe. Archéologie d'un long exode - Hélène Thiollet p. 107-117 Les demandeurs·euses d'asile érythréen·ne·s se sont récemment invité·e·s dans l'actualité européenne. Alors qu'ils étaient plutôt auparavant très peu nombreux·euses, ils représentent la deuxième nationalité de demandeurs·euses d'asile en Europe depuis 2015. Pourtant, la majorité des réfugié·e·s est au Soudan, en Ethiopie, dans le monde arabe qui hébergent les Erythréen·ne·s comme depuis les années soixante. Ils étaient 165 500 en Ethiopie fin 2015, 103 200 au Soudan et 27 000 pour Israël selon le HCR, à côté de 30 000 environ pour l'Allemagne et 26 000 environ pour la Suisse ou la Suède. Au-delà des statistiques, c'est la mort de centaines d'Ethiopien·ne·s, Erythréen·ne·s, Somalien·ne·s et Djiboutien·ne·s à proximité des rivages de l'Europe du Sud ces dernières années qui a attiré l'attention des médias et de la sphère politique vers des zones jusque-là considérées comme marginales, voire totalement extérieures aux champs migratoires européens.
- La mise en mobilité des « indésirables » – Trajectoires, pratiques d'illégalisation et expulsions des demandeurs d'asile soudanais - Pauline Brücker p. 118-126 Si jusqu'à récemment, les migrant·es soudanais·es étaient peu visibles en France, leur nombre a aujourd'hui augmenté dans le quartier de la Chapelle ou encore à Calais. Cette situation est notamment due aux changements des politiques d'accueil dans des pays tiers, tels qu'Israël ou l'Egypte. Cet article met en lumière les mécanismes de construction de la « désirablité » des exilé·e·s en fonction de leur pays d'origine, et la façon dont les Soudanais·es sont ainsi tributaires, dans leur quête d'asile, de l'évolution de la représentation du Soudan sur la scène internationale. Cette fluctuation de leur (in)désirabilité conditionne alors leurs parcours migratoires et les contraint à une « mise en mobilité » permanente et souvent circulaire, que facilitent notamment des politiques d'expulsion.
- Soutien politique et soutien humanitaire. Retour sur les solidarités citoyennes avec les réfugié·e·s en Belgique - Youri Lou Vertongen p. 127-136 Focalisé sur le cas de la Belgique, cet article analyse la manière dont l'espace militant du soutien aux migrant·e·s est structuré autour d'une dyade séparant le « politique » de « l'humanitaire ». Cette opposition serait légitimée par les divergences entre les répertoires d'actions, selon qu'ils visent à la transformation radicale de la politique migratoire ou qu'ils soient centrés sur l'aide à la personne. L'article nous apprend que ces catégories sont en réalité poreuses et dépendent bien souvent du contexte dans lequel les réflexes militants s'imposent.
- Calais, carrefour des solidarités citoyennes - Yasmine Bouagga p. 137-148 Au cours des années 2015 et 2016, Calais et sa région ont été des lieux d'intenses engagements citoyens et de mobilisations en solidarité avec les personnes migrantes bloquées à la frontière franco-britannique. Des milliers de volontaires sont venu·e·s apporter leur soutien, individuellement ou au sein d'associations plus ou moins professionnalisées. Si les actions de solidarité sont anciennes, elles ont pris, ponctuellement, une ampleur inédite avec la médiatisation de la « crise des réfugiés », et en réaction à des politiques gouvernementales perçues comme inhospitalières ou défaillantes. Ces soutiens hétérogènes, fortement internationalisés et investis dans les campements mêmes ont réinterrogé les rapports de l'humanitaire et du politique.
- La militarisation de la frontière franco-italienne et le réseau de solidarité avec les migrant·e·s dans la Vallée de la Roya - Luca Giliberti p. 149-155 Depuis juin 2015 – moment de la militarisation de la frontière franco-italienne – la vallée de la Roya, un territoire situé entre la France et l'Italie, dans les Alpes Maritimes, a été traversée par des milliers de migrant·e·s africain·e·s désirant continuer leur parcours migratoire en Europe. La plupart sont interceptés par les forces de l'ordre et renvoyés en Italie sans avoir la possibilité de demander l'asile en France, ni d'être pris en charge par les services sociaux pour mineurs, comme l'exige la loi. Un réseau de citoyen·ne·s solidaires est né dans cette vallée. Criminalisé par l'État, il s'engage activement dans l'aide aux migrants, fournissant un accueil, des soins primaires et un soutien juridique.
- Nos voisins les migrants : occupation et vie locale à Place des Fêtes, Paris 19e - Patrick Simon, Isabelle Coutant p. 156-163 L'occupation par des migrants venant de la Chapelle du lycée Jean Quarré – désaffecté – à Place des Fêtes dans le 19e arrondissement de Paris a suscité des réactions contrastées dans le quartier. Aux crispations des uns a répondu la mobilisation d'un comité de soutien qui a accompagné l'occupation. Isabelle Coutant, qui a observé l'installation des migrants dans le lycée et ses conséquences sur la vie locale, revient sur les différents répertoires de mobilisation dans le quartier et les relations entre collectifs de soutien.
- Syndiquer, s'intégrer : la CGT et les travailleur·euse·s pro-chinois·e·s sans-papiers, un mouvement « communautaire » inachevé - Ya-Han Chuang p. 164-172 La mobilisation de sans-papiers chinois est apparue comme une surprise dans le contexte de représentations stéréotypées de communauté docile et silencieuse. Elle a coïncidé avec l'implication de la CGT dans le soutien aux luttes des sans-papiers et Ya-Han Chuang raconte ici la rencontre entre le syndicat et les travailleurs chinois, montrant les divergences de stratégie, les malentendus mais également les convergences sur les objectifs.
- Le long été de Vintimille : auto-organisation et criminalisation de la solidarité à la frontière franco-italienne - Anastasia Barone p. 173-179 Vintimille, 4 août 2016 : 300 migrant·e·s quittent le centre de la Croix rouge et marchent en direction de la frontière entre l'Italie et la France. La réaction des forces de l'ordre ne se laisse pas attendre et la journée fait la une des journaux pour les affrontements qui s'ensuivent. Le lendemain le Corriere della Sera relaie la déclaration de la police : « Sans aucun doute la manifestation des migrants a été organisée par les No borders »2. Cet épisode met en évidence certains des éléments qui ont caractérisé ce qu'Anastasia Barone appelle « le long été de Vintimille », lors duquel ont eu lieu des formes inédites d'auto-organisation des personnes réfugiées. L'article revient sur ces longues périodes de mobilisation qui ont associé des migrants, des activistes et des personnes solidaires dans des nouvelles formes d'alliance, ainsi que sur les nouvelles formes de répression et de criminalisation des migrants et des personnes solidaires qu'elles ont suscitées.
Itinéraire
- Défendre la liberté de circulation - Danièle Lochak, Armelle Andro, Sarah Mazouz, Patrick Simon p. 181-195 Danielle Lochak, est juriste. Professeure émérite à l'université Paris Ouest-Nanterre, elle a dirigé pendant plusieurs années le master « Droits de l'homme ». Militante associative engagée, elle a été présidente du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés) de 1985 à 2000 et vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme. Longtemps précurseure dans le champ du droit des étrangers, elle en est aujourd'hui une référence incontournable. Dans cet entretien elle revient sur son parcours et sur l'articulation entre travail académique et action militante. Elle a notamment publié Etrangers de quels droits ? (PUF, 1985) et Immigrés sous contrôle. (Le Cavalier Bleu, 2007).
- Défendre la liberté de circulation - Danièle Lochak, Armelle Andro, Sarah Mazouz, Patrick Simon p. 181-195