Contenu du sommaire : Le Moyen-Orient dans les relations internationales – II

Revue Relations internationales Mir@bel
Numéro no 172, novembre-décembre 2017
Titre du numéro Le Moyen-Orient dans les relations internationales – II
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • D'Al Qaïda à l'État islamique : acteurs non-étatiques mondialisés et  évolution de la violence politique post-moderne - Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou p. 3-14 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'« auto-capacitation » des nouveaux groupes armés non-étatiques desserre la dimension spatiale des relations internationales. Ces acteurs émergents consacrent notamment la transnationalisation grandissante du Moyen-Orient. Dans ce contexte, l'avènement de l'organisation de l'État islamique (EI) s'inscrit dans un parcours de violence transnationale plus vaste, entamé plus tôt par une autre organisation, Al Qaïda. Les micro-récits relatifs à ces deux groupes centrés sur leurs leaders et leur religiosité théâtralisée ont néanmoins occulté les enseignements plus larges qu'il faut en tirer sur l'histoire de la violence politique. L'EI, comme Al Qaïda, souffre d'un déficit analytique et d'une absence de conceptualisation. Les sciences sociales, généralement, et les relations internationales, plus précisément, ont, pour l'heure, été incapables de cerner la nature des importantes transformations systémiques – la militarisation de l'islamisme, l'indigénisation du transnationalisme et l'entreprenariat de violence post-moderne – introduites par ces deux groupes. Confinées à des approches sécuritaires, informées de façon culturaliste et distillées sur un mode médiatique, les analyses de ces nouvelles formes de violences dénotent un déficit conceptuel. Le terrorisme est aujourd'hui avant tout révélateur d'un « moment historique » de ces mutations de la contestation, dont l'essor a lieu sur l'arrière-plan d'une modernisation rapide et mondialisée.

    The self-capacitation of the new non-state armed groups is expanding the spatial dimension of international relations. These emerging actors illustrate in particular the increasing transnationalisation of the Middle East. In such a context, the rise of the Islamic State (IS) partakes of a wider trajectory initiated earlier by another organisation, namely Al Qaeda. However, micro-narratives on the two groups focus on their leaderships and theatrical religiosity have concealed the deeper insights that can be garnered as regards the history of political violence. IS and Al Qaeda both suffer an analytical deficit and a dearth of conceptualisation. Social sciences generally, and international relations specifically, have, until now, been unable to register the nature of the consequential systemic transformation – the militarisation of Islamism, the indigenisation of transnationalism and the entrepreneurship of postmodern violence – introduced by these two groups. Confined to culturally-informed securitisation approaches distilled on an information media-driven mode, analyses of these new forms of violence speak of a conceptual gap. Terrorism today is primarily the expression of a ‘historical moment' of these protest changes, which play out against the background of a rapid and globalised modernisation.
  • La Turquie républicaine, « déchirée » entre l'Orient et l'Occident ? - Özcan Yilmaz p. 15-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article analyse la dimension identitaire de la politique étrangère de la Turquie et son rapport à l'Occident. Il soutient que les analyses qui accordent une place déterminante à l'élément identitaire, donc à l'occidentalisation du pays, débouchent sur une « essentialisation » de sa politique étrangère en l'expliquant à travers le rapport de deux catégories exclusives à l'égard de l'Occident, à savoir le pro-occidentalisme supposé inconditionnel des kémalistes, et l'anti-occidentalisme supposé des conservateurs/islamistes. Toutefois, cette lecture binaire ne saurait rendre compte de la complexité de la politique étrangère turque et des rapports divers de ces catégories à l'Occident.

    This article analyzes the identity dimension of the foreign policy of Turkey and its relationship with the West. It argues that analyses which gave a decisive place to the identity factor, hence to the Westernization of the country, lead to an “essentialization” of its foreign policy by explaining it through the relationship of two exclusive categories with the West, namely the Kemalists' supposedly unconditional pro-Occidentalism and the Conservatives/Islamists' supposed anti-Occidentalism. However, this binary reading fails to address the complexity of Turkish foreign policy and the complex relationship of these categories with the West.
  • Ma mission UNRWA (1990-1995) - Yves Besson p. 31-38 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette contribution, sous forme d'un témoignage personnel, illustre combien la période 1990-1995 semble rétrospectivement avoir été décisive dans ce qui fut et reste la recherche d'une solution négociée de la question de Palestine, toujours non résolue aujourd'hui. En parallèle, cette même période laisse apparaître les prémisses des crises politiques, sociales et religieuses qui embrasent le Moyen-Orient depuis vingt ans. La question palestinienne, vieille de près d'un siècle, demeure sous-jacente à toutes ces crises. Durant cette mission pour l'UNRWA, Yves Besson témoigne, à la fois sur le terrain et sur la scène diplomatique, d'une évolution qui, en raison aussi de la présence de réfugiés palestiniens dans l'ensemble de la région, a conduit aux pires déchaînements de violences actuels.

    This personal testimony illustrates to what extent the period from 1990 to 1995 seems retrospectively have been a crucial period with regards to the search for a negotiated solution to the Palestinian question – still unresolved today. In parallel, the same period provides insights into the premises of the political, social and religious crises which have set ablaze the Middle East during the last twenty years. The century-old Palestinian question remains subjacent to all these crises. On a mission with UNRWA, both on the spot and on the diplomatic scene, Yves Besson witnessed an evolution which, partly due to the presence of Palestinian refugees in the entire region, contributed to the worst eruptions of contemporary violence.
  • Le Liban, pays de refuge. Généalogie des réfugiés arméniens, palestiniens et syriens (1915-2015) - Jihane Sfeir p. 39-50 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article vise à mettre en perspective l'histoire des réfugiés au Liban. Il revient sur les circonstances qui ont poussé Arméniens, Palestiniens et Syriens à trouver refuge au Liban, à examiner l'accueil organisé par la République libanaise et de voir en quoi la gestion des réfugiés détermine la réussite ou la faillite de l'État libanais.

    The objective of this article is to put into perspective the history of refugees in Lebanon. It aims to recount the circumstances which led Armenians, Palestinians and Syrians to seek refuge in Lebanon, to examine the reception organized by the Lebanese Republic and to see in what way the management of the problem of the refugees determines the success or failure of the Lebanese State.
  • La Banque mondiale et les pays du Golfe : trajectoires du développement (1964-1980) - Yasmina Aziki p. 51-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La hausse des prix du pétrole d'octobre 1973 et l'embargo décidé par certains membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ont révélé l'ampleur de l'interdépendance en matière énergétique de ces États en développement et des pays industrialisés. Forts de leurs pétrodollars, les pays du golfe Arabique ont dès lors émergé comme de véritables acteurs dans la région qui font entendre leur voix sur la scène internationale. Ils entendent rééquilibrer les échanges économiques mais également leurs relations politiques avec les pays du Nord. Conscients du poids que leur confèrent leurs richesses, certains pays du golfe Arabique, l'Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis vont progressivement entrer dans le jeu de la coopération internationale dans laquelle la Banque mondiale (BIRD) leur servira de porte d'entrée. Pour Robert McNamara, président du groupe Banque mondiale, c'était une aubaine lui permettant de financer ses ambitieux projets de développement et de compenser la baisse du financement en provenance des pays les plus riches.

    The embargo in October 1973 and the ensuing price hike for crude oil decreed by OPEC members shed light on the level of interdependence that existed already between industrialized countries and oil-exporting developing countries. Strengthened by the inflow of petrodollars, the Arabic (i.e. Persian) Gulf countries have since become major regional actors and a voice in international affairs, intent on transforming the economic balance and the political relations between the developing countries and the North. Aware of the influence bestowed upon them by their riches, certain countries of the Gulf, here Saudi-Arabia, Kuwait and the United Arab Emirates, have since entered the arena of international cooperation with the help of the World Bank. For Robert McNamara, President of the World Bank group, their engagement was a windfall, as it promised to help him finance the bank's ambitious development projects just at a time when Northern countries' contributions fell short of expectations.
  • La Suisse, le Moyen-Orient et le conflit israélo-arabe (1945-1975) - Yves Steiner, Sacha Zala p. 67-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au début de la Guerre froide, dans la poudrière du Moyen-Orient, la politique extérieure suisse eut la délicate mission de se montrer à la hauteur de ses principes de « neutralité » et d'« universalité ». Malgré une approche prudente et un engagement important, il fallut du temps à la Suisse pour saisir la véritable nature du conflit et trouver un équilibre entre Israël et les pays arabes. Lorsque la question de la reconnaissance de l'État juif se posa, la Suisse fit dépendre sa décision de celles d'autres États. Durant la crise de Suez, elle offrit ses bons offices avant de réaliser qu'on leur préférait ceux des Nations Unies. Pendant la guerre des Six jours, l'opinion publique suisse, souvent en porte-à-faux avec la politique étrangère de son gouvernement, manifesta une forte inclination pro-israélienne, au grand dam des pays arabes. Les expériences traumatiques causées par le terrorisme palestinien et les effets de la crise pétrolière de 1973-1974 firent finalement comprendre aux décideurs suisses que les problèmes du Moyen-Orient ne pouvaient être résolus sans accorder un poids égal aux deux parties du conflit. Une ouverture prudente de la politique extérieure suisse s'ensuivit durant les années 1970.

    With the beginning of the Cold War, in an increasingly explosive situation in the Middle East, Swiss foreign policy had the difficult task to live up to its own requirements of “neutrality” and “universality”. In spite of its efforts and symptomatic cautiousness, it was slow in recognizing the real nature of the conflict and establishing a true balance of relations between the Israeli and Arab side. Making its decisions mainly dependent on the actions of others when it came to the question of recognizing the new Jewish State, Switzerland then tried to offer its advice during the Suez crisis, only to realize that the United Nations then played that role. In contrast with the government's position, Swiss public opinion showed a strong pro-Israeli stance during the Six Days War, leading to equally strong Arab protests. The traumatic experiences with Palestinian terrorism and the effects of the oil crisis in 1973/4 finally led Swiss foreign policy makers to understand that the problems in the Middle East could not be solved without giving equal weight to both parties. This in turn, was a small step contributing to the cautious opening up of Swiss foreign policy during the 1970s.
  • Les relations officielles entre l'Italie et l'Iran de 1950 à 1979 : aspects politiques, économiques et culturels - Soroor Coliaei-Kawka p. 81-94 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les relations entre l'Italie et l'Iran se sont fortement développées entre les années 1950 et 1979. L'article examine le contexte dans lequel et les raisons pour lesquelles se mirent en place des échanges politiques, économiques et culturels après la Seconde guerre mondiale. L'établissement de multiples coopérations a servi aux deux pays à s'affirmer sur le plan international et contribué à leur stabilité interne. Dans le cas de l'Iran, c'est l'affirmation de son indépendance et la consolidation de la légitimité de la dynastie Pahlavi qui sont en jeu. Le Chah stabilise son pouvoir grâce en partie au soutien apporté par l'Italie à son projet de modernisation, notamment dans le secteur pétrolier, et aux répercussions que les missions de l'Institut Italien pour le Moyen et l'Extrême Orient ont eu au plan culturel sur la société iranienne. Du côté de l'Italie, ces relations ont facilité la construction d'une identité post-impériale à travers l'offre d'une aide technique et de coopérations culturelles aux pays du Sud, tandis que le pays consolidait son accès aux ressources énergétiques nécessaires à son miracle économique.

    Relations between Italy and Iran developed significantly between 1950 and 1979. This article examines the context in which political, economic and cultural exchanges were established following the Second World War, and the motives which encouraged them. The establishment of multiple cooperative ventures served both countries to assert themselves in the international arena and contributed to domestic stability. In the Iranian case, the affirmation of its independence and of the legitimacy of the Pahlavi dynasty was at stake. The Shah succeeded in stabilizing his power in part thanks to Italian support for his modernization program, in particular in the petroleum sector, and due to the cultural repercussions which the missions of the Italian Institute for the Middle and Far East had on Iranian society. On the Italian side, relations with Iran helped to shape a post-imperial identity by offering the South technical aid and cultural exchanges, while at the same time receiving access to energy resources needed for the Italian economic miracle.
  • La République fédérale d'Allemagne et le Moyen-Orient : entre responsabilités historiques, intérêts et européanisation - Matthias Schulz p. 95-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La politique étrangère de la RFA au Moyen-Orient est largement déterminée jusqu'à la fin des années 1960 par le poids du passé et le souhait de « réparer » les dommages causés par les crimes allemands contre le peuple juif. Ceci se traduit par un soutien inconditionnel à l'État d'Israël jusqu'à ce qu'une série d'évènements, à la suite de la guerre de Six Jours, ne contribuent à une prise de conscience du sort des Palestiniens, les réfugiés comme les habitants des territoires occupés. Depuis l'unification, l'Allemagne joue un rôle plus actif de médiateur dans le conflit israélo-palestinien, en général dans le cadre de la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne. Dans l'ensemble, l'engagement croissant de l'Allemagne a contribué à renforcer l'implication de l'Europe dans les tentatives pour résoudre ce conflit de longue durée.

    The FRG's foreign policy toward the Middle East was largely shaped until the late sixties by the weight of the past and the desire to “repair” the damage caused by German crimes against the Jewish people. This translated into unwavering support for the Israeli State until a series of events following the Six Days' War made Bonn increasingly aware of the issue of Palestinian refugees and difficulties in the occupied territories. Since unification, Germany has begun to play a more active role as mediator in the Israeli-Palestinian conflict, usually placing its initiatives within the framework of the Common Foreign and Security Policy (CFSP) of the EU. Growing German engagement has, on the whole, strengthened European involvement in the resolution of this long-standing conflict.
  • Confessionnalisme et conflits au Moyen-Orient. Une perspective de longue durée - Vicken Cheterian p. 115-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis la guerre en Irak et l'implosion de la Syrie, une littérature grandissante s'efforce d'expliquer par le confessionnalisme l'apparition de nouvelles idéologies et formes de mobilisations politiques, ainsi que la violence au Moyen Orient. Ces écrits tournent autour de deux théories : les conflits confessionnels contemporains seraient la suite du schisme dans l'islam qui remonte au vii e siècle ou le résultat de facteurs exogènes, par exemple les interventions militaires étrangères. Dans cet article je montre d'abord les limites des théories qui tentent actuellement d'expliquer le confessionnalisme, puis je propose d'inscrire celui-ci dans la continuité historique des conflits religieux dans l'Empire ottoman, reproduisant les polarisations et les violences de masse entre les millets ottomans. En proposant une lecture sur la longue durée de la question confessionnelle, nous pourrons redéfinir avec plus de précision certains concepts politiques et sociologiques comme « nation », « religion », « état » ou « laïcité » utilisés dans les études sur les sociétés du Moyen-Orient.

    Since the war in Iraq and the implosion of Syria, there is a growing literature that addresses sectarianism in the Middle East, trying to explain the emergence of new ideologies and patterns of mass mobilization, as well as violent conflicts. These writings evolve around two theories: first, that contemporary confessional conflicts are the result of the schism in Islam that goes back to the VIIth century; second, that they are the results of exogenous factors, for example foreign military interventions. In this article I will first demonstrate the limitations of current theories that attempt to explain sectarianism, and then propose to consider it as a historical continuation of religious conflicts in the Ottoman Empire, repeating patterns of polarization and mass violence that occurred between Ottoman millets. By offering a long-term reading of the sectarian issue, one can redefine more precisely certain political and sociological concepts used in the studies of societies in the Middle East, such as “nation”, “religion”, “State” or “secularism”.
  • Varia

    • Les composantes d'une action humanitaire hors du commun : l'accueil en Occident des réfugiés hongrois de 1956 - Gusztáv Kecskés D. p. 127-142 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Après l'écrasement de la Révolution de 1956 par l'armée soviétique, 200 000 Hongrois se sont réfugiés en Occident. Le mouvement des réfugiés hongrois vers les pays d'accueil et leur intégration se sont révélés être un succès exceptionnel pour le système humanitaire international. Cet article vise à expliquer son efficacité à la lumière de recherches menées dans les archives internationales. Le sentiment humanitaire, nourri par le souvenir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, y a autant contribué que l'attitude de soutien de la population occidentale, profondément compatissante à l'égard de la révolution écrasée. Le profil particulièrement favorable des émigrés de 1956 du point de vue du marché du travail a coïncidé avec la reprise économique occidentale productrice de « miracles ». Néanmoins, la composante la plus importante de ce succès fut la détermination politique des gouvernements de l'OTAN.

      Following the Soviet Army's overthrow of the 1956 Revolution, 200 000 Hungarian refugees fled to the West. Their successful transportation to host countries and their subsequent integration represented an exceptional success of international aid efforts. In the light of international archival research, this article explains their efficiency. The humanitarian sentiment motivated by the memory of the Second World War contributed to it just as much as did the support of the highly sympathetic Western societies. Also, the very advantageous composition of the refugees in terms of labour market skills coincided favourably with the era of the “wonder years” in West European economic history. The most important component, however, was the resolute political will of NATO governments.
  • Notes de lectures - p. 151-162 accès libre