Contenu du sommaire : Frontières mobiles : déclinaisons alpines
Revue | Revue de Géographie Alpine |
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Numéro | vol. 101, no 2, 2013 |
Titre du numéro | Frontières mobiles : déclinaisons alpines |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « Montagnes mobiles ? » - Anne-Laure Amilhat Szary
- “Mobile Mountains?” - Anne-Laure Amilhat Szary
- Les Grecs pontiques, du Pont au Caucase, à la Grèce et à la diaspora - Michel Bruneau Les Grecs pontiques, de la mer Noire, ont vécu depuis la période byzantine dans le milieu montagneux des Alpes pontiques où ils ont pu jusqu'au début du XXe siècle préserver leur langue et/ou leur religion orthodoxe, aux frontières orientales de l'empire byzantin puis ottoman. Comme beaucoup de peuples montagnards, ils ont développé une grande mobilité, en direction du Caucase et de la Russie. L'Échange des populations de 1923 entre la Turquie et la Grèce les a amenés à s'implanter comme réfugiés aux frontières septentrionales balkaniques de leur nouvelle patrie, puis, après la Seconde Guerre mondiale, à se disperser en une diaspora mondiale. Ils ont alors créé une « iconographie » (au sens de J. Gottmann) très riche, qui leur permet de transmettre leur identité d'une génération à l'autre en aménageant des lieux de mémoire dans leurs territoires d'accueil. La construction d'un espace réticulaire transnational, au sein duquel ils créent de façon récurrente des frontières mobiles et symboliques grâce à cette iconographie et aux lieux de mémoire qu'elle habille, leur permet de reproduire leur identité ethnique, résistant à l'assimilation par les sociétés d'accueil qu'elles soient grecque ou étrangères. La référence constante au territoire et lieux montagnards de leurs origines renvoie aux zones frontalières où elles se situent et à leur iconographie support des frontières mobiles qui en diaspora les distinguent des autres Grecs ou des citoyens de leur pays d'accueil.
- The Pontic Greeks, from Pontus to the Caucasus, Greece and the diaspora - Michel Bruneau From the Byzantine period until the beginning of the 20th century, the Pontic Greeks, from the shores of the Black Sea, lived in the mountain areas of the Pontic Alps, where they were able to preserve their language and/or their orthodox religion on the eastern borders of first the Byzantine and then the Ottoman Empire. Like many mountain people, the Pontic Greeks moved a lot, in their case in the direction of the Caucasus and Russia. The exchange of populations between Turkey and Greece in 1923 resulted in their settling as refugees on the northern Balkan borders of their new homeland. Later, after the Second World War, the population of Pontic Greeks became dispersed in a world diaspora. In response to these developments, they created a very rich “iconography” (in the sense used by Jean Gottmann), which enabled them to transmit their identity from one generation to the next by establishing places of remembrance in the areas in which they settled. The construction of a transnational network, within which they regularly created mobile and symbolic frontiers with the help of this iconography and the places of remembrance it adorned, enabled them to reproduce their ethnic identity. This helped them resist assimilation by the host societies, be they Greek or foreign. Constant reference to the territory and mountain places of their origins has forged links with the border zones where they now live and with their iconography that underpins the mobile frontiers, which in a diaspora distinguishes them from other Greeks and the citizens of their host country.
- Les Vosges comme frontière de l'Alsace (1871-1914) - Sébastien Stumpp, Julien Fuchs Entre 1871 et 1914, la chaîne des Vosges constitue pour les Alsaciens, dont le territoire est alors annexé à l'Allemagne, une limite à la fois distinctive, dans la mesure où elle permet aux populations de revendiquer une singularité culturelle, et intégrative, parce qu'elle est aussi ce qui lie l'Alsace à la France et préserve donc la région d'un point de vue symbolique face aux tentatives d'assimilation au Reich. La manière dont les associations de montagne locales, qui promeuvent la randonnée pédestre et le ski, appréhendent cette frontière à la fois politique et culturelle permet de révéler leur perception singulière d'une limite naturelle fixe par définition, mais mobile dans ses représentations. Nous montrerons notamment que ces structures cultivent singulièrement l'existence d'une zone-frontière culturelle réelle et fantasmée, qui distingue l'Alsace à la fois de l'Allemagne et de la France. Dans ce cadre, l'image de la « ligne bleue des Vosges » est mobilisée, par les pratiquants alsaciens, comme une frontière tantôt unificatrice (perpétuation du mythe des provinces perdues, ritualisation du passage de la frontière franco-allemande, relations suivies avec le Club alpin français), tantôt séparatrice (mise en exergue des spécificités linguistiques et patrimoniales, utilisation du refuge comme lieu d'expression des traditions locales, intégration des Vosges à l'« héritage régional »). En ce sens, la question de la mobilité des frontières politiques (du Rhin vers les Vosges au cours de l'Annexion) s'efface clairement ici derrière une interrogation sur la mobilité du sens de la frontière vosgienne.
- The Vosges, border of Alsace (1871-1914) - Sébastien Stumpp, Julien Fuchs During the annexation of Alsace by Germany between 1871 and 1914, the Vosges mountain range took on particular significance for the inhabitants of the region. It represented a boundary that both allowed the Alsatian people to assert their cultural distinctiveness, while at the same time ‘integrating' Alsace into France, thereby symbolically preserving the region from attempts to assimilate it into the Reich. The way in which local mountain associations promoting hiking and skiing considered this political and cultural border reveals their unique perception of a natural boundary that was fixed by definition, but mobile in its representations. As we will see, these associations tended to particularly promote the existence of a cultural border area – real and imagined – that effectively set the Alsace region apart from both France and Germany. Within this context, the images of the ‘blue line of the Vosges' held by the Alsatian members of these clubs differed greatly. Some considered it to be a unifying border that perpetuated the myth of the lost provinces, ritualised the crossing of the Franco-German border, and symbolised their strong ties with the French Alpine Club. Others saw the Vosges more as a dividing border, placing emphasis on language specificities and differences in cultural heritage, the use of mountain huts as centres to celebrate local traditions, and the integration of the mountain range within the ‘regional heritage'. In this sense, the main issue here was not so much the mobility of the political borders (from the Rhine to the Vosges during the German annexation of Alsace), but rather the shifts in the very meaning attributed to this border area.
- Le front écologique dans les zones frontalières de l'Europe Centrale - Marek Wieckowski front écologique, montagnes, parc national, frontière, coopération transfrontalière, Carpates, Pologne, Union Européenne
- Eco-frontier in the mountainous borderlands of Central Europe - Marek Wieckowski
- La frontière comme espace liminal - Marie-Christine Fourny L'article se propose d'examiner la liminalité comme une figure particulière de la frontière et de la limite. Il montre que les approches anthropologiques font de l'espace liminal un mode de gestion sociale du rapport à la norme. Dans des analyses plus récentes, la liminalité permet de mettre en évidence la manière dont se construisent des situations d'altérité, dans un jeu complexe engageant le pouvoir, le lieu et les normes sociales et spatiales. L'analyse du projet d'élaboration d'une stratégie macro-régionale pour les Alpes en donne une illustration. Ce projet vise en effet à unir un espace « Alpes » autour d'objectifs communs. Il soulève la question de la frontière alpine, qu'il s'agisse des frontières nationales à transgresser, de la limite de la montagne à faire bouger ou du périmètre de l'Arc alpin à définir. Les représentations de la limite alpine telles qu'elles sont engagées dans l'action amènent à la conclusion d'une possible construction – à la fois cognitive et fonctionnelle- d'un espace alpin liminal.
- The border as liminal space - Marie-Christine Fourny This article examines the concept of liminality as it relates to the terms ‘border' and ‘limit'. It shows that early anthropological approaches refer to liminal space as a means of managing the dynamic relationship with the norm in a social structure. In more recent analyses, liminality is used to demonstrate the way in which situations of otherness develop, in a complex interplay of power, place, and social and spatial norms. Analysis of the project to develop a macro-regional strategy for the Alps provides an illustration of this. Thus, the MRS project aims to unite an “Alps” space around common objectives. It raises the question of the alpine border, whether in the context of national borders to be crossed, the limit of the mountain area to be moved, or the area of the Alpine Arc to be defined. Representations that are found of the alpine limit lead us to conclude that a liminal alpine space can be constructed in both a cognitive and functional sense.
- Vers un alpinisme expérimental ? - Anne-Laure Amilhat Szary En 2011 et 2012, deux alpinistes ont fait le projet de parcourir les frontières politiques d'un pays alpin, sans avoir particulièrement connaissance du fait que ces initiatives se trouveraient liées par la coïncidence des calendriers. John Harlin et Lionel Daudet ont dit vouloir utiliser la ligne imaginaire posée par le pouvoir sur la carte et le territoire comme support pour une aventure inédite. Il s'agissait bel et bien de suivre sur tout son tracé une figure linéaire dont l'abstraction n'est généralement éprouvée qu'au moment où on la traverse. La contrainte qu'ils s'imposaient ainsi allait constituer le support d'une pratique renouvelée de l'alpinisme, du fait des terrains montagneux complexes suivis par la frontière en Suisse et en France, mais aussi à des pratiques de pleine nature diversifiées : nous proposons de la qualifier d'« alpinisme expérimental ». Ces projets marquent sans doute un tournant dans la pratique des sports de montagne où la figure des « tours » est en train de gagner ses marques de noblesse au côté des plus traditionnelles ascensions ou traversés. Mais en mettant leur corps à l'épreuve de la frontière, ces deux hommes ont montré comment l'idée de frontière « mobile » pouvait s'illustrer par un agencement constamment renégocié des spatialités engendrées par la présence d'une limite. Tout en nous proposant d'aller plus loin dans une analyse des processus corporels et affectifs qui font la complexité de notre rapport à l'espace, ils nous engagent également à ne pas faire du corps la dernière « frontière naturelle ».
- Towards experimental mountaineering? - Anne-Laure Amilhat Szary In 2011 and 2012, two mountain climbers, John Harlin and Lionel Daudet, undertook individual journeys to follow the entire political border of an alpine country, respectively Switzerland and France, each unaware of the approximate concomitance of their projects. Harlin and Daudet decided to use the imaginary line drawn on a map by political administrations as the pretext and backdrop for a totally new adventure. Their aim was to follow a border along its entire linear route, the abstract nature of which is generally only experienced when one crosses it from one country to another. The self-imposed constraints thus provided them with the basis for a new type of mountaineering, one which involved not only confronting the complex mountainous terrain followed by the borders in Switzerland and France but also practicing a variety of outdoor sporting activities: we suggest referring to this challenge as ‘experimental mountaineering'. These projects undoubtedly mark an important change in the practice of mountain sports, where the mountain tour, or circular route, is in the process of earning its place alongside the more traditional summit climbs and mountain crossings. In putting their bodies to the test in following the border, these two men have shown how the idea of the “mobile” border is able to express itself in the form of a constantly renegotiated juxtaposition of spatial characteristics generated by the presence of a limit. The exploits of Harlin and Daudet encourage us not only to go further in our analyses of the affective and physical processes of the body that contribute to the complexity of our relationship with space, but also to refrain from making the body the last “natural border”.