Contenu du sommaire : Terrains économiques

Revue Cultures & conflits Mir@bel
Numéro no 108, hiver 2017
Titre du numéro Terrains économiques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • ‪L'économie, l'international et la sociologie : combinaisons et variations‪ : Introduction - Laurent Bonelli, Laurent Jeanpierre p. 7-14 accès libre
    • ‪Lieux neutres en lutte. Consolidation inter-champs et organisation multisectorielle internationale‪ - Vincent Gayon p. 15-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Angle mort des études portant sur les organisations internationales (OI), cet article étudie les controverses que les savoirs de gouvernement qu'elles produisent suscitent ou alimentent dans les champs universitaires. Par ce biais sont mis au jour des processus de compétition et de consolidation intersectorielles, ou inter-champs, qui relient certains secteurs des organisations internationales à des secteurs universitaires. En même temps qu'ils ressourcent constamment l'expertise économique et sociale à prétention universelle que les OI estampillent, ces processus structurent l'internationalisation disciplinaire. Les débats sur le rapport McCracken de l'OCDE (1977) au sein de « lieux neutres » rendent visible la concurrence asymétrique entre savoirs d'État dans l'interprétation de la crise stagflationniste et la nature multisectorielle de l'OCDE : science politique et économie institutionnelle en affinité avec le Département des affaires sociales de l'OCDE font face à une orthodoxie macroéconomique en transformation sur laquelle pèse l'École de Chicago dans le champ des sciences économiques états-unien comme au sein du Département économique de l'OCDE. Étudier cette bataille descriptive et prescriptive informe sur la façon dont se distribue socialement la parole économique autorisée, se structure la réalité (et le « réalisme ») économique internationale et se dégagent ici certaines voies internationales du désencastrement néolibéral.

      ‪Overlooked in studies on international organizations (IO), this article examines controversies generated or reinforced in academic fields in relation to governmental knowledge produced within IOs. ‪This is done to shed light on competitive processes as well as cross-sectoral or inter-field consolidation that link some academic sectors to some sectors of international organizations. As these processes revitalize economic and social expertise that IOs have stamped as being universal, they also contribute to the internationalization of academic disciplines. Debates on the OECD's McCracken report (1977) within “neutral places” capture asymmetrical competition between state-governing expertise in interpreting the stagflationary crisis and the multisectoral nature of the OECD. Notably, political science and institutional economics linked with the OECD's Social Affairs Department face a changing macroeconomic orthodoxy, which is influenced by the Chicago School in the economics field as well as the OECD's Economic Department. This descriptive and prescriptive battle determines the social distribution of authorized economic speech, how the international economic reality (and the “realism”) is structured, and how some international processes of neoliberal disembeddness emerge.
    • ‪Quand la critique académique entre dans l'Institution : réflexions sur la structure du champ des politiques économiques‪ - Frédéric Lebaron p. 45-58 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers l'exemple de l'arrivée au pouvoir de Syriza (gauche radicale) et la nomination au poste de ministre grec des finances de Yanis Varoufakis, en janvier 2015, on peut observer de façon en quelque sorte « grossie » la tension entre deux structures emboîtées constitutives du champ des politiques économiques au sein de la zone euro : dans ce cas exemplaire, en effet, un acteur issu du champ élargi, économiste académique hétérodoxe de notoriété internationale, entre avec une visée de transformation dans le champ en sa définition la plus stricte : tout se passe alors comme si un « corps étranger » suscitait un ensemble de réactions successives conduisant à son rejet. Ces divers processus sont révélateurs des logiques ordinaires de fonctionnement du champ, dans une période où se reconfigure une orthodoxie institutionnelle dont l'efficacité est mise en cause par la crise de la zone euro.

      ‪Through the example of the arrival of Syriza (radical left) to power and the appointment of Yanis Varoufakis as Greek Finance Minister in January 2015, the tension between two interlocking structures that make up the field of economic policies in the Euro area become particularly visible. ‪In this exemplary case, an actor from the enlarged field—a heterodox academic economist of international renown—enters the restricted field with an intention of transformation. Everything thereafter happens as if a “foreign body” aroused a series of successive reactions leading to its eventual rejection. These various processes show the ordinary logics of how the field functions, at a time when an institutional orthodoxy is being reconfigured and the effectiveness of which is being called into question by the crisis in the Euro area.
    • ‪Les aléas d'une activité transnationale. Les représentants du CNPF-MEDEF à Bruxelles et les marges de l'Eurocratie depuis 1973‪ - Yohann Morival p. 59-76 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article analyse les contraintes structurant l'activité transnationale à partir du suivi de l'activité des représentants à Bruxelles de la confédération patronale française depuis 1973. De manière contre-intuitive au regard de la littérature, ces représentants patronaux à Bruxelles ont peu de ressources européennes et rencontrent rarement les membres des institutions politiques européennes. Tenus à l'écart des activités de lobbying, les délégués permanents se maintiennent en marge de l'Eurocratie. L'article identifie ainsi les différentes frontières qui contraignent la réalisation de leur activité transnationale : les concurrences internes aux espaces européen et français de représentation des intérêts patronaux ou encore les modalités de la division du travail au sein de l'organisation. Les enjeux d'une présence européenne essentiellement destinée à l'espace national éclairent in fine le fonctionnement de la confédération patronale française.
      ‪The article analyses constraints that shape transnational activity by focusing on actions led by the National Council of French Employers (CNPF-MEDEF) in Brussels since 1973. Contrary to dominant understandings in the academic literature, this group of French employer representatives have few European resources in terms of expertise and rarely meet with members of European political institutions. They are not involved in the European lobbying of their organization and they remain on the sidelines of “Eurocracy.” The article then identifies the various limits that constrain their transnational activities: competition with other employer representative organizations within European and French spaces, or the decision-making process on European subjects within the organization. Moreover, the study of this European presence which was essentially tied to stakes in the national space allows us to shed light on the inner-workings of the French employers' confederation.‪
    • ‪Le masque des experts. Puissance des chiffres et impuissance des « pauvres »‪ - Raphaëlle Parizet p. 77-105 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de la fin des années 1980 et surtout des années 1990, les organismes multilatéraux – notamment la Banque mondiale à la suite de son aggiornamento – réorientent leur activité autour de politiques sociales de lutte contre la pauvreté : l'enjeu est de contrebalancer les effets jugés a posteriori néfastes des politiques d'ajustement structurel de la « décennie perdue » selon les mots du PNUD. C'est dans ce contexte qu'on assiste au Mexique à une systématisation des politiques d'administration de la pauvreté, qui concernent majoritairement les populations indiennes du fait des constructions statistiques, et passent par la production d'indicateurs de développement dans la lignée de l'IDH inspiré par Amartya Sen et diffusé par le PNUD depuis 1990. Cet article cherche à étudier les politiques de quantification aux mains d'un système expert auquel participent acteurs nationaux (économistes, statisticiens d'État) et acteurs internationaux (des organismes multilatéraux de développement) qui contribuent à construire l'impuissance des « pauvres » que sont les populations indiennes, au nom d'une rationalité chiffrée, et pourtant masquent les rapports de pouvoir et la manière dont les différents acteurs donnent un sens au « développement des Indiens ».
      ‪From the late 1980s and especially the 1990s, international organizations – notably the World Bank, following its ‪‪aggiornamento‪‪ – reoriented their activity around social policies designed to address poverty. Their aim was to offset the harmful effects of structural adjustment plans implemented during the period identified by the UNDP as a “lost decade.” In this context, Mexico has seen the implementation of systematic poverty governance policies, mainly targeting indigenous populations based on the composition of the statistical indicators on which the organization relied. In the 1990s, the UNDP transformed the landscape of development theory, measurement, and policy with the publication of its first annual Human Development Report, based on the Human Development Index initially established by Amartya Sen. This article analyzes the politics of quantification at the hands of an expert system involving national actors (economists, state statisticians) and international actors (multilateral development organizations). In the name of quantified rationality, this expert system contributes to the identification of deprived populations – including Indigenous peoples – as powerless. Yet, expertise masks the power relations involved in this relationship and the ways in which various actors make sense of the “Indigenous' development.”‪
    • ‪Une mondialisation par le bas. Les daigous à Paris, des agents commerciaux intermédiaires entre producteurs français et consommateurs chinois‪ - Simeng Wang p. 107-128 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À l'ère numérique, le modèle traditionnel du commerce international a été profondément modifié. Traversée par les dynamiques de l'e-commerce transfrontalier, la société chinoise de consommation embrasse un nouveau mode d'achat, le daigou, caractérisé par le rôle intermédiaire que jouent les agents commerciaux Chinois d'outre-mer, entre fabricants/commerçants étrangers et consommateurs chinois. À travers une étude qualitative multi-située menée auprès de daigous, leurs vendeurs de produits français, leurs partenaires commerciaux, ainsi que de consommateurs chinois et de responsables politiques chinois, cet article offre d'abord une vision globale sur les trajectoires multiples et profils sociaux des daigous à Paris, primo-arrivants qualifiés arrivés en France après les années 2000. L'article revient ensuite sur les pratiques intraprofessionnelles de cette filière, qui ne cesse d'être ramifiée et hiérarchisée ; et également sur les activités économiques dérivées des daigous et les réseaux interprofessionnels opérés par cette économie informelle. Enfin, la contribution se propose de discuter des actions étatiques de régulation de cette filière économique, et montre dans quelle mesure, l'étude sur les activités de daigou, exemplaire d'une économie transnationale par le bas, offre un autre regard sur l'international, complémentaire à une mondialisation saisie « par le haut ».
      ‪In the digital age, the traditional model of international trade has been profoundly modified. ‪Involved in the dynamics of cross-border e-commerce, the Chinese consumer society embraces a new mode of purchase, daigou, characterized by the intermediary role played by Chinese overseas sales agents, positioned between foreign manufacturers/traders and Chinese consumers. Through a multi-sited qualitative study conducted with daigous, their French product sellers, their business partners, as well as Chinese consumers and Chinese policy makers, this article first offers a global view on multiple trajectories and social profiles of daigous in Paris – skilled newcomers who arrived in France after the 2000s. The article then presents the intraprofessional practices of this sector, which are constantly being ramified and hierarchized, as well as the economic activities derived from the daigou sector and the interprofessional networks operated by this informal economy. Finally, the contribution proposes to discuss state actions to regulate this economic sector. Overall, this article shows the extent to which the study of daigous, representative of a transnational economy, from below provides a new perspective on the international, which is complementary to analyses of globalization process “from above.”
  • Hors thème

    • ‪La raison du complot‪ : Services de renseignement, États-Unis, 1917-1941 - Alexandre Rios-Bordes p. 129-153 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose de s'interroger, à partir d'un cas historique, sur la figure du complot dans la production des bureaucraties sécuritaires contemporaines. L'objectif est de se dégager des interprétations pathologiques dominantes – qui voient d'abord dans leur complotisme tendanciel le stigmate de dérèglements idéologique, psychologique ou bureaucratique – pour montrer, à partir d'une description très précise des opérations intellectuelles et matérielles de production de ces savoirs singuliers, que l'explication par le complot est une proposition ordinaire que l'ensemble du dispositif sollicite, encourage, nourrit, conforte même, et éprouve aussi, en fonction des conceptions transitoires de la menace. Il s'agit ainsi de montrer que l'hypothèse conspiratoire s'inscrit ainsi, en quelque sorte dès l'origine, au plus profond du dispositif du renseignement de sécurité, au cœur de l'espace ouvert par la contradiction fondamentale entre dire le vrai et penser les possibles.
      ‪Through a historical case study, this article is addressing the question of the widespread presence of the conspiracy scheme in the production of contemporary security bureaucracies. The existing scholarship primarily sees conspiratorial tendencies as the stigmas of ideological, psychological or bureaucratic malfunction. A precise description of the intellectual and material operations involved in producing this peculiar form of knowledge reveals another story: that such speculations are actually requested, encouraged, nurtured, and even confirmed to a certain extent by the entire system, while constantly being put to the test by current conceptions of threat. We therefore argue that the ‘conspiracy hypothesis' has been deeply embedded into the discourses and practices of counterintelligence from the outset. Conspiracies are therefore at the heart of the fundamental contradiction between telling the ‪‪accurate‪‪ and anticipating the ‪‪possible‪‪.‪