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Revue | Métropoles |
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Numéro | no 22, 2018 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Comment penser l'informalité dans les villes « du Nord », à partir des théories urbaines « du Sud » ? - Sébastien Jacquot, Marie Morelle Depuis la seconde moitié des années 2000, plusieurs auteurs anglophones discutent de la place des villes du Sud au sein des études urbaines, souhaitant rompre avec une approche jugée normative. Il s'ensuit la constitution d'un réseau avec des publications collectives à l'appui, pensé comme la pierre d'angle d'un travail de déstabilisation des paradigmes issus « du Nord » et d'une nouvelle problématisation des théories urbaines, depuis des approches provenant des Suds. La notion d'informalité urbaine devient pour certains un élément central de leur réflexion et de cette déstabilisation. Prenant acte de ce renouveau, nous proposons à notre tour de discuter de cette partition entre le « Nord » et le « Sud » dans les études urbaines et en aménagement à partir de cette notion. Cette dernière étant largement construite à partir de l'étude des villes du Sud, quelle peut être la portée de l'informalité pour comprendre des situations urbaines dans les villes du Nord ? Opérant un glissement de l'informalité économique vers l'informalité politique, nous proposons d'analyser les reconfigurations de l'action publique en ville, en dépassant la partition Nord-Sud souvent structurante des études urbaines. Nous prêtons attention à la diversité des registres de l'action publique, conduisant à tolérer voire à organiser des activités économiques informelles exercées à des fins de subsistance. Nous prenons appui sur des recherches conduites dans plusieurs contextes urbains (migrants et commerce ambulant dans la ville de Gênes, activités économiques informelles en Seine-Saint-Denis, en particulier la « mécanique de rue ») croisées avec une lecture critique de l'état de l'art.Since the mid-2000's, several Anglophone authors have reevaluated the role of cities from the Global South within urban studies and the production of urban theory, seeking to break with the previous normative approach. As a result of this changing epistemological perspective, a network has been created to destabilize Northern theory and to problematize urban theory from the South. The concept of urban informality has become a key notion in this reproblematization of urban studies from the South. Taking into account these epistemological dynamics, our aim is to investigate this north-south divide within urban and planning studies. To what extent can the notion of informality, which was developed to explain southern urban societies, also be useful to understand urban dynamics in the North? Building on a shift from economic informality to political informality, we study the reconfigurations of public policies in cities spanning the north-south divide. We focus on the plurality of public policies and the ways in which they tolerate, or in some cases regulate, informal economic activities. This research is based on a critical theoretical analysis as well as field observations of street vendors and migrants in Genova (Italy) and street car repair in Seine Saint Denis (Paris suburbs).
- Analyser politique et savoir en action. Éclairages à partir du cas de la couverture de l'A6b - Caroline Gallez Cet article aborde la question du rapport entre normes et action dans le champ de l'urbanisme à travers une analyse pragmatique de l'action publique locale. Le mot « norme » est entendu au sens de règle à laquelle les acteurs sont censés se conformer, soit parce que cette règle présente un caractère prescriptif, soit parce qu'il s'agit d'un principe renvoyant à des valeurs sociales dominantes. La perspective choisie ne vise pas à évaluer la mise en œuvre des normes ou leurs effets, mais plutôt à produire une analyse réflexive des conditions de transformation des normes dans le processus de fabrique de l'action collective. Plus spécifiquement, nous discutons de l'intérêt de transposer la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud (1989) à l'analyse de la « régulation publique territoriale », c'est-à-dire des processus à travers lesquels des acteurs publics d'échelles différentes, agissant sur un territoire donné, confrontent leurs règles et se mettent d'accord autour d'un système de règles partagées. Cette approche est appliquée au cas du projet de couverture de l'autoroute A6b, caractérisé par une forte conflictualité des enjeux techniques, environnementaux et sociaux. Alors que l'approche par la régulation publique territoriale se révèle pertinente pour comprendre la manière dont se définissent les problèmes publics et dont se résolvent les conflits dans des contextes locaux spécifiques, elle soulève la question de la portée critique de l'analyse et de la prise en compte des déséquilibres entre les acteurs dans la production des accords.This paper tackles the issue of the relation between norm and action in the field of urbanism, by using a pragmatic analysis of local policies. Norm here means a rule that actors are supposed to comply with, whether because it is prescriptive or because it refers to a dominant social value. Rather than assessing the way in which the norms are implemented or the effects they may produce, the purpose is to produce a reflexive analysis of their transformations through the public action making process. More specifically, we propose to adapt Jean Reynaud's (1989) theory of social regulation to the analysis of what I call “territorial public regulation”, that is the process in which public actors of different levels are confronting their own rules and finally mutually adjust on shared rules. This approach is applied to the case of the covering of the A6 motorway, which is characterized by conflicting technical, environmental and social issues. While it proves relevant in understanding how public problems are formulated and conflicts are solved in specific local contexts, it raises the question of its critical scope and how to take account of uneven balance of power between the different stakeholders.
- Redresser la ville de Nice. Les enjeux d'une succession politique au milieu des années 1990 - Stéphane Cadiou Cet article s'intéresse à une situation de succession politique apparue à Nice dans les années 1990 à la suite de la fuite de Jacques Médecin et l'arrivée au pouvoir de Jacques Peyrat. Alors que les travaux privilégient traditionnellement les périodes de stabilité dans l'analyse de la gouvernance urbaine, l'étude de ce cas permet de réfléchir sur les conditions et modalités d'un changement politique. Elle croise les logiques de compétition politique et d'action publique pour éclairer la difficulté à construire un nouvel ordre politique. Elle offre l'opportunité de remettre sur le métier les enjeux de leadership et de révéler les logiques diffuses du pouvoir urbain contemporain.This article examines a situation of political succession appeared in Nice in the 1990s following the flight of Jacques Médecin and the arrival of Jacques Peyrat in the municipality. While research traditionally favors periods of political stability in urban governance, this case makes it possible to reflect on the conditions and modalities of political change. The study combines the logics of political competition and public policy to clarify the difficulty of building a new political order. It offers the opportunity to analyze the issues of leadership and the diffuse logics of urban power.
- Existe-t-il un modèle barcelonais ? Retour sur quarante années de politiques urbaines à Barcelone (1976-2016) - Mariona Tomàs, Emmanuel Négrier A l'heure où les politiques des métropoles semblent suivre un cours de plus en plus convergent, nous nous interrogeons sur quarante ans de politique urbaine dans la ville qui a longtemps été considérée comme un modèle à part : Barcelone. Examiner ces politiques dans la durée, c'est mettre à l'épreuve cette notion de modèle. Notre analyse du développement de la ville s'est fondée sur deux études parallèles : une étude de l'évolution des rapports entre politiques publiques, système politique et intérêts privés, d'une part, et une focale sur un secteur particulier, l'immobilier, d'autre part. Chacune des deux donne une image de l'évolution des relations public-privé qui fondent le « modèle ». L'influence du gouvernement urbain sur l'économie, si elle a perdu de la substance, demeure, de façon différenciée selon les dossiers, une clef du développement. Dans le secteur immobilier lui-même, et l'alternance de 2015 le confirme, certains sous-secteurs témoignent d'un changement. Mais d'autres, d'abord pour des raisons liées à des contrats précédemment passés avec la majorité antérieure, puis en fonction du rapport de force lié à une coalition qui gouverne avec une simple majorité relative, sont largement parvenus à résister à tout aggiornamento des politiques de logement. Notre conclusion est que, au vu des permanences mais aussi des ruptures dans ces politiques urbaines, la notion de modèle barcelonais doit être dépassée. Cependant, il demeure une singularité relative que la notion de régime politique urbain permet d'identifier et de mettre en perspective.At a time when metropolitan policies seem to follow a course more and more convergent, we analyse forty years of urban policy in the city that has long been considered a specific model : Barcelona. To examine these policies over time is to test this notion of model. Our analysis of the development of the city is based on two parallel studies : that of the evolution of relations between public policy, political system and private interests, on the one hand, and a focus on a particular sector, real estate, on the other hand. Each of them gives an image of the evolution of the public-private relations which founds the "model". The influence of the urban government on the economy, although it has lost its substance, remains, in different ways depending on the issues, a key to development. In the real estate sector itself, as the alternation of 2015 confirms, some sub-sectors reflect a change. But others, first for reasons related to previous contracts with the previous majority, and then according to the balance of power of a coalition that governs with a simple relative majority, have largely managed to resist any aggiornamento of housing policies. Our conclusion is that, in view of the permanences but also the breaks in these urban policies, the notion of Barcelona model must be overcome. However, it remains a relative singularity that the notion of urban political regime can identify and put into perspective.
- Les citadins, un désir de nature « sous contrôle », « fleurie et propre » - Amélie Robert, Jean Louis Yengué Les espaces de nature participent à la qualité de vie en ville : l'idée est désormais acquise ; les bénéfices pour les usagers sont nombreux. Les villes en ont conscience et elles utilisent ces espaces comme argument de séduction, pour attirer de nouveaux habitants ; leurs élus les exploitent aussi, comme argument électoral. Les espaces verts concourent à améliorer l'image des villes, à les rendre attractives.Dans le cadre du projet de recherche SERVEUR, financé par la région Centre-Val de Loire, nous nous sommes intéressés aux services écosystémiques culturels et à la consommation des espaces de nature dans des villes moyennes. Dans cet article, nous interrogeons plus particulièrement cet attrait exercé par les espaces verts : quelle nature en ville le citadin désire-t-il ? Cette nature prend des formes diverses, du parc d'agrément fortement ordonné aux bois et parcs naturels, où la végétation croît plus spontanément. Quel type d'espaces verts les citadins plébiscitent-ils le plus ? Comment les gestionnaires intègrent-ils cette préférence ? Afin d'identifier la demande de nature des citadins, à travers leurs usages et perceptions, et les pratiques de gestion résultantes, mises en place par les acteurs municipaux, nous avons mené des observations et entretiens dans six villes moyennes de la région Centre-Val de Loire. De ce travail, il ressort que la nature urbaine doit être maîtrisée, pour les deux publics, mais les justifications diffèrent.Pour les habitants, l'espace vert urbain est d'abord un espace de quiétude, récréatif, sécurisé et entretenu. Les usages confirment cette idée. Les bois et espaces semi-naturels sont moins fréquentés que les parcs d'agrément. Le citadin déclare apprécier la nature. Il réclame sa présence en ville. Mais il se plaint aussi des désagréments engendrés auprès des gestionnaires : il veut une nature qui ne salit pas et voit dans le développement spontané de la végétation un manque d'entretien. Pour les gestionnaires, la perception de la nature par le citadin est antinomique ; il veut les avantages sans les inconvénients. Il désire en fait une nature « sous contrôle ».Les acteurs municipaux chargés des espaces verts abondent dans le même sens. Ils déclarent vouloir « plus de nature », mais devoir se conformer aussi aux attentes des citadins. En effet, les gestionnaires souhaitent que leurs espaces verts soient fréquentés et les élus ont intérêt à satisfaire la demande de leurs électeurs. Alors que la gestion différenciée s'impose dans toutes les villes, encouragée par les politiques publiques, les espaces verts, même les moins entretenus, ne doivent pas apparaître négligés aux yeux des habitants. Les dynamiques naturelles sont encadrées pour éviter toute « dérive » (herbes hautes, chute de feuilles, pollen…).Les gestionnaires tentent de satisfaire le désir de nature urbaine qu'exprime le citadin, un désir paradoxal qui laisse finalement bien plus de place à une nature maîtrisée, « sous contrôle » qu'à une nature spontanée.Natural spaces contribute to the urban quality of life: the idea is now assured. They provide numerous benefits to the users. Cities are aware and they use these spaces as seductive argument to attract new inhabitants. Their elected representatives also exploit them as electoral argument. Green spaces play a part in improving the image of cities, to make them attractive.In the framework of the research project SERVEUR, funded by the French region Centre-Val de Loire, we focused on cultural ecosystem services and the use of natural spaces in medium cities. In this article, we particularly question the attraction exerted by green spaces: what kind of urban nature city dweller wants? This nature comes in various forms, from the ornamental garden, which is highly ordered, to the forest and natural park, where vegetation grows more spontaneously. What urban green spaces city dwellers approve better? How managers integrate this preference? We conducted observations and interviews in six medium cities in the French region Centre-Val de Loire, with two purposes:- to know the request of nature from city dwellers, through their uses and accounts,- to identify the resulting management practices, which municipal actors implement.This work shows that urban nature must be “under control” for both publics but their justifications are different.For inhabitants, the urban green space is first a quiet, recreational, secured and maintained space. Uses confirm this idea. Forests and semi-natural areas are less busy than ornamental gardens. City dweller declares that he appreciates nature. He asks for its presence in the city. But he also complains to managers about resulting inconveniences: he wants a nature, which doesn't get dirty and he considers the spontaneous development of vegetation as a lack of maintenance. For managers, the perception of nature by city dweller is antagonistic; he wants benefits without disadvantages. In fact, he wants a nature “under control”.The municipal actors in charge of green spaces argue in the same direction. They say that they want “more nature” but that they also have to meet the expectations of city dwellers. Indeed, managers want that their parks are used and the elected representatives have an interest to meet the request of their electors. While differentiated management, with a declining use of chemical pesticides, stands out in all cities in France, encouraged by public policies, green spaces, even the less maintained ones, should not appear neglected for inhabitants. The natural dynamics are supervised to avoid “excesses” (tall grasses, fall of leaves, pollen...).The managers try to meet the desire of urban nature that city dweller shows. This desire is paradoxical and leaves more space to a managed nature, a nature “under control” than a spontaneous one.
- Le logement comme clé pour le droit à la ville des femmes - Marie-Eve Desroches Des féministes à travers le monde se mobilisent pour leur droit à la ville. Ces dernières luttent contre les dynamiques capitalistes et patriarcales qui induisent d'importants freins à leur participation sociopolitique et à leur appropriation des ressources et des opportunités urbaines. Parmi les diverses luttes et écrits qui traitent du droit à la ville, le logement constitue un important point de convergence. En effet, son accès apparaît comme une condition préalable à l'exercice de ce droit collectif. Cependant, la plupart des auteurs et mouvements sociaux qui ont recours à cette notion considèrent le capitalisme comme principale structure impliquée dans l'urbanisation ; c'est pourquoi le droit à la ville est généralement envisagé comme une lutte de classes. Notre étude de cas sur des mobilisations urbaines féministes pour le droit au logement démontre que le capitalisme et le patriarcat sont deux systèmes consubstantiels qui empêchent les femmes de s'approprier les logements de leur quartier et de participer à sa revitalisation. Pour prendre en considération l'influence du système patriarcal, la notion de droit à la ville doit être élargie ou du moins adaptée en intégrant plusieurs approches de la justice pour permettre des revendications et pratiques de luttes féministes.Feminists around the world are claiming their right to the city. They fight against the capitalist and patriarchal dynamics that cause significant obstacles to socio-political participation and appropriation of urban resources and opportunities. Among the wide diversity of struggles and writings using the right to the city, housing is an important point of convergence because it appears as an important prerequisite to ensure the participation and the appropriation of the city. However, most social movements and academics that are using this concept consider capitalism as the main mechanism involved in urbanization that is why the right to the city is generally considered as a class struggle. Our case study on urban feminist mobilizations for the right to housing underlies the consubstantiality of patriarchy and capitalism that impede women to appropriate housing and participate in the revitalization of their neighborhood. To consider the influence of patriarchy, the conceptualization of the right to the city must be broadened or at least adapted to integrate various approaches to justice to enable feminist claims and mobilizations.
Recensions
- Pierre-Édouard Weill, Sans toit ni loi ? Genèse et conditions de mise en œuvre de la loi DALO - Franck Suazo-Martin
- Cox Kevin, The Politics of Urban and Regional Development and the American Exception - Gilles Pinson
- Marie Chabrol, Anaïs Collet, Matthieu Giroud, Lydie Launay, Max Rousseau, Hovig Ter Minassian, Gentrifications - Mathieu Van Criekingen