Contenu du sommaire : Historiographies après 1989 : La Russie et l'Europe médiane au XXe siècle

Revue Revue d'études comparatives Est-Ouest Mir@bel
Numéro vol. 45, no 2, juin 2014
Titre du numéro Historiographies après 1989 : La Russie et l'Europe médiane au XXe siècle
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier: Historiographies après 1989 : La Russie et l'Europe médiane au XXe siècle

    • Introduction - Korine Amacher, Paul Gradvohl p. 5-23 accès libre
    • New Imperial History. : Post-Soviet historiography in search of a new paradigm for the history of empire and nationalism - Marina Mogilner p. 25-67 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les principales pistes empruntées depuis 1994 et la dissolution de l'Union soviétique pour explorer le passé impérial et national de la Russie et de l'URSS sont examinées. La renaissance de l'historiographie nationale est située dans le contexte épistémologique et politique de la post-modernité. Celui-ci associe des paradigmes de la fin du 19ème siècle avec le concept soviétique d'« ethnos » et avec une sensibilité postcoloniale. Le problème de l'histoire nationale des Russes est envisage par rapport à ce fond complexe, méthodologique et idéologique. L'évolution de l'histoire impériale est retracée depuis la redécouverte, centrée sur l'État, de l'« empire » jusqu'aux diverses interpretations qui font de l'empire le cadre général de l'histoire enchevêtrée de cette région. Le nouveau paradigme de l'histoire impériale est, ensuite, présenté. Il prête attention à la « situation impériale » des sociétés complexes et à une diversité irrégulière à plusieurs strates. Grâce à cette lecture de l'histoire, les études sur les empires russe et soviétique, ainsi que les États qui leur ont succédé, sont d'une grande importance internationale. C'est un champ d'intense activité universitaire.

      The main trends are examined in historical reflection, since 1991 and the dissolution of the Soviet Union, on the imperial and national past of Russia and the USSR. The revival of national historiography is placed in the epistemological and political context of postmodernity, which fuses late 19th-century paradigms with the Soviet concept of “ethnos” and with postcolonial sensitivities. The problematic national history of Russians is seen in relation to this complex methodological and ideological background. The evolution of imperial history is traced from the statecentered rediscovery of “empire” to different interpretations of “empire” as a general framework for the region's entangled history. The new paradigm of imperial history is then introduced with its focus on the “imperial situation” of complex societies and multilayered, irregular diversity. This understanding of imperial history is precisely what has made studies of the Russian Empire relevant internationally. Students of the Russian and Soviet empires and their successor states have much to contribute to this field of intense scholarly activity.
    • Émigration, Étranger Ou diaspora ? : Réflexions sur la transformation des termes et des concepts dans l'historiographie Russe Contemporaine - Marina Sorokina p. 69-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les réflexions que nous proposons portent sur un aspect particulier des sciences de l'histoire : la création d'un dictionnaire biographique des scientifiques russes à l'étranger dans la première moitié du XXe siècle, qui ne peut être envisagée sans élaborer un cadre conceptuel et terminologique en amont. Or les chercheurs appréhendent « l'étude de l'émigration » et la situent de façons diverses dans le champ de l'histoire de la Russie : leurs interprétations de termes fondamentaux tels que « émigration » (emigracija) et « étranger » (zarubež'e), « russkij » et « rossijskij » variant considérablement. De nombreux historiens de l'émigration regrettent un certain vide conceptuel dans ce domaine et insistent sur la nécessité de revoir et de repenser les anciennes analyses du phénomène de l'« émigration russe » (russkaja emigracija). Ce vide nous amène à nous interroger sur la définition de notre objet d'étude : en quels termes doit-on décrire le phénomène culturel et historique de la diaspora et selon quelles catégories : dans celles de l'histoire nationale et/ou de la mémoire collective (communes et parallèles), ou dans les catégories de l'histoire transnationale développée actuellement ? Les réflexions qui suivent sont une étape dans la recherche de réponses à ces questions.

      This article, not strictly speaking a historiography, focuses on the drafting of a biographical dictionary of Russian scientists who lived abroad during the first half of the 20th century. This work necessitates, beforehand, a conceptual and terminological framework. Researchers have different ideas about how to study emigration and do not share a view of how this phenomenon fits into Russian history. Furthermore, their interpretations of fundamental concepts, such as “emigration” (emigracija) and “foreign” (zarubež'e), “russkij” and “rossijskij”, diverge. Deploring the conceptual vacuum in emigration studies, several historians insist on the need to review and overhaul preceding approaches to analyzing Russian emigration (russkaja emigracija). Given this vacuum, broader questions arise about how to define this field of study. What terms and categories are to be used to describe the cultural and historic phenomenon of the diaspora — a national history and/or a collective memory, in common or in parallel, or the transnational history currently being written?
    • Soviétisation et désoviétisation de l'histoire en Ukraine : Aspects institutionnels et méthodologiques - Andriy Portnov p. 95-127 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'historiographie ukrainienne est analysée à travers le prisme des transformations institutionnelles et des évolutions méthodologiques, de l'URSS à l'Ukraine post-soviétique. L'auteur montre les éléments de distinction de l'historiographie de la république d'Ukraine par rapport à la Russie, pendant l'époque soviétique, remettant en question la vision habituelle de la science historique ukrainienne considérée comme une victime du totalitarisme. Avec les changements de la fin des années 1980-début des années 1990, l'organisation universitaire et académique héritée de la période soviétique devient le vecteur d'un nouveau contenu idéologique. Ľauteur constate une « dé-modernisation » de la science historique en Ukraine, sous ľeffet du développement du « narratif national ukrainien ». Ľhistoriographie ukrainienne postsoviétique, qui a adopté la terminologie et les théories « occidentales », est passée du langage de la lutte de classes à celui de la « renaissance nationale ».

      Ukrainian historiography from the time of the USSR till post-Soviet Ukraine is analyzed through the prism of changes in institutions and methodology. Elements in the historiography of the Ukrainian Republic's relation with Russia during the Soviet era take issue with the usual view that the Ukrainian science of history had fallen victim to totalitarianism. In the context of changes at the turn of the 1990s, the academic organization inherited from the Soviet period was maintained while becoming the vector of a new ideological content. A “de-modernization” of history can be observed in Ukraine owing to the development of a “national Ukrainian narrative”. Post-Soviet Ukrainian historiography has adopted “Western” terminology and theories while switching references from the class struggle to the “national renaissance.
    • Révolutions et révolutionnaires en Russie : Entre rejet et obsession - Korine Amacher p. 129-173 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Jusqu'à la perestroïka, le mouvement révolutionnaire russe du XIXe siècle et la révolution d'Octobre 1917 ont été placés au cœur de l'historiographie soviétique. Toutefois, dès la fin des années 1980, le modèle révolutionnaire se délite rapidement. En Russie, les phénomènes révolutionnaires sont désormais considérés comme porteurs de violence et de destruction. Les transformations des représentations du passé révolutionnaire en Russie depuis la perestroïka et jusqu'à nos jours seront analysées à travers les discours des élites politiques et dans la production historique et didactique. Nous verrons également que le passé révolutionnaire, convoqué de façon permanente dans la sphère politique et intellectuelle, continue à être l'objet de polémiques, ce qui n'aide pas les historiens à prendre de la distance avec leur objet d'étude. Enfin, à à la veille du centième anniversaire de 1917, une nouvelle vision semble émerger, en particulier dans la production didactique : celle d'une « Grande révolution russe », qui assemble Février, Octobre et la guerre civile en un seul bloc. Elle pointe la dimension tragique de ces événements mais affirme que la Russie en est sortie plus forte qu'auparavant, sous forme d'URSS.

      Till the perestroika, the 19th-century Russian revolutionary movement and the Revolution of October 1917 were the centerpiece of Soviet historiography. At the end of the 1980s, the “model” of the revolution had started eroding. In Russia, revolutionary phenomena are now seen in terms of violence and destruction. Changes in the way of looking at the country's revolutionary past since perestroika are analyzed through the discourses of the ruling class and the historiography. Evoked constantly in politics and intellectual debates, the revolutionary past is still controversial — this keeps historians from stepping back from the subject under study. On the eve of the centennial of 1917, a new view seems to be taking shape, at least in history books. This view of the “Great Russian Revolution”, which lumps together February and October 1917 and the civil war, focuses on the tragedy of these events but claims that Russia came out stronger in the form of the USSR.
    • Europe centrale, Europe de l'Est, « terres de sang » et autres « éclats d'empires » au XXe siècle. : De l'ombre portée des puissances À une existenceen soi de l'Europe médiane ? - Paul Gradvohl p. 175-214 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'écriture de l'histoire du XXe siècle est dominée par des histoires nationales et des perspectives géopolitiques qui mettent en avant les grandes puissances, ce qui rend marginaux les territoires situés entre Allemagne et Russie. Mais l'historiographie de cette zone depuis la fin du communisme étatique en Europe a connu une évolution qui en fait un terrain fécond de réflexion utile aussi aux non-spécialistes. Revenir sur la définition du périmètre de l'Europe médiane montre combien la mise en espace fonctionne en écho avec le choix des acteurs mis en avant ou en retrait et induit une chronologie. C'est manifeste dans l'inscription des violences de masse des années trente et quarante dans un mouvement qui commence en 1905, et dans la façon dont le communisme a créé des conditions particulières de (non) prise en charge collective de celles-ci après 1945. Sur cette base il est proposé d'interroger les questionnements sur l'évolution de cette région pendant le long XXe siècle à l'aune de la brutalisation (Mosse) et de la gouvernementalisation (Foucault). Pour conclure les enjeux généraux d'une telle approche transnationale de la région sont présentés.

      National histories and geopolitical approaches prevail in the writing of the history of the 20th century — with focus on the great powers, thus pushing the part of Europe between Germany and Russia out into the margins. The historiography of this region since the end of Communism has become a fertile ground for reflection, for nonspecialists as well. By reviewing the definition of middle region's perimeter, we come to see how much the description of this middle land reflects the image of the powers (whose roles are seen as more, or less, important) and implies a chronology. This is obvious in the way that the mass violence of the 1930s and 1940s has been fit into a movement starting in 1905. It can also be seen in explanations of how Communism created the conditions for (not) assuming this violence after 1945. In reference to the concepts of “brutalization” (Mosse) and “governmentalization” (Foucault), questions are raised about trends in this region during the 20th century. The general issues raised by such a transnational approach to middle Europe are discussed.
    • POST-1989 historiography's distorted image of the relation between authorities and society in Poland during the period from 1944 to 1989 - Dariusz Jarosz p. 215-240 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Après 1989, la volonté, tout à fait normale, d'effacer les mensonges et de renseigner les blancs de l'histoire de la période précédente a produit une interprétation de la République populaire de Pologne qui est excessivement unilatérale. Ce régime est ainsi présenté comme un système uniquement répressif qui mettait en oeuvre des objectifs imposés par le Parti communiste le Parti ouvrier unifié polonais avec, derrière lui, le Parti communiste de l'Union soviétique et maintenait un état de conflit, tenace et permanent, avec la société. Cette interprétation est mise en avant dans des études de recherche, notamment au début de la décennie 1990, sur les crimes commis par le système stalinien et la répression exercée par celui-ci, et sur la résistance sociale et l'opposition politique à ce régime. Si le régime communiste en Pologne doit être condamné pour des raisons axiologiques, il fut, néanmoins, accepté ou toléré comme un fait dont il fallait prendre acte lors de la poursuite des “intérêts quotidiens”. En guise de démonstration, la notion de “petit individualisme” proposé par Winicjusz Narojek, un sociologue polonais, est utilisée pour conduire une analyse de la politique du logement dans les années 1970s.

      The article interprets the relations between the Polish authorities and society 1944-1989 in post-1989 historiography. The author argues that after 1989 the natural desire to remove the lies and fill in the blanks has also led to an excessively one-sided view of the Polish People's Republic (PRL) as a structure that was solely repressive, implementing aims imposed by the Communist Party (the Polish United Workers Party – PZPR) and behind it, the CPSU, which remained in unrelenting and unmitigated conflict with society. This tendency has found expression primarily in the selection of research topics, especially at the beginning of the 1990s, concentrating on the repression and crimes of the Stalinist system on the one hand, and social resistance and political opposition on the other. The author (along with some Polish sociologists) considers that while the communist system in Poland could be rejected in the axiological sense, it was accepted or tolerated as a fact in the sphere of ‘daily interests'. To demonstrate this he uses the category of ‘small individualism' proposed by the Polish sociologist Winicjusz Narojek and applies it to the analysis of housing policy in the 1970s.
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