Contenu du sommaire : La justice sociale dans un monde global

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 263, avril-juin 2018
Titre du numéro La justice sociale dans un monde global
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • La justice sociale dans un monde global. L'Organisation internationale du travail (1919-2019) - Sandrine Kott p. 3-14 accès libre
  • L'OIT et la production d'un savoir social et économique

    • L'unification du mouvement coopératif au Bureau international du travail : la « révolution silencieuse » d'Albert Thomas - Marine Dhermy-Mairal p. 15-29 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article décrit un projet porté par Albert Thomas, directeur du Bureau international du travail entre 1919 et 1932 : rapprocher les coopératives agricoles de production des coopératives de consommation, afin de transformer le régime capitaliste en un régime de justice sociale. Il s'agit, à l'instar du programme d'économie sociale de Charles Gide, de sortir d'une conception misérabiliste de la coopération pour en faire un instrument plus général de transformation économique et sociale du monde marchand. Ce projet, dont les fondements intellectuels sont exposés dans cet article, est aussi étudié au prisme des activités du Bureau international du travail, dont le point d'orgue fut la constitution en 1932 d'un Comité international des relations intercoopératives.
      The Unification of the Cooperative Movement at the International Labour Office: Albert Thomas's “Silent Revolution” (1919-1932)This paper describes a project spearheaded by Albert Thomas, Director of the International Labour Office (ILO) from 1919 to 1932: bringing together farm production cooperatives and consumers' cooperatives in order to transform the capitalist regime into one based on social justice. Following the lines of Charles Gide's social economics programme, the aim was to leave behind a view of cooperation as being synonymous with poverty to make it a broader instrument for the economic and social transformation of the commercial world. This project, whose intellectual foundations are described in this paper, is also studied through the perspective of the ILO's activities, with the 1932 keystone event of the creation of an International Committee for Inter-Cooperative Relations.
    • La justice sociale par les statistiques ? Le cas des accidents d'attelage des wagons de chemins de fer (1923-1931) - Laure Piguet p. 31-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir des négociations, qui se sont déroulées dans l'Europe de l'entre-deux-guerres, concernant l'opportunité d'installer l'attelage automatique – une innovation technologique destinée à mieux protéger les cheminots – sur les wagons de chemins de fer, cet article traite du rôle attribué aux statistiques du travail par l'Organisation internationale du travail. Bien que ces données aient été centrales dans l'action du Bureau international du travail, secrétariat de l'institution, leur production et leurs usages restent sous-étudiés. La mesure du risque encouru lors de la manœuvre d'accrochage des wagons devenant l'objet de conflits entre différents acteurs, ce cas permet notamment de mettre en lumière les obstacles rencontrés par l'institution pour internationaliser un savoir scientifique, les enjeux qui entourent l'élaboration de statistiques internationales et les limites de l'utilisation de données quantitatives dans le dialogue social.
      Social Justice through Statistics? The Case of Locomotive Coupling Accidents (1923-1931)Based on negotiations in Interwar Europe regarding the implementation of automatic locomotive coupling–a technical innovation aimed at better protecting railway workers–for railway carriages, this paper focuses on the role given to the International Labour Office's (ILO) labour statistics. While this data was crucial for the ILO's activities, little attention has been paid to how it was produced or used. Measuring the risks while manually coupling carriages became a source of conflict for various stakeholders, and this case notably sheds light on the obstacles that the ILO faced in internationalising scientific knowledge, as well as the stakes around creating international statistics and the limitations of using quantitative data for social dialogue.
    • Le parent pauvre de la gouvernance économique mondiale ? L'OIT face aux crises de 1929 et de 2008 - Marieke Louis p. 45-59 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Organisation internationale du travail (OIT) compte-t-elle dans l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial ? Depuis sa création, l'institution entend s'inscrire au premier plan des débats économiques et sociaux, en participant aux grandes conférences économiques internationales. Cette participation débouche-t-elle pour autant sur une plus grande influence de l'Organisation ? À la veille de son centenaire, celle-ci est-elle condamnée à demeurer le « parent pauvre » de la gouvernance économique mondiale ? Cet article entend répondre à ces questions en comparant les réactions de l'OIT face à deux crises économiques majeures des XXe et XXIe siècles : celle de 1929 et celle de 2008. Ces crises donnent à l'Organisation l'occasion de mettre en avant des propositions en matière de politique économique, relatives aux travaux publics dans l'entre-deux-guerres et au Pacte mondial pour l'emploi dans le contexte de la crise de 2008.
      The Poor Cousin of Global Economic Governance? The ILO Facing the Crises of 1929 and 2008Does the International Labour Office (ILO) carry weight in creating global economic policy? Since it was founded, the ILO has aimed to be a leading player in economic and social debate by participating in major international economic conferences. However, does this participation lead to greater influence for the ILO? As it is about to celebrate its centenary, is the ILO forced to remain the ‘poor cousin' of global economic governance? This paper endeavours to answer these questions by comparing the ILO's reactions to two major economic crises of the 20th and 21st centuries: 1929 and 2008. These crises gave the ILO an opportunity to highlight economic policy proposals, related to public works in the Interwar period and to the Global Jobs Pact during the 2008 crisis.
  • La justice sociale pour toutes et tous ?

    • Promouvoir la santé au travail comme droit social (1919-1940) ? - Isabelle Lespinet-Moret p. 61-76 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au titre des principes fondateurs de justice sociale et d'universalité des droits sociaux liés au travail, et afin d'améliorer les conditions de travail et de préserver la santé des travailleurs, l'Organisation internationale du travail (OIT) se préoccupe d'hygiène industrielle, de maladies professionnelles, d'accidents du travail et d'exposition au danger industriel de certaines catégories de main-d'œuvre. La santé des travailleurs est conçue comme un bien commun, que l'OIT doit défendre par la réparation et la prévention. La politique du Bureau international du travail est d'en faire un droit social, au même titre que l'assurance sociale, la réduction du temps de travail ou le droit syndical. Les revendications ouvrières et syndicales d'un droit à la santé convergent avec les préoccupations du camp de la réforme sociale, inquiet des risques de délitement du corps social, mais se confrontent aux intérêts économiques de l'industrie, dans un contexte de reconstruction, de concurrence, de développement et de crise. La question doit se résoudre en un compromis politique.
      Promoting Health in the Workplace as a Social Right (1919-1940)?
      As a founding principle of social justice and the universality of labour-related social rights, and to improve working conditions and preserve workers' health, the International Labour Office (ILO) addresses industrial hygiene, work-related illnesses, work accidents and exposure to industrial hazards for certain categories of the workforce. Workers' health is viewed as a common good that the ILO must defend by prevention and reparation. The ILO's policy is to make this a social right, just like social security, reducing working hours or the freedom to form a union. Workers' and unions' demands for a right to health converge with the concerns of the social reformist camp, which is worried about the risks of breakdown of the social body, but they face the economic interests of industry in a context of reconstruction, competition, growth and crisis. The issue must be resolved through political compromise.
    • Femmes britanniques et pratiques internationales de justice sociale dans la première moitié du XXe siècle - Olga Hidalgo-Weber p. 77-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article questionne le lien entre l'émancipation politique des femmes britanniques, obtenue en 1918 dans leur pays, et leurs carrières dans les organisations internationales créées en 1919 : la Société des Nations et l'Organisation internationale du travail (OIT). Les relations entre la nation britannique et ces organisations sont examinées, afin de cerner les réseaux susceptibles de favoriser les carrières féminines à l'échelle internationale. Différents exemples illustrent la manière dont certaines femmes britanniques contribuent à l'internationalisation de la justice sociale dans l'entre-deux-guerres, pour le bénéfice des travailleurs de leur pays et des colonies. Les raisons et les moyens mobilisés par ces femmes sur la scène internationale mettent en lumière l'usage qu'elles font de l'OIT pour poursuivre des combats freinés sur la scène domestique. Certaines d'entre elles possèdent une expertise en matière sociale, dont les fonctionnaires de l'Organisation tirent parti. Inversement, l'OIT leur sert de caisse de résonance et permet d'observer ce qu'elles retirent de cet investissement.
      British Women and International Social Justice Practices (First Half of the 20th Century)This paper looks at the ties between the political emancipation of British women, achieved in 1918 in the UK, and their careers in the international organisations created in 1919: the League of Nations and the International Labour Office (ILO). The relations between the UK and these organisations are examined to pick out the networks that fostered the careers of women internationally. Various examples illustrate how certain British women contributed to the internationalisation of social justice in the Interwar period, for the benefit of workers in their country and in the colonies. The reasons and the resources used by these women internationally highlight the use that they made of the ILO to continue the battles that were hampered on the domestic stage. Some of these women had expertise in social matters that the ILO's officials were able to benefit from. Conversely, the ILO acted as an echo chamber for them and enabled them to observe what they drew from this investment.
    • Le genre de l'OIT. Place des femmes dans les organes représentatifs, hiérarchie sexuée des emplois et politiques genrées de justice sociale - Françoise Thebaud p. 93-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Poser la question du genre de l'Organisation internationale du travail (OIT) ouvre une fenêtre originale sur le fonctionnement et l'histoire de l'Organisation. L'article questionne la place respective des hommes et des femmes dans toutes ses instances, la construction différenciée des catégories de travailleur et travailleuse, ainsi que la dimension sexuée de la législation internationale du travail qui entend instaurer la justice sociale. Il met le focus sur les deux premières décennies de l'OIT, mais précise les évolutions de long terme. Ce faisant, il souligne le genre longtemps masculin de l'Organisation et jauge les efforts entrepris ces dernières décennies pour la mise en œuvre de politiques et de pratiques plus égalitaires : en particulier, les années 2000 apparaissant déterminantes. Cet article nuance également la mémoire institutionnelle d'un tournant radical post-guerre, qui ferait passer d'une politique de protection spécifique des travailleuses à une politique d'égalité professionnelle.
      The ILO's Gender. The Place of Women in Representative Bodies, the Gendered Hierarchy of Jobs, and Gendered Social-Justice PoliciesRaising the issue of the ‘gender' of the International Labour Office (ILO) opens a unique window into its functioning and history. This paper investigates the respective places of men and women in all bodies, the differentiated construction of the categories of male and female workers, as well as the gendered dimension of international labour law which intends to establish social justice. It emphasises the first two decades of the ILO, but gives details on long-term trends. In so doing, it highlights the ILO's long-standing male ‘gender' and assesses the efforts made in the past few decades to implement more egalitarian policies and practices: the 2000s notably appear decisive. This paper also nuances the institutional memory of a radical post-war shift, which supposedly moved from a policy of specific protection for women workers to a policy of professional equality.
  • Universalisme, justice sociale et développement

    • L'OIT et le problème du sous-développement en Asie dans l'entre-deux-guerres - Véronique Plata-Stenger p. 109-122 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article offre un panorama de l'évolution des préoccupations et de l'action de l'Organisation internationale du travail (OIT) en Asie, région qui apparaît aux yeux de ses membres comme « arriérée ». L'une des préoccupations qui ont cristallisé les débats entre les puissances occidentales et les pays asiatiques dans l'entre-deux-guerres a été la compétition économique. L'OIT a été un forum important de discussions sur les moyens de lutter contre la compétition déloyale et d'intégrer tous les territoires dans l'économie internationale. Ce thème de la compétition économique met aussi en lumière le rôle de l'OIT dans la construction d'une représentation différenciée des problèmes du travail et du sous-développement, qui s'articule autour de l'impératif de modernisation de la production et de la planification, dans le but d'élever le niveau de vie des travailleurs. L'étude des modalités d'action de l'OIT en Asie invite ainsi à réfléchir sur les liens qui se tissent dès l'entre-deux-guerres entre justice sociale et développement international.
      The ILO and the Problem of Underdevelopment in Interwar Asia
      This paper gives a panorama of the changes in the concerns and activities of the International Labour Office (ILO) in Asia, a region which appeared ‘backward' to some of its members. One of the concerns that sparked debates among the Western powers and Asian countries in the Interwar period was that of economic competition. The ILO was a major forum for talks about the means to tackle unfair competition and to incorporate all countries into the international economy. This theme of economic competition also highlights the ILO's role in building a differentiated representation of the issues of labour and underdevelopment, which was centred on the imperative of modernising production and planning with the aim of raising workers' standard of living. The study of the ILO's means of action in Asia also prompts a reflection on the ties between social justice and international development in the Interwar period.
    • L'OIT, le Saint-Siège et les milieux catholiques africains et latino-américains dans les années 1950 et 1960 - Aurélien Zaragori p. 123-138 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers l'exemple de l'Amérique latine et de l'Afrique des années 1950 et 1960, il s'agit d'examiner la nouvelle convergence qui s'établit entre les milieux catholiques et l'Organisation internationale du travail (OIT), autour d'une conception actualisée de la justice sociale. Ces décennies sont d'abord l'objet d'un aggiornamento doctrinal, auquel certains milieux proches de l'OIT participent, et qui culmine avec le concile Vatican II, puis la publication de l'encyclique Populorum progressio. Sur le terrain, des collaborations se nouent entre acteurs catholiques et experts en développement envoyés par l'OIT. Dans le même temps, des représentants catholiques africains et latino-américains pèsent de plus en plus au sein des organes de l'Organisation. Des critiques surgissent cependant en fin de période contre une OIT jugée trop timorée et le soutien que semble lui apporter l'Église.
      The ILO, the Holy See and Catholic Milieus in Africa and Latin America in the 1950s and 1960s
      Using the example of Latin America and Africa in the 1950s and 1960s, the aim is to examine the fresh convergence between Catholic milieus and the International Labour Office (ILO) around an updated conception of social justice. These decades saw a doctrinal aggiornamento, involving certain milieus with close ties to the ILO, culminating in Vatican II, then the publication of the Populorum Progressio encyclical. On the ground level, collaborations took shape between Catholic stakeholders and development experts sent by the ILO. At the same time, African and Latin American Catholic representatives had growing influence in the ILO's bodies. However, towards the end of this period, criticism arose of the ILO, which was deemed too timid, and of the support that the Church apparently gave it.
    • OIT, justice sociale et mondes communistes. Concurrences, émulations, convergences - Sandrine Kott p. 139-151 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette contribution vise à réinterroger les valeurs et choix fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT), à l'aune de sa relation d'opposition/complémentarité avec les mondes communistes. Le pluriel se justifie ici parce que, contrairement à l'image qui en a été construite et diffusée à des fins de propagande durant la guerre froide, le communisme est loin d'être un « monolithe ». Trois groupes occupent des positions différentes et font entendre une parole différenciée au sein de l'OIT ; ils dévoilent trois modalités de la relation entre l'Organisation et les mondes communistes qui permettent, en retour, de mettre en évidence trois caractéristiques de son action. Le mouvement communiste international témoigne d'abord d'une hostilité forte à l'égard d'une organisation dont il condamne la conception libérale de la justice sociale. Ensuite, à partir de 1934, mais surtout après la Seconde Guerre mondiale, les représentants des États socialistes militent pour des droits sociaux extensifs et favorisent ainsi la formulation d'un projet social réformateur. Enfin, à partir des années 1960, les cadres des régimes communistes utilisent l'expertise fournie et encouragée par l'OIT afin d'accroître la productivité du travail. Cette convergence productiviste interroge, in fine, l'idée même de justice sociale.
      ILO, Social Justice and Communist Worlds. Competitions, Rivalries and Convergences
      This contribution endeavours to reinvestigate the International Labour Office's (ILO) basic values and choices in light of its relationship with the Communist worlds in terms of opposition and complementarity. Communist ‘worlds', in the plural, because contrary to Cold War propaganda, Communism was far from monolithic. Three groups held different positions and expressed a differentiated message within the ILO; they revealed three types of relationships between the ILO and Communist worlds which, in turn, highlight three characteristics of its action. The international Communist movement, first of all, attested to strong hostility to the ILO, accused of a liberal conception of social justice. Then, beginning in 1934, but especially after the Second World War, the representatives of social countries advocated extensive social rights and thus favoured the formulation of a reformist social project. Lastly, as from the 1960s, Communist regime cadres used the expertise provided and encouraged by the ILO to boost labour productivity. This productivist convergence ultimately challenges the very idea of social justice.La Ligue des Nations, qui n'est en réalité qu'une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internationale du travail » où les deux tiers des voix appartenaient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l'outrecuidance de se qualifier « représentants ouvriers ». Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mouvement ouvrier en voie de régénération1.C'est ainsi que le comité exécutif de l'Internationale communiste qualifie l'OIT dans une lettre adressée aux syndicats de tous les pays en mai 1920. Par-delà le contexte spécifique de l'après-guerre, cette hostilité à l'égard de l'Organisation internationale du travail (OIT) s'ancre dans une défiance ancienne du mouvement ouvrier, marxiste en particulier, à l'encontre de la réforme sociale ; celle-ci est bien illustrée par cette citation du Manifeste du parti communiste : « Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise2. »
  • Entretien

  • Notes de lecture