Contenu du sommaire : L'étranger et le droit

Revue Droit et cultures Mir@bel
Numéro no 76, octobre 2018
Titre du numéro L'étranger et le droit
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation - Soazick Kerneis p. 9-10 accès libre
  • Aujourd'hui comme hier, l'étranger à la porte du droit

    • Migrants, murs et camps. Les formes extraordinaires du droit de l'Antiquité romaine à aujourd'hui - Soazick Kerneis p. 13-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      S'il est une civilisation qui a été confrontée à l'accueil de l'étranger, c'est bien la civilisation romaine qui a dû gérer la relation à l'Autre dans des contextes aussi différents que celui de la Cité antique ou de l'Empire pensé comme universel. À la fin de son histoire, Rome met en place une politique qui, par certains aspects, peut évoquer celle que nous connaissons aujourd'hui : dès le IIe siècle, et pour différentes raisons, l'Empire fixe ses frontières, les matérialise parfois et procède à l'installation de communautés barbares dans des zones limitanes. L'évocation du passé sollicite le présent : les migrations d'aujourd'hui seraient-elles la réplique des invasions barbares qui marquèrent la fin de l'Antiquité ? Dans quel contexte intervint la construction de ces murs et que représentaient les frontières dans l'Antiquité ? Autrement dit, quelles étaient les fonctions matérielles de la frontière ? Nous verrons que là n'était peut-être pas l'essentiel, car dans l'Empire absolu, créer la frontière c'était peut-être avant tout mettre en place un espace intermédiaire, soumis à des règles particulières, un espace qui relevait davantage du pouvoir que du droit, du moins du droit tel qu'il était produit et pensé au centre. C'est peut-être à la frontière, dans cet espace dévolu à l'exception, que s'épanouit une certaine façon de penser le droit qui sera pérenne, une représentation abrupte de la norme.
      Rome is a fascinating example because Romans, from the very beginning had to manage the relation with the Others. The latest times have been dramatically emphasized, they are linked with the fall of Rome and in this way may sound like a dramatic precedent. Nonetheless we have to remember that, for a long time, Rome had a very different attitude. Strangers were very welcome to be integrated in the City, there was no border, and the aim of Rome was to convert the rest of the world to its values. So the question is: why did Rome change its politics towards the foreigners? Why did it build borders? Why did the figure of the barbarian become so frightful? Why were barbarians settled in buffer zones, why deny them citizenship? And what was the result of this politics of exclusion? To understand it, we will consider the border in its two aspects, first as a straight defensive line, then as an intermediate space. As well, it is easy to see that it is in this second aspect that the wall was the most effective. The lesson of the past is easy to understand. Walls were built with the purpose of protecting societies against poor people, other cultures or religions. But this is nothing more than an illusion as the wall is no more than the expression of the fear of the other. It would be more appropriate to consider borders as a place of cultural and political mutations where new ways of life and maybe new forms of politics, another way to understand the rule can develop.
    • Chronique d'un mort-vivant. Mise en altérité et devenir de l'homo sacer romain - p. 31-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La mort civile qui est la conséquence de la mise hors-la-loi est une pratique aujourd'hui disparue qui consiste, par le droit, à priver quelqu'un de tout droit en raison de sa violation du droit. Pourtant, sa résurgence est souvent évoquée dans les débats juridiques nationaux suite à des exactions traumatisantes. Par ailleurs, des versions atténuées de la mort civile existent sous la forme d'une privation pour des citoyens d'une partie de la personnalité juridique, et font craindre un retour sur la scène juridique de la mort civile. Afin de cerner ce mécanisme, nous en expliquerons la genèse en nous attardant sur une figure de la Rome archaïque : celle de l'homo sacer. Nous commencerons par décrire sa mise en altérité par le Droit suite à sa transgression des règles religieuses qui maintiennent l'équilibre entre les dieux et les hommes dans la société. Désormais simple corps vivant étranger au monde et voué aux dieux, nous verrons dans un second temps que l'homo sacer se trouve dans une relation d'exception. Ceci, aussi bien vis-à-vis du droit des hommes, puisque n'importe qui peut le mettre à mort sans craindre de devenir homicide, qu'au regard du droit des dieux, étant donné qu'en dépit de son statut d'être sacré, il ne peut être sacrifié.
      The civil death, which is the consequence of outlawing, is a practice that has now disappeared and consists of the right to deprive someone of all rights because of his violation of the law. However, its resurgence is often mentioned in national legal debates following traumatic exactions. Moreover, attenuated versions of civil death exist in the form of a deprivation for citizens of a part of legal personality, and raise fears of a return to the legal scene of civil death. In order to understand this mechanism, we will explain its genesis by dwelling on a figure of archaic Rome: that of homo sacer. We will begin by describing his putting into otherness by the Law following his transgression of the religious rules which maintain an equilibrium between the gods and human beings in the society. Henceforth, being a simple living body foreign to the world and devoted to the gods, we will see in a second part that the homo sacer is in an exceptional relationship. This, as well as the right of men, since anyone can put him to death without fearing of becoming homicidal, as with regard to the law of the gods, since in spite of his status as a be sacred, he cannot be sacrificed
    • Le rôle du droit russe dans la protection de l'individu - Chantal Kourilsky-Augeven p. 85-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La conception idéologique poutinienne revêt les habits sacrés de l'Église orthodoxe la plus conservatrice et dénonce les dangers de la contagion de la Russie par un Occident en pleine dégénérescence. S'inclinant sans céder, juristes et juges retrouvent le rôle d'adaptation au réel et de protection de l'individu qu'ils avaient su jouer au début de la Révolution de 1917. Au plan interne, le Conseil des ministres approuve en 2014 un texte moderne de politique familiale qui efface les dénonciations systématiques et les mesures répressives contenues dans un premier texte adopté en 2013 par une Commission spécialisée de la Douma d'État. Au plan international, la Cour constitutionnelle rappelle solennellement en 2015 l'égalité juridique entre citoyens russes, étrangers et apatrides et dénonce le non-respect du principe constitutionnel de protection de la famille par des décisions administratives refusant aux membres étrangers de mariages mixtes le droit de rejoindre leur conjoint en Russie au motif qu'ils sont atteints du VIH.
      The Putinian ideological conception puts on the sacred clothes of the most conservatory Orthodox Church and denounces the dangers of the contamination of Russian population by a degenerating influence of the West. Respectful but unbinding, lawyers and judges find again the adaptation role to social reality and the protection role towards individuals they had been able to play at the beginning of the 1917 Revolution. At the internal level, the Council of Ministers approves in 2014 a modern text on family policy which obliterates the systematic denunciations and repressive measures contained in a previous text approved in 2013 by a State Duma specialized Committee. At the international level, the Constitutional Court solemnly reformulates in 2015 the principle of equality between Russian citizens, foreign citizens and apatrids and denounces the violations of the constitutional principle of family protection by administrative and legislative measures denying to foreign members of mixed marriages the right to rejoin their spouse in Russia under the motive of their contamination by the VIH.
  • D'Orient en Occident, l'influence de l'altérité, chemin d'intégration

    • L'altérité comme passerelle juridique - Sophie Démare-Lafont p. 107-116 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au Proche-Orient ancien, les étrangers ne transportent pas leur appartenance civique et leurs garanties personnelles hors de leur cité, ce qui les rend plus vulnérables. Les marchands, particulièrement exposés à ces inconvénients de par leurs activités, ont eu recours à des solutions variées pour protéger à la fois leur personne et leur patrimoine. À côté des immunités, obtenues par des traités internationaux ou des négociations directes avec les princes locaux, une ébauche de « droit des gens » s'est mise en place dans certaines villes commerçantes de Syrie au milieu du IIe millénaire av. n.è., en particulier à Émar (Syrie). Les nombreux actes de la pratique livrés par ce site révèlent, en filigrane, une société ouverte où se côtoient à la fois des locaux et des étrangers, régis par des normes différentes. La discrimination juridique y apparaît comme un moyen de reconnaître l'altérité sans la rabaisser, de faire coexister des communautés distinctes sans organiser la domination de l'une sur l'autre.
      In the Ancient Near East, foreigners did not carry their civic membership and personal guarantees outside their city, which made them more vulnerable. Merchants, particularly exposed to these disadvantages because of their activities, resorted to various remedies to protect both their person and their goods. Along with immunities granted by international treaties or direct negotiations with local rulers, a kind of «law of nations» developed in some commercial towns of Syria in the middle of the second millennium BC, especially at Emar (Syria). The numerous deeds unearthed on this site depict an open society where locals and foreigners lived side by side under different rules. Legal discrimination appears as a means of acknowledging alterity without belittlement, of making separate communities coexist without organizing the domination of one over the other.
    • Les fantômes des Balkans. Étrangers de l'intérieur et identité européenne - Jean-Pierre Poly p. 117-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Union européenne, dans son projet constitutionnel, avait renoncé à l'idée de faire du christianisme le fondement d'une identité commune. Justifiaient ce choix non seulement la distinction au sein de la religion chrétienne de formes divergentes, mais aussi la présence, dans la longue histoire de l'Europe, d'autres religions, quand bien même minoritaires dans cette partie du monde. Parmi elles l'islam : « les tragiques évènements de Bosnie font découvrir au grand public l'existence, aux portes de l'Europe occidentale, d'une population musulmane de langue slave issue d'un passé mal cerné et d'un processus religieux quasi inconnu : le passé est celui de la Roumélie ottomane ; le processus celui de l'islamisation de certains peuples balkaniques entre la fin du Moyen Âge et le début de l'époque contemporaine ». D'où vient l'islam européen, qu'il soit slave, albanais ou türk, lorsqu'il est plus ancien que les immigrations récentes ? La réponse paraît évidente : de l'empire ottoman, lorsqu'Istanbul remplaça Constantinople, soit que l'islamisation ait résulté du transport de colons depuis l'Anatolie, soit que les populations autochtones se soient converties à la nouvelle religion d'État. Mais comment a pu s'opérer cette conversion ? Ce sont ses précédents qui sont ici étudiés, l'existence dans les Balkans depuis le Moyen Âge d'une foi que ses fidèles disaient chrétienne, et même « vraie chrétienne », mais que les clercs de ce temps stigmatisaient comme manichéenne. Le rapport entre cette foi, dans ses divers rassemblements, et l'islam européen a été discuté. L'étude tente de présenter un certain nombre d'éléments pour le débat. Au-delà, restera à se demander ce qui fait l'unité des sociétés humaines ou leur division : car la balkanisation, en dépit du terme, n'est pas propre aux Balkans.
      The European Union, in its constitutional project, had abandoned the idea of setting up Christianism as the foundation of a common identity. The reason of this choice was not only the distinction within the Christian religion between divergent forms, but also, during the long history of Europe, the presence of other religions, although in minority in this part of the world. Amongst them, Islam: «The tragical events in Bosnia showed the general public the existence, at the gates of western Europe, of a Slavonic-speaking Moslem population come from an ill-understood past and an almost unknown religious process: the past is that of Ottoman Rumelia; the process that of the conversion to Islam of some Balkanic peoples between the end of the Middle Ages and our time». Where does European Islam come from, be it Slavonic, Albanian or Türk, when it is older than the recent immigrations? The answer seems obvious: from the Ottoman Empire, when Istanbul replaced Constantinople. The Islamisation came either with the transportation of settlers from Anatolia or with the conversion of the natives to the new religion of the State. But how did this conversion come about? Its precedents are here observed, the existence in the Balkans since the Middle Ages of a faith which its believers told was Christian, even «true Christian», but which the contemporaneous clergymen branded as Manichean. The relation between this faith, in its various assemblies, and European Islam has been disputed. This study tries to present some elements for the debate. Beyond, will be left to ask what makes unity or division in human societies. For, notwithstanding the term, Balkanisation is not special to the Balkans.
    • Altérité, pluralité et unité : le cheminement de l'identité normande au Xe siècle - Gilduin Davy p. 165-182 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Loin dans le Moyen Âge, le souvenir des Normanni est resté marqué par les prédations scandinaves dont la France eut à souffrir aux IXe et Xe siècles. Encore au milieu du XIe siècle, de nombreuses sources continuent de dresser un sombre portrait de ces étrangers, barbares et conquérants. Pourtant, la perception des Normands a connu une inflexion significative à la fin du Xe siècle, sous la plume de Dudon de Saint-Quentin. Son De moribus, composé à la gloire de la dynastie des ducs de Normandie, justifie l'extranéité des Normands et, tout en fédérant les diverses composantes d'une nation en gestation, insiste sur le rôle fédérateur de la loi ducale comme ciment d'unité nationale.
      During the Middle Ages, the Normanni remain as vikings and predators they were at the 9th and 10th centuries. Around the year 1050, several texts continue giving a dark representation of theses aliens, as barbarians and conquerors. However, the perception of the Norman people has known a significant inflection at the end of 10th century, by the work of Dudo of Saint-Quentin. His De moribus, which has been written to glorify the ducal dynasty, give us a justification of their extraneity by submission to the ducal authority and ducal law as federating links of national unity.
    • Insularité – altérité. La place de l'étranger dans l'Irlande du haut Moyen Âge - Christophe Archan, Olivier Viron p. 183-228 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans une société gentilice politiquement très morcelée comme l'Irlande du haut Moyen Âge, les étrangers ne s'inscrivent pas dans le système des solidarités familiales fermement établi. C'est en tout cas ce que laissent entendre les traités de droit, qui soulignent leur incapacité juridique. Cette incapacité ne les empêche cependant pas d'être absorbés par une parenté et finalement tolérés. À partir de la fin du VIIIe siècle les choses changent lorsque les Scandinaves hostiles arrivent en grand nombre. On constate alors que même s'ils parviennent à s'implanter de manière permanente, ils ne s'intègrent finalement jamais à la société irlandaise.
      In a politically fragmented Gentile society like that of early Ireland, foreigners do not take part in the firmly established family solidarity system. That is, in any case, what legal tracts suggest, underlining their legal incapacity. This incapacity, however, does not prevent them from being absorbed by a kinship and ultimately tolerated. From the end of the 8th century onwards, things changed when the hostile North men arrived in large numbers. It can then be observed that even if they manage to establish themselves permanently, they end-up never integrating into the Irish society.
  • Études

    • Régis Debray et le Théologico-Politique - Gérard Courtois p. 231-255 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour Régis Debray le « souci religieux » est lié plus intimement au psychisme humain que la Philosophie des Lumières ne le pensait. Le Politique lui-même ne se conçoit pas sans une transcendance quelconque (pas nécessairement théologique) qui seule peut unir les individus durablement. Il ne faut donc pas s'étonner si le règne universel du calcul marchand est accompagné, comme son ombre et sa contrepartie, d'une remontée des revendications ethnico-religieuses. Ces thèses de Régis Debray conduisent à une discussion serrée avec Marcel Gauchet sur la « sortie de la religion ».
      Concern about religion is more intimately connected to human psyche than the Age of Enlightenment could think. Politics itself cannot be conceive without any kind of transcendence (not necessarily theological), the very mean which can unite people in the long term. So it is not amazing if, nowadays, the universal kingdom of merchantile calculation come with, as its counterpart, the revival of ethnic and religious claims. These Régis Debray's thesis lead to a discussion with Marcel Gauchet about «religion's exit».
  • Lectures : notes et comptes rendus