Contenu du sommaire : Écritures
Revue | Terrain |
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Numéro | no 70, automne 2018 |
Titre du numéro | Écritures |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Écritures recyclées - Olivier Morin, Pierre Déléage p. 4-19 En mêlant ethnographie, archéologie, sciences cognitives et histoire, ce numéro entend montrer la fertilité actuelle de l'anthropologie de l'écriture. Ses auteurs se tiennent à distance des grands récits qui font de l'écriture l'accoucheuse de la Raison ou encore un outil coercitif entre les mains de l'État. Ils préfèrent montrer comment l'écrit ne cesse de changer de fonctions, par un processus de constant recyclage. Des codes graphiques qui n'étaient pas faits pour noter une langue acquièrent un sens linguistique ; des motifs décoratifs sont reconvertis en lettres, et inversement ; les emblèmes du pouvoir se font objets de culte.
- Écritures martiennes - Pierre Déléage p. 20-37 À la charnière du xixe et du xxe siècle, des médiums spirites, en Europe et aux États-Unis, affirmèrent être en mesure de communiquer avec des Martiens. Les dialogues avaient lieu en langue martienne et les médiums enregistraient leur contenu au moyen d'écritures elles aussi martiennes. L'analyse de ces langues et écritures employées par Catherine Élise Müller (plus connue sous le nom d'Hélène Smith) et Ida Cleaveland (un peu plus connue sous le nom de Mrs Smead), considérées dans cet article comme des langues et des écritures inventées, apporte un éclairage original sur les facteurs linguistiques et cognitifs qui contraignirent ces inventions à adopter des logiques sémiotiques semblables.
- The art of not being legible - Piers Kelly James C. Scott argued that the traditional non-literacy of highland minorities in mainland Southeast Asia may belong to a wider pattern of state evasion whereby lowland practices, including literacy, are strategically rejected. This position ignores the moral and material value attributed to literacy in upland folklore, as well as the many radical messianic movements that purported to bring writing back to the highlands. I review nine such cases of recuperated literacy among Southeast Asian minorities, all of which were created in circumstances of violent conflict with lowland states. Leaders of these movements recognised literacy as an important vehicle of state power, but their appropriation of writing was limited to very specific purposes and domains. In short, the new literacy practices did not mirror the ordinary bureaucratic uses in lowland states. Instead, writing became a symbolic instrument for building state-like institutions of resistance.
- L'art de ne pas être lisible - Piers Kelly p. 38-61 Discutant la proposition de l'anthropologue James Scott, qui affirme que l'absence de formes d'écritures vernaculaires parmi les minorités des hautes terres de l'Asie du Sud-Est continentale constituerait une des différentes manières de fuir l'État, l'auteur examine neuf écritures retrouvées, créées sur fond de violents conflits avec les basses terres. Reconnaissant l'écriture comme un instrument important du pouvoir étatique, les chefs de ces minorités ne se sont pas approprié ses usages bureaucratiques ordinaires. Préférant réserver ce médium à des fins et à des champs très spécifiques, ils ont fait de leurs écritures des instruments symboliques pour la construction d'institutions de résistance quasi étatiques.
- Des rebelles armés de feuilles blanches aux déchiffreurs de pierres - Cécile Guillaume-Pey p. 62-81 Comment des groupes tribaux (Adivasi) de l'Inde se sont-ils approprié l'écriture, instrument de pouvoir et de savoir qui, en contexte colonial, était d'abord associé aux Britanniques et aux castes hindoues qui leur servaient d'intermédiaires ? Cet article éclaire les modalités d'appropriation de l'écrit par des leadeurs adivasi en accordant une attention particulière aux inventions de graphies. À partir des années 1930, des personnages charismatiques créent des écritures pour transcrire leurs langues, inventions présentées comme des « découvertes » de signes inscrits sur des pierres. De nos jours, ces écritures cristallisent les revendications identitaires de groupes marginalisés d'un point de vue linguistique, religieux et politique.
- From icon to sign - Silvia Ferrara This article offers a reconstruction of early language recording on Crete in the second millennium BCE, charting the development of the earliest attestations of script on the island and examining their relationship to elements of iconology, orderly codification, figurative representations and symbolic expression. From an interdisciplinary perspective, it is possible to reconstruct an autonomous path into script formation starting from an analysis of the designs on Prepalatial, but especially, Protopalatial Cretan seals (from the third millennium BCE to the beginning of the second). Cretan hieroglyphic is still an undeciphered script. Yet, despite this hurdle, it is possible to recognise the stage in which phonetic recording takes place, through an in-depth analysis of the archaeological record and the inscribed objects, and through an in-depth examination of the structural/semantic categories represented on the inscriptions. On this basis, it is possible to conclude that the earliest Cretan language, whatever it may be, harnesses existing iconography on seals to be part of the inventory of its signs.
- De la figure à l'écriture - Silvia Ferrara p. 82-103 Restituer les conditions d'émergence autonome d'un système de transcription du langage, en Crète, au tournant du troisième et du deuxième millénaire avant notre ère, tel est l'enjeu de cet article. L'auteure propose de mettre les plus anciennes traces écrites de l'île en perspective avec la transformation des règles de la figuration sur les sceaux gravés des époques pré- et proto-palatiale, dont les motifs évoluent vers des représentations iconiques, des codifications ordonnées et des expressions symboliques. Bien que l'écriture hiéroglyphique minoenne demeure indéchiffrable, l'analyse des inscriptions permet de distinguer quelques éléments de structure sémantique et d'identifier le moment où s'établit une forme de codage phonétique.
- Between writing and art - Ramon Sarró The Mandombe, graphic system invented by David Wabeladio Payi, responds to complex logic. As a system of writing and artistic creation, entirely conceived from the 5 and 2-shaped symbols that Wabeladio recognized in the lines joining the bricks of the wall of his bedroom, the Mandombe is a good example of writing that does not respond to the great classical functions. Wabeladio chose to prioritize mathematical elegance over ease, the spirit of system on simple efficiency, developing a script serving more support for the semiotic or aesthetic imagination than a simple transcription of languages.
- Entre écriture et art - Ramon Sarró p. 104-125 Le mandombe, système graphique inventé par David Wabeladio Payi, répond à des logiques complexes. À la fois système d'écriture et de création artistique, entièrement conçu à partir des symboles en forme de 5 et de 2 que Wabeladio reconnaissait dans les lignes joignant les briques du mur de sa chambre, le mandombe est un bon exemple d'écriture qui ne répond pas aux grandes fonctions classiques. Wabeladio a choisi de faire primer l'élégance mathématique sur l'aisance, l'esprit de système sur la simple efficacité, développant ainsi un script servant plus de support à l'imagination sémiotique ou esthétique qu'à une simple transcription de langues.
- La forme de l'écrit - Olivier Morin, Fabien Roché p. 126-133 Historiens et épigraphistes observent la forme des lettres pour identifier des manuscrits ou pour comprendre la trajectoire d'un système d'écriture. On peut aussi scruter lettres et caractères pour faire émerger une histoire plus ancienne : celle du cerveau humain et de son évolution. C'est à l'intersection de ces deux histoires que s'est intéressé Olivier Morin dans un article paru l'an dernier dans la revue Cognitive Science. Fabien Roché, graphiste et bédéaste, raconte cet article pour Terrain.
- Vie et mort de l'écriture - Stephen Houston et, Andréas Stauder p. 134-151 L'écriture maya est la dernière grande écriture à avoir été déchiffrée. Stephen Houston, avec David Stuart, Simon Martin, Mark Zender et d'autres, fut l'un des artisans de ce déchiffrement. Il en retrace l'histoire dans cet entretien et aborde des questions plus générales liées à l'étude comparée des écritures anciennes. Il évoque comment son travail sur l'écriture maya est marqué par sa sensibilité aux rythmes et configurations visuelles, par sa formation et sa pratique d'anthropologue, par son expérience de la dimension physique des inscriptions sur le terrain archéologique. Il ouvre, enfin, sur les questions plus générales, culturelles et cognitives, qui constituent un horizon futur de la recherche.
- Atlas des langues - Fabien Simon p. 166-189 L'Atlas linguistique est constitué selon deux axes complémentaires : collecter (les langues/les écritures) et inventer (une langue/une écriture). D'un côté, la confrontation à la diversité des langues, dont on tente de déterminer le périmètre ; de l'autre, la tentative de la contrecarrer en revenant à une langue unique. La collecte de tous les idiomes vise à inventorier la nature ; les langues inventées veulent l'autopsier. La dimension cryptographique assumée des langues universelles les constitue en incitation à décrypter le livre de la nature en même temps que l'on décrypte l'écriture elle-même. Mais, paradoxalement, elle réserve aussi ces systèmes de signes destinés à être compris par tous, comme les « caractères réels » de John Wilkins, à un petit nombre de maîtres de ce savoir. Dans ce portfolio, Fabien Simon exhume les interprétations de différentes écritures, de la Renaissance au début du xviiie siècle.
- Du lisible au visible - Cédric Vincent p. 190-195 Cet article prend comme point de départ une carte dessinée de Frédéric Bruly Bouabré afin de décrire la présentation de son syllabaire, conçu en 1956 pour transcrire la langue bété, au sein de l'évolution de sa pratique dessinée. Il peut paraître anecdotique de s'intéresser à un seul dessin tant nous avons été habitués à saisir la production de l'artiste ivoirien par le prisme de ses séries. Cette carte offre cependant un support de choix pour suivre la dynamique qui trame la relation entre ces deux pans de son répertoire créatif – la série Alphabet bété (1991) marquant l'étape décisive dans leur rencontre.
- The writing of numbers - Stephen Chrisomalis Diverses, parfois complexes, les notations chiffrées se rencontrent dans un grand nombre de cultures. Elles permettent la représentation graphique des nombres. Quoique distinctes de l'écriture et de la langue parlée, elles coexistent avec ces deux traditions et leur empruntent beaucoup. Les marques de dénombrement (en traçant par exemple des bâtons) et les outils de calcul (comme le boulier) sont d'autres façons de manier les nombres. Repenser l'écriture des nombres permet de mieux comprendre leur origine et leur évolution : cet article la considère avant tout comme un système sémiotique ou représentationnel parmi d'autres, plutôt que comme un outil au service d'opérations arithmétiques.Various, sometimes complex, numerical notations are found in a large number of cultures. They allow the graphical representation of numbers. Although distinct from writing and spoken language, they coexist with these two traditions and borrow much from them. Counting marks (for example, drawing sticks) and calculating tools (such as the abacus) are other ways of handling numbers. Rethinking the writing of numbers makes it possible to better understand their origin and their evolution: this article considers it primarily as a semiotic or representational system among others, rather than as a tool in the service of arithmetic operations.