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Revue | Revue Française de Sociologie |
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Numéro | vol. 59, no 4, 2018 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Varia
- Qui se sent pauvre en France ? : Pauvreté subjective et insécurité sociale - Nicolas Duvoux, Adrien Papuchon p. 607-647 La pauvreté fait l'objet de définitions et de mesures diverses, fondées soit sur le niveau de vie, sur les conditions de vie ou l'instauration d'une relation d'assistance avec l'État. Menée à l'aide du Baromètre d'opinion de la DREES, l'étude du groupe formé par les personnes qui se déclarent pauvres et des déterminants de cette façon de percevoir sa propre position sociale met en évidence l'importance de l'éloignement du marché du travail, du fait de bénéficier d'une prestation d'assistance mais également la prégnance de la position de classe. Elle invite donc à articuler des littératures qui ont suivi des voies sociologiques propres, mais qui ont toutefois en commun d'aborder les catégories sociales dites subalternes ou populaires et en situation d'assistance. En s'appuyant sur l'articulation et les discordances entre les dimensions monétaires et subjectives de la pauvreté, l'analyse fait ressortir la vulnérabilité des personnes seules et plus encore des parents isolés ainsi que l'importance du statut d'occupation du logement, en particulier chez les retraités. Finalement, la pauvreté subjective se comprend sociologiquement comme un indicateur d'insécurité sociale durable, associée à un surcroit de pessimisme envers l'avenir. Elle manifeste l'évolution de la pauvreté dans le cadre d'un régime de crise permanente et contribue à rendre compte de la dynamique contemporaine des positions inférieures de la structure sociale ainsi qu'à articuler les dimensions subjectives et objectives de celle-ci.Who feels poor in France? Subjective poverty and social insecurity
Poverty is defined and measured differently: in terms of standard of living, living conditions, or whether a person receives welfare assistance from the state. A study of people in France who self-report as poor and of the determinants of this perception of own social position (based on data from the Opinion barometer survey of the national statistical studies office) highlights distance from the job market, being a welfare recipient, but also the importance of respondent's social class. It therefore suggests the relevance of conjointly studying bodies of sociological literature that may diverge on some points but all share a focus on so-called subaltern or lower-class groups and welfare recipients. Drawing on connections and discordances between the monetary and subjective dimensions of poverty, our analysis finds the following factors to be salient: the vulnerability of solitary individuals and, to an even higher degree, single parents; housing occupation status (homeowner or not), particularly among retirees. Last, subjective poverty should be understood sociologically as an indicator of persistent social insecurity associated with particularly strong pessimism about the future. This shows how poverty in France has been evolving within a framework of constant crisis, and helps account for the dynamics currently at work at lower levels of the social structure while showing the fit between subjective and objective dimensions. - Des minorités pas comme les autres ? : Le vécu des discriminations et du racisme des ultramarins en métropole - Marine Haddad p. 649-676 ResumeNés du système esclavagiste et de la colonisation avant de devenir des territoires français à part entière, les départements d'outremer sont aussi reliés à la France métropolitaine par d'importants flux migratoires. À partir du module de l'enquête « Trajectoires et Origines » portant sur le vécu du racisme et des discriminations et de 33 entretiens menés avec des migrants ultramarins, cette étude fait ressortir l'expérience commune aux migrants des DOM et aux immigrés postcoloniaux, en particulier ceux issus d'Afrique subsaharienne. Comme ces derniers, les ultramarins reportent de nombreux traitements inégalitaires liés à leur couleur de peau, tout en mobilisant des stratégies de mise à distance. Parmi ces stratégies, les registres de différenciation vis-à-vis de certains groupes migratoires occupent une place importante. Les ultramarins écartent le stigmate du racisme en insistant sur la distance les séparant des autres non-blancs. Leurs récits reflètent ainsi la dualité du racisme, entre relégation des migrants dans une même altérité et mise en concurrence de ces populations.Minorities of a different kind? The experience of discrimination and racism of overseas migrants in metropolitan FranceFounded within the slave system and colonization before becoming fully-fledged French territories, the overseas departments (départements d'outremer, DOM) of France are also connected to metropolitan France by major migratory flows. By using the module of the survey “Trajectories and Origins” on the experience of racism and discrimination and 33 interviews with overseas migrants, this study highlights the shared experience of DOM migrants and post-colonial immigrants, particularly those from sub-Saharan Africa. Like the latter, overseas migrants report many unequal treatments related to their skin colour, while deploying distancing strategies. Among these strategies, the styles of differentiation vis-à-vis certain migratory groups occupy an important place. Overseas migrants remove the stigma of racism by insisting on the distance separating them from other non-whites. Their stories thus reflect the duality of racism, between the relegation of migrants into a similar otherness and the creation of competition amongst these populations.
- Des LGBT, des non-binaires et des cases : Catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une enquête sur les violences - Mathieu Trachman, Tania Lejbowicz p. 677-705 Cet article porte sur les critiques d'une enquête statistique sur les violences de genre subies par les lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT). Au cours de la collecte et dans le questionnaire, des répondant·e·s ont jugé l'enregistrement du genre et de la sexualité problématique, en particulier lorsque ces personnes refusaient de se définir comme femme ou homme, bisexuelle ou homosexuelle, ou se disaient « non-binaires ». Minoritaires, ces critiques ont l'intérêt de mettre en cause le cadre de cette enquête sur les violences, elle-même dénoncée comme violente. L'article distingue deux registres de critique, l'un se donnant pour but la reconnaissance d'identifications minoritaires, l'autre questionnant la catégorisation en tant que telle. Les répondant·e·s critiques sont plus jeunes, plus souvent des femmes, s'identifient plus souvent comme bisexuel·le·s et sont parfois en situation de déclassement. Les critiques peuvent être conçues comme l'expression d'une indétermination à la fois vécue et revendiquée, elles sont portées par des personnes d'autant plus disposées à refuser les assignations dominantes du genre et de la sexualité que celles-ci sont pour elles moins pertinentes et moins pesantes.LGBT and non-binary people in boxes. Statistical categorization and criticism of gender and sexuality assignation in a study on violenceThis article looks at the criticisms levelled against a statistical study of gender violence against lesbian, gay, bisexual and trans (LGBT) individuals. During the questionnaire and data collection, respondents considered the recording of gender and sexuality to be problematic, particularly when they refused to define themselves as male or female, bisexual or homosexual, describing themselves instead as “non-binary”. Although they represent a minority, these criticisms are interesting in that they challenge the framework of this study into violence, and in fact denounce it as being violent in itself. The article distinguishes between two registers of criticism, one that seeks the recognition of minority identifications and the other that questions categorization in itself. The critical respondents are younger than the others, often women, most often identifying as bisexual, and sometimes in situations of downward mobility. Criticism can be seen as the expression of an indetermination that is both a lived experience and a political claim, often proclaimed by individuals who are all the more likely to refuse dominant assignations of gender and sexuality as the latter are less relevant and less salient for them.
- Durabilité et extension du soupçon : Catégorisations et usages policiers du fichier d'empreintes génétiques en France - Joëlle Vailly, Gaëlle Krikorian p. 707-733 L'usage des banques de données génétiques dans le monde de la police et de la justice connait un développement spectaculaire dans de nombreux pays, notamment en France avec le Fichier national automatisé des empreintes génétiques. Dans ce contexte, cet article analyse les relations entre catégories d'identification d'auteurs et de suspects d'infraction, formes de savoir et rapports de pouvoir inter- et intra-institutionnels liés à cet usage. Notre étude est fondée sur des entretiens semi-directifs approfondis (N = 24), principalement avec des policiers et des gendarmes directement impliqués dans ces pratiques, et sur l'analyse de documents (textes juridiques, rapports ministériels, articles de presse, etc.). Après avoir présenté le contexte technoscientifique et législatif qui préside à ces évolutions, nous montrons d'une part la porosité des catégories d'auteurs d'infraction, de suspects et d'auteurs potentiels, d'autre part la formation de bio-identités de suspects sous diverses formes. Nous montrons également que ces processus s'articulent à quatre logiques : 1) une logique de prévention supposée des infractions par repérage des auteurs le plus tôt possible ; 2) une logique inter-institutionnelle en faveur de la police par rapport à la justice ; 3) une logique intra-institutionnelle liée à la performance ; 4) une logique probabiliste d'élucidation visant à aider les enquêtes policières sur des bases parfois empathiques vis-à-vis des victimes. Ces différentes logiques sont imbriquées et convergent vers une durabilité du soupçon et une inclusion élargie au fichier.Durability and extension of suspicion. Categorization and police use of the DNA database in France
The use of DNA databases in the world of the police and the legal justice system has been developing spectacularly in many countries, particularly in France with the Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) [National Automated DNA Database]. In this context, this article analyses the relationships between categories of identification of criminal perpetrators and suspects, forms of knowledge and the inter- and intra-institutional power relations related to this use. Our study is based on in-depth semi-structured interviews (N=24), mainly with police and gendarmes directly involved in these practices, and on the analysis of documents (legal texts, ministerial reports, press articles, etc.). After having presented the techno-scientific and legislative context that governs these evolutions, we show on the one hand the porosity of the categories of offenders, suspects and potential authors, on the other hand the formation of bio-identities of suspects in various forms. We also show that these processes are organised in terms of four logics: 1) a logic of supposed prevention of offences by identifying their perpetrators as soon as possible; 2) an inter-institutional logic in favour of the police in relation to justice; 3) an intra-institutional logic linked to performance; 4) a probabilistic logic of elucidation to help police investigations on sometimes empathic bases vis-à-vis the victims. These different logics are interconnected and converge on the lasting and extending character of suspicion and the wider range of evidence included in criminal records.
- Qui se sent pauvre en France ? : Pauvreté subjective et insécurité sociale - Nicolas Duvoux, Adrien Papuchon p. 607-647
Les livres
- Les livres - p. 735-778