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Revue Sociologie du travail Mir@bel
Numéro vol. 60, no 4, octobre-décembre 2018
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Articles

    • Le service public au Conseil d'État : comment un grand corps se professionnalise en captant une idée (1872-1940) - Charles Bosvieux-Onyekwelu accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En France, à partir des années 1870 et tout au long de la IIIe République, l'usage de la notion de service public devient de plus en plus fréquent, sous l'impulsion, en particulier, du Conseil d'État et du développement du droit administratif. Conjointement avec certains professeurs de droit, les membres du Conseil voient alors dans cette notion un possible paradigme pour leur discipline en même temps qu'un moyen, face à la concurrence des civilistes, d'organiser leur « juridiction » (au sens propre comme au sens de l'écologie des professions d'Andrew Abbott). La référence au service public permet, en outre, de républicaniser, tout en le professionnalisant, un corps qui, dans un contexte de démocratisation, a besoin de se relégitimer. À partir d'une enquête prosopographique et d'une exploitation des archives de l'institution, l'article décrit le travail de ces juristes d'État pour reconfigurer le champ du droit et faire reconnaître le périmètre de leur segment professionnel. Il montre que la jurisprudence sur les services publics ressortit bien davantage à une culture administrative qu'à une idéologie politique.
      From the 1870s and throughout France's Third Republic, the use of the notion of public service became increasingly frequent. This development was driven in particular by the Conseil d'État and reflected the development of administrative law at the time. In concert with certain legal scholars, members of the Conseil came to see the concept as a possible paradigm for their discipline, as well as a means, in the light of their competition with civil law proponents, to organise their “jurisdiction” (both literally and in the sense of Andrew Abbott's ecology of the professions). In addition, the reference to public service enabled the republicanisation as well as the professionalisation of an organisation which, in a context of democratisation, needed to restore its legitimacy. Based on a prosopographic study and archival research on the institution, the article describes the efforts of these state lawyers to reconfigure the legal field and have the boundaries of their professional segment acknowledged. It shows that the case law on public services conjures up a bureaucratic culture much more than a political ideology.
    • L'ambivalence du « métier ». Métier de l'organisation contre métier de l'ingénieur dans une entreprise aéronautique - Hadrien Coutant accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On s'intéresse, dans cet article, à la mise en œuvre de la régulation du travail par le métier dans un groupe aéronautique. Geste rationalisateur de la direction visant à réguler l'activité de conception, la construction du métier n'est pas considérée par une majorité d'ingénieurs de développement comme un moyen d'accroître leur autonomie, mais plutôt comme une innovation organisationnelle porteuse de contraintes accrues dans leur travail. Cette ambition managériale donne à voir, par les résistances de l'organisation et des acteurs qu'elle suscite, les ressorts du fonctionnement organisationnel autant que les représentations des ingénieurs et leur rapport à leur travail. L'article montre en quoi la construction du métier dans cette entreprise est une rationalisation du travail de conception qui entre en tension avec l'organisation par projets. Ce travail de rationalisation suscite peu d'engagement de la part des ingénieurs eux-mêmes qui voient le métier — au sens de structure organisationnelle — comme une remise en cause de leur métier — au sens individuel de maîtrise de gestes et d'objets techniques. L'analyse des différentes stratégies qu'ils mettent en œuvre permet de mettre au jour la tension entre la façon dont les ingénieurs de développement conçoivent leur métier et la façon dont l'organisation cherche à réguler le métier. L'autonomie des ingénieurs tient dans leur maîtrise de systèmes techniques plus que dans la maîtrise de spécialités précises.
      This article explores the implementation of engineering regulation by the construction of a “métier” in an industrial aeronautics group. In an organisational context, the French term “métier” can mean either “skill” or “function”. As an instrument of rationalisation, the “métier” is not experienced by most engineers as a way of increasing their autonomy but rather as an organisational innovation that imposes greater restrictions on their work. This managerial instrument and the resistances it encounters reveal the engineers' representations of their work and the deep-level functioning of the organisation. The article shows the tension between the “métier” as a rationalisation of R&D work and the project-based management approach. However, engineers feel little commitment to the “métier” because they interpret it — as an organisational structure — as a restriction on their autonomy as skilled professionals. It shows the tensions between engineers' own perception of their role and attempts by the organisation to regulate it. The engineer's autonomy lies in the mastery of complex technical systems rather than of specific specialties.
    • Écouter le personnel. Évaluer un dispositif d'évaluation - Marlène Benquet accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article a pour objectif de résoudre l'énigme du déploiement à partir de 1990, puis de l'abandon en 2012, d'un dispositif d'évaluation de l'état d'esprit des salariés dans un groupe français de grande distribution. Il est fondé sur une enquête ethnographique menée au sein du département des ressources humaines du groupe et auprès de l'une des animatrices locales du dispositif, ainsi que sur des entretiens réalisés avec des cadres dirigeants et des salariés. Il traite de la diversité des usages de ce dispositif, appelé « les écoutes du personnel ». Il montre qu'un outil d'évaluation peut être simultanément utilisé à des fins diverses par un même groupe d'usagers. Si certaines d'entre elles font l'objet d'un large affichage, y compris à destination de publics extérieurs à l'organisation, d'autres sont poursuivies plus discrètement et n'apparaissent qu'à la faveur de l'observation directe des différentes utilisations l'outil. L'article montre en outre que ses appropriations par différents groupes d'usagers produisent des effets globaux qui peuvent n'être voulus par personne tout en étant le résultat des fins visées par chacun. Ce faisant, nous plaidons pour une approche microsociologique des dispositifs d'évaluation centrée sur la description de leurs usages en proposant, pour la conduire, de mobiliser la notion de référence d'évaluation.
      This article explores the sociological reasons why an evaluation device to measure the state of mind of employees was introduced in the 1990s and then dropped in 2012 in a multinational retail company. It is based on an ethnographic study conducted in the company's human resources department and in one particular superstore where the device had been implemented. It also draws on interviews with employees, managers and senior executives of the company. It shows that this kind of evaluation device can be used by different groups for a variety of simultaneous purposes. Some of these are public, whereas others are pursued more discreetly and informally and only emerge through direct observation. It is also describes how this variety of uses can produce unintended consequences. More broadly, it argues for a micro-sociological approach to evaluation tools, focused on the description of their uses in terms of the concept of evaluation criteria.
    • Sauver son entreprise en créant une société coopérative. Engagement syndical et participation ouvrière - Maxime Quijoux accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'industrie en France est confrontée à un déclin ancien, que la crise des subprimes en 2008 n'a fait qu'aggraver. Face à la liquidation des entreprises et aux suppressions d'emplois, les syndicats ont longtemps privilégié la voie de l'accompagnement dans la fermeture des établissements, y compris lors de conflits importants. Pourtant, depuis le milieu des années 2000, on observe l'émergence d'une « nouvelle » forme de mobilisation consistant à s'opposer à l'arrêt de l'activité, en proposant le rachat de l'entreprise par ses salariés sous forme de Sociétés coopératives et participatives (SCOP). À partir du cas d'une imprimerie reprise à l'initiative de délégués syndicaux dans une ville d'Île-de-France, cet article vise à saisir les logiques de participation qui s'y déploient. Montées dans l'urgence, ces coopératives se caractérisent moins par des pratiques formalisées que par un ensemble de manières et d'interactions tributaires à la fois de l'histoire syndicale et des positions dans l'entreprise. La participation ouvrière se révèle alors comme un enjeu de luttes sur son acception. La question du pouvoir dans l'entreprise renvoie peu aux enjeux de politiques d'entreprise (organisation, stratégies) mais se cristallise essentiellement autour des dimensions matérialistes du travail (répartition des bénéfices).
      French industry is on a path of long-term decline, which was only exacerbated by the subprime crisis of 2008. Faced with company shutdowns and job losses, trade unions long favoured a supportive approach to business closures, even in the event of major conflicts. However, since the mid-2000s, a “new” form of mobilisation has emerged, in which business closures are resisted through employee takeover and the formation of Cooperative and Participatory Companies (SCOP). Drawing on the case of a printing plant taken over at the initiative of union representatives in a town in Île-de-France, this article aims to capture the logic of participation implemented there. As emergency solutions, these cooperatives are characterised less by formalised practices than by a set of methods and interactions governed by both trade union history and positions in the company. Worker participation is then revealed to be an issue of struggles over the what participation means. The question of power in the company thus has little to do with issues of company policy (organisation, strategies) but essentially crystallises around the materialistic dimensions of work (distribution of profits).
  • Comptes rendus