Contenu du sommaire : Améliorer la construction européenne

Revue Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) Mir@bel
Numéro no 158, décembre 2018
Titre du numéro Améliorer la construction européenne
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Améliorer la construction européenne - Xavier Ragot p. 5-10 accès libre
  • Partie I. Convergences et divergences dans l'Union européenne

    • L'Europe numérique : Entre singularités, faiblesses et promesses - Cyrielle Gaglio, Sarah Guillou p. 11-36 accès libre avec résumé
      L'activité numérique des économies est devenue un marqueur de leur compétitivité et de leur capacité à relever les défis technologiques futurs. Cette activité s'est clairement intensifiée depuis les années 2000 et a entraîné de nombreuses mutations. La pénétration croissante des nouvelles technologies de l'information et des communications dans les usages est à l'origine de la transformation des modes de production, de consommation, de communication et ouvre la voie à de nouvelles formes de partage, de création, de collaboration et d'innovation. Elle s'est accompagnée d'une montée de la contribution à la production nationale des secteurs des services informatiques et numériques.Cet article s'intéresse à la place de l'Europe dans la révolution numérique en comparaison de celle des États-Unis et de la Chine. Pour ce faire, nous mobilisons trois approches complémentaires : la première, macro-sectorielle, évalue le tissu productif numérique, la deuxième, microéconomique, discute le rôle des acteurs de l'économie des plateformes, la troisième couvre les environnements financier et institutionnel.Il apparaît que l'Europe peine à se constituer en puissance numérique. Elle est marquée par des disparités entre ses États membres et par un retard vis-à-vis des États-Unis et de la Chine dans les secteurs associés à la révolution numérique. Toutefois, à certains égards, l'économie européenne dispose d'atouts pro-metteurs, notamment dans les services. La valeur ajoutée des services informatiques et numériques explique 36 % de la valeur ajoutée numérique totale créée en Europe. Avec 48 % des parts de marché détenues, l'Europe s'impose sur le marché mondial des services numériques. Elle devance les États-Unis et la Chine dans la consommation numérique des activités financières (9,5 %). Forte de son vaste marché de consommateurs qualifiés, l'Europe se montre très active en matière de régulation numérique et de prise en compte des enjeux sociétaux. Les efforts entrepris par les institutions européennes dans le cadre du marché unique numérique et pour la construction d'une Europe numérique restent à intensifier.
    • Le(s) marche(s) du travail européen - Éric Heyer, Pierre Madec p. 37-58 accès libre avec résumé
      La comparaison des marchés du travail montre que le taux de chômage européen n'est pas le résultat d'un fonctionnement différent du marché du travail mais plutôt le résultat de chocs macro-économiques plus importants, notamment après 2011. Le premier facteur de la hausse du chômage européen est la politique fiscale restrictive menée de 2011 à 2014.Ces évolutions moyennes cachent cependant de fortes divergences au sein de la zone euro. Entre 2007 et 2017, le taux de chômage allemand a baissé de quatre points par rapport à la moyenne de la zone euro alors que le taux de chômage espagnol a augmenté de six points.Le taux de chômage est cependant bien insuffisant pour comparer les marchés du travail :La part des personnes occupées à temps partiel en Allemagne est supérieure de 10 points à celle observée en Espagne ;Le temps partiel subi en Italie est supérieur de 9 points à celui de l'Allemagne ;Le nombre total d'heures travaillées a décru trois fois plus vite en Allemagne qu'en France entre 2007 et 2017 ;La population active a augmenté de près de 2,7 % en France depuis la crise alors qu'elle n'a augmenté que de 0,8 % en Allemagne et baissé de 3 % en Espagne ;À ces effets de structure s'ajoute l'évolution des coûts salariaux unitaires au sein de la zone euro. On observe deux périodes : une forte divergence jusqu'en 2008, suivie d'une convergence lente depuis, l'Allemagne gardant des coûts salariaux unitaires encore faibles par rapport à la moyenne de la zone euro. L'Italie, elle, ne montre pas de signes d'une convergence.Cet article conclut donc à la nécessité d'analyser la structure du marché du travail aussi bien que l'évolution des salaires.
    • Convergence et divergence nominales dans les PECO - Sandrine Levasseur p. 59-76 accès libre avec résumé
      Dans cet article, nous nous intéressons à l'évolution des taux de change, des prix et des salaires dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECO), membres de l'Union européenne (UE).On observe dans ces pays des évolutions différentes entre le secteur de biens échangeables et celui des biens non échangeables. Ainsi :Dans le secteur des biens échangeables, le différentiel de croissance entre la productivité et celle des salaires réels a été 12,8 % sur la période allant de 2004 à 2016. A contrario, dans le secteur des biens non-échangeables, c'est la croissance des salaires réels qui a surpassé celle de la productivité (de 3,5 % sur la période 2004-2016 et même de 6,2 % sur la période 2008-2016) ;Du fait de ces évolutions, le taux de change réel (TCR) des PECO s'est apprécié entre 2004 et 2008, conformément à l'effet Balassa-Samuelson. En revanche, depuis 2008, le TCR a au mieux stagné (notamment, dans les PECO en changes fixes par rapport à l'euro) quand il ne s'est pas déprécié (comme en Pologne, Roumanie et Hongrie), invalidant cet effet. La différence d'évolution du TCR entre les deux périodes provient en grande partie de la modération salariale observée dans le secteur des biens échangeables ;Les PECO en taux de changes flexibles par rapport à l'euro ont enregistré une dépréciation de 12 % de leur monnaie (en termes effectifs), essentiellement du fait d'une dépréciation nominale. À l'inverse, le TCR des PECO en taux de changes fixes par rapport à l'euro est resté constant depuis 2008 malgré une appréciation nominale. Ce résultat est essentiellement le fait d'une modération des prix et des salaires dans ces pays ;Depuis 2008, les PECO en taux de changes fixes ont enregistré un taux de croissance inférieur de moitié à celui des PECO en taux de changes flexibles.
    • La stratégie de l'Union européenne pour promouvoir l'égalité professionnelle est-elle efficace ? - Hélène Périvier, Gregory Verdugo p. 77-101 accès libre avec résumé
      Depuis la fin des années 1990, l'Union européenne (UE) établit des engagements chiffrés en faveur de l'emploi des femmes. Dans tous les pays, celles-ci perçoivent en moyenne des rémunérations plus faibles que les hommes. Le temps partiel est un facteur explicatif majeur de ces inégalités, de même que la ségrégation professionnelle et la ségrégation verticale (entre professions et positions hiérarchiques). Par ailleurs, dans les pays dans lesquels la participation des femmes au marché du travail est faible, les caractéristiques des femmes qui travaillent sont plus favorables que celles des hommes, ce qui explique que les écarts de salaire y soient plus faibles. Ce biais de sélection peut être important, en Italie notamment. L'égalité salariale est avancée comme un but à atteindre, mais les recommandations la concernant ne sont pas directement articulées avec la stratégie pour l'emploi. Pour accompagner l'emploi des mères, l'UE encourage les États membres à développer l'accueil des jeunes enfants. Depuis le milieu des 1990, des directives européennes proposent des congés parentaux incitant au partage des tâches domestiques et familiales, malgré cela une grande diversité de congés existe en Europe.En quantifiant pour 12 pays européens les avancées en matière d'emploi, nous mettons en évidence les différences par pays de baisse du temps de travail des femmes aux âges de la maternité. Nous montrons que la non-prise en compte du temps partiel dans les objectifs chiffrés a conduit à des résultats décevants en matière d'égalité salariale. Pour les générations récentes, le temps partiel est devenu dans certains pays un moyen de réduire les tensions entre vie professionnelle et vie familiale aux âges où elles sont les plus fortes pour les femmes. Nous constatons même dans certains pays que l'écart de taux d'emploi en équivalent temps plein entre femmes et hommes des générations récentes est équivalent à celui de générations plus anciennes. La hausse du temps partiel conduit à relativiser la hausse des taux d'emploi observée en coupe et donc l'efficacité de la stratégie européenne en matière d'emploi des femmes.
    • L'ampleur des désajustements en zone euro en 2017 - Bruno Ducoudré, Xavier Timbeau, Sébastien Villemot p. 103-126 accès libre avec résumé
      Les années pré-crise 2008 ont été marquées par un creusement des déséquilibres internes à la zone euro, certains pays (Allemagne, Pays-Bas, ...) accumulant des créances sur d'autres (Italie, Espagne, Grèce, Portugal, ...). Par la suite les ajustements – compression des demandes internes, ajustement des coûts salariaux – ont déplacé les déséquilibres vers l'extérieur, la zone euro devenant structurellement excédentaire dans ses échanges avec le reste du monde, sans toutefois résoudre l'ensemble des déséquilibres intra zone.L'objectif de cet article est de faire un point sur l'état des déséquilibres internes à la zone euro, à partir d'une modélisation des taux de change d'équilibre basée sur une approche FEER (Fundamental Equilibrium Exchange Rates). Notre approche consiste à modéliser les prix des 11 principales économies de la zone euro, en prenant en compte la structure des échanges intra zone, la sensibilité des balances commerciales aux prix relatifs, la position des économies dans le cycle, et en posant des contraintes sur l'évolution des positions extérieures nettes. Nous en déduisons des cibles de balances courantes et des prix relatifs qui permettent d'estimer les désajustements intra zone euro sur la période 2002-2017. Ces désajustements correspondent aux variations de prix de valeur ajoutée qui doivent être réalisés simultanément pour que tous les pays atteignent leur cible de balance courante à un horizon de 20 ans.Nos résultats indiquent une réduction des déséquilibres depuis 2008, mais il subsiste un désajustement substantiel entre l'Allemagne et la France : le différentiel nominal relatif entre ces deux pays du cœur de la zone euro atteint le niveau substantiel de 20 % en 2017. Parmi les 11 pays, le désajustement moyen par rapport au niveau de l'euro, en valeur absolue atteindrait lui aussi 20 % en 2017, en baisse de 28 points par rapport à son pic de 2008.Nous réalisons également des tests de sensibilité de nos résultats à diverses hypothèses (horizon de l'ajustement, output gaps, taux de croissance potentiels, taux d'intérêt réels). Ces tests confirment la magnitude et la robustesse des désajustements estimés.Ces déséquilibres persistant font désormais peser un double risque sur la zone euro : d'abord un risque d'appréciation de l'euro qui pèserait à moyen terme sur l'activité économique et la poursuite de la résorption du chômage ; ensuite, si ce premier risque se matérialise, on peut s'attendre à un renforcement des difficultés pour les pays qui connaissent un taux de change réel surévalué vis-à-vis de la moyenne de la zone euro.
    • Convergence des structures productives et synchronisation des cycles industriels dans l'Union européenne - Mattia Guerini, Mauro Napoletano, Lionel Nesta p. 127-147 accès libre avec résumé
      Nous analysons la convergence des systèmes industriels de l'Union européenne (UE) et la comparons à la synchronisation des cycles industriels. L'article présente d'abord plusieurs indicateurs de performance économique pour les sept économies majeures de l'UE : l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Ces indicateurs mettent en exergue une hétérogénéité prononcée. D'un côté, l'Autriche, l'Allemagne et les Pays-Bas sont apparemment « guéris » de la Grande Récession. De l'autre, l'Espagne et l'Italie présentent toujours des symptômes inquiétants avec de faibles gains de productivité du travail et un PIB qui n'a pas encore recouvré son niveau d'avant-crise. L'économie française se situe entre ces deux groupes. En utilisant des méthodologies statistiques récentes permettant de quantifier la similarité des structures productives des pays, nous examinons ensuite la question de la convergence – ou de la divergence – des pays de l'UE. Conformément aux indicateurs de performance industrielles de base, nous trouvons une fracture Nord/Sud qui s'affirme au cours du temps. Ces résultats corroborent les prévisions de Krugman (1993), selon lesquelles l'un des effets de l'initiative européenne est d'accroître la spécialisation régionale et d'augmenter les divergences de croissance entre pays. En fait, tout se passe comme si la réduction des coûts de transaction dans l'UE accentuait la concentration de l'activité industrielle hautement spécialisée en Allemagne, au détriment de ses voisins européens. En outre, en raison de l'inclusion des économies d'Europe de l'Est et du groupe des pays de Višegrad, l'économie allemande a réussi à externaliser les activités industrielles peu qualifiées, accentuant ce faisant son rôle déjà central dans l'ensemble de la chaîne de valeur européenne. Certes, ceci a généré la fracture Nord/Sud européenne. Toutefois, les effets positifs sont observables en termes de plus grande intégration économique de l'ancien bloc de l'Est, qui est maintenant bien synchrone avec l'économie allemande. Nous affirmons que cette hété-rogénéité des tendances économiques et des schémas de spécialisation, couplée avec l'absence de synchronisation entre les principaux pays de l'UE, représentent un défi majeur en termes de politiques macroéconomiques. Les réformes institutionnelles, fiscales et monétaires doivent être conçues de manière à atteindre des niveaux plus élevés de coordination et d'intégration, afin de recouvrer un processus de convergence nécessaire à la stabilité économique de l'UE.
    • France-Allemagne : retour au travail - Édouard Challe, Xavier Ragot p. 149-169 accès libre avec résumé
      Cet article vise à clarifier le débat sur l'excédent courant allemand en comparant la compétitivité-prix et les performances à l'exportation de l'Allemagne et de la France. Nous avançons qu'un déterminant fondamental des déséquilibres entre les deux pays est la divergence des coûts salariaux unitaires entre ces deux pays à partir des années 2000. Cette divergence procède de trois facteurs. Tout d'abord, les réformes sur le marché du travail en Allemagne à partir de la fin des années 1990 ont conduit à une hausse de l'offre de travail, accompagnée d'une modération salariale, voire d'une baisse des salaires réels. Ce gain de compétitivité-prix s'est ensuite amplifié en raison, d'une part, de la fixité du taux change nominal et, d'autre part, de rigidités salariales nominales en France. Nous construisons un modèle simplifié de commerce international afin d'identifier le rôle de la concurrence pour la demande mondiale dans une union monétaire. Ce mécanisme est absent de nombreux travaux analysant les déséquilibres au sein de la zone euro (qui considèrent l'Europe comme une économie fermée). Une hausse de l'inflation et une meilleure coordination des politiques salariales contribueraient à faciliter une reconvergence européenne.
    • L'avenir de l'euro - Paul de Grauwe, Yuemei Ji p. 171-182 accès libre avec résumé
      Nous identifions trois problèmes structurels au sein de la zone euro. Premièrement, il y a un manque d'instruments pour corriger les divergences de compétitivité. Ceci a pour effet d'introduire un biais déflationniste dans le système.Deuxièmement, les marchés des titres souverains dans la zone euro sont fragiles, ce qui en temps de crise entraîne des mouvements de capitaux déstabilisateurs. Cette fragilité provient du fait que les gouvernements des pays membres de l'Union monétaire émettent leurs dettes dans une devise sur laquelle ils n'ont aucun contrôle. Ceci peut induire des crises de liquidités auto-réalisatrices.Troisièmement, il y a un cercle vicieux entre les obligations souveraines et les banques, ce qui signifie que les risques des banques deviennent des risques souverains et vice versa.La résolution de ces problèmes ne peut se faire que par le biais d'une plus grande union politique et budgétaire. L'union budgétaire implique une consolidation des dettes publiques nationales en une dette publique de la zone euro, et un budget commun qui a la capacité de stabiliser les mouvements conjoncturels au niveau de la zone euro. Tout cela n'est possible que dans le contexte d'une union politique.Partant du constat que la volonté de progresser dans l'unification politique et budgétaire est faible, nous sommes obligés de conclure que, sans cette volonté, la fragilité de la zone euro ne disparaîtra pas. L'avenir de l'euro n'est donc pas garanti.
  • Partie II. Quelle politique monétaire européenne face à l'instabilité financière ?

    • Où en sommes-nous des bulles de prix d'actifs en zone euro ? - Christophe Blot, Paul Hubert, Rémi Odry p. 183-205 accès libre avec résumé
      Cet article propose de calculer des indicateurs de bulles boursières et immobilières pour la zone euro dans son ensemble et pour ses quatre plus grands pays : Allemagne, France, Italie et Espagne. Sur la base de la méthode proposée par Blot, Hubert et Labondance (2018), nous estimons des composantes bulles issues des différents modèles utilisés dans la littérature et construisons un indicateur synthétique par prix d'actifs. Nos estimations permettent clairement d'identifier la bulle internet des années 2000 ainsi que la surévaluation des indices boursiers en 2007. Les marchés immobiliers des quatre pays de la zone présentent cependant des caractéristiques plus hétérogènes. Sur la période récente, les indicateurs suggèrent que la zone euro est caractérisée par une surévaluation sur les marchés actions et immobiliers ; la surévaluation boursière étant cependant très faible et de bien moindre ampleur que celle observée en fin d'année 2007. La bulle immobilière reflète en réalité la situation du marché immobilier allemand puisqu'aucune bulle positive n'est identifiée pour les trois autres pays de la zone euro. La corrélation des indicateurs de bulle sur les marchés boursiers est bien plus importante. Ces indicateurs permettent d'évaluer les risques d'instabilités financières dans la zone euro, ce qui constitue une information essentielle pour la politique économique qui vise à maintenir la stabilité financière. Néanmoins se pose la question de l'instrument le plus approprié pour freiner le développement de ces bulles et du mode de coordination de la politique de stabilité financière dans une union monétaire décentralisée. D'une part, l'efficacité d'une stratégie de politique monétaire de « leaning against the wind » n'est pas garantie ; d'autre part, la politique monétaire de la BCE n'est probablement pas un outil approprié pour influencer des bulles hétérogènes entre les pays comme c'est le cas pour le marché immobilier. Il y a donc un rôle important pour la mise en œuvre d'une politique macroprudentielle, en particulier pour limiter les bulles sur les marchés immobiliers des pays de la zone euro.
    • Normalisation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne : Vers quel(s) objectif(s) ? - Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert p. 207-226 accès libre avec résumé
      La mise en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles a entraîné une forte augmentation de la taille du bilan des banques centrales. Alors que le temps de la normalisation de la politique monétaire semble être venu – la BCE a d'ores et déjà annoncé la fin de sa politique ultra-accommodante et la baisse de la taille de son bilan pourrait intervenir en début d'année 2019 –, une question importante reste en suspens : quelle est la taille « normale » du bilan de la BCE ? S'agit-il de celle qui prévalait avant la crise de 2007-2008 ou pas ? En effet, alors même que les mesures non conventionnelles des banques centrales étaient supposées être exceptionnelles et temporaires, un débat s'est engagé sur l'opportunité d'intégrer certaines de ces mesures à la liste des instruments usuels de la politique monétaire. En d'autres termes, de nombreux économistes, notamment, s'interrogent sur l'opportunité pour les banques centrales de conserver des tailles de bilan importantes, plus grandes en tout cas que celles d'avant-crise, pour assurer leurs missions. Au-delà des canaux de transmission différenciés qu'elles offrent, les mesures non-conventionnelles sont en effet aussi susceptibles de renforcer la capacité des banques centrales à assurer la stabilité financière. La question d'adopter des politiques de bilan permanentes pour les banques centrales se pose d'autant plus que le contexte institutionnel a évolué depuis la crise : les missions des banques centrales ont été élargies et les préoccupations à l'égard de la stabilité financière sont croissantes. Cet article présente ainsi des scénarios de réduction de la taille du bilan de l'Eurosystème ainsi que les arguments en faveur de la pérennisation de certaines des mesures non conventionnelles. Si les arguments sont nombreux, il faut bien reconnaître que les économistes n'ont pas encore complètement analysé l'effet potentiel des politiques de bilan sur la stabilité macroéconomique et financière. Ceci ne devrait pourtant pas empêcher les banques centrales de recourir à ces politiques pour compléter l'arsenal des instruments à leur disposition pour faire face aux besoins de liquidité des banques commerciales, pour atténuer la fragmentation bancaire et pour assurer la fourniture d'actifs liquides sans risque dans la zone euro.
    • L'Union bancaire face au défi des prêts non performants - Céline Antonin, Sandrine Levasseur, Vincent Touzé p. 227-252 accès libre avec résumé
      À ce jour, la mise en place du troisième pilier de l'Union bancaire, à savoir la création d'une assurance européenne des dépôts, est bloquée. Certains pays – à l'instar de l'Allemagne ou des Pays-Bas – arguent en effet que le risque de défaut bancaire est encore trop hétérogène en zone euro pour permettre une mutualisation des garanties de dépôts.Notre article s'intéresse à la façon de résoudre le « problème » des prêts non performants (PNP) afin de sortir de cette impasse et d'achever enfin l'Union bancaire. L'achèvement de celle-ci est crucial pour restaurer la confiance et permettre l'émergence d'un marché bancaire intégré.Notre état des lieux montre que :Les PNP atteignent encore des niveaux inquiétants dans certains pays. La situation est alarmante pour Chypre et la Grèce où les PNP nets des provisions représentent plus de 20 % du PIB tandis que la situation est « seulement » préoccupante pour la Slovénie, l'Irlande, l'Italie et le Portugal où les PNP nets des provisions sont compris entre 5 et 8 % du PIB ;Au total, fin 2017, le montant de PNP non provisionné pour la zone euro s'établissait à 395 milliards d'euros, soit l'équivalent de 3,5 % du PIB de la zone euro. Considéré à cette dernière échelle, le « problème » des PNP non provisionnés apparaît donc plus modeste.Au-delà des solutions privées consistant en abandon de créances, provisionnement, titrisation et création de bad banks, nous concluons que ce sont les autorités publiques au niveau européen qui disposent in fine des moyens d'action les plus importants. Leurs leviers sont multiples : ils incluent la définition du cadre réglementaire et institutionnel, la supervision par la BCE qui pourrait être étendue à davantage de banques, sans oublier les politiques monétaire et budgétaire au niveau de la zone euro qui pourraient être mobilisées pour acheter des créances douteuses ou entrer au capital de banques en situation de détresse financière.
    • Vers un nouveau rôle des banques en zone euro - Marcello Messori p. 253-266 accès libre avec résumé
      De la mi-2007 à la mi-2013, l'Union économique et monétaire européenne (UEM) a été affectée par des crises de l'économie financière et « réelle » qui ont eu un impact significatif sur l'évolution des banques européennes. Dans l'après-crise, ces dernières ne seront pas en mesure de reprendre leur ancien rôle dominant dans le financement de l'économie « réelle » et dans la gestion des portefeuilles financiers des ménages. La thèse de ce papier est que, en conséquence, les marchés financiers de la zone euro sont confrontés à deux problèmes majeurs : (i) la définition d'une nouvelle division du travail entre les banques et les intermédiaires financiers non bancaires ; (ii) la création de sources de financement alternatives pour les entreprises non financières. La solution de ces deux problèmes requiert, entre autres, de combler le possible écart qualitatif et quantitatif entre l'allocation souhaitée des détenteurs de fonds et l'offre de prêts à l'économie « réelle ». Dans le nouveau modèle financier, la construction de ce pont ne sera plus entièrement confiée aux banques. D'autres intermédiaires financiers devront apprendre à jouer un rôle important. Ce papier montre que les banques de l'UEM ont intérêt – à court terme et à long terme – à aider d'autres intermédiaires financiers à jouer ce rôle. À court terme, les banques seraient rémunérées pour leurs services et pourraient sélectionner leurs nouveaux modèles d'activités spécifiques, évitant ainsi un transfert de compétences dans ces activités ; à long terme, les banques pourraient éliminer un sous-ensemble de leurs anciennes activités, devenues non rentables, et tirer avantage de leurs nouvelles spécialisations. De l'autre côté, chaque intermédiaire non bancaire a tout intérêt à diminuer le temps de son apprentissage en achetant les services offerts par les banques. Les entreprises non financières y gagneraient ainsi deux fois : l'amélioration de la quantité et de la qualité des services financiers mis à leur disposition serait réalisée dans un délai plus court.
    • Comment achever l'union bancaire ? - Nicolas Véron p. 267-278 accès libre avec résumé
      L'union bancaire, engagée à la mi-2012 au moment le plus critique de la crise de la zone euro, est d'abord et avant tout une réponse au défi existentiel que représente le « cercle vicieux banques- souverains » tel qu'il a été révélé au cours de la crise. Elle se compose actuellement de deux nouveaux dispositifs : le « mécanisme de supervision unique » qui centralise la surveillance prudentielle des banques à la Banque centrale européenne, et le « mécanisme de résolution unique » qui organise la résolution future des crises bancaires les plus importantes autour d'une nouvelle agence européenne. Ces réformes sont positives. S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur le mécanisme de résolution, la nouvelle architecture de surveillance fonctionne et sa performance apparaît sensiblement supérieure à celle du système antérieur des superviseurs nationaux.Mais l'union bancaire est un chantier inachevé, qui ne peut encore que très partiellement remplir sa mission de rupture du cercle vicieux banques-souverains. Pour atteindre cet objectif, plusieurs réformes interdépendantes restent à engager. Les principales sont la réduction des expositions excessives des banques au risque souverain de leur pays d'origine, atteignable par une modification appropriée de la réglementation sur les exigences de fonds propres ; la mise en place d'une assurance des dépôts intégrée pour l'ensemble de la zone euro ; et le démantèlement des pratiques de confinement (ring-fencing) pays par pays du capital et de la liquidité des groupes bancaires transfrontaliers à l'intérieur de la zone euro. Avec des dispositions transitoires et un calibrage approprié, ces réformes peuvent être effectuées à traités constants et sans risque pour la stabilité financière.
  • Partie III. Quelle politique budgétaire en Europe ?

    • Les règles budgétaires : Une analyse empirique sur données révisées et en temps reel - Pierre Aldama, Jérôme Creel p. 279-306 accès libre avec résumé
      Nous estimons des fonctions de réaction budgétaires afin de capturer deux objectifs de la politique budgétaire : la stabilisation du cycle macroéconomique et la stabilisation de la dette publique, selon la position de l'économie dans le cycle, avec une attention particulière aux années de crise (2009-2013) et en fonction de l'appartenance ou non à la zone euro. Nous utilisons des données révisées et en temps réel entre 1996 et 2018 pour les 15 premiers pays membres de l'UE plus 4 économies avancées de l'OCDE. Les données en temps réel aident à identifier les déterminants effectifs des États au moment de leurs décisions budgétaires. Nous ne trouvons aucune preuve empirique d'un comportement budgétaire « irresponsable », du point de vue de la soutenabilité budgétaire, des pays de la zone euro. Le solde primaire et le solde structurel primaire s'accroissent respectivement de 0,7 et 0,5 point de PIB à la suite d'une hausse de 10 points de PIB de la dette publique, toutes choses égales par ailleurs. Pendant la crise, les États extérieurs à la zone euro ne réagissent plus à la dette publique, contrairement à ceux de la zone euro. Nous trouvons ensuite que la politique budgétaire est contra-cyclique, en haut de cycle et en dehors des années de crise ; cependant, sa composante discrétionnaire est plutôt pro-cyclique, particulièrement en bas de cycle et pendant les années de crise. La principale différence entre les États de la zone euro et les autres tient au caractère pro-cyclique de la consolidation budgétaire des premiers après la crise de 2008-2009. Les résultats pour la zone euro plaident pour une réforme des règles budgétaires, mais pas forcément dans le sens le plus généralement admis. En effet, la question de la discipline de marché ne semble pas primordiale : les États assurent, par leurs politiques budgétaires, la soutenabilité de leurs finances publiques. Cela concourt sans doute à des politiques pro-cycliques qui retardent la stabilisation macroéconomique parce qu'elles pèsent, via les effets multiplicateurs, sur l'activité et accélèrent, au lieu de la ralentir, l'accumulation des dettes publiques. Les politiques budgétaires européennes ont donc grand besoin d'être plus souples, moins normatives, centrées sur les propriétés de stabilisation. Cela passera par une attention moins grande portée à l'objectif de dette publique au bénéfice de politiques discrétionnaires de stabilisation.
    • Refonte des règles budgétaires européennes - Bruno Ducoudré, Mathieu Plane, Xavier Ragot, Raul Sampognaro, Francesco Saraceno, Xavier Timbeau p. 307-330 accès libre avec résumé
      Les règles budgétaires européennes fixent un certain nombre de contraintes sur les finances publiques des États membres. Ceux-ci doivent respecter un plafond de déficit et de dette et s'engager sur un objectif de solde structurel à moyen terme. Ils doivent aussi respecter une variation du solde structurel et limiter la progression des dépenses publiques. En parallèle, à l'ajout de nouvelles contraintes, les dernières réformes de la gouvernance ont introduit des flexibilités afin de mieux adapter la réponse aux chocs macroéconomiques. Le cadre est ainsi devenu plus complexe mais il n'a pas permis d'éviter la crise des dettes souveraines dans la zone euro.De nombreuses propositions de réforme des règles sont actuellement en débat. Le FMI a proposé une philosophie de réforme pour un meilleur équilibre entre flexibilité, simplicité et contrainte. Cette philosophie a été introduite dans le cadre de la zone euro par quatorze économistes franco-allemands. Ils proposent de rebâtir les règles budgétaires autour d'une règle de dépenses publiques avec un mécanisme correcteur de la dette. Nous analysons les propriétés macroéconomiques de cette proposition.Selon les simulations réalisées à partir du modèle iAGS, la règle de dépense est inapplicable à des pays ayant un niveau de dette trop éloigné de 60 % mais qui présentent des soldes structurels positifs, tels l'Italie ou le Portugal. Pour ces pays la règle provoque des efforts irréalistes qui aboutiraient à une très forte décroissance de la dette, l'amenant en terrain négatif assez rapidement. Ceci est accentué par le fait que la règle proposée est asymétrique.À nos yeux, une règle budgétaire, même réformée, ne suffira pas pour sortir de la synchronisation des politiques budgétaires et aller vers une véritable coordination. La tension existe entre une gouvernance par les règles et une gouvernance par la coordination. L'analyse des règles actuelles et de la proposition des quatorze économistes franco-allemands nous conduit à plaider pour la seconde option. L'hétérogénéité des pays européens rend impossible l'imposition à tous d'une règle simple. Il faut dès lors augmenter l'intensité de l'analyse économique portant sur la situation de chaque pays pour donner les moyens à une institution de prendre des décisions informées et de fournir des recommandations sur moyenne période. La contrepartie de cette agilité est un contrôle plus important de la soutenabilité des finances publiques. De manière plus opérationnelle, les interactions au sein du Semestre européen pourraient jouer ce rôle-là. Cette instance pourrait devenir le moment où l'on définit et l'on met en place conjointement la stratégie de croissance de l'Union, et où l'on établit la contribution de chaque pays à l'objectif commun.
  • Partie IV. Fiscalité des entreprises en Europe

    • Quel rôle peut jouer l'Europe dans l'imposition des multinationales ? - Guillaume Allègre, Julien Pellefigue p. 331-358 accès libre avec résumé
      Depuis 2008, la fiscalité directe des entreprises est devenue un sujet de préoccupation politique au niveau européen. De fait, le régime fiscal en Europe permet aux entreprises de dé-corréler dans une large mesure leurs décisions d'investissement et de localisation du profit, ce qui favorise la concurrence entre Etats membres pour attirer les investissements et surtout la base taxable des multinationales. Comme le prédit la théorie économique, la concurrence fiscale européenne a eu pour conséquence une réduction des taux d'impôt sur les sociétés (IS) et une augmentation des taux d'imposition de la consommation, base moins mobile. Sans action, la course vers le bas des taux d'IS est susceptible de se poursuivre. L'action européenne en matière de fiscalité directe devrait tenir compte de plusieurs paramètres difficiles à concilier : l'efficacité de l'allocation intra-européenne du capital, l'équité inter-nation, et le contrôle du niveau de l'intensité de la concurrence fiscale entre États membres. La Commission européenne étudie actuellement un projet de directive ACCIS, qui avait été abandonné à la fin des années 2000, et qui a pour objectif de limiter la capacité des multinationales à séparer leurs décisions d'investissement et leurs décisions d'allocation de la base taxable. La mise en œuvre de cette directive serait susceptible d'accroître les distorsions dans l'allocation du capital en présence d'écart importants entre les taux d'IS des États membres. L'équité inter-nation serait probablement améliorée même s'il n'existe pas aujourd'hui de consensus théorique et politique sur une formule de calcul. Enfin l'impact sur le niveau d'intensité de la concurrence fiscale est incertain. L'intervention européenne en matière de fiscalité des entreprises se heurte donc à un double problème, technique, pour trouver un dispositif théoriquement satisfaisant, et politique.
    • L'impôt sur les sociétés peut-il survivre à la mondialisation et à l'intégration européenne ? - Henri Sterdyniak p. 359-382 accès libre avec résumé
      En raison de la concurrence fiscale, aiguisée par la liberté de circulation des marchandises et des capitaux, les taux de l'impôt sur les sociétés (IS) tendent à diminuer dans les pays développés. Les firmes multinationales pratiquent l'optimisation fiscale en jouant des incohérences entre législations et en localisant leurs profits dans des paradis fiscaux par les prix de transferts et les redevances, ce qui leur donne un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises nationales. L'IS a deux justifications : imposer les actionnaires et taxer les sociétés en tant que telles. Cet impôt reste indispensable pour assurer la cohérence du système fiscal, pour taxer les profits non distribués et les actionnaires étrangers, pour permettre à l'État d'orienter la production, pour taxer les grandes entreprises comme agents autonomes. Au niveau international, le principe de la taxation à la source (chaque pays taxe les profits réalisés sur son territoire) doit l'emporter sur celui de la taxation à la résidence, facilement manipulable. Cependant, la mondialisation rend difficile de localiser où le profit est créé (au lieu de production, de commercialisation, de détention des brevets, de résidence des actionnaires ?), et donc où il devrait être imposé. L'harmonisation fiscale suppose un accord entre les pays, difficile à atteindre car les plus petits bénéficient des transferts de profits. Il faut choisir entre l'uniformisation des taux (pour assurer la neutralité fiscale, pour éviter le transfert des profits) et la différenciation pour permettre aux pays désavantagés d'attirer les entreprises. L'article présente le projet BEPS de l'OCDE pour lutter contre l'optimisation fiscale et les projets ambitieux de la Commission européenne d'assiette commune de l'IS (ACIS) et de répartition du profit des entreprises multinationales entre les pays selon une clé non manipulable (ACCIS). Une harmonisation progressive semble plus réaliste. Elle devrait supprimer les possibilités de non-imposition, affirmer le principe de taxation à la source (en imposant la création d'établissement stable, en particulier pour les entreprises numériques), interdire la localisation des profits dans les paradis fiscaux et fixer des taux plancher d'imposition.
  • Partie V. L'Europe du bien-être et du climat

    • Construire une politique énergétique et climatique européenne cohérente - Gissela Landa Rivera, Paul Malliet, Aurélien Saussay, Frédéric Reynès p. 383-401 accès libre avec résumé
      L'Union européenne (UE) a acquis au cours des deux dernières décennies une position de leader dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, malgré les progrès significatifs réalisés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) au cours de cette période, l'efficacité du pilotage de la politique climatique et énergétique au niveau de l'UE demeure insatisfaisante. Dans cet article, nous nous efforçons d'identifier le rôle que l'UE peut jouer pour faciliter la mise en œuvre de politiques de transition énergétique ambitieuses. Tout d'abord, si la gestion des projets liés à la transition énergétique est généralement mieux adaptée au niveau local ou national, le niveau européen reste le plus approprié pour collecter des fonds ou piloter des infrastructures transnationales de réseaux d'énergie et de transport. Ceci est mis en évidence par une analyse des projets financés par le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI). Deuxièmement, au-delà des objectifs au niveau de l'UE, la coordination entre les États membres sur la définition de leurs infrastructures énergétiques est essentielle. Un déploiement réussi des énergies renouvelables nécessite un haut niveau d'intégration pour surmonter les difficultés liées à l'intermittence. Des stratégies opposées peuvent avoir des effets négatifs, ralentir la tendance actuelle des investissements dans les capacités renouvelables et empêcher ainsi l'UE de respecter les engagements déterminés par ses États membres au niveau national (Intended Nationally Determined Contributions, INDC). La coordination entre les politiques énergétiques nationales devrait être assurée au niveau de l'UE, qui pourrait associer plus efficacement les différentes sources de financement, constituer un marché de capacité et même définir une politique commune de la taxe carbone à côté du système d'échange de quotas d'émissions (Emissions Trading System, ETS). Enfin, la conception des politiques d'atténuation du changement climatique devrait mettre davantage l'accent sur les bénéfices commerciaux potentiels que l'UE peut tirer de sa position de leader dans ce domaine. La quasi-disparition de l'industrie photovoltaïque européenne face à leurs concurrents chinois devrait faire prendre conscience aux autorités européennes que l'avantage actuel est fragile. Malgré une position significative de leader dans de nombreux domaines de lutte contre le changement climatique, les dividendes économiques dont l'UE pourrait profiter ne sont pas assurés par les politiques actuellement mises en œuvre. Il s'agit notamment d'aller au-delà de la recherche en R&D en consacrant davantage d'efforts à la commercialisation de produits et technologies innovants liés à la transition énergétique.
    • Pour une Europe du bien-être - Éloi Laurent p. 403-417 accès libre avec résumé
      L'Union européenne a deux bonnes raisons d'embrasser la transition vers le bien-être et la soutenabilité : d'une part, elle s'est historiquement construite comme un pouvoir normatif et post-matérialiste ; d'autre part, dans le contexte géopolitique actuel, elle doit prendre son « destin en main » et inventer un modèle original et robuste de développement. Cette transition vers le bien-être a un sens précis : au lieu de la croissance, les décideurs devraient se préoccuper du bien-être (le développement humain), de la résilience (la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de la soutenabilité (le souci du bien-être futur). Il existe à cet égard un véritable paradoxe européen en ce qui concerne les indicateurs de bien-être depuis la « grande récession » : d'une part, l'UE a tenté de capitaliser sur le mécontentement à l'égard de l'économie standard et de faire sien l'agenda « au-delà du PIB » qu'elle a contribué à lancer. D'autre part, les institutions européennes sont devenues encore plus rigides dans l'application de ses critères de finance publique. Cet article présente d'abord les enjeux de la transition du bien-être avant d'indiquer des voies possibles d'ancrage de cette transition dans les politiques publiques de l'Union européenne, à tous les niveaux de gouvernance. On peut de ce point de vue envisager au moins trois niveaux d'action pour inscrire les indicateurs de bien-être, de résilience et de soutenabilité dans les politiques publiques de l'Union européenne : le niveau européen, le niveau national et le niveau local. On peut de plus croiser ces niveaux de gouvernance avec trois lieux de l'action politique : la démocratie représentative, la démocratie réglementaire et la démocratie participative. Au niveau européen notamment, tout reste ainsi à faire pour intégrer les indicateurs de bien-être aux procédures budgétaires : l'UE pourrait concevoir et organiser, au cours du semestre européen, un débat au Parlement européen et dans tous les parlements des États membres, informé des indicateurs de bien-être et de soutenabilité, orienté par les valeurs européennes et les priorités nationales visant à déterminer les choix budgétaires au-delà des seuls critères de discipline fiscale.
  • Partie VI. Démocratie et institutions en Europe

    • Une monnaie démocratiquement partagée entre des démocraties - Maxime Parodi p. 419-435 accès libre avec résumé
      Le piège dans les débats sur l'Union européenne consiste à penser la démocratie au niveau de l'Union à partir de nos expériences démocratiques nationales. Or l'espace politique européen est tout à fait spécifique, composé d'une multitude de peuples très ouverts les uns aux autres, interagissant massivement ensemble et soumis de ce fait à des conflits d'intérêts transnationaux qui attendent des solutions pacifiques. La démocratie doit donc prendre une forme différente pour tenir compte de cette spécificité. C'est toute l'idée portée par le néologisme de démoicratie et il permet de reconsidérer d'un œil neuf les notions de déficit démocratique de l'UE et d'incomplétude de l'euro.Le cadre proposé est assez souple et autorise de nombreux arrangements institutionnels, tout en posant des limites. Par exemple, la France porte souvent des propositions centralisatrices et interventionnistes pour sauver ou « compléter » l'euro sans réussir toutefois à résoudre de manière convaincante les problèmes de légitimité démocratique que cela pose. De son côté, l'Allemagne s'oppose régulièrement aux interventions discrétionnaires en faveur de tel ou tel partenaire par crainte que cela n'alimente le risque de hasard moral. Mais, mené à son terme, ce raisonnement aboutit à refuser toute forme de solidarité entre les partenaires. Le soutien à un partenaire n'est envisagé que pour des raisons systémiques, lorsque la crainte d'être soi-même emporté vers le bas finit par s'imposer. Or la perspective démoicratique défend un principe de solidarité qui refuse de sacrifier une nation au nom de l'efficacité économique supposée d'une politique. La solidarité entre les citoyens de nations voisines ne doit pas être aussi forte qu'entre concitoyens, mais elle doit garantir que chaque nation partenaire a un avenir économique. Les exigences françaises et allemandes devraient pouvoir s'accorder sur le principe d'une telle solidarité : d'un côté, elle réduit le risque de hasard moral de gouvernements en étant suffisamment faible ; de l'autre, elle est indéfectible, de manière à non seulement limiter le risque systémique mais surtout à donner sens à l'idée même d'union, à l'idée que la coopération doit d'abord profiter à tous.
    • Le socle social en perspective historique - Maria Jepsen, Philippe Pochet p. 437-461 accès libre avec résumé
      Cet article analyse l'évolution de la dimension sociale en Europe depuis les débuts de l'Union européenne (UE). Il identifie quatre périodes de construction du « social », chacune empruntant des voies et revêtant une dimension différente pour répondre aux défis particuliers du moment. À chaque fois, le développement de la dimension sociale a été un symbole chargé de rétablir la confiance dans le projet d'intégration en même temps qu'il a permis de démontrer que l'Europe n'était pas seulement économique, mais aussi sociale. L'article s'intéresse plus spécifiquement à la période postérieure à 2005, période qui coïncide avec l'élargissement de l'UE aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Tandis que le détachement des travailleurs fut longtemps un exemple presque caricatural de la division Est/Ouest en matière sociale, un changement de préférence s'est progressivement opéré au sein même des gouvernements des PECO : dorénavant, un modèle basé sur la faiblesse des coûts salariaux n'y apparaît plus comme garantissant le développement économique. D'où, en mai 2018, la possibilité (enfin offerte) de révision de la directive sur les travailleurs détachés. Les années récentes sont aussi marquées par la présentation d'un Socle européen de droits et principes qui pourrait constituer la quatrième tentative de relance de l'Europe sociale.L'article conclut en proposant des pistes visant à maintenir et à renforcer le modèle social européen, telles qu'une coordination nationale des salaires compatibles avec les contraintes de l'UEM, l'instauration d'un revenu social minimum ou encore la création d'une plateforme tripartite évaluant le dialogue social et la négociation collective. L'ensemble des pistes nécessitent que l'on crée des institutions porteuses de solidarité, qui limitent la place du marché. Ces institutions doivent permettre de soutenir un processus de convergence dans un monde marqué par une nouvelle phase de globalisation et par la nécessité d'une transition écologique la plus rapide possible. Mais c'est surtout par un débat démocratique ouvert et des alliances nouvelles d'acteurs qu'il nous semble que le déblocage pourra se faire.
    • Populisme et gouvernabilité dans la perspective des élections européennes - Emiliano Grossman p. 463-474 accès libre avec résumé
      La montée en puissance des mouvements et des partis populistes se confirme désormais à chaque élection nationale. De plus en plus souvent, ces partis sont même en mesure de participer au gouvernement. Le discours populiste se distingue plus par la forme, souvent très similaire d'un pays à l'autre, que par un contenu précis. Il est vrai, cependant, que l'Europe ou, plutôt, l'euroscepticisme est devenu une marque de fabrique des partis populistes. Ils profitent de l'absence d'un discours sur l'Europe cohérent du côté des partis de gouvernement. Trop souvent, ces derniers préfèrent entretenir l'ambiguïté sur leurs positions relatives à l'Europe, faisant alors le jeu des discours eurosceptiques et des partis populistes. Le résultat est un discours de plus en plus anti-européen un peu partout, même si la réalité varie fortement d'un pays à l'autre. Dès lors, il se pose la question de l'avenir de l'Europe dans un contexte aussi défavorable. Le président Macron, en mettant l'accent sur l'Europe a éveillé un nouvel espoir chez les défenseurs de l'intégration européenne, même si les contours du projet européen macronien restent flous, à ce jour. Qui plus est, le président français ne pourra pas avancer tout seul, mais les soutiens dans les autres capitales ne sont pas trop audibles. Une vraie réponse exige la fin de l'ambiguïté du discours sur l'Europe et le développement d'un argumentaire positif sur les opportunités et l'avenir de l'Europe qui répond aux inquiétudes des électeurs des partis populistes, tout en soutenant le projet européen.
    • Europe et démocratie - Enrico Letta p. 475-481 accès libre