Contenu du sommaire : L'archive européenne
Revue | Revue Française de Science Politique |
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Numéro | vol. 69, no 1, février 2019 |
Titre du numéro | L'archive européenne |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'archive européenne. Pour une sociohistoire renouvelée des formes de connaissance de l'Europe
- Savoirs et pouvoirs dans le gouvernement de l'Europe : Pour une sociohistoire de l'archive européenne - Francisco Roa Bastos, Antoine Vauchez p. 7-24 Cet article (et le dossier qu'il introduit) propose de renouveler l'étude des formes de connaissance de l'Europe à partir de la notion-test d'Archive. Reprise à la fois aux historiens et à L'archéologie du savoir de Michel Foucault, la notion d'Archive – ici retravaillée pour la mettre au service d'une sociohistoire attentive aussi bien aux acteurs, à leurs luttes d'intérêt qu'à leurs discours – permet d'inclure dans l'analyse des « savoirs d'Europe » ce qui a été jusqu'ici laissé dans l'ombre. Car si l'étude des savoirs de gouvernement transnationaux est en plein essor, elle s'est concentrée pour l'instant sur les catégories et les paradigmes les plus consacrés, et donc sur ce qu'on pourrait appeler la doxa européenne. Mais elle a laissé de côté tous les savoirs avortés de la « construction européenne » : les catégories oubliées, les objets perdus, les savoirs contestés et rejetés... bref, tous ces « échecs doxiques » que la notion d'Archive permet de prendre en compte, en élargissant la focale pour inclure tous les discours, souvent contradictoires, qui ont été formulés sur l'Europe, par des acteurs bien plus divers que les traditionnels « entrepreneurs d'Europe » bien identifiés. Une manière de réencastrer l'« Europe de Bruxelles » dans ses différents contextes historiques et sociaux, pour mieux en comprendre les logiques de structuration.KNOWLEDGE AND POWER IN EUROPEAN GOVERNMENT. TOWARDS A SOCIOHISTORY OF THE ARCHIVES OF THE EUROPEAN UNIONThis article (and the journal issue it introduces) proposes a new angle of research on the different forms of “European knowledge“, from the lens of the philosophical notion of the Archive. This concept, borrowed from the historians and more specifically from Michel Foucault's The Archaeology of Knowledge, is reworked and put to the service of a sociohistory that is mindful simultaneously of the actors involved, their conflicting interests and their discourse. Under the umbrella of “European knowledge“, this study is able to shed light on many things which had hitherto been left in the dark. For while the study of transnational “government knowledge“ has rapidly expanded, such research has primarily focused on the most established categories and paradigms : on what might be called the European doxa. But these studies have therefore neglected all the aborted attempts at knowledge that have accompanied the process of European integration: forgotten categories, lost objects, disputed and rejected forms of knowledge – in short, all the “doxic failures“ that the notion of the Archive allows us to take into account by expanding the scope to include the many (and often contradictory) discourses that have been formulated with regard to Europe, by actors far more diverse than the image presented by well-known “European entrepreneurs“. This article offers a way to recontextualise the “Europe of Brussels“ in a variety of different historical and social contexts, with a view to better understanding the logics of its structuring.
- Mettre l'europe en boîtes : L'édification des archives historiques de l'Union européenne - Morgane Le Boulay p. 25-45 Monument en trompe-l'œil dans la mesure où nombre de documents n'y sont pas accessibles, les Archives historiques de l'Union européenne (AHUE) restent malgré tout l'un des éléments matériels et symboliques incarnant le pouvoir européen. Cet article montre qu'elles sont le fruit de la mobilisation de divers acteurs : institutions communautaires (au premier rang desquelles la Commission), acteurs historiques de la construction européenne, mais aussi historiens et archivistes. Ces « coentrepreneurs d'archives » ne sont pas uniquement animés par le souci de légitimer l'Union européenne. Malgré des conflits, ils coopèrent et privilégient une histoire officielle, celle des institutions et des dirigeants, au détriment d'autres visions de l'Europe moins héroïques qui ont été envisagées mais bientôt abandonnées. L'effet de ces archives sur les publications scientifiques doit cependant être nuancé, car les chercheurs utilisent aussi des sources complémentaires.CLASSIFYING EUROPE. ESTABLISHING THE HISTORICAL ARCHIVES OF THE EUROPEAN UNIONIt may be argued that since many of the documents it houses are not accessible to the public, the Historical Archives of the European Union (HAEU) function as a kind of trompe-l'œil monument. The Archives nevertheless remain one of main material and symbolic embodiments of European power. This article demonstrates that their establishment involved the mobilisation of various actors : European institutions (first and foremost the Commission) and historical agents of European integration, as well as historians and archivists. These “co-entrepreneurs“ were not solely driven by the desire to legitimise the European Union. Despite internal conflicts, they cooperated in the service of establishing an official history of institutions and leaders, to the detriment of other, less heroic views of Europe which were initially considered but rapidly discarded. The effects that the Archives have had on scientific publications nonetheless deserves a more nuanced approach, given that scholars use also complementary sources.
- Les sciences sociales européennes font-elles l'Europe ? : L'institut universitaire européen, le béhavioralisme et la légitimation de l'intégration européenne - Thibaud Boncourt p. 47-74 L'Institut universitaire européen (IUE), ouvert en 1976 à Florence, incarne l'ambition de légitimer la construction européenne par la connaissance scientifique. Cet article cherche à comprendre comment ces injonctions politiques se réfractent dans l'activité scientifique de l'IUE, à identifier le type de savoirs produits à l'institut et à comprendre leur contribution à la structuration d'une archive européenne. À partir d'une étude de l'histoire du département de sciences politiques et sociales (SPS) sur la base d'archives diversifiées, il montre la manière dont s'impose au département une science politique béhavioraliste, quantitative et comparative de l'Europe. L'histoire de cette victoire paradigmatique met en évidence l'un des mécanismes par lesquels se structurent certaines des approches aujourd'hui centrales pour les études européennes.HAVE EUROPEAN SOCIAL SCIENCES HELPED TO CREATE EUROPE?. THE EUROPEAN UNIVERSITY INSTITUTE, BEHAVIOURALISM, AND THE LEGITIMISING OF EUROPEAN INTEGRATIONFounded in 1976 in Florence, the European University Institute embodied the goal of legitimising the European project on the basis of scientific knowledge. This article seeks to shed light on how such a political imperative was refracted throughout the scientific activities of the Institute, as well as to describe the type of knowledge that the Institute produced and to understand its contribution to the creation of European archives. Drawing on a study of the history of the Institute's department of social and political science and using a wide variety of archival materials, this article illustrates how a behaviouralist, quantitative and comparative political science of Europe came to dominate the department's work. The trajectory of this paradigmatic victory highlights one of the mechanisms which govern certain perspectives that are key to European studies today.
- L'impossible doctrine européenne du service public : Aux origines du service d'intérêt économique général (1958-1968) - Mélanie Vay p. 75-94 Cet article explore un recoin délaissé de l'Archive européenne, à savoir l'étonnant échec de la bipartition « public »-« privé » (pourtant si structurante à l'échelon national) à prendre racine dans les catégories d'entendement dominantes du « projet européen ». En repartant des conflits historiques des débuts de la Communauté européenne autour des notions d'« entreprise publique » et de « service d'intérêt économique général » (Sieg), on retrace l'impossible formation d'une doctrine européenne du service public, dans un contexte où le secteur étatique et para-étatique est pourtant florissant dans les six pays fondateurs. Observer la trajectoire de ces labels dominés permet de mieux comprendre comment s'est construite initialement la doxa économique européenne, mais aussi les savoirs qui ont été oubliés, dans l'« Archive » plus large de l'Europe.THE FRAUGHT DEVELOPMENT OF EUROPEAN PUBLIC SERVICE DOCTRINE. THE GENESIS OF THE “SERVICE OF GENERAL ECONOMIC INTEREST“ (1958-1968)This article explores a neglected corner of the Historical Archives of the European Union : namely, the stunning failure of attempts to establish a separation between the public and the private – a division that is otherwise so prevalent at the national level in many member states – at the intellectual heart of the “European project“. By examining the historical conflicts surrounding the notions of “public enterprise“ and “service of general economic interest“ which accompanied the birth of the European Economic Community, this article describes the fraught development of a European doctrine of public service in the context of its six founding members, where the state and parastatal sectors are nonetheless thriving. Observing the trajectory of these two key notions allows us to better understand how European economic doxa was initially developed, as well as to shed light on some of the forgotten forms of knowledge that have been lost in the stacks of the broader European “archives“.
- Un marché sans économistes ? : La planification et l'impossible émergence d'une science économique européenne (1957-1967) - Hugo Canihac p. 95-116 La contribution des savants à la construction européenne a fait l'objet d'un intérêt nouveau ces dernières années. Mais, si le rôle des juristes dans la production de formes de connaissance de l'Europe a été mis en évidence, la contribution des économistes semble étrangement limitée durant les premières années d'existence du Marché commun. C'est ce paradoxe d'un savoir économique qui ne « vient pas » au Marché commun qu'interroge cet article. Nous étudions pour cela les mobilisations, au début des années 1960, d'un collectif évoluant entre science économique et politique pour faire exister une « programmation économique communautaire ». Nous avançons que la difficulté à produire un savoir reconnu comme « scientifique » est une raison importante de la faiblesse de leur entreprise. Il s'agit alors de souligner la tension à laquelle est confrontée toute entreprise de mobilisation de la science (économique) dans le jeu politique : le succès des revendications d'un gouvernement « scientifique » dépend de la capacité de ses partisans non seulement à enrôler la science, mais aussi à stabiliser une distinction entre le savant et le politique.A MARKET WITHOUT ECONOMISTS?. MARKET PLANNING AND THE IMPOSSIBLE EMERGENCE OF EUROPEAN ECONOMICS (1957-1967)The contribution of academics to European integration has attracted renewed interest in recent years. But while the role of jurists has been frequently highlighted with regard to the production of forms of knowledge, the contribution of economists seems surprisingly limited during the early years of the Common Market. This article investigates the paradox of a form of economic knowledge that doesn't “come“ to the Common Market. In this regard, we shall study the mobilisation, in the early 1960s, of a collective of economists and politicians who promoted European economic planning. We argue that the difficulty of producing economic knowledge that is recognised as “scientific“ is an important explanation for their relative failure. It is therefore necessary to emphasise the obstacle faced by any attempt at exploiting (economic) science in politics: the success of a “scientific government“ not only depends on the ability of its advocates to call on science, but also to establish a stable distinction between science and politics.
- Penser l'État contre l'Europe : La genèse d'une orthodoxie juridique dans la République fédérale d'Allemagne de 1949 à l'arrêt Maastricht - Christophe Majastre p. 117-136 En prenant pour point de départ la décision sur le traité de Maastricht de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (CCF), cet article s'intéresse aux conditions de formalisation d'un « contre-savoir » juridique sur l'Europe. Dans l'ombre des juristes européens et des juges de la Cour de justice européenne qui constituent des objets privilégiés d'une sociologie politique de la construction européenne, les juges de la CCF se voient souvent attribuer un pouvoir particulier d'influence et de mise en forme de la politique européenne. L'arrêt dit Maastricht constitue à ce titre un épisode fondateur, qui a largement été interprété comme reflétant un point de vue souverainiste et une attitude hostile envers la construction européenne. Prenant le contrepied de cette lecture canonique, cet article montre que cette décision ne peut s'expliquer qu'au regard des luttes qui opposent les « légistes », les professeurs de droit public, pour le monopole de l'interprétation constitutionnelle. Il analyse ensuite la controverse constitutionnelle sur le traité de Maastricht pour montrer comment un groupe de professeurs de droit a imposé le « droit de l'État » comme savoir privilégié pour analyser le jeu politique.PITTING THE STATE AGAINST EUROPE. THE BIRTH OF LEGAL ORTHODOXY IN THE FEDERAL REPUBLIC OF GERMANY FROM 1949 TO THE MAASTRICHT TREATYTaking as its starting point the ruling by the German Federal Constitutional Court (FCC) on the Maastricht Treaty, this article deals with the conditions under which a form of “counter-knowledge“ of European integration was formally developed. While they have so far received less attention than the justices of the European Court of Justice – who are popular subjects for political and sociological studies on European integration – German FCC judges nonetheless appear to possess a specific authority and influence on European politics. In this regard, the so-called “Maastricht decision“ represents a seminal moment, which many commentators have interpreted as reflecting a sovereignist perspective that is inherently hostile towards European integration. Distancing itself from this reading, however, this article demonstrates that this decision cannot be satisfyingly explained without taking into account the struggles amongst jurists and public law scholars vying for a monopoly on constitutional interpretation. Analysing the constitutional controversy surrounding the Maastricht Treaty, this article shows how a specific group of law professors succeeded in imposing constitutional law as the dominant form of political knowledge.
- Du droit international au droit européen : Une sociologie du droit social comme entreprise de cause - Karim Fertikh, Julien Louis p. 137-156 Sociologie politique du droit, cette recherche met en évidence les liens entre le développement après la Seconde Guerre mondiale du droit social international et la mise en place du droit social européen. En s'appuyant sur une sociologie de la mobilisation transnationale des professionnels du droit social, l'enquête analyse le rôle d'intermédiaires que jouent ces juristes (fonctionnaires nationaux et internationaux, universitaires) qui connectent champs académiques nationaux, administrations nationales et organisations internationales entre eux. L'article insiste en particulier sur l'importance des juristes de la Société internationale de droit du travail et de la Sécurité sociale, une association internationale créée avec l'aide de l'Organisation internationale du travail. L'article montre que le développement du droit social européen repose sur des conceptions et des pratiques professionnelles éprouvées internationalement. La mobilisation des juristes de droit social par les fonctionnaires des Communautés européennes rend ainsi le droit social européen dépendant de formes juridiques internationales préexistantes. Le droit social européen s'analyse donc comme le produit d'une régionalisation de savoirs juridiques internationaux.FROM INTERNATIONAL LAW TO EUROPEAN LAW. THE SOCIOLOGY OF SOCIAL LAW AS A CAUSE PROMOTION PROCESSAs a study in the political sociology of law, this article focuses on the interlinkages between the development of international social law and European social law after World War Two. Adopting a sociological perspective to the transnational mobilisation of social law professionals, this study highlights how these jurists (both national and international civil servants as well as academics) helped to establish connections between national, European and international organisations. It particularly emphasises the important role played by legal experts from the International Society for Labour and Social Security Law, an international association created with the support of the International Labour Organisation. This article shows how the development of European social law was based on concepts and professional practices that had been established at the international level. The instrumentalisation of these social law professionals by the civil servants of the various European Communities rendered European social law dependent on pre-existing international law and precedents. European social law can therefore be seen as the product of an attempt to regionalise international legal knowledge.
- Savoirs et pouvoirs dans le gouvernement de l'Europe : Pour une sociohistoire de l'archive européenne - Francisco Roa Bastos, Antoine Vauchez p. 7-24
Chronique bibliographique
- Lectures critiques - Christophe Defeuilley p. 157-169
- Comptes rendus - p. 170-188