Contenu du sommaire : Un Maghreb qui se cherche
Revue | Maghreb-Machrek |
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Numéro | no 237-238, 2018/3-4 |
Titre du numéro | Un Maghreb qui se cherche |
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Dossier - Un Maghreb qui se cherche
- Algérie : quelle présence économique chinoise ? - Thierry Pairault p. 5-34 L'image de relations plongeant dans l'histoire des deux pays est prégnante et la presse n'est pas avare de déclarations le rappelant : « la Chine a accordé son soutien à notre lutte de libération nationale – personne ne l'a oublié en Algérie – et les Chinois aussi se souviennent que l'Algérie a parrainé la résolution qui a permis à la République populaire de Chine de reprendre son siège aux Nations unies ». Au-delà de ces rencontres historiques, la Chine, c'est bien entendu cet immense pays du « miracle économique » – même si depuis peu et aux yeux de certains ce miracle pourrait sembler un mirage. Et certains observateurs de souligner que « présents depuis deux décennies en Algérie, les Chinois ont fini par nourrir clichés et autres stéréotypes » qui, s'ils révèlent une méconnaissance profonde de la présence chinoise – qu'accompagne parfois un refus de l'altérité – cèlent mal que cette ignorance n'est pas le seul fait de la population, mais aussi celle des dirigeants. Sont successivement abordés les points suivants : 790 entreprises chinoises avez-vous dit ? Investissement et prestation de services . Projets d'investissement direct chinois en Algérie . Le montant de l'investissement chinois en Algérie . Les échanges sino-algériens . Trois secteurs d'importations algériennes . Une opportunité, mais pour qui ?Algeria : which a Chinese economic presence ?
The image of relations that plunge into the history of both countries is vivid and the press is not stingy with statements reminding us of this : “China has given its support to our national liberation struggle – no one has forgotten it in Algeria – and the Chinese also remember that Algeria sponsored the resolution that allowed the People's Republic of China to resume its seat at the United Nations”. Beyond these historical encounters, China is of course this immense country of the “economic miracle” – even if recently and in the eyes of some people this miracle could seem like a mirage. And some observers point out that “present in Algeria for two decades, the Chinese have ended up feeding clichés and other stereotypes” which, if they reveal a profound ignorance of the Chinese presence – sometimes accompanied by a rejection of otherness – do not conceal that this ignorance is not only the fault of the population, but also that of the leaders. The following points are successively addressed : 790 Chinese companies, did you say ? . Investment and service provision - Chinese direct investment projects in Algeria . The amount of Chinese investment in Algeria . Sino-Algerian trade . Three Algerian import sectors . An opportunity, but for whom ? - Djamaa El Djazaïr, une nouvelle dimension idéologique pour la baie d'Alger - Ouassim Chemrouk, Jean-François Robert p. 35-52 La mosquée Djamaà El Djazaïr est un des projets emblématiques sur la baie d'Alger ; un projet qui illustre le recours des politiques aux projets de prestige pour affirmer leur idéologie et influer sur l'écriture de l'identité de la ville. A l'instar d'autres grands projets à travers le monde tels le musée du Louvre à Paris, la mosquée Hassan II à Casablanca et la tour Capital Gate à Abu Dhabi, ce projet s'inscrit dans une pratique assez récurrente des politiques qui aspirent à une certaine pérennité et une affirmation de leur rôle en tant qu'artisans de nouvelles icones.Djamaà El Djazaïr tire sa légitimité d'une prétention à refléter une certaine identité nationale dans un monde postmoderne mondialisé, où plus que jamais l'image et la communication sont au centre de l'écriture des identités. Il illustre le malaise qui caractérise les sociétés maghrébines actuelles en quête d'une certaine authenticité longtemps mise à mal par les colonisations successives ainsi que par des déséquilibres socio-économiques et politiques.En effet, en tant qu'élément incontournable du paysage urbain en pays d'Islam, la mosquée constitue à travers son architecture un moyen d'expression de l'évolution des identités culturelles locales. Le projet de Djamaà El Djazaïr est donc l'occasion de réaliser une œuvre originale, expression d'une identité culturelle réappropriée. Il s'agira dans cet article d'investiguer le contexte d'émergence du projet, d'en identifier les enjeux et les impacts sur un territoire lui-même emblématique, celui de la baie d'Alger.Djamaa El Djazair a new ideological dimension for the Bay of Algiers
The Djamaà El Djazaïr mosque is one of the emblematic projects on the Bay of Algiers : a project which illustrates how politicians have recourse to projects of prestige to affirm their ideology and influence how the city's identity is formed. Like other grand projects across the world such as the Louvre museum in Paris, the Hassan II mosque in Casablanca and the Capital Gate tower in Abu Dhabi, this project is part of a quite recurrent practice of politicians who aspire to a certain longevity and an affirmation of their role as creators of new icons.The legitimacy of Djamaà El Djazaïr comes from its pretention to reflect a certain national identity in a globalised postmodern world, where more than ever image and communication are at the core of forming identities. It illustrates the unease that characterises North African societies today as they search for a certain authenticity which was for a long time jeopardised by successive colonisations as well as by socio-economic and political imbalance.Indeed, as an inescapable element of the urban landscape in the land of Islam, the mosque, by its architecture, constitutes a means of expressing the evolution of local cultural identities. The Djamaà El Djazaïr project then is an opportunity to produce an original work, the expression of a reappropriated cultural identity. This article will investigate the context of the emergence of the project, identify the stakes and the impact on a territory which is itself emblematic, the Bay of Algiers. - Les ressorts socio-économiques de l'insécurité dans le sud tunisien - Hamza Meddeb p. 53-60 L'insécurité croissante dans le Sud Tunisien depuis la révolution – et aggravé par la crise Libyenne et le jihadisme – a considérablement transformé cet espace autrefois paisible. Les populations sont désormais prises entre l'enclume des trafics et des incursions jihadistes et/ou criminelles et le marteau du contrôle policier et militaire. L'énorme flux de réfugiés libyens – jusqu'à une date récente – ayant contribué à la confusion. Qui plus est, les difficultés socio-économiques sont venues s'ajouter aux risques sécuritaires pour entretenir, depuis 2011, une situation d'instabilité que les dispositifs de militarisation des zones frontalières, mis en place depuis 2015, ne semblent pas prêts à maîtriser de sitôt. La population est donc contrainte de jouer un jeu compliqué pour sa survie où rejet de l'Etat, absence d'Etat et demande d'Etat se conjuguent de façon pas forcément contradictoire.The socio-economic motives of the insecurity in southern Tunisia
The increasing insecurity in southern Tunisia since the revolution – worsened by the crisis in Libya and jihadism – has considerably transformed this previously peaceful area. The population is now caught between the rock of trafficking and jihadist and/or criminal incursions and the hard place of police and military control. The enormous stream of Libyan refugees – until recently – has contributed to the confusion. Moreover, socio-economic difficulties have added to the security risks and, since 2011, have maintained a situation of instability that the measures to militarise the border zones, set up in 2015, seem unable to overcome any time soon. The population, therefore, is obliged to play a complicated game to survive in which rejection of the State, absence of the State and demands of the State come together in a way which is not necessarily contradictory. - Pour une refonte des relations tuniso-européennes ou comment permettre à la Tunisie de réussir sa transition économique - Abderrazak Zouari p. 61-78 Les relations entre la Tunisie et l'Union Européenne se limitent à une convergence d'intérêts commerciaux régis par la mise en place, avant 1995, de nombreux accords préférentiels, par l'établissement d'une zone de libre échange depuis, et, enfin, par la négociation actuelle d'un futur accord de libre échange complet et approfondi (ALECA).Depuis la révolution de 2011, la Tunisie est bien souvent présentée comme étant l'exception du monde arabe. Pays ouvert, statut de la femme, avènement de la démocratie, respect des droits de l'homme sont autant d'acquis de la Tunisie qui véhiculent les valeurs tant défendues par l'Europe. Il s'ensuit que la réussite de la Tunisie ne manquera pas de produire des externalités positives sur l'ensemble de la zone euro-méditerranéenne.Néanmoins, les difficultés économiques actuelles de la Tunisie risquent de tout remettre en cause. En effet, la Tunisie fait face actuellement à d'importants déséquilibres financiers importants nécessitant la mise en place de multiples réformes. A cet égard, l'Union Européenne est appelée à dépasser l'approche actuelle et à s'orienter vers l'établissement d'une relation spécifique avec la Tunisie qui dépasse le cadre strictement commercial et d'en faire un pays en pré-adhésion sans toutefois aller jusqu'à l'adhésion. Cette étude a pour objectif de proposer un nouveau cadre pour le futur partenariat UE-Tunisie, de définir une stratégie qui reflète l'ampleur et la profondeur des relations privilégiées et de répondre, à plus long terme, aux ambitions partagées pour le futur qui vont au-delà de la politique européenne de voisinage révisée.Au delà des aspects économiques, l'ancrage de la Tunisie à l'Europe constitue, d'une part, pour cette dernière, une pièce maîtresse pour la stabilité de la région, sa zone d'influence et sa périphérie de voisinage, et d'autre part, pour la Tunisie, un gage de sécurité et de stabilité de ses nouvelles institutions démocratiques.For a redesign of Tunisian-European relations or how to enable Tunisia be successful in its economic transitionThe relationship between the EU and Tunisia has been limited primarily to business interests. Before 1995 Tunisia received preferential treatment as a trading partner. In 1995 a free trade agreement was signed which has been in place until the present day. Now a new negotiation is taking place that seeks a “deep and comprehensive free trade area.” As in the past, this agreement does not look beyond commercial interests.Since the revolution of 2011, European leaders have put Tunisia forward as an exception among the Arab world. Tunisia, sharing the same values defended by Europe, is continually spoken about as an open country and burgeoning democracy, having respect for all human rights, particularly the rights of women. It has been noted many times that the success of Tunisia will produce many positive externalities for the whole of the Euro-Mediterranean region.The current economic difficulties of Tunisia are putting all that has been gained at risk. Tunisia now faces significant economic imbalances, which necessitate putting in place multifaceted reforms. Under these conditions the EU is called upon to change its current approach and focus on the establishment of a special relationship with Tunisia that looks beyond strictly commercial interests. The EU should treat Tunisia as a country wishing to apply the pre-accession reforms needed to join the EU, but which will not ultimately be part of the EU. The objective of this paper is to propose a new framework for a future EU – Tunisian partnership, as well as define a strategy, which reflects the deep and privileged relationship and responds to the long term ambitions shared by both parties for a future that goes beyond the European policy of a revised neighborhood.Beyond only economics considerations, the anchoring of Tunisia to Europe should be seen for Europe as a cornerstone of stability in its area of influence and its surrounding neighborhood, and for Tunisia, a guarantee of security and stability for its new democratic institutions.
- Algérie : quelle présence économique chinoise ? - Thierry Pairault p. 5-34
Varia
- Le mouvement des Frères musulmans jordanien : de pilier de la monarchie à l'ennemi du régime - Hana Jaber p. 79-91 Les rebondissements que la confrérie des Frères musulmans de Jordanie connaît depuis les printemps arabes se situent au croisement du contexte régional qui ne cesse de se complexifier, et de l'histoire propre au mouvement au sein de la monarchie : Un premier point pose les repères jalonnant l'histoire de la confrérie depuis sa fondation jusqu'en 1989, année du retour à la normale d'un processus électoral jusque-là chaotique ; un second point traite de la période allant de 1989 à 2011, au cours de laquelle le Front d'Action Islamique, bras politique de la confrérie Frères, s'impose comme étant le parti d'opposition le plus important sur la scène jordanienne ; une troisième section est dédiée aux conséquences des dynamiques déployées à partir de 2011 et qui aboutissent à l'éclatement que connaît le mouvement aujourd'hui. Cet éclatement prive le régime du seul interlocuteur politique qui ait, au sein de la société jordanienne, la masse critique requise pour contenir des situations de crises économiques, sociales et politiques qui s'annoncent explosives.The Muslim Brotherhood in Jordan: from pillar of the monarchy to enemy of the regime
The sudden developments that the Muslim Brotherhood in Jordan has experienced since the Arab Spring are at a crossroads between a regional context which is increasingly complex and the Brotherhood's own history within the monarchy : A first section traces the main events marking the history of the Brotherhood from its foundation up to 1989, the year of the return to normal of a previously chaotic electoral process ; secondly we deal with the period from 1989 to 2011, during which the Islamic Action Front, the political branch of the Brotherhood, imposed itself as the most important opposition party on the Jordanian scene ; a third section is devoted to the consequences of actions taken since 2011 and which have led to the splintering that the movement is experiencing today. This splintering deprives the regime of the only political representative which, within Jordanian society, had the necessary critical mass to contain situations of economic, social and political crisis which look set to be explosive. - Daesh, les temps obscurs - Pierre Boussel p. 93-124 Fulgurance et innovation perturbatrice, Daesh a surpris nombre de chancelleries en proclamant un califat au Proche-Orient en 2014. Si la séquence fut aussi éphémère que violente, elle souligne le potentiel déstabilisateur d'une doxa nihiliste, ses capacités d'agrégation aux décombres d'un Etat failli. Comme toute entité agissante, le groupe Etat Islamique possède une Signature Temporelle. Ce concept nouveau présenté dans cette étude1 apporte un éclairage sur les causes profondes du mouvement, idem les « Zones d'Impacts » révélant la prégnance du facteur T sur des djihâdistes qui ambitionnent d'inverser la flèche du temps afin de renouer avec les temps anciens. La défaite de 2017 n'a entamé en rien leur détermination. Combattants figés dans une lecture régressive de l'histoire, hommes en proie à une dichotomie entre le mythe du paradis perdu, l'Hégire, et l'impatience de l'éternité, ils résolvent cette équation en menant un djihâdisme aveugle, convaincus que l'islam exige de « croire sans comment et sans signification » (Hanbal).Daesh, the dark times
Fulgurance and disruptive innovation, Daesh surprised many diplomatic chanceries by proclaiming a caliphate in the Middle East (2014). Like any active entity, the Islamic State group has a Temporal Signature. This new concept, presented in this study, sheds light on the root causes of the movement, as well as the concept of “Impact Zones” which indicates the impact of the T factor on jihadists who aim to reverse the arrow of time to reconnect with ancient times. The 2017 defeat did not affect their determination. Fighters frozen in a regressive reading of history, men in the grip of a dichotomy between the myth of the lost paradise, the Hegira, and the impatience of eternity, they solve the equation of “Political Time” by conducting a blind jihadism, convinced that Islam requires us to “believe without how and without meaning” (Hanbal). - Le jeu d'influence de la Russie en zone Afrique du Nord / Moyen-Orient - Isabelle Facon p. 125-146 Son intervention militaire en Syrie a permis à la Russie de se crédibiliser comme acteur politique et stratégique dans l'ensemble de la zone Moyen-Orient / Afrique du Nord. Aidée dans cet effort par la confusion que perçoivent les pays de la zone du côté des puissances occidentales, la Russie pousse ses intérêts économiques et stratégiques, mais l'avenir de sa présence régionale pose de nombreuses questions.Russia's influence strategies in the MENA region
Russia's military operations in Syria has allowed Moscow to be seen as a credible strategic and political player by many countries in the MENA region. The perceived confusion in Western policies has undeniably helped Moscow indirectly. Russia is now actively promoting its strategic and economic interests in the region, but there are many questions about the possible evolution and entrenchment of its restored regional authority. - Tsahal sur les écrans : « les héros sont fatigués » - Thomas Richard p. 147-167 Tsahal s'est très tôt imposé comme objet filmique. Présentée comme l'incarnation de la société israélienne et du nouveau Juif que cherchait à construire le sionisme, ses représentations filmées ont d'abord construit un modèle héroïque et viril, aussi bien en Israël qu'à l'étranger, qui devient brutalité chez ses adversaires. Cependant, le traumatisme de la guerre de 1973 et la perte de sens de ce modèle face aux défis que rencontrait la société israélienne ont progressivement conduit à un renouvellement de ces représentations. En phase avec l'évolution d'un cinéma israélien s'imposent alors des représentations de l'armée mettant l'accent sur les fêlures et les violences dont les soldats sont coupables ou victimes, en même temps qu'une relation complexe entre la mémoire des réalisateurs sous les drapeaux et leur défiance du militarisme. L'armée demeure un emblème d'Israël, mais ses représentations contrastées selon invitent à réfléchir sur l'influence de ces images sur les imaginaires politiques.Tzahal on screen: “the heroes are tired”Tzahal, very early on, imposed itself as something to be filmed. Presented as the incarnation of Israeli society and the new Jew that Zionism tried to construct, its representations in film first of all built a virile, heroic model, both in Israel and abroad, which becomes brutality for its adversaries. However, the trauma of the 1973 war and the loss of the sense of this model in the face of challenges that Israeli society was confronted with progressively led to a renewal of these representations. In tune with the evolution of Israeli cinema, representations of the army are imposed which highlight the cracks and the violence of which the soldiers are the culprits or the victims, at the same time as a complex relationship between the memory of the film-makers in the armed forces and their mistrust of militarism. The army remains an emblem of Israel, but its contrasting representations are an invitation to reflect on the influence of these images on the political imagination.
- Le mouvement des Frères musulmans jordanien : de pilier de la monarchie à l'ennemi du régime - Hana Jaber p. 79-91
Lectures
- Abdennour Benantar, Le Moyen-Orient en quête d'un ordre régional (1945-2000), Paris, collection Perspectives stratégiques, L'Harmattan/Fondation pour la recherche stratégique, 2015, 300 p. - Ahmed Kateb p. 169-173
- Gérard Faÿ, « Collectivités, Territoires et Mal-développement dans les campagnes marocaines », préface d'Ismaïl Alaoui, Université Mohammed V - Agdal, Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat, Série Essais et Recherches, n˚ 73, 2015 - Abdallah Herzenni p. 175-178