Contenu du sommaire : Mathématiques et sciences sociales au cours du XXe siècle
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 6, 2002 |
Titre du numéro | Mathématiques et sciences sociales au cours du XXe siècle |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Mathématiques et sciences sociales au XXème siècle
- Mathématiques et sciences sociales au XXème siècle - Olivier Martin p. 3-13
- L'histoire à l'épreuve de l'expérience statistique : l'histoire économique et le tournant des années 1930 - Maria Novella Borghetti p. 15-38 Cet article s'intéresse, à travers le cas d'Ernest Labrousse, à la façon dont les historiens dans les années 1930 ont abordé les statistiques et l'outil statistique afin de construire des modèles interprétatifs. Sont ainsi analysés à la fois le contexte intellectuel qui a permis cette rencontre entre histoire, économie et statistique et des questions plus internes à la démarche labroussienne, comme par exemple le problème des prix (à la fois sources quantitatives et concept économique) dans l'élaboration de son célèbre modèle de la crise d'ancien type. L'article se termine par une réflexion sur les possibilités de reproduction d'un tel modèle et les raisons de sa réification.This article, based on the case of Ernest Labrousse, focuses on the manner in which historians in the 1930s dealt with statistics and the statistical tool in order to construct interpretative models. Also analysed are the intellectual context which permitted this encounter between history, economics and statistics and the questions central to the Labroussienne approach, such as for example the problem of prices (both quantitative measures and economic concepts at the same time), in the development of his famous model of traditional economic crises. The article concludes with a reflection on the possibilities of reproducing such a model and the reasons for its reification.
- Les représentations du monde et les pensées analogiques des économètres : un siècle de modélisation en perspective - Philippe Le Gall p. 39-64 Les fondements, les formes et les usages de la modélisation économétrique ont connu des évolutions historiques importantes. Dans une perspective épistémologique et pluri-disciplinaire, nous nous intéressons ici à deux aspects de ces évolutions : les rapports analogiques tissés avec d'autres champs disciplinaires, et les représentations du monde ayant exercé une influence sur la modélisation économétrique. Sur cette base, nous identifions et analysons deux styles de modélisation économétrique qui se succèdent dans les années 1930. Depuis ses origines jusqu'aux années 1920, la modélisation économétrique se déploie sur la base d'analogies mécaniques et dans le cadre d'une représentation unifiée du monde. Puis, certains travaux qui sont à la base de l'économétrie probabiliste « moderne » et de la « méthode Cowles » initient un autre type de modélisation, fondé sur une autre pensée analogique et sur des représentations parcellaires du monde. Nous envisageons alors les conséquences de ce mouvement historique, en particulier en terme d'usage des modèles économétriques.The foundations, the form, and the use of econometric models have experience substantive historical changes. From a cross-disciplinary and epistemological perspective, we focus here on two dimensions of these changes : the analogous relations to other disciplines and the worldviews that have exerted a strong influence on econometric modeling. More specifically, we identify and analyse two styles of econometric modeling over the 1930s. From its origins up to the 1920s, econometric modeling developed founded on mechanical analogies and unified worldviews. Thereafter, some work that laid the basis of « modern » probabilistic econometrics and of the « Cowles method » paved the way for another style, rooted in other types of analogies and on fragmentary worldviews. We shed some light on the consequences of this historical process, especially on the use of econometric models.
- Wartime research and the quantification of American sociology. The view from « the American Soldier » - Libby Schweber p. 65-94 L'étude des quatre volumes de « l'American Soldier », ouvrage restituant les recherches conduites durant la Seconde Guerre mondiale par le « Research Bureau of the Information and Education Division » du War Department American, permet de saisir un moment important, en fait un virage, de l'histoire de la sociologie américaine. L'ouvrage annonce l'établissement des statistiques comme méthodes faisant autorité et le développement d'un « positivisme instrumental » comme mode de raisonnement dominant. Le soutien militaire et gouvernemental, l'émergence des sciences du comportement et la création de centres de recherches universitaires interdisciplinaires consacrés aux recherches appliquées constituent le contexte du mariage des statistiques et des recherches par enquêtes empiriques. La rédaction de l'ouvrage s'est faite durant l'après-guerre, au moment des débats sur la création de la National Science Foundation et sur l'intégration des sciences sociales en son sein. L'ouvrage met l'accent, de façon rhétorique, sur la relation entre la théorie et la recherche appliquée alors que l'analyse elle-même réduit la théorie à la définition méthodologique des concepts. Ce contraste annonce l'avènement d'une coupure entre la haute réflexion théorique et les recherches quantitatives en sociologie pénétrées par l'opérationnisme.« The American Soldier », a four-volume study published on the basis of war-time research, provides a window into a turning point in the history of American sociology. The book heralded the ascendance of statistics as the authoritative method and an associated rise of instrumental positivism as the dominant style of reasoning. An examination of the history of this exemplar of sociological research situates the association of statistics and survey research in the context of military and government patronage, the emergence of the behavioral sciences and the associated creation of interdisciplinary university-based research centers oriented towards applied social research. The book was written during the prolonged post-war debate over the creation of the National Science Foundation and the inclusion of the social sciences therein. The rhetorical emphasis on the relation of pure theory and applied research and the practical limitation of theory to methodological definitions of concepts found in the book reflects the image of science that emerged from those debates. An important consequence was the consecration of a radical disjuncture between grand theory on the one hand and a form of operationism associated with quantitative sociological research on the other hand.
- La sociologie française après 1945 : places et rôles des méthodes issues de la psychologie - Olivier Martin, Patricia Vannier p. 95-122 Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs sociologues français appartenant au Centre d?études sociologiques ont recours à des méthodes statistiques sophistiquées (échelonnements, analyse factorielle, tests...) qui étaient absentes du champ de la sociologie française d?avant guerre. L?article retrace le chemin parcouru par ces méthodes : issues de la psychologie anglo-saxonne (essentiellement américaine), ces méthodes ont rapidement été diffusées dans l'espace de la psychologie française, et notamment en psychotechnique. Plusieurs sociologues, comme Pierre Naville, Paul-Henri Maucorps, Jean Stoetzel ou encore Georges Gurvitch, ayant reçu une formation en psychotechnique ou ayant séjourné aux États-Unis, ont utilisé ou favorisé l'usage de ces méthodes dans les années d?après guerre. La relative fragilité de la sociologie par rapport à la psychologie durant cette période a également favorisé le rapprochement des chercheurs des institutions et pratiques de la psychologie. Les recherches issues de ces croisements ont contribué à l'émergence d?une nouvelle spécialité : la psychologie sociale.After World War II, several French sociologists at the Centre d?études sociologiques (CNRS) used advanced statistical methods (scaling methods, factor analysis, tests...) that were unknown to sociologists before the war. This article traces the path followed by these methods: originating from Anglo-Saxon psychology (basically American), those methods were quickly diffused into French Psychology by French psychotechnicians. Several sociologists, such as Pierre Naville, Paul-Henri Maucorps, Jean Stoetzel, and Georges Gurvitch, who were trained in psychotechnics or who spent time in United States, used the methods or favoured their introduction after World War II. The relative weakness of sociology at that time accounted for the close relationship between sociologists and psychological institutions and practices. The research resulting from such cross-disciplinary activities contributed to a new specialism: social psychology.
- Le rôle des mathématiques dans une « révolution » théorique et quantitative : la géographie française depuis les années 1970 - Denise Pumain, Marie-Claire Robic p. 123-144 L'analyse des publications et la comparaison avec d'autres pays européens font ressortir quelques caractéristiques spécifiques du mouvement de scientifisation de la géographie française. L'appel aux mathématiques y est lié à la « révolution théorique et quantitative » des années 1970-1972. Avec un retard de vingt ans sur la New Geography venue des États-Unis et de la Suède, la discipline s'est mobilisée, par un effort de formation des jeunes enseignants-chercheurs, par une réflexion conjuguant quantification et théorisation et par une réorientation vers les notions d'espace, de système et de dynamique, avec un développement des techniques d'analyse spatiale et de modélisation.Some specific features in the evolution of French Geography towards more scientific methods are presented, from an analysis of contents of the literature and comparisons with other European countries. The introduction of mathematics is linked with the « Theoretical and Quantitative Revolution » over the period 1970-1972. Twenty years after the development of New Geography in the United States and Sweden, the discipline developed through a concerted effort to train young scholars for teaching and research, according to a view which combined quantification and theorising with a reorientation towards the notions of space, systems and dynamics, with the development of techniques of spatial analysis and modelling.
Document
- Le premier sondage d'opinion - Jean-Christophe Marcel p. 145-153
- Une enquête sur l'opinion publique française - Jean Stoetzel p. 155-160
Varia
- British Anthropology at the End of Empire : the Rise and Fall of the Colonial Social Science Research Council, 1944-1962 - David Mills p. 161-188 Cet article étudie l'histoire du tout premier exemple de financement des sciences sociales par le gouvernement britannique à travers le Colonial Social Science Research Council (CSSRC) de 1944 à 1962, ainsi que ses implications sur l'évolution de l'anthropologie sociale. Selon l'auteur, l'une des conséquences inattendues des largesses du Conseil a été la consolidation de l'anthropologie sociale au sein du monde universitaire en Grande-Bretagne. Bien que l'anthropologie sociale se distanciât progressivement du rôle officiel du CSSRC (l'étude des « problèmes sociaux aux colonies »), l'anthropologie prospéra sous le parrainage politique et financier de celui-ci. L'auteur examine le rôle joué par des anthropologues confirmés – notamment Raymond Firth et Audrey Richards, tous deux membres du CSSRC – ayant servi d'intermédiaires dans les relations entre le Conseil et le monde universitaire. Cependant l'auteur avance que, sur le long terme, ce mécénat n'eut pas que des effets positifs. Fidèle à sa position politique naturellement favorable à une décolonisation gradualiste, le CSSRC évita toute interrogation sur les implications épistémologiques de l'anticolonialisme en Afrique. L'anthropologie sociale chercha de plus en plus à se repositionner comme discipline théorique et universitaire. Pourtant, la disparition du CSSRC en 1961 allait avoir des retombées importantes sur l'identité de la discipline. La fin de l'époque coloniale coïncida avec le déclin de l'influence de l'anthropologie au sein des sciences sociales. L'anthropologie, malgré les rapports ambigus qu'elle avait entretenus avec l'administration coloniale britannique, se montra extrêmement vulnérable aux évolutions de la conjoncture politique.This paper examines the history of the first British Government funding of social science through the Colonial Social Science Research Council (CSSRC) from 1944 to 1962 and its implications for social anthropology. The author argues that one of the unforeseen consequences of council largesse was the consolidation of British social anthropology within the metropolitan academy. Although the discipline gradually distanced itself from the council's remit of « colonial social problems », anthropology prospered under the CSSRC's political and financial sponsorship. The author explores the role of senior anthropologists in mediating this relationship, particularly the work of Council members Raymond Firth and Audrey Richards. Ultimately, he suggests, this government patronage proved a mixed blessing. The political vision of the CSSRC was inevitably one of gradualist decolonisation, and the council avoided addressing the epistemological implications of African anti-colonialism. Social anthropology increasingly sought to redefine itself as a theoretical university-based discipline, but the demise of the CSSRC in 1961 had significant implications for the discipline's identity. The end of empire coincided with anthropology's waning influence within the social sciences. Despite anthropology's ambivalent relationship to British colonial administration, it was acutely vulnerable to changes in the prevailing political wind.
- British Anthropology at the End of Empire : the Rise and Fall of the Colonial Social Science Research Council, 1944-1962 - David Mills p. 161-188
Note critique
- À propos des origines et enjeux de la démographie (XVIIème-XVIIIème siècles) - Olivier Martin p. 189-199
Livres
- Livres - p. 201-224