Contenu du sommaire : Après 1918
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 33, 2018 |
Titre du numéro | Après 1918 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- La Grande Guerre, parenthèse ou nouvelle donne dans l'histoire des sciences de l'homme ? - Nicolas Ginsburger, Christine Laurière p. 7-58
- « Elle est tombée Babylone » - Corinne Bonnet, Annelies Lannoy p. 59-85 La parution en 1900 de Das Wesen des Christentums par Adolf Harnack enclenche, parmi les théologiens et les historiens des religions, une réflexion intense et volontiers polémique sur le devenir du christianisme et sur ce qui différencie le catholicisme du protestantisme, héritier proclamé du christianisme primitif. En 1902, Alfred Loisy, prêtre catholique et spécialiste de l'étude comparée du christianisme et du judaïsme, réplique à Harnack dans L'Évangile et l'Église. Son volume marque le point de départ de la crise moderniste. Il lui vaudra d'être excommunié en 1908 et élu au Collège de France en 1909. Dès lors, il entame une intense relation épistolaire avec Franz Cumont, historien belge du « paganisme » antique. La conception du christianisme par Harnack y est discutée et, à partir de 1914, l'appropriation protestante, allemande et farouchement nationaliste, du dieu chrétien. Les atrocités de la guerre incitent les deux savants à repenser l'histoire et le devenir des religions et à concevoir une « religion de l'avenir ». La sortie de guerre est l'occasion de « désapprendre » de l'Allemagne qui avait été un phare intellectuel jusqu'en 1914, mais aussi de « déchanter » par rapport à la perspective d'une « paix des nations » adossée à une nouvelle vision morale et spirituelle de l'humanité.Adolf Harnack's Das Wesen des Christentums publication in 1900 initiates among theologians and historians of religions an intense and deliberately controversial debate on the future of Christianity and on the distinctions between Catholicism and the self-proclaimed heir of primitive Christianity, Protestantism. In 1902, the Catholic priest and specialist in the comparative study of Christianity and Judaism Alfred Loisy replied to Harnack in his book L'Évangile et l'Église. This volume leads to Loisy's excommunication in 1908 and to his election as professor at the Collège de France the following year. An epistolary relation ensues between Loisy and the Belgian historian of antique “paganism” Franz Cumont in which both men discuss Harnack's conception of Christianity. By 1914 their discussion broadens and moves towards the Protestant, German and fiercely nationalist appropriation of the Christian God. Faced with the atrocities of World War I, Loisy and Cumont subsequently set themselves to rethink religions' history and development which eventually incites them to outline a “religion of the future.” By war's end, however, their hope for a “peace among nations” arising from some novel vision of morality and spirituality leaves them disenchanted and wishing to “unlearn” from Germany which was until then their intellectual beacon.
- Guerre du droit, droit de la guerre - Anne-Sophie Chambost, Alexandra Gottely p. 87-106 Composantes de la société française entraînée dans la Première Guerre mondiale, les facultés de droit ont d'abord été atteintes à travers les cohortes de leurs étudiants et de leurs personnels (académique et administratif) mobilisés. Elles ont aussi dû adapter leur fonctionnement pour répondre aux exigences du temps. Elles se sont surtout engagées activement dans ce qui ne devait pas tarder à être présenté comme une guerre du droit. Derrière son doyen Ferdinand Larnaude, engagé sur le front des juristes, la faculté de droit de Paris et sa bibliothèque offrent un excellent poste d'observation des formes multiples de l'engagement des établissements de l'enseignement supérieur dans la Grande Guerre.Components of a French society drawn into the First World War, law faculties were first affected through their cohorts of mobilized students and staff (both academical and administrative). They also had to adjust their organisation, to meet the needs of wartime. But most of all, they were actively committed to what would soon be named the War of the Right. United behind its Dean Ferdinand Larnaude, Paris Law Faculty and its library are an excellent vantage point to observe the multiple commitments of higher learning institutions in the Great War.
- L'histoire à l'épreuve du feu - Jean-Luc Chappey, Guillaume Lancereau p. 107-128 À partir de la lecture d'un corpus de périodiques historiques (Revue historique de la Révolution française, Annales historiques de la Révolution française, La Révolution française…), cet article analyse les effets de la guerre sur le champ des études révolutionnaires en France de 1918 à 1932. Entre crise économique et crise de l'édition, diminution du nombre de spécialistes et renouvellement profond des thématiques (en particulier du côté de l'histoire économique et sociale), ce sont les contradictions d'une communauté académique qui sont ici étudiées, les tensions pesant sur les diverses formes et institutions de son environnement politico-socio-économique (revues, sociétés savantes, professeurs titulaires). Des analyses quantitatives permettent de mesurer l'ampleur des contraintes matérielles qui conduisirent à une internationalisation ainsi qu'à un regroupement des forces historiennes, donnant naissance aux actuelles Annales historiques de la Révolution française.Based upon a corpus of historical journals (Revue historique de la Révolution française, Annales historiques de la Révolution française, La Révolution française…), this article aims at analyzing the effects of World War I on the field of French revolutionary studies from 1918 to 1932. In spite of a context of economic and publishing crisis, together with a decrease in the number of specialists, this period however witnessed a profound renewal of the historiographical issues, especially in the domain of economic and social history. This article deals with the contradictions of the academic community, the tensions over the various forms and institutions of its politico-socio-economic environment (journals, learned societies, professors). Through quantitative analysis, we measure the extent of the material constraints which fostered a dynamic of internationalization and reunification of the professional historians, eventually giving birth to the still-existing Annales historiques de la Révolution française.
- La fin d'un internationalisme savant - Arnaud Hurel p. 129-162 L'article examine les conséquences de la Première Guerre mondiale sur les études en pré et protohistoire dans le cadre spécifique des relations franco-allemandes. Il étudie, vu de France, dans quelles mesures et modalités ce conflit entraîna une reconfiguration des usages et savoirs. Il s'attache à établir la situation au sortir de la guerre, l'échec de l'internationalisme savant et la montée des nationalismes patrimoniaux, puis aborde deux aspects particuliers de ce champ après l'armistice de 1918 : la difficulté à relancer la démarche internationaliste des Congrès internationaux d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques et le regard porté par la France sur l'Allemagne pendant l'entre-deux-guerres.The article examines the consequences of the First World War on prehistoric studies in the specific context of Franco-German relations. He studies, from France, to what extent and how this conflict led to a reconfiguration of uses and knowledge. It sets out to establish the situation at the end of the war, the failure of internationalism and the rise of patrimonial nationalisms. It tackles two particular aspects of this intellectual field after the armistice of 1918: the difficulty to relaunch the approach internationalist of the International Congresses of Prehistoric Anthropology and Archeology and France's view of Germany during the inter-war period.
- De Rühl à Christaller : le développement de la géographie économique allemande « classique » (1918-1933), un produit de la Grande Guerre ? - Nicolas Ginsburger p. 163-185 Au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec la défaite allemande et la mise en place de la République de Weimar, plusieurs géographes germaniques investissent les questions économiques sous un angle renouvelé. S'il s'agit d'abord de répondre à certains impératifs du temps de guerre, cette entreprise collective est davantage destinée à relever les défis de la modernité et à soigner le malaise d'une discipline en plein doute théorique, entre tentations interdisciplinaires et contestations du paradigme central du « paysage » (Landschaft). Un effort particulier de conceptualisation se développe donc, notamment en matière de géographie agricole à dominante tropicale et de géographie industrielle et urbaine, aboutissant à une cristallisation remarquable, au milieu des années 1930. Si l'arrivée au pouvoir du parti nazi met un terme à ce mouvement, dont les principaux représentants sont soit persécutés ou exilés, soit attirés par les axes de recherche favorisés par la nouvelle idéologie dominante, c'est bien au terme d'une quinzaine d'années de réflexions intenses et innovantes, marquées par l'ombre de la Grande Guerre.Just after the First World War, the German defeat and the birth of the Weimar Republic, some German geographers tried to work on economic issues in a renewed way. This collective effort aimed first at helping public opinion and the government in the context of the war, then at understanding the challenges of modernity and at reforming a discipline filled with theoretical anxiety and doubts, between interdisciplinary temptations and fights over the central Landschaft paradigma. Agrar and tropical, industrial and urban geographies were developed until a remarkable conceptual cristallisation in the mid-thirties. If some of the major economic geographers were persecuted or exiled by the nazi power after 1933, it is only after a period of fifteen years of innovative studies and intense reflexions, under the shadow of the Great War.
- Un outil de la paix ? - Serge Reubi p. 187-210 Née au milieu du XIXe siècle, la photographie aérienne ne rencontre pas un succès significatif avant les années 1910. Au cours de la Première guerre mondiale, elle est mobilisée par les belligérants car elle permet de cartographier rapidement, de dévoiler le camouflage ennemi tout en mesurant l'efficacité du sien et de fixer les traces de phénomènes éphémères. Dans l'immédiat après-guerre, elle est promue au rang d'instrument de nombreuses disciplines des sciences sociales. Employée à des fins cartographiques, pour documenter l'état des choses ou pour déceler des structures cachées, la photographie aérienne scientifique de l'entre-deux-guerres atteste une évidente continuité avec les usages militaires de la guerre. Cette continuité trouve ses racines dans la circulation durable des acteurs entre mondes militaires et savants, dans l'examen des pratiques concrètes de la photographie aérienne et, enfin, dans les intérêts convergents des militaires, des savants et des promoteurs de l'aéronautique commerciale.Born in the mid-19th century, aerial photography that has no evident use, can not be touted as a great success before the 1910s. During World War One, however, it is mobilized by the belligerants, as it can be used to map in short time, to unveil the enemy's camouflage and measure the efficiency of one's own, and to fix the traces of transient phenomena. After the war, this observation and control tool is taken over by many disciplines of the social sciences. Used for mapping, documenting, or identifying hidden structures in or on the ground, scientific aerial photography in the interwar years shows a very clear continuity with its military purposes during the war. This continuity is rooted in the mobility of scholars, the everyday uses and practices of aerial photography and the converging interests of military, scholars, and promotors of commercial aviation.
- L'université de Strasbourg dans l'immédiat après-guerre (1919-1925) - Bertrand Müller p. 211-240 L'université de Strasbourg constitue un laboratoire intéressant pour observer les reconfigurations universitaires dans l'immédiat après-guerre. Pensée comme un anti-modèle français de l'expérience allemande mais aussi comme un laboratoire qui doit indiquer la voie d'une réforme universitaire en France, elle est imaginée non seulement comme un modèle rhénan face à l'Allemagne, mais comme un modèle international et européen. Pourtant, prise dans des enjeux politiques et culturels internationaux, nationaux et régionaux, l'université de Strasbourg s'est confrontée à la conjoncture des relations franco-allemandes et à un problème d'échelle. Les années d'immédiat après-guerre constituent un moment singulier pendant lequel s'organise avant tout un milieu de débats plutôt que ne se reconstruit un lieu de rénovation, rapidement contrarié par les contraintes politiques et financières.The University of Strasbourg is an interesting laboratory for observing university reconfigurations in the immediate post-war period. Thought as a French anti-model of the German experience but also as a laboratory that must point the way to a university reform in France, it is imagined not only as a Rhine model against Germany, but as an international model and European. Yet, taken in international and national and regional political and cultural issues, the University of Strasbourg has been confronted with the situation of Franco-German relations and a problem of scale. The years immediately after the war are a singular moment during which an environment of debate is organized rather than rebuilding a place of renovation, quickly thwarted by political and financial constraints.
Document
- L'ÉBRANLEMENT DU MONDE JAUNE - p. 243-256
- Lucien Lévy-Bruhl et l'imaginaire anti-colonial en Asie - Frédéric Keck p. 257-262
Débats, chantiers et livres
La technologie, science humaine ?
- La technologie, science humaine ? - p. 265
- De quoi la technologie est-elle le nom ? - Anne Saada p. 267-274
- Enquête sur les sciences humaines et sociales dans les écoles d'ingénieurs - Timothée Deldicque, Sacha Loeve, Pierre Steiner p. 275-298
- Laetitia Guerlain, L'École de Le Play et le droit. Contribution à l'histoire des rapports entre droit et science sociale - Jean-Louis Halpérin p. 299-301
- Thomas Hirsch, Le temps des sociétés. D'Émile Durkheim à Marc Bloch - Sabina Loriga p. 302-306
- Nicolas Adell et Jérôme Lamy (dir.), Ce que la science fait à la vie, Paris, CTHS, 2016, 416 pages - Dylan Simon
- Jacques François, Le siècle d'or de la linguistique en Allemagne. De Humboldt à Meyer-Lübke - Gabriel Bergounioux p. 313-320
- Plusieurs siècles de fabrique des chaires au Collège de France - Emanuel Bertrand p. 321-326