Contenu du sommaire : Santé : la fin du grand partage ?
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 98, été 2019 |
Titre du numéro | Santé : la fin du grand partage ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Armelle Andro, Jean-Paul Gaudillière, Irène Jami, Pierre-André Juven p. 7-12
Dossier : Santé : la fin du grand partage ? Crises, mondialisation et politique des besoins
- L'hôpital public : par pertes et profits - Pierre-André Juven p. 13-22 L'hôpital public va mal. Même la ministre de la Santé Agnès Buzyn en convient, elle qui déclarait : « L'hôpital entreprise, c'est fini » en annonçant à la fin 2017 la mise en place de la commission Aubert, chargée de faire des propositions. Pierre-André Juven revient ici sur la place qu'a prise l'hôpital dans le système de santé français. À l'encontre des pourfendeurs de l'hospitalo-centrisme, ne voyant dans la crise que la conséquence d'une accumulation de tâches et de moyens qui lui sont dévoués, il rappelle que les nouveaux modes de gestion et de financement l'ont progressivement étouffé. Mais il plaide aussi pour une critique qui n'oublie pas que s'il faut effectivement débloquer des moyens publics pour résorber la dette, financer les centres de santé et les structures de proximité, et revaloriser les salaires les plus bas à l'hôpital, il est tout aussi urgent de réfléchir à la façon dont on y travaille, et pour répondre à quels besoins.
- « En consultation, je regarde l'ordinateur, pas ma patiente » : Entretien avec Anne Gervais - Pierre-André Juven, Jean-Paul Gaudillière p. 23-31 Hépatologue, praticienne à l'hôpital Bichat, Anne Gervais a accepté de partager avec Mouvements ses réflexions sur les transformations de l'hôpital, sa pratique quotidienne, les nouvelles formes de management et leur impact sur le travail de soin. Au-delà du constat d'un hôpital surchargé par la conjonction de la pression budgétaire et des défaillances de la médecine de ville, elle rappelle toute la difficulté à définir et imposer des alternatives lorsque la première réponse des personnels, en premier lieu non-médicaux, est la fuite.
- Se plaindre des soins dans l'Espagne de l'austérité - Janina Kehr p. 32-42 Soigner par temps d'austérité... Partant de son enquête sur les mobilisations et pratiques alternatives qui ont émergé depuis 2012 en Espagne à la suite de la crise économique et de la mise en œuvre des politiques d'austérité, Janina Kehr discute deux registres de réponse : celui de la Marea Blanca, qui ancre sa défense d'un système de santé publique dans des actions régionales et nationales hautement symboliques, la lutte contre les privatisations et un activisme de professionnel.les ; et celui des Comunidades activas en salud, qui privilégie des expérimentations locales pour permettre aux plus démuni.es de parler de leurs expériences du soin et de se plaindre. Pour elle, les deux formes de contestation sont légitimes et complémentaires. Les plaintes et revendications locales sont nécessaires pour « que cela aille mieux », pour faire émerger d'autres formes de médecine et de prise en charge, un impératif que la nécessité de défendre le service public ne doit pas faire passer au second plan.
- De la troïka aux dispensaires communautaires : le système de santé grec et la crise de l'accès aux soins : Entretien avec Yannis Papadaniel - Jean-Paul Gaudillière p. 43-51 Trois millions de personnes ayant perdu leur couverture santé, une chute des salaires et revenus de plus d'un tiers, une hausse massive du reste à charge pour les patient.es, une espérance de vie qui décroît... L'austérité tue et la Grèce en est la démonstration. Comprendre les effets sanitaires de la crise impose toutefois de ne pas en rester là. Yannis Papadaniel revient ici sur les problèmes de longue durée que les interventions de la troïka n'ont fait qu'exacerber et insiste sur les réponses alternatives avec, depuis 2012, la mise en place de dispensaires communautaires qui jouent un rôle essentiel dans l'organisation de l'accès aux médicaments, et font du bricolage une forme d'innovation.
- Une médecine détournée ? Influences industrielles et crise de confiance dans le domaine du médicament - Boris Hauray p. 53-66 La médecine traverse depuis maintenant près de vingt ans une crise de confiance liée principalement au rôle qu'y jouent les intérêts industriels. La multiplication depuis plusieurs décennies des affaires touchant au médicament, à ses conditions de mise sur le marché et à son utilité, déstabilise les autorités publiques, la crédibilité des savoirs scientifiques, et la croyance dans le caractère bénéfique de l'innovation. Boris Hauray analyse ici les transformations des conditions de production des connaissances et des expertises dans le monde du médicament, qui en sont à l'origine. Il montre comment la réponse privilégiée aux enjeux d'influence des intérêts industriels a été la création et le raffinement de dispositifs de transparence et de lutte contre les « conflits d'intérêt », qui ont permis d'objectiver l'importance et l'impact de la présence industrielle dans le secteur et ont ainsi aggravé, plus que résolu, la crise de confiance.
- « Mediator n'est pas une exception, mais le révélateur de problèmes structurels dans le monde du médicament » : Entretien avec Pierre Chirac et Bruno Toussaint, revue Prescrire - Jean-Paul Gaudillière p. 67-76 La Revue Prescrire est une revue médicale indépendante reconnue pour ses analyses critiques de l'information disponible sur les médicaments et leurs usages, en particulier depuis l'affaire Mediator. Deux de ses rédacteurs, Pierre Chirac et Bruno Toussaint, ont accepté de discuter avec nous de la crise de l'expertise dans le domaine du médicament, du rôle hégémonique des firmes dans l'organisation des essais cliniques, des conflits d'intérêts qui en résultent, de l'explosion du prix des médicaments qu'entraîne la financiarisation du secteur. Pour Prescrire, sortir de ce quasi-monopole des firmes suppose une nouvelle organisation de la recherche publique sur le médicament.
- « La crise sanitaire est la quatrième crise écologique » : Entretien avec André Cicolella - Jean-Paul Gaudillière p. 77-82 Chimiste, toxicologue, chercheur en santé environnementale, spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires, André Cicolella a travaillé de 1971 à 1994 à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) – d'où il a été abusivement licencié alors qu'il organisait un symposium international sur les effets des éthers de glycol sur la santé – puis à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS). Il a milité pour la protection juridique des lanceur.ses d'alerte et contribué à la création en 2001 de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (et depuis 2005, du travail, AFSSET). Il a été le premier président de la Fondation Sciences Citoyennes, de 2002 à 2007. Il revient ici sur le bilan et sur la stratégie du Réseau Environnement Santé fondé en 2009, qui cherche à favoriser le développement de la santé environnementale comme réponse à la crise sanitaire.
- Trouver des systèmes de production qui respectent d'abord les plus fragiles : Entretien avec Alfred Spira - Armelle Andro, Jean-Paul Gaudillière p. 83-94 Alfred Spira a dirigé les unités de recherche « Santé publique, épidémiologie, reproduction humaine » (1986-1997), puis « Recherches en santé publique » (1998-2001) à l'INSERM et créé en 2007 l'Institut de recherche en Santé publique (IReSP). Il a notamment coordonné avec Nathalie Bajos, de 1988 à 2000, la grande enquête ACSF (« analyse des comportements sexuels en France ») dans le cadre de la mise en place de la prévention du sida. Ses recherches ont aussi porté sur les conditions environnementales de la fertilité masculine – en particulier l'exposition aux perturbateurs endocriniens. Il a développé une réflexion méthodologique sur l'usage des statistiques en biologie et en épidémiologie. Conseiller de la mairie de Paris de 2000 à 2007, il a créé un atelier parisien de santé publique qui s'est penché sur les conséquences sanitaires de la canicule de 2003. Depuis janvier 2014, il est médecin bénévole au Secours populaire et au Samu social de Paris. Il a conseillé Benoît Hamon pour les questions de santé lors de la campagne présidentielle de 2017 et, de décembre 2017 à septembre 2018, été l'un des animateurs du pôle « idées » et référent du pôle santé au sein de la coordination politique provisoire de Génération.s. Il défend une position pluridisciplinaire et politique de la santé publique, insistant sur les liens entre changement des connaissances et mobilisation politique. La place aujourd'hui accordée aux perturbateurs endocriniens, à la fois comme objet politique et comme facteur central d'explication de l'incidence croissante de nombreuses maladies chroniques en témoigne.
- Une crise sanitaire du Sud dans un pays du Nord ? : L'intervention des ONG médicales internationales en France - Caroline Izambert p. 95-105 Ouvrir des dispensaires en France ? Pour des organisations humanitaires spécialistes de l'intervention d'urgence dans les pays du Sud global, la proposition n'avait rien d'évident. C'est pourtant ce choix qu'ont fait Médecins du monde et Médecins sans frontières à la fin des années 1980. Dans cet article, Caroline Izambert interroge les relations entre ces actions « à domicile » et l'expérience de l'urgence et de la pénurie dans les Suds qu'avaient ces ONG. Comment ces circulations Sud-Nord ont-elles sensibilisé aux conséquences sanitaires de la précarité et contribué à définir le travail d'organisation de l'accès aux soins et l'action politique de ces ONG – qui ont joué un rôle important dans la mise en place de la Couverture maladie universelle et de l'Aide médicale d'État pour les migrant.es ?
- La fin du partage ? Les capitalismes de la copie face au capitalisme de la rente globale : une nouvelle géographie des industries de santé - Maurice Cassier p. 107-119 Alors que la crise de 2008 a accru la vulnérabilité de la couverture santé dans les pays du « Nord » et rendu encore plus actuels les projets de couverture universelle, la consolidation dans les grands États émergents du « Sud » (Inde, Chine, Brésil) d'un capitalisme de la copie apparu dans les années 1970, à partir de la contestation de la propriété intellectuelle des multinationales, a modifié la géographie des industries de santé. Maurice Cassier analyse les deux modèles : l'un, brésilien, principalement conçu en fonction des besoins domestiques et de la politique de santé ; l'autre, indien, essentiellement tourné vers les marchés mondiaux des matières premières et des génériques. Il montre que cette activité de copie est intimement liée à la production de savoirs et d'innovations dans les Suds, et donne lieu à des confrontations pour le contrôle de la rente globale depuis l'adoption par le Brésil et par l'Inde des brevets pharmaceutiques. Parallèlement, l'accès aux innovations thérapeutiques, notamment pour les antiviraux contre les hépatites et les anticancéreux, est l'enjeu de luttes convergentes, au Nord et au Sud.
- Digitalisation de la santé au Sud : quand les firmes du numérique décident de l'accès au soin - Marine Al Dahdah p. 120-132 Le mobile, et plus généralement les infrastructures numériques, sont désormais mis en avant comme un élément fondamental de réponse aux besoins de santé au Nord, mais aussi de plus en plus au Sud où la digitalisation est placée au centre des initiatives de couverture « universelle », c'est-à-dire d'accès sans frais à des interventions prenant pour cible les besoins de base. Marine Al Dahdah enquête sur deux initiatives de ce type, au Kenya et en Inde, qui privilégient les partenariats entre État et opérateurs privés ainsi que la capacité des usager.ères à faire le tri dans leurs besoins. Son analyse montre que si ces programmes promettent une couverture santé pour tou.tes, leurs infrastructures numériques compliquent l'accès aux services de santé, révèlent de nouveaux schémas d'exclusion et affaiblissent les infrastructures publiques de santé en détournant une partie des fonds publics.
- Les nouvelles circulations de la médecine chinoise : après l'Afrique, l'Europe - Simeng Wang p. 133-141 La mondialisation de la médecine traditionnelle chinoise et de certains de ses traitements (par exemple l'utilisation, comme antipaludéens, des dérivés de l'armoise), témoigne de circulations Nord-Sud qui ne passent pas nécessairement par les grandes initiatives et organisations de la santé globale telles le Fonds mondial contre la tuberculose, le sida et la malaria. Simeng Wang explore les instruments différenciés qu'utilise aujourd'hui l'État chinois pour promouvoir sa médecine en Afrique en réponse à la crise de l'accès, et en Europe en réponse à la crise de confiance dans la biomédecine.
- Prioriser les besoins : triage politique versus triage économique au Sud. Une leçon pour le Nord ? - Jean-Paul Gaudillière p. 142-154 La croissance ne sera pas la réponse à des besoins qui progressent et se diversifient, en l'occurrence dans le domaine de la santé. Comment, alors, décider équitablement de l'imputation des ressources, et quelles garanties d'accès privilégier ? Ces enjeux, devenus cruciaux pour les États développés, ont polarisé les débats et la mise en œuvre des politiques de santé publique internationale depuis les années 1970. Deux approches se sont longtemps opposées : une priorisation politique, centrée sur la définition des besoins de base, et une priorisation économique privilégiant les ressources financières disponibles, la mesure de la performance et la recherche d'un équilibre entre interventions publiques et marchés. Il faut cependant nuancer le constat selon lequel la crise des années 1980 et 1990 et l'émergence de la santé globale auraient, à la faveur d'une grande transformation néolibérale, sonné le glas de la priorisation politique au profit des marchés et des acteurs privés. On constate même, depuis les années 2010, un retour en grâce de la politique des besoins.
- L'hôpital public : par pertes et profits - Pierre-André Juven p. 13-22
Itinéraire
- « J'ai dit “je n'ai pas de Sécurité sociale”, et il a retiré ses mains » : Entretien avec Noëlle Lasne - Jean-Paul Gaudillière, Irène Jami p. 155-174 Noëlle Lasne est médecin généraliste. Après avoir exercé en cabinet de ville, elle a, en 1990, rejoint la mission France de Médecins Sans Frontières dont la création représentait un tournant majeur dans les activités de l'ONG humanitaire internationale. Il s'agissait d'un retour « à domicile » motivé par la multiplication des situations de non-accès aux soins que ce soit pour les étranger.ères sans-papiers, les travailleur.euses en fin de droits ou les victimes des nouvelles formes de précarité. Elle en a assuré la coordination tout au long des années 1990 alors que le travail de soin de la mission était en prise directe sur les initiatives et mobilisations qui aboutirent à la création de la Couverture Maladie Universelle et de l'Aide Médicale d'État pour les étrangers sans-papiers. Elle revient pour Mouvements sur cette expérience.
- « J'ai dit “je n'ai pas de Sécurité sociale”, et il a retiré ses mains » : Entretien avec Noëlle Lasne - Jean-Paul Gaudillière, Irène Jami p. 155-174