Contenu du sommaire : « Quantified Self »

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro no 216, juin-août 2019
Titre du numéro « Quantified Self »
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation - Éric Dagiral, Christian Licoppe, Anne-Sylvie Pharabod p. 9-16 accès libre
  • Dossier - « Quantified Self »

    • Le Quantified Self en question(s) : Un état des lieux des travaux de sciences sociales consacrés à l'auto-mesure des individus - Éric Dagiral, Christian Licoppe, Olivier Martin, Anne-Sylvie Pharabod p. 17-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article présente les travaux de sciences sociales – sélectionnés principalement au carrefour de la sociologie, de l'anthropologie et des STS – consacrés au thème du Quantified Self (QS) depuis le début des années 2010. Conçu comme un assemblage d'outils, de pratiques, de techniques et de représentation, le QS y figure à la fois un mouvement sociopolitique d'usagers-pionniers et de concepteurs, des dispositifs de quantification, ainsi qu'une variété de pratiques de self-tracking inscrites historiquement. Après avoir analysé la construction du QS en tant que promesse et sa diffusion, l'état des lieux thématise l'économie morale de ces objets : management de soi ; discipline, contrôle et surveillance ; et formes d'expériences. Une troisième partie organise les études d'usage selon les contextes dans lesquels ils s'inscrivent (santé et prévention, expérimentations, prescription au travail ou à l'initiative des particuliers…). Enfin, les apports des travaux consacrés à la mise en chiffres des individus sont remis en perspective à l'aune de la sociologie historique de la quantification.
      This article presents social science studies – selected mainly at the interface of sociology, anthropology and STS – focused on the Quantified Self (QS) and undertaken since the early 2010s. Conceived of as a set of tools, practices, techniques and representations, the QS simultaneously represents a socio-political movement of pioneer users and of designers, quantification devices, and a range of longstanding self-tracking practices. After analysing the construction of the QS in terms of the promise it bears and its dissemination, we identify themes in the moral economy of these objects: self-management; discipline, control and supervision; and forms of experience. In the third part, studies of uses are organized according to their context (health and prevention, experimentation, prescription at work or at the initiative of individuals, etc.). Finally, the contributions of studies on the quantification of individuals are put into perspective in relation to the historical sociology of quantification.
    • Par-delà le Quantified Self : Exploration thématique d'un paradigme dataïste - Minna Ruckenstein, Mika Pantzar p. 55-81 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nous examinerons dans cet article la métaphore du Quantified Self (QS) telle qu'elle est présentée dans le magazine Wired (2008-2012), où nous avons identifié quatre thèmes interdépendants – transparence, optimisation, boucles de rétroaction et biohacking – comme fondements de la définition d'un nouveau soi numérique et de la diffusion d'un paradigme dataïste. En suggérant que le QS fait jouer aux dispositifs et applications d'autosuivi un rôle d'interfaces pour dynamiser notre engagement auprès des nouvelles technologies et nous pousser ainsi à repenser la vie en se centrant sur les données, Wired met en exergue certains intérêts et désirs liés à la métaphore du QS, mais en ignore et en minimise d'autres. Notre analyse thématique du QS servira d'aide schématique pour soulever certaines questions critiques sur la quantification de soi, et notamment détecter la fusion d'affirmations épistémologiques, de produits technologiques et d'opérations commerciales. De ce point de vue, une autre définition du QS émerge : un système de connaissances qui reste souple dans ses objectifs et qui peut être utilisé comme ressource, aussi bien pour la recherche épistémologique que dans la formation de paradigmes alternatifs.
      This article investigates the metaphor of the Quantified Self (QS) as it is presented in the journal Wired (2008-2012). Four interrelated themes – transparency, optimization, feedback loop, and biohacking – are identified as underpinning the definition of a new digital self and the diffusion of a dataist paradigm. By suggesting that the QS positions self-tracking devices and applications as interfaces motivating individuals' engagement in the use of new technologies, thereby pushing us to rethink life in a data-driven way, Wired highlights certain interests and desires related to the QS metaphor, while disregarding or downplaying others. This thematic analysis of the QS serves as a schematic aid for raising critical questions on self-quantification, and in particular for detecting the merging of epistemological claims, technological devices, and commercial operations. From this perspective, another definition of the QS emerges: a knowledge system that remains flexible in its aims and can be used as a resource for epistemological inquiry and the development of alternative paradigms.
    • Théories et principes de conception des systèmes d'auto-mesure numériques : De la quantification à la régulation distribuée de soi - Moustafa Zouinar p. 83-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux théories et principes qui sont mobilisés dans la conception des systèmes d'auto-mesure numériques. Il s'appuie principalement sur la littérature en interaction Humain-Machine. Il met en évidence que les principales sources théoriques utilisées dans ce domaine sont des théories psychologiques de la motivation et du changement de comportement. L'analyse des techniques de motivation et de changement de comportement utilisées par les concepteurs montre qu'une caractéristique notable des systèmes qui incorporent ces techniques est qu'ils ne se limitent pas à la quantification. Ils sont également dotés de fonctions qui prennent en charge des opérations de contrôle et d'évaluation de l'activité sur la base d'objectifs définis par les concepteurs ou par l'utilisateur. Le point développé dans cet article est qu'en prenant en charge ces opérations, ils impliquent une relation Humain-Machine particulière, qui se caractérise par une forme hybride de régulation distribuée de soi.
      This article examines the theories and principles that underlie the design of digital self-tracking systems, drawing primarily on the Human-Machine Interaction literature. It shows that the main theoretical sources used in this field are psychological theories of motivation and behaviour change. Analysis of motivation and behaviour change techniques used by designers reveals a noteworthy feature of the systems incorporating these techniques: they are not limited to quantification. They also have functions that support monitoring and evaluation of activity based on objectives defined by the designers or by the user. This article shows that these operations involve a particular Human-Machine relationship, which is characterized by a hybrid form of distributed self-regulation.
    • Faire place aux chiffres dans l'attention à soi : Une sociologie des pratiques de quantification et d'enregistrement aux différents âges de la vie - Éric Dagiral, Séverine Dessajan, Tomas Legon, Olivier Martin, Anne-Sylvie Pharabod, Serge Proulx p. 119-156 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Loin d'interroger les usages des self-trackers – ces outils numériques de quantification personnelle – dans la perspective du mouvement californien du Quantified Self, cet article en étudie la cohérence dans le prolongement des techniques ordinaires de l'attention à soi. Sa proposition originale consiste à analyser les pratiques concrètes de quantifications personnelles par le prisme transverse du cycle de vie. Pour cela, il articule une enquête par questionnaire (n=1829) à une grande enquête qualitative (n=105). La première rend compte de la place conséquente des chiffres dans l'attention à soi : selon les classes d'âge, elle analyse les pratiques d'enquêtés qui sont entre 28 % et 43 % à conserver des traces numériques de soi, et dont 14 % à 27 % sont équipés d'un objet connecté de mesure. La seconde fouille l'entrelacement des enjeux qui sont au cœur de ces pratiques et montre que malgré la diversité des contextes individuels, les visées de la quantification de soi évoluent selon l'âge et le cycle de vie. Si la régulation d'une vie instable grâce aux automesures est un objectif répandu chez les plus jeunes, l'exigence de rationalisation des vies professionnelle, domestique et personnelle devient souvent centrale dans les usages de quantification après la naissance des enfants et cède la place, après 50 ans, à un souci de prévention contre les menaces de l'avancée en âge.
      Rather than critically examining the uses of self-trackers – digital personal quantification tools – within the Californian Quantified Self movement, this article studies their coherence as an extension of ordinary self-care techniques. Its analyses concrete practices of personal quantification in relation to life cycles by combining a questionnaire survey (n=1829) with a vast qualitative survey (n=105). The former survey reflects the significant place of numbers in self-care. It analyses the practices of respondents, of whom 28% to 43%, depending on their age group, keep digital traces of themselves, and 14% to 27% are equipped with a connected measuring device. The second research component examines the intertwining issues at the heart of these practices and shows that despite the diversity of individual contexts, the goals of self-quantization evolve with age and life cycle. While regulating an unstable lifestyle through self-measurement is a widespread objective among the youth, the need to rationalize professional, domestic and personal lives often becomes central in the use of quantification after the birth of children. After the age of 50, it gives way to a concern to prevent threats related to ageing.
    • « Faire ses 10 000 pas », vraiment ? : Une enquête sur les pratiques de self-tracking ordinaires - Anne-Sylvie Pharabod p. 157-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En se concentrant sur le cas de la marche, cet article apporte un éclairage empirique au débat sur les pratiques de self-tracking, ces auto-mesures personnelles à l'aide de bracelets et montres connectés ou d'applications sur smartphone, que certains perçoivent comme des nouvelles sources de connaissance de soi, et d'autres comme des formes inédites gouvernement des conduites. Il resitue la fabrication des auto-mesures de marche dans la socio_histoire des podomètres et montre comment les dispositifs numériques privilégient désormais une visée d'évaluation permanente de l'activité physique plutôt que celle de sessions dédiées à la marche, intégrant ainsi une préoccupation de santé publique – lutter contre la sédentarité – au cœur de la vie quotidienne. Toutefois, en fouillant les manières de produire, lire et analyser les traces de marche de vingt self-trackers ordinaires, l'enquête montre qu'au-delà de l'appropriation d'un même cadre cognitif (unité de compte en pas plutôt qu'en kilomètres ou en durée, norme des 10 000 pas), les utilisateurs ajustent leurs pratiques d'auto-mesure de façon personnelle. Leurs modes d'adoption des podomètres dans le temps et leurs logiques pour établir des chiffres qui leur servent sont bien trop variés pour entraîner un alignement de leur activité de marche quotidienne sur l'objectif de santé embarqué dans la plupart outils.
      By focusing on the case of walking, this article brings empirical insights into the conversation on self-tracking practices. While some perceive these forms of personal self-measurement by means of connected bracelets and watches or smartphone applications as new sources of self-knowledge, others consider them to be new ways of governing behaviours. The article situates the production of walking self-measurement in the socio-history of pedometers and shows how digital devices now support a constant evaluation of physical activity rather than sessions dedicated specifically to walking, thus integrating a public health concern – fighting physical inactivity – at the very core of daily life. However, by delving into twenty ordinary self-trackers' ways of producing, reading and analysing traces of walking, the survey shows that beyond their appropriation of a single cognitive framework (steps, rather than kilometres or duration, as a counting unit; the 10,000 step standard), users adjust their self-measurement practices in a personal way. Their adoption of pedometers over time and their reasoning for establishing the figures that they use are far too varied to align their daily walking activity with the health objective embedded in most tools.
  • Varia

    • Tensions épistémiques dans les écrits d'ingénieurs : Le cas d'un Institut technique agricole - Claude Compagnone p. 189-217 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le but de cet article est de montrer comment des ingénieurs du domaine agricole définissent et produisent des supports écrits de communication adressés directement ou indirectement à des publics différents, aux exigences propres. Ces ingénieurs appartiennent à un même service d'un Institut technique agricole et conjuguent dans leur activité un travail de développement et de recherche. En nous appuyant sur leur discours, nous rendons compte de la façon dont ils conçoivent, dans leur forme et dans leur mode de production, différents types d'écrits. Nous faisons apparaître comment la construction de ces supports amène à des conflits des normes entre ces ingénieurs et leurs responsables. Ces supports scripturaux ne sont pas utilisés selon les cas pour connecter simultanément les mêmes acteurs, ils ne concernent pas le même « horizon de communautés » et peuvent articuler différentes formes de connaissances. Si, pour les uns, il s'agit de produire des textes scientifiquement valables au regard de la communauté scientifique, pour les autres, il s'agit de pouvoir répondre aux questions de développement de leurs partenaires régionaux.
      The aim of this article is to show how agricultural engineers define and produce written communication materials addressed directly or indirectly to different audiences with specific requirements. These engineers belong to the same department of an agricultural technical institute and combine development and research work in their activity. Based on their discourse, we report on how they conceive of different types of writing, in their form and mode of production. We show how the construction of these texts leads to conflicts of standards between these engineers and their managers. These scriptural media are not used according to the case to connect the same actors simultaneously; they do not concern the same “community horizon” and can articulate different forms of knowledge. While, for some, it is a matter of producing texts that are scientifically valid in the eyes of the scientific community, for others the concern is to be able to answer the development questions of their regional partners.
    • Les scandales Vanessa Tchatchou et Monique Koumateke : La constitution d'un espace public oppositionnel en ligne au Cameroun - Frank Afom p. 219-241 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le présent article affirme l'hypothèse selon laquelle les réseaux sociaux numériques seraient devenus un espace privilégié pour protester, contester, voire « s'insurger » contre les gouvernants au Cameroun. Selon son heuristique, c'est le caractère post-autoritaire de l'État qui explique l'expression de ce dissentiment sur Internet. Afin de discuter cette hypothèse, nous nous sommes intéressé aux scandales Vanessa Tchatchou et Monique Koumateke, dont nous avons suivi les réactions des internautes indignés et les propos exprimés à cette occasion par certains acteurs politiques sur Facebook à travers des écrits de journalistes relayés sur quelques plateformes numériques. Si cette protestation est vectrice d'un empowerment des citoyens, ses supports numériques permettent à ces derniers d'exercer la fonction contre-démocratique participant ainsi à un renouvellement de l'espace public au Cameroun.
      This article supports the hypothesis that digital social media have become the preferred space to protest, contest or even “rise up” against government in Cameroon. It posits that the choice of Internet as the site for dissent can be explained by the post-authoritarian nature of the Cameroonian State. To test this hypothesis, the article focuses on the Vanessa Tchatchou and Monique Koumateke scandals, the reactions they triggered among outraged Internet users, and the comments expressed on this occasion by certain political actors on Facebook through journalists' writing, relayed on several digital platforms. While this protest is a vehicle for empowering citizens, its digital media enable them to exercise the counter-democratic function, thus contributing to a renewal of the public space in Cameroon.
  • Notes de lecture