Contenu du sommaire : Le politique au coin de la rue

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 32, no 125, 2019
Titre du numéro Le politique au coin de la rue
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier : Le politique au coin de la rue

    • Enquêter sur la portée politique des rapports en public - Carole Gayet-Viaud, Alexandra Bidet, Erwan Le Méner p. 7-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce dossier propose d'appréhender la sociabilité urbaine comme un centre de perspectives sur la dimension politique de la vie sociale. Les formes et épreuves de la coexistence y sont saisies comme une entrée empirique sur l'expérience du politique en tant que culture. L'hypothèse mise au travail par l'ensemble des contributions est que ces épreuves contribuent à forger l'expérience que chacun a du monde et des autres, à tester le périmètre des responsabilités des uns et des autres, des uns vis-à-vis des autres, quant à ce qui advient sous le regard public. S'y testent ainsi, en situation, des définitions de ce qui peut ou doit être fait en commun et un sens ordinaire de la communauté politique.
      In search of the political significance of relations in public
      This special report argues that public encounters represent a good entry point to study the fabric of a political and moral culture in everyday life. It is a plea for a study of political principles as they appear and are put into play in people's lives and in actual situations, and among them more specifically, urban civil interactions. The articles gathered here show the importance and the relevance of these relations in public, in terms of the analysis of how a political community works. They shed new light on how civil interactions display a sense of the public that is profoundly linked to what a democratic regime is or should be, trying to define, but never from scratch, the best way to live together as a political community.
    • La civilité est-elle réac ? - Carole Gayet-Viaud p. 31-58 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La civilité est un concept qui fait aujourd'hui l'objet de polarisations très fortes, sur les plans à la fois disciplinaire et idéologique. Pour les uns, elle figure un éden perdu, pour les autres, un mot d'ordre piégé, l'instrument d'une lutte pour l'ordre, en soi réactionnaire. Cette situation appelle une analyse de type généalogique afin d'éclairer la façon dont cette opposition binaire s'est imposée. L'article montre comment le développement du problème public de l'incivilité en France à partir des années 1990 a contribué à structurer l'étude de la civilité et de l'incivilité comme deux domaines distincts, et à configurer les questions relatives à la civilité dans les termes d'une opposition idéologique dont la question de l'ordre est devenue l'enjeu central, plaçant la civilité du côté de la pensée réactionnaire. On arguera que la mise en œuvre d'une démarche d'enquête prenant pour objet les interactions civiles appelle à dépasser cette perspective binaire et à envisager la civilité comme une activité dynamique, visant à définir le juste réglage des conduites en public, où le rapport des conventions à un sens ordinaire du juste fait l'objet d'une attention critique et d'une enquête itérative, plutôt que d'une application ou d'un rejet aveugles.
      Is civility reactionary?
      The concept of civility has become a highly polarizing one, from both an academic and an ideological perspective. While some view it as a paradise lost, to others it is but a booby-trapped watchword, a law-and-order device, reactionary by nature. This situation warrants a genealogical approach if one is to shed light on how this binary opposition has been allowed to prevail. This article shows how the rise of incivility as a public issue in France from the 1990s has contributed to splitting the study of civility and incivility into two separate domains, setting up the debate on civility as an ideological struggle centered on the question of order, in which civility is placed on the side of reactionary thinking. It will be shown that ethnographic surveying of civil interactions calls for us to move beyond this binary perspective, ultimately considering civility as a dynamic activity aiming to fine-tune public behavior, where the relationship of conventions to an ordinary sense of fairness is critically assessed and subjected to an iterative survey by city-dwellers, as opposed to being blindly applied or rejected.
    • Pourquoi s'arrête-t-on devant les mémoriaux des attentats ? : Politique et civilité autour des mémoriaux du 13 novembre - Sylvain Antichan p. 59-85 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête ethnographique menée autour des mémoriaux du 13 novembre et de matériaux quantitatifs, la contribution entend répondre à une question d'apparence simple : pourquoi des individus s'arrêtent-ils devant ces mémoriaux ? À côté des analyses en termes de « communion nationale », de « deuil » ou de « résilience », elle vise à penser ensemble la banalité de ces pratiques et leur portée politique. Les publics des mémoriaux ne se caractérisent ni par des attitudes politiques spécifiques ni par l'intensité de leurs rapports aux attentats. Les arrêts apparaissent d'abord façonnés par des sociabilités ordinaires et les gestes définis par la situation sociale d'engagement physique au mémorial. L'article formule ensuite l'hypothèse que la dimension politique des pratiques réside dans la présence et la coprésence physique sur les lieux. Les individus y trouvent une reconfiguration localisée des rapports sociaux qui rompt avec le régime ordinaire des interactions en ville et où s'éprouve un autre régime de civilité. Les mémoriaux apparaissent alors comme les lieux de rituels positifs qu'on pourrait qualifier de purs. Ils ne produisent peut-être ni croyance ni effets durables mais le sentiment, le temps d'un arrêt, d'une inflexion des rapports sociaux.
      Why do we stop in front of terrorist attack memorials?
      Based on quantitative data and ethnographic research conducted on the November 13 memorials, this article aims to answer a seemingly simple question: Why do individuals stop in front of these memorials? Alongside analyses in terms of “national communion,” “mourning,” or “resilience,” it aims to question the banality of these practices and their political significance. People who stop at memorials are not characterized by specific political attitudes or particularly strong connections to terrorist attacks. Their behaviors are shaped by ordinary interactions and their actions are defined by the material framework of memorials. This article argues that the political dimension of these practices lies in the physical presence and co-presence in these sites of memory. In these places, actors experience a “regime of civility” that breaks with the ordinary forms of interaction in the city. Memorials then appear as places of “positive rituals” that could be described as pure, that is, they do not necessarily produce lasting beliefs and behavioral changes, but they give participants the feeling that social relationships are transformed for an instant.
    • Faire réagir les témoins face au harcèlement de rue. Enquête sociologique sur la politisation des rapports de genre dans l'espace public - Mischa Dekker p. 87-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les récentes campagnes de sensibilisation contre le harcèlement de rue, la critique des témoins, qualifiés de passifs, est constante. On retrouve souvent l'image d'un.e passant.e apathique, qui serait indifférent.e à l'agression, et on présente souvent la non-intervention des témoins comme une forme d'égoïsme, ou liée à la peur de subir soi-même des violences. En France, le problème public du harcèlement de rue a été défini principalement à partir du vécu de la victime et comme une violence faite aux femmes, orientant les débats vers une explication de la non-intervention des témoins comme une forme d'indifférence au sexisme. En mettant l'accent sur le caractère violent et envahissant de ces comportements vis-à-vis des victimes, ce cadrage s'est moins intéressé aux difficultés qu'ont souvent les témoins de ces situations pour les qualifier comme relevant du harcèlement. Nous nous intéressons à des interventions en milieu scolaire, organisées par des associations afin de sensibiliser des lycéens à la question du harcèlement de rue et les encourager à intervenir s'ils en sont témoins. Si les intervenant.e.s expliquent initialement la non-intervention comme une forme d'indifférence au sexisme et de résistance à leur politique qui vise à protéger l'autonomie des femmes et des personnes LGBTQI+, les réactions des élèves montrent que celle-ci vient plutôt de la peur qu'une intervention soit perçue comme une atteinte illégitime à l'autonomie d'autrui. Cet article interroge ainsi la réduction de toutes les résistances à des politiques progressistes et anti-sexistes à l'expression d'idées conservatrices et misogynes, en montrant qu'elles peuvent être le fruit de tensions internes aux politiques visant à protéger l'autonomie des individus. La réflexivité des militant.e.s et la façon dont ils vont adapter leur démarche en fonction de ces résistances pratiques illustrent les difficultés mais également les manières de promouvoir des comportements solidaires dans une société qui valorise les libertés individuelles.
      Encouraging bystander intervention in street harassment situations. A sociological study of the politicization of gender relations in the public spaceIn recent awareness campaigns against street harassment, criticism of bystanders, who are described as passive, has played a central role. We are often presented with the image of an apathetic passer-by who is indifferent to the attack, and the non-intervention of bystanders is frequently exposed as a form of selfishness, or as a fear that they will then become a victim of violence. In France, street harassment as a public problem has been defined principally from the personal experience of the victim and as a form of violence perpetrated against women, leading actors to explain the non-intervention of bystanders as an indifference to sexism. By focusing on the invasive and violent manner in which these behaviors are experienced by victims, the difficulties bystanders experience in identifying a situation as street harassment are overlooked. In this article, I analyze interventions in schools organized by associations seeking to raise awareness about street harassment among high school pupils and to encourage them to intervene if they are a bystander to such a situation. While the speakers initially explain non-intervention as an indifference to sexism and a resistance against defending the autonomy of women and LGBTQI+ people, the reactions of the pupils show that their hesitations are often an expression of their fear that their intervention will be perceived as an illegitimate intrusion into the other's personal space. This article thus questions the reduction of all resistance to progressive and anti-sexist politics to the expression of conservative and misogynistic beliefs, showing that they can be the result of tensions internal to the politics of protecting individuals' autonomy. The reflexivity of the activists and the way in which they adapt their approach in reaction to the pupils' resistance show the difficulties but also the possibilities of promoting solidarity in a society that values individual liberties.
    • La canopée cosmopolite - Elijah Anderson, Alexandra Bidet, Hélène Boisson p. 109-134 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La diversité raciale, ethnique et sociale des espaces publics urbains n'a jamais été aussi grande. Distance et tension sociales se traduisent par la méfiance à l'égard des inconnus. Dans ce contexte, la « canopée cosmopolite » offre un répit aux personnes les plus diverses, en leur permettant de mener ensemble leurs activités, tout en se livrant à une « ethnographie ordinaire » (folk ethnography), qui leur sert de base, cognitive et culturelle, pour élaborer leurs façons d'agir en public.
      The Cosmopolitan Canopy
      The public spaces of the city are more racially, ethnically, and socially diverse than ever. Social distance and tension as expressed by wariness of strangers appear to be the order of the day. But the “cosmopolitan canopy” offers a respite and an opportunity for diverse people to come together to do their business and also to engage in “folk ethnography,” which serves as a cognitive and cultural base on which people construct behavior in public.
    • Le politique au bout de la matraque : Fuir la police, obéir, résister : entre déviance et citoyenneté - Kamel Boukir p. 135-159 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pourquoi les jeunes des quartiers populaires fuient-ils la police alors qu'ils n'ont rien à se reprocher ? Cette enquête ethnographique au long cours montre que la fuite face à la police procède d'une tension interactionnelle qui se noue autour de l'hypervisibilité des « jeunes de cité ». En resituant la dynamique des stéréotypes entre jeunes et policiers dans une écologie des rencontres, l'article montre que la défiance des jeunes à l'égard des policiers ne procède ni d'une désorganisation sociale ni d'une culture de la violence, mais d'un rapport au politique. La fuite face à la police se situe au carrefour de l'autorité, de l'obéissance, du sens de la justice et de l'éthique du défi que développent les jeunes dans leur critique des moyens et des fins de l'usage de la force policière et de leur résistance à la violence illégitime. Le conflit apparaît alors comme constitutif du politique.
      The political at the end of the baton
      Why do young men from working-class neighborhoods run away from the police when they shouldn't have anything to fear? Based on an ethnographic fieldwork, this article shows that running away is based on interactional tensions. The hypervisibility of “les jeunes de cité” (inner city youth) is displayed in the interactions with police officers. This ecology of encounters embodies a political relationship. “Les mecs de cité” routinely cultivate a pattern of interactions which draws neither from social disorganization nor from a culture of violence, but from an ongoing political process of valuing the legitimacy of police action. In this social setting, conflict is constitutive of the political.
    • S'accorder sur ce qui est : Les dimensions politiques d'un rassemblement public à Tianjin - Isabelle Thireau p. 161-190 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article analyse le rassemblement public qui, depuis plus de vingt ans, surgit chaque soir sur une place publique de la ville chinoise de Tianjin. Il explore comment « faire ensemble » des exercices physiques et « se parler » de ce qui est ou de ce qui devrait être, sont des actions qui s'articulent ici pour faire apparaître une réalité sociale moins indéterminée, pour reconstruire des institutions de base qu'une expérience historique particulière a défaites.
      Reaching shared understandings
      This article analyzes the public gathering which, for more than twenty years, has appeared every evening in a public square in the Chinese city of Tianjin. It explores how the “doing together” of physical exercise and “talking together” about what is or about what should be are actions that are connected in order to bring out a less indeterminate social reality, to rebuild basic institutions dismantled by a specific historical experience.
  • Varia

    • Les paradoxes d'une institution militante : La Délégation aux droits des femmes, « affaire de bonnes femmes » ou nouvelle « carte de visite » ? - Bérengère Savinel p. 191-218 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de l'étude de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 2012-2017, cet article analyse les modalités de l'institutionnalisation de la cause des femmes au Parlement sous le double prisme des résistances institutionnelles opposées aux militantes de la cause des femmes et des usages stratégiques de la Délégation par ses membres. La mise en évidence de trois postures idéales-typiques des députés de la Délégation (les inactifs.ves, des intermittentes, des porte-parole) permet de penser les conditions de ses usages stratégiques.
      The paradoxes of an activist institution
      Based on a study of the Women's Rights Delegation of the National Assembly from 2012 to 2017, this article analyzes the institutionalization of the advancement of women in the French Parliament through the dual prism of the institutional resistance opposed to women's activists and the strategic uses of the delegation by its members. The highlighting of three ideal-typical postures of the deputies in the delegation (the inactive ones, the intermittent ones, the spokespersons) makes it possible to think about the conditions of its strategic uses.
    • Science et techniques au service du public : La synchronisation des horloges parisiennes au XIXe siècle - Côme Souchier p. 219-237 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article fait de l'étude du service de synchronisation des horloges à Paris dans les années 1870-1880 une voie d'entrée pour une socio-histoire de l'action publique municipale. Pour mieux comprendre la genèse de ce service public inédit, l'article revient, dans un premier temps, sur l'accroissement des besoins horaires et la diversité des horloges publiques parisiennes de cette période. Un second temps est consacré au rôle décisif des astronomes de l'Observatoire de Paris dans les questions liées à la standardisation horaire et dans la constitution du service public de l'heure. Un dernier temps se concentre sur les modalités d'exercice d'un gouvernement municipal des horloges publiques, en étudiant les relations entre conseillers municipaux, Direction des travaux et une entreprise privée, La Compagnie générale des horloges pneumatiques, qui commercialise un procédé de synchronisation des horloges concurrent de celui du service public. Les hésitations des conseillers et des services techniques de la ville entre deux techniques de synchronisation, électrique et pneumatique, et entre un dirigisme prononcé ou une simple surveillance des activités de La Compagnie témoignent d'une action publique municipale innovante mais qui peine à définir ses objectifs et ses moyens sur un domaine technique.
      Science and technology for the benefit of the public
      From the study of the time synchronization service in Paris in the 1870s, this article proposes a sociohistory of municipal public action. In order to better understand the genesis of this new public service, the article begins by reviewing the increase of time needs and the diversity of Parisian public clocks in this period. The second part is dedicated to the crucial role of the astronomers of the Observatoire de Paris regarding time standardization and in the establishment of the public time service. The last part of this article focuses on the arrangements for the exercise of a municipal governance of public clocks by studying the relations between municipal councillors, the Direction des travaux, and a private company, La Compagnie générale des horloges pneumatiques. This company marketed a clock synchronization technique that competed with the public time service. The hesitations of the municipal councillors and the city's technical services between two synchronization techniques, electric and pneumatic, and between a marked control or a simple monitoring of the Compagnie are proof of an innovative municipal action that had difficulties defining its goals and means in a technical domain.
  • Notes de lecture