Contenu du sommaire : Le secret entre opacité et transparence

Revue Les cahiers de la justice Mir@bel
Numéro no 2014/3
Titre du numéro Le secret entre opacité et transparence
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Édito

  • Tribune

    • Secret, opacité et transparence - Jean-Louis Gillet p. 341-346 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le secret est une donnée de droit s'intégrant souvent à des corps de règles déontologiques mais il peut être aussi un pur fait, une donnée comportementale plus ou moins chargée de signification. Il devient vite, quand il correspond à des impératifs fondamentaux, une valeur humaine, politique et sociale s'il sait se combiner avec une transparence indispensable à l'admission et à la reconnaissance des choix du citoyen. C'est dire qu'il devient dangereux s'il confine à l'opacité au point de nourrir, par ses effets extrêmes, les rumeurs et fantasmes. Une société adulte est forcément à la recherche, y compris dans le domaine judiciaire, de son secret.
      Secrecy is an aspect of law that is often integrated into codes of ethics, but it can also be a fact unto itself, a behavioural aspect with variyng degrees of significance. When it corresponds to fundamental imperatives, it soon becomes a human, political and social value provided it can be combined with transparency, an indispensable factor in the acknowledgement of the citizen's choices. How dangerous it can become if it is merely a form of opacity so extreme that it serves to fuel rumour and fantasy. A mature society is necessarily in search of the right level of secrecy, including in the judicial realm.
  • Dossier. Le secret entre opacité et transparence

    • Présentation - p. 347 accès libre avec résumé
      Notre justice a longtemps privilégié le secret. C'est vrai du système inquisitoire dont la longue phase d'instruction préalable a longtemps absorbé le procès. C'est vrai du droit lui-même qui non content d'être opaque est de plus en plus bavard et technique. C'est vrai aussi des professions qui cultivent trop souvent l'entre soi et le corporatisme. Cette culture fortement étatique cède pourtant de plus en plus de terrain devant les exigences de la société démocratique. Tout se passe comme si chez nous comme disent les Anglais, « Justice doit être rendue mais il faut aussi voir qu'elle a été rendue ». On le note en procédure pénale où les vertus du débat contradictoire et public ne cessent de progresser (C. Ambroise Casterot et Ch. Combeau) alors que l'action de la presse est garantie par le secret des sources élaboré par la Cour européenne des droits de l'homme (Ph. Piot). Même le secret du délibéré que les juges doivent garder « religieusement » est remis en question notamment par l'intérêt suscité par la publication des opinons dissidentes (N. Fricero). Ce mouvement irrésistible qui assimile la transparence et la vertu (un essai récent de Daniel Soulez Larivière porte ce titre) n'est pas sans danger. Face à la volonté de tout dire et de tout montrer, le secret s'apparente à « une opacité génératrice de méfiance » (J.L. Gillet). Nous oublions que le secret garde des vertus lorsqu'il protège la vie privée ou nous préserve des abus de pouvoir. La procédure est là pour nous rappeler qu'elle permet de ne pas savoir, d'oublier (prescription) ou d'ignorer (nullités). Voilà pourquoi chaque profession doit repenser les règles du secret professionnel. Toutes celles qui sont en contact avec le public sont traversées par une interrogation sur le partage de l'information (F. Noé). Le but n'est pas de tout savoir mais de partager ce qui peut être légitimement et déontologiquement admis. Notamment quand elles travaillent avec les services de police ou en milieu carcéral, les professions sociales ou médicales s'efforcent de préserver autant leur identité que celle des personnes qui leur sont confiées. Travail indispensable car si la transparence est celle des personnes et non des décisions et des procédures, elle est dangereuse. Auquel cas, conclut R. Geadah, elle ne serait plus que l'ultime refuge d'une démocratie qui aurait perdu ses rêves, « la dernière bouée d'une société sans morale ».
    • Fantômes et trésor derrière la baie vitrée. Regards sur le secret et la transparence - Roland-Ramzi Geadah p. 349-371 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte aborde, dans une perspective à la fois interdisciplinaire et interculturelle, les relations entre secret et transparence. Outre les explications des principaux concepts, il analyse les raisons qui conduisent à nous voiler ou à nous dévoiler dans l'espace privé comme dans l'espace public. Entre la transparence de nos sociétés médiatiques et l'enfermement mortifère dans le secret, il s'efforce de tracer de nouvelles voies.
      This article takes up the relation between secrecy and transparency from transcultural and multidisciplinary viewpoints. After explaining the main concepts, it analyses the reasons leading us to reveal or conceal ourselves in both the public and private domains. The author endeavours to plot new paths between the total transparency demanded by the media on the one hand, and total seclusion through a retreat into absolute privacy, on the other hand.
    • La procédure pénale dans la balance : entre secret et transparence - Coralie Ambroise-Castérot, Chantal Combeau p. 373-385 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La procédure pénale est aujourd'hui tiraillée entre deux exigences contradictoires : d'un côté le secret, garant de l'efficacité des procédures, mais aussi de la présomption d'innocence, et de l'autre, la demande de transparence des citoyens et des médias, relayés par les textes conventionnels et la jurisprudence européenne garantissant la liberté d'expression et le droit d'information. Ainsi, au gré des réformes et des évolutions jurisprudentielles, la procédure pénale varie donc en permanence entre secret et transparence, que ce soit dans le temps (enquêtes, instruction, jugement) ou dans l'espace (vis-à-vis des parties au procès comme vis-à-vis des médias).
      Criminal procedure is currently torn between two contradictory requirements : on the one hand secrecy, which guarantees the efficiency of procedure but also the presumption of innocence, and on the other the demand for transparency from citizens and the media, urged on by conventions and European case law guaranteeing freedom of expression and the right to information. So with each reform and each evolution of case law, criminal procedure permanently swings between secrecy and transparency, whether in time (investigations, examination, judgement) or in space (in relation to the parties to the trial and in relation to the media).
    • Protection des sources journalistiques contre secret judiciaire : la construction prétorienne de la Cour européenne des droits de l'homme - Philippe Piot p. 387-400 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans une société démocratique, le droit du public à être informé que reconnaît la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme emporte des conséquences, particulièrement pour le secret judiciaire. Cette évolution amène à reconsidérer les questions du recel de violation d'un secret légalement protégé et de la protection des sources des journalistes.
      In a democratic society, the right of the public to be informed, as recognised by the case law of the European Court of Human Rights, does have its consequences, particularly as regards judicial secrecy. This development requires that we reconsider the questions of information obtained from breaches of legally-protected secrets and of the protection of journalists' sources.
    • « Mon secret, c'est mon droit » ou la nécessité d'uniformiser les règles du secret en action sociale et médico-sociale - Fabienne Noé p. 401-411 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 2013, les États généraux du travail social mettent en lumière l'inadéquation entre pratiques professionnelles, attentes des usagers et problématiques sociales actuelles. Le phénomène est particulièrement prégnant en matière de secret professionnel dès lors que ce dernier est partagé et le travail accompli en équipe. Le flou qui entoure la définition de cette notion et la difficulté à cerner les actes couverts aussi bien que la population des travailleurs sociaux concernée s'avèrent source de malentendus et d'insécurité juridique pour les usagers comme pour les professionnels du secteur.
      Since 2013, the États Généraux du Travail Social have highlighted a mismatch between professional practice, users' expectations and today's social issues. This phenomenon is particularly signifiant in matters of professional secrecy, especially when such secrecy is shared and the work is done as a team. The blurred areas surrounding the definition of this notion and the difficulty of determining what activities are covered and which social workers concerned are sources of misunderstanding and of legal uncertainty for professionals working in the sector.
    • Délibérations des juges : entre secret et transparence - Natalie Fricero p. 413-421 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À l'aube de la nouvelle justice du XXIe siècle, une réflexion sur un principe toujours considéré comme fondamental pour la protection de l'indépendance du juge et de l'autorité morale des décisions s'impose. Le secret des délibérations, qui interdit au juge de délibérer en présence de tiers et de divulguer les « motifs des motifs » de la décision, est partagé par tous les organes exerçant des fonctions juridictionnelles ; mais sous l'influence des pratiques étrangères, l'idée d'annexer à la décision collégiale les opinions personnelles du juge semble conforter le pacte démocratique que le juge passe avec les citoyens. La divulgation de compléments interprétatifs de la décision constitue une voie médiane, rendant la décision plus compréhensible, en respectant les principes fondamentaux du procès et sans tomber dans la tyrannie de la transparence.
      At the dawn of the new Justice of the 21st century, reflection is required on a principle that is still considered fundamental in order to protect the independence of judges and the moral authority of the decisions they hand down. The secrecy of the deliberations, which prohibits the judge from deliberating in the presence of any third parties and disclosing the « reasons behind the reasons » for the decision, is common to all those bodies exercising judicial functions. However, under the influence of foreign practice, the idea of attaching the personal decisions of the judge to the collective deliberation is seen by some as a way of consolidating the democratic pact between the judge and the citizens. The disclosure of interpretive supplements to the decision provides a middle way that can make the decision more comprehensible while respecting the fundamental principles of the trial, without falling into the tyranny of transparency.
  • Chroniques

    • Une réforme courageuse et exemplaire... 9 000 kilomètres plus loin ! - Christophe Baron p. 423-437 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le Costa Rica a réalisé, il y a plus de vingt ans, une réforme exemplaire du code de procédure pénale. Elle a permis de rompre avec un système au caractère traditionnellement inquisitoire et a donné naissance à une procédure essentiellement accusatoire : la suppression du juge d'instruction, la division de la procédure en trois étapes, le renforcement du principe d'oralité, ou encore la valorisation de la preuve testimoniale en sont les piliers fondamentaux.
      More than 20 years ago, Costa Rica carried out an exemplary reform of its Criminal Procedure Code. It broke with a system that was traditionally inquisitorial in nature, and gave birth to an essentially adversarial procedure. The fundamental pillars of the reform consisted in abolishing the investigating judge, dividing the procedure into three stages, reinforcing the principle of oral proceedings and emphasising the weight of proof by testimony.
    • Les proches des victimes d'homicide face à la justice : le grand malentendu - Catherine Rossi p. 441-460 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les textes juridiques ont largement tenté d'appuyer le point de vue des victimes depuis quelques années, tant au Québec qu'en France, deux pays comparés ici. Il en ressort une tension entre « victimophiles » et « victimophobes ». Mais au-delà de ce processus, en quoi consiste réellement la position des proches de victimes d'homicides ? Ils n'adoptent pas de posture vindicatoire mais aspirent, en plus de voir reconnues leurs souffrances personnelles, à pouvoir représenter la victime à la hauteur de son préjudice et être reconnus comme tels : c'est le sens que doit prendre l'indemnisation comme la peine. Une telle reconnaissance symbolique doit passer par une prise en compte de cette double revendication par le système judiciaire, et pas seulement du fait de ses décisions, mais aussi de la relation que ses acteurs entretiennent avec ces personnes. Il est enfin important qu'une telle reconnaissance puisse être prise en charge socialement et ne dépende plus du seul système de justice pénale.
      Recent legal provisions have strongly endeavored to defend criminal victims' viewpoint, both in Quebec and France, two counties this survey compares. This prompts a tension between victims' advocates and critics. Beyond this debate, what is the real position of homicide co-victims ? They do not seek revenge but wish rather to be considered as full victims, as well as representatives of the deceased, and acknowledged as such by the compensation and the penalty. Such symbolic acknowledgment should come from the whole judicial system, not only with its decisions, but primarily through relations which its members hold with these persons. It is finally essential that this acknowledgment become also a social one, beyond the borders of the criminal justice system.
    • Le niqab devant les tribunaux canadiens et la circulation occidentale du corps islamique - Nicolas Blanc p. 463-479 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La présente contribution vise à s'interroger sur le rôle des affects et des identités dans le processus juridictionnel, à partir d'un exemple tiré du droit constitutionnel canadien. La décision rendue par la Cour suprême du Canada autorise le port du niqab devant les tribunaux canadiens lors d'un examen croisé de crédibilité, en matière criminelle. Cette autorisation est, toutefois, conditionnée à la possibilité d'accommoder cette croyance sincère. Outre pour une systématisation du conflit de droits fondamentaux, cette décision est importante car elle prend le contre-pied des décisions rendues en la matière par les cours européennes. Cependant, s'interroger sur le rôle des affects et des identités, dans la démarche comparative, permet de remettre en question une comparaison différentielle trop rapide en démontrant le partage d'une commune régulation patriarcale du corps féminin et occidentale du corps musulman. Les cours qui ont eu à connaître des conflits portant sur le niqab mobilisent les mêmes ressources identitaires, ce que nous qualifierons de circulation affective du corps musulman.
      This contribution seeks to analyse the role of affects and identifies in the court process, taking an example from Canadian constitutional law. The decision handed down by the Supreme Court of Canada authorises the Niqab to be worn in front of the Canadian courts in cross-examinations of witness credibility in criminal matters. This authorisation is, however, subject to the possibility of accommodating this sincerely-held belief. In addition to systematising a conflict of fundamental rights, this decision is an important one in that it goes against the decisions handed down by the European courts. However, addressing the role of affects and identities via a comparative approach provides a way of challenging an excessively hasty differential comparison by demonstrating that there is a common patriarchal regulation of the female body and western regulation of the Muslim body. The courts that have heard conflits revolving around the Niqab, make reference to the same resources in terms of identity, something we will refer to as an affective circulation of the Muslim body.
    • L'émergence d'une culture de la déontologie du juge : l'exemple de la juridiction administrative - Jérôme Michel p. 483-493 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La juridiction administrative de droit commun (Conseil d'État, cours administratives d'appel et tribunaux administratifs) s'est dotée en 2012 d'une « Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative - Principes et bonnes pratiques », qui présente la singularité d'instituer un « collège de déontologie », qui est chargé d'apporter un éclairage à l'ensemble des membres de la juridiction administrative sur l'application des principes et bonnes pratiques rappelés par la charte. La mise en ligne récente, sur le site Internet du Conseil d'État, du rapport annuel d'activité 2014 de ce collège permet de faire ici le point sur la pratique de la culture de la déontologie au sein de la juridiction administration et de s'interroger sur l'émergence d'une « jurisprudence déontologique » souple et pragmatique.
      In 2012, the ordinary administrative courts (Council of State, Administrative Courts of Appeal, Administrative Courts) introduced a « Charter of Ethics for Members of the Administrative Courts - Principles and Good Practice » in which one singular feature is the creation of a « Board of Ethics » responsible for providing all members of the administrative courts with enlightenment on the application of the principles and good practice set out in the charter. The recent online publication of the 2014 Annual Activity Report of this Board on the website of the Council of State provides the opportunity to review the practice and culture of professional ethics within the administrative courts and to raise the question of the emergence of a flexible, pragmatic « ethical case law ».
  • Lire | voir | entendre

  • Quatrième de couverture - p. 528 accès libre