Contenu du sommaire : La symbolique judiciaire en mutation

Revue Les cahiers de la justice Mir@bel
Numéro no 2018/4
Titre du numéro La symbolique judiciaire en mutation
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Édito

  • Tribune

  • Dossier. La symbolique judiciaire en mutation

    • Présentation - Haritini Matsopoulou p. 601-603 accès libre
    • Le crime, muse du châtiment : la symbolique pénale dans le ressort du parlement de Flandre - Sébastien Dhalluin p. 605-617 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La loi du talion trouve-t-elle encore sa place à l'époque moderne ? La législation royale n'organise pas la répression de toutes les infractions. À défaut de texte ou lorsque celui-ci n'est délibérément pas respecté, les magistrats en exercice dans le ressort du parlement de Flandre prononcent des condamnations arbitraires. Les archives de cette juridiction nous apprennent que les sentences puisent parfois leur inspiration directement dans l'infraction elle-même. Les peines alors prononcées revêtent une portée très symbolique ; elles ont indéniablement pour finalité de marquer les esprits et de dissuader les criminels en puissance de passer à l'acte. Cette étude propose d'analyser ce phénomène à la lumière de notre ancienne législation et de la jurisprudence criminelle du parlement de Flandre.
      Does the law of retaliation still exist in modern times? Royal legislation does not settle every infraction's punishment. If there is n° text or if the text is not deliberately applied, the magistrates practicing in parliament of Flanders'jurisdiction pronounce arbitrary sentences. The analysis of the parliament of Flanders'archives enables us to examine that in some rare cases objects or elements linked to the offence were used in a symbolic way to orchestrate the execution of sentences. This paper examines this phenomenon through our former legislation and judicial archival sources.
    • L'allégorie de Justice et ses bandeaux - Valérie Hayaert p. 619-634 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le cadre d'une étude plus vaste sur la symbolique judiciaire à l'âge moderne en Europe, je souhaite exposer un problème allégorique qui revient de manière constante dans les débats sur ce que doit être une bonne allégorie de l'idée de Justice. Le bandeau est un attribut énigmatique, profondément dérangeant. Peut-on vraiment rêver d'une justice privée de clairvoyance, distribuant ses coups à l'aveuglette ? Dans le sillage des travaux fondateurs de Ernst von Möeller, Erwin Panofsky, Robert Jacob, Christian-Nils Robert ou plus récemment, José M. Gonzàlez Garcia, l'objet de cette contribution est d'apporter des témoignages contemporains (de magistrats notamment) sur la manière dont le problème était perçu au XVIe siècle. Particulièrement représentatif de la pensée symbolique que cultivent ces professionnels du droit, le bandeau de la déesse, sujet d'équivoques durables, est le lieu privilégié du déploiement d'un véritable art de l'interprétation. Est-ce que les yeux de Dame Justice sont voilés par Dieu, par le Roi ou bien s'agit-il d'un dispositif d'entrave qu'elle s'impose à elle-même ? Le bandeau sert-il à priver la Justice de sa faculté de voir ou bien est-ce une manière de la renvoyer à sa conscience, à un regard intérieur ? Signifie-t-il que Justice ne peut pas voir ou bien ne peut être vue ? Toutes ces questions animent de prolixes commentaires et n'épuisent jamais totalement l'énigme du bandeau.
      In the wider context of a survey on judicial symbolism during the Early Modern period in Europe, I would like to address an allegorical dispute which occurs frequently within the debates on what should be a good allegorical conceit for the idea of Justice. The blindfold is an enigmatic attribute, extremely disturbing. How can we really dream of a figure of Justice deprived of her sightedness, distributing her judgments randomly ? In the wake of pioneering works such as Ernst von Möeller, Erwin Panofsky, Robert Jacob, Christian-Nils Robert and more recently, José M. Gonzàlez Garcia, the present article wishes to add contemporary testimonies (notably, by magistrates) on the ways in which the dispute was perceived during the XVIth century. This example is particularly telling, as it reveals the richness of the symbolic thought widespread within the professional legal circles of the time. The goddesse's blindfold, subject to persistent misunderstandings, is a privileged topic for the expansion of a true art of interpretation. The impact of semiotics and iconology on the understanding of allegory has been considerable but what remains ancillary to these discussions is allegory as a vehicle of professional practices such as Law. The blindfolding process is ambiguous at several levels. Is Lady Justice blindfolded by painters, by the King, by God or is it a self-imposed hindrance ? Is it a way to deprive sight, or to enhance an inward-glance ? Is it a way of indicating Justice cannot see or cannot be seen ?
    • La Justice en ses décors. Un anachronisme naissant - Christian-Nils Robert p. 635-646 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En cinq siècles, les modèles se sont effondrés, dissipés. L'élan pédagogique des balbutiements d'une représentation de la Justice dans les cités judiciaires n'est plus à l'ordre du jour. On est passé d'une très riche symbolique, d'abord ecclésiale puis sacrificielle, à l'abstraction la plus dépouillée, mais aussi la plus énigmatique. Aujourd'hui, hésitant, ce sont les couleurs vives, vert, bleu, rouge, noir et jaune, une danse de couleurs, des bras qui s'ouvrent pour accueillir le justiciable, suggérer un point de fuite vers le jugement énigmatique, l'octogonalité (rigide) des formes centrales, en dialogue avec des rectangles difformes, une évidente simplicité géométrique, mais une métaphore énigmatique de la Justice... l'esthète est peut-être satisfait (Ellsworth Kelly, 1998, The Boston Panels, Ellsworth Kelly, 1988, John Joseph Moakley United States Court House, Boston, Massachussetts). L'art, que l'on dit à juste titre abstrait, a envahi l'espace judiciaire, laissant la liberté totale pour l'interprétation d'éléments pourtant fondateurs d'un espace, fussent-ils judiciaires. Faut-il tout abandonner et renoncer à toute symbolique, ou reprendre ce qu'évoquent les fondamentaux de la décoration des lieux de Justice, sacralité, exemplarité, sacrifice, qui restent les pierres angulaires de la Justice, et qui font d'elle une institution, aujourd'hui encore, anachronique ?
      Within five centuries, patterns have collapsed or faded away. The pedagogical impulse of the early stages of a representation of Justice in the « cités judiciaires » is n° more on the agenda. A very rich symbolism, first ecclesial and then sacrificial, has been replaced by the utmost pared-down abstraction, which is also the highest degree of enigma. Today, hesitation prevails, a dance of vibrant colors, green, blue, red, black and yellow, or arms which open up to welcome the litigant, suggest a vanishing point, towards the enigmatic judgement, the rigid octogonality of central forms, their dialogue with deformed rectangles, an obvious geometric simplicity, but, in contrast, an enigmatic metaphor of Justice... The art-lover might be satisfied (Ellsworth Kelly, 1998, Boston Court House). Abstract art, rightly defined as such, has invaded judicial spaces and by doing so it has left to free-standing interpretations the very foundations of a specific space, the judiciary. Shall we abandon everything and renounce any symbolism, or shall we go back to the foundational principles of justice's decorum : sacredness, exemplarity, sacrifice which tend to remain the cornerstones of Justice, an institution which is now and again anachronic ?
    • La construction du siège de la Cour pénale internationale à La Haye, entre symbolique et polémiques - Virginie Saint-James p. 647-658 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Installée en 2002 dans des locaux temporaires, la Cour pénale internationale a dès son entrée en vigueur en 2002, songé à s'établir dans des locaux permanents dédiés à son seul usage. Cette construction fut réalisée en 2015. La décision de construire a eu notamment pour but d'affirmer la nature unique d'organisation internationale de la Cour dans le domaine pénal et de marquer son universalité et sa permanence. Cette décision a été prise par les États parties au traité de Rome non sans difficultés ni arrières pensées. La construction revêtait nécessairement un fort enjeu symbolique mais des considérations pratiques, notamment au point de vue de la sécurité, ont évidemment prévalu dans les choix qui ont été faits. Il reste que le financement difficile de la construction et le fait qu'elle ait été l'occasion pour les États de délimiter les capacités futures de la Cour témoignent d'un équilibre précaire entre la volonté d'une justice universelle impartiale et les tentations souverainistes des États.
      Established in temporary premises in 2002, the International Criminal Court has since its entry into force in 2002 sought to settle in permanent premises dedicated exclusively to its use. A facility was finally built in 2015; the decision to build was intended in particular to affirm the unique nature of the Court's international organization in the domain of criminal justice, and to embody its universal and permanent nature. It was a decision made by the States Parties to the Treaty of Rome, but not without difficulty or doubt. There were of necessity major symbolic issues at play in the construction project, but practical considerations, particularly in regard to security, obviously had to prevail in the choices that were ultimately made. Nevertheless, the difficulties encountered in obtaining financing for the building and the fact that it became an occasion for States to push to delimit the Court's future capacities testify to the precarious balance between the will to provide impartial universal justice and the sovereigntist temptations of States.
    • La justice sur la scène de l'Opéra durant la période romantique - Franck Monnier p. 659-674 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Opéra, tout particulièrement le Grand opéra romantique, déploie sur scène le jeu des passions exacerbées. Les grands compositeurs allemands ou italiens - loin de dédaigner la scène judiciaire - l'ont placée au cœur de leurs œuvres. Le moment du jugement, l'instant où tout peut basculer, peut dès lors trouver sa place à l'acmé de la pièce. Si, au XIXe siècle, les nations en recherche d'État entendent illustrer, dans les opéras et aux yeux du monde, leur idéal de justice, les individus en leur sein n'en craignent pas moins une justice détournée de sa vocation et mise au service d'un prince désireux de se maintenir.
      The Opera, especially the Grand Romantic Opera, brings the interplay of inflamed passions to the stage. Far from ignoring the courts of law, the great German or Italian composers placed them at the heart of their works. The moment the ruling is pronounced, the moment when the tables can turn, may even be located at the climax of a work. And while in the nineteenth century nations in search of a State sought to illustrate their ideal of justice through operas for all the world to see, the individuals within them were also clearly aware of the danger that justice could become diverted from its vocation and instead serve princes eager to maintain their positions.
    • Dame justice au cinéma - Nathalie Goedert p. 675-686 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le débat qui porte sur la symbolique judiciaire, le cinéma, qui pourtant fait de la justice un de ses thèmes favoris est souvent oublié. Cette étude fait apparaître que le cinéma propose une expression artistique spécifique dans sa représentation allégorique de la justice qui, au sein même du film, et en marge de l'intrigue, dispense un méta-récit.
      The cinema is often left out of debates about judicial symbolism, even though justice is one of its preferred themes. This study shows that the cinema provides a specific artistic expression in its allegorical representation of justice, which, within the film itself and along the contours of the plot, dispenses a meta-narrative.
    • Le dispositif du procès dans les performances de théâtre contemporain - Ninon Maillard p. 687-698 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les figures allégoriques sont des représentations artistiques qui désertent les lieux contemporains de justice. Toutefois, d'autres représentations émergent, notamment dans le théâtre contemporain : les performances-procès sont bien une nouvelle expression du bien juger. Please, continue (Hamlet) de Yan Duyvendak, Les procès de Moscou de Milo Rau, UIP 27 de Joachim Hamou ou encore Droit contre le mur d'Olive Martin et Patrick Bernier sont autant d'expériences de justice qui mettent en œuvre à la fois la difficulté et l'enjeu de bien juger. La force de ces spectacles qui échappent à la catégorie du divertissement repose sur la métamorphose du public en peuple.
      The allegorical figures are artistic representations which leave the contemporary places of justice. However, other representations emerge, in particular in the contemporary theater : trial-performances are effectivly a new expression of well judging. Yan Duyvendak's Please, continue (Hamlet), Milo Rau's Moscow trials, UIP27 of Joachim Hamou or Droit contre le mur by Olive Martin and Patrick Bernier are as many experiments of justice which operate at the same time the difficulty and the stake of well judging. The strengh of these shows which aren't entertainment is based on the metamorphosis of the public in people.
    • Rendre visible le process du procès : muzungu/bogoro par Franck Leibovici et Julien Seroussi - Joël Hubrecht p. 699-713 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les dispositifs originaux créés par l'artiste Franck Leibovici et le chercheur Julien Seroussi permettent de rendre visibles autant la dimension factuelle d'un procès de la Cour pénale internationale que des dimensions plus occultées - notamment anthropologique -, de sensibiliser le public à la vision « professionnelle » des juges, d'ouvrir un dialogue interdisciplinaire et interculturel, et de proposer aux membres de la Cour l'adoption de nouvelles pratiques. Leurs œuvres, muzungu et bogoro, participent des « paradigmes » de l'art contemporain tout en s'affranchissant des codes esthétiques des galeries d'art et d'un milieu autocentré sur lui-même.
      The original features created by the artist Franck Leibovici and the researcher Julien Seroussi allow to make visible both the factual dimension of a trial of the International Criminal Court and the more hidden dimensions - in particular anthropological -, to bring the public to the "professional" vision of judges, to open an interdisciplinary and intercultural dialogue, and to propose to the members of the Court the adoption of new practices. Their works, muzungu and bogoro, participate in the "paradigms" of contemporary art while getting free of the aesthetic codes of art galleries and a self-centered environment.
  • Chroniques

    • Le conseil supérieur de la magistrature et l'indépendance du pouvoir judiciaire dans les États francophones d'Afrique - Énagnon Gildas Nonnou p. 715-733 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans la majorité des États d'inspiration et d'expression juridiques françaises, et plus particulièrement en Afrique, il est institué un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dont la vocation est, dans l'ensemble, d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire ou plus exactement d'« assister » le Président de la République dans cette quête. La condition de cet organe est le reflet du vrai visage du pouvoir judiciaire et de son indépendance. Son organisation, sa composition et ses compétences demeurent cependant sujettes à caution. Malgré les réformes récurrentes dont l'institution est souvent l'objet ici et là, son autorité n'est presque jamais acquise.La présente contribution permet de mettre en perspective, à partir du droit positif de certains États africains, la figure ambivalente de l'organe, qui du bouclier du pouvoir judiciaire qu'il devrait incarner, apparaît davantage comme le sujet du pouvoir exécutif.
      In the majority of States of French legal inspiration and expression, and more particularly in Africa, a High Council of the Judiciary (CSM) has been established, which in general is responsible for monitoring the independence of the judicial branch, or more precisely for "assisting" the President of the Republic in this task. The condition of this body is a reflection of the true face of the judiciary and its independence. However, its organization, composition, and competences are not clearly established. In spite of the recurring reforms so frequently carried out here and there involving the institution, it almost never acquires firm authority. This is a contribution that makes it possible to put into perspective, from the angle of the positive law of certain African States, the ambivalent nature of this body, which rather than serving as a shield to protect judicial power instead appears subject to the authority of the executive branch.
    • Le juge et la liberté de création artistique - Arnaud Montas p. 735-751 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine a consacré le principe selon lequel « la création artistique est libre ». Ce positionnement législatif semble valider l'idée, déjà largement répandue, que la liberté de créer doit être érigée un principe tandis que la censure doit demeurer à l'état d'exception. Cette nouveauté, bienvenue, pourrait constituer le point de départ d'un changement de positionnement du discours juridique sur l'art et ainsi mettre au service des artistes un outil juridique de défense de la création. Ce faisant, la loi permet de penser désormais la liberté de création comme un droit subjectif de l'artiste, tout à la fois autonome et opposable.
      The law of 7 July 2016 on the freedom of creation, architecture and heritage enshrined in law the principle that "artistic creation is free." This legal posture would seem to validate the idea, already widespread, that the freedom to create must be established as a principle and censorship remain only an exception. This welcome new development could be the starting point for a change in the position of the legal discourse about art, providing artists with a legal tool to defend creative work. The law thus now makes it possible to think of freedom of creation as a subjective right of the artist, simultaneously autonomous and enforceable.
    • Une expérience de justice restaurative au tribunal de grande instance de Lyon - Nathalie Mazaud, Pascale Rabeyrin-Puech, Marie-Pierre Porchy p. 753-766 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      'expérimentation de la justice restaurative en phase pré-sentencielle qui a été engagée au tribunal de grande instance de Lyon est abordée ici à travers sa mise en œuvre et ses résultats. Née du désir commun de faire évoluer la justice pour l'adapter aux défis de notre temps, elle ne se transformera cependant en nouvelle pratique professionnelle que lorsque l'institution judiciaire et ses partenaires auront perçu tout l'intérêt de « cette autre justice », moins juridique que la justice pénale mais tout à fait complémentaire.
      Here we address the experiment in pre-sentencing restorative justice that has been initiated at the Lyon Regional Court through the lens of its implementation and its results. Born of a shared desire to bring about advances in the justice system to better suit the challenges of our time, this experiment will only come to assume the status of a new professional practice when the judiciary and its partners have come to grasp the full benefit of "this other kind of justice," which is less legalistic than criminal justice but nonetheless quite complementary to it.
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  • Quatrième de couverture - p. 778 accès libre