Contenu du sommaire : La mise en politique des idées

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 32, no 126, 2019
Titre du numéro La mise en politique des idées
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier : La mise en politique des idées

    • La mise en politique des idées. Pour une histoire sociale des idées en milieu partisan - Thibaut Rioufreyt p. 7-35 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article est une introduction du dossier thématique consacrée à la mise en politique des idées, c'est-à-dire les processus par lesquels celles-ci sont produites, circulent et/ou sont appropriées en milieu partisan. Au-delà de la présentation des différentes contributions, il s'agit de montrer ce que l'histoire sociale des idées politiques peut apporter à la compréhension de la place, de la valeur et des usages des idées au sein ou aux marges des partis politiques dans la période contemporaine. S'attachant à l'étude de littératures intellectuelles mineures, elle prend au sérieux les idées politiques en montrant qu'elles sont aussi des pratiques qu'il convient d'analyse selon une méthodologie propre. Cherchant à tenir ensemble propriétés sociales des acteurs, logiques immanentes aux espaces sociaux et prise en compte de l'historicité, elle consiste en une entreprise de contextualisation des idées politiques qui rompt avec les continuités irréfléchies au cœur de l'histoire des idées classiques que sont l'auteur, l'œuvre, l'influence ou la tradition. Soucieuse enfin de saisir les usages qu'en font les acteurs, elle contribue à ouvrir la boîte noire de la production et de l'appropriation des idées partisanes.
      The political implementation of ideas. For a social history of ideas in a partisan environment
      This article is an introduction to the thematic dossier on the political implementation of ideas, i.e., the processes by which they are produced, circulated, and/or appropriated in a partisan environment. Beyond the presentation of the various contributions, it aims to show what the social history of political ideas can contribute to the understanding of the place, value, and uses of ideas within or at the margins of political parties in the contemporary period. Focusing on the study of minor intellectual literatures, it takes political ideas seriously by showing that they are also practices that should be analyzed according to a specific methodology. Seeking to analyze both the social properties of actors and the inherent logic of social spaces, in addition to taking into account historicity, this article consists of an undertaking to contextualize political ideas that breaks with the thoughtless continuities at the heart of the history of classical ideas such as the author, the work, the influence, or the tradition. Finally, in order to understand the uses made of it by various actors, it contributes to opening the black box of the production and appropriation of partisan ideas.
    • Entre « croyance économique » et contrainte partisane : Genèse et structuration de la section économique du PCF (1947-1961) - Nicolas Azam p. 37-60 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1947, le Parti communiste français (PCF) se dote d'une section économique chargée de collecter des informations à destination de ses dirigeants. La création de cette instance puis de sa revue, Économie et Politique, s'inscrit dans un contexte marqué par l'essor de la figure de l'expert détenteur de savoirs spécialisés et la diffusion de la croyance économique, c'est-à-dire l'imposition d'une lecture du monde social privilégiant le prisme économique. Cependant, cette novation menace les équilibres internes au PCF, c'est-à-dire la prééminence d'un personnel politique ouvrier attaché à certains préceptes doctrinaux fondamentaux. Selon leurs ressources et la conjoncture politique, les membres de la section économique sont plus ou moins enclins à se conformer aux normes les reléguant dans une fonction d'illustration des positions partisanes. Cet article montre les efforts accomplis pour les concilier avec les conceptions qu'ils importent d'autres scènes sur lesquelles ils sont investis. Il explique les conflits traversant la section économique et qui prennent une tournure politique en s'imbriquant dans ceux qui parcourent la direction partisane.
      Between “economic beliefs” and party constraints
      In 1947, the French Communist Party (PCF) set up an economics department to collect information for its leaders. The creation of this body and its journal, Économie et Politique, occurred in a context marked by the rise of the figure of an expert with specialized knowledge and the dissemination of economic belief, i.e., the imposition of an understanding of the social world through an economic lens. However, this innovation threatened the internal balance within the PCF, where most of the political staff came from the working class and were attached to certain fundamental doctrinal principles. Depending on their resources and the political situation, the members of the economics department were more or less inclined to comply with the party's existing standards, restricting them to a role of illustrating its partisan positions. This article shows the efforts made by members of the economics department to accommodate the party rules and to harmonize them with the knowledge they had gained from other areas. It explains the conflicts within the economics department and how they were politicized when they became embedded in the struggles within the political leading group.
    • La mise en politique sans la mise en parti ? : Le Centre de la politique sociale conservatrice comme entreprise doctrinale - Clémentine Fauconnier p. 61-83 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux modalités de diffusion et d'appropriation des idées politiques via le parti Russie unie, créé en 2001 pour soutenir Vladimir Poutine, et ultra-majoritaire à tous les niveaux du pouvoir depuis plus de quinze ans. Il entend montrer de quelle façon la prise en charge du travail de mise en politique des idées, opéré par le Centre de la politique sociale conservatrice – think tank lié au parti –, a donné lieu à une seconde définition du conservatisme – label revendiqué par les dirigeants de Russie unie – sensiblement différente de celle, plus consensuelle, proposée au départ par des experts et universitaires. Fondé sur les résultats d'une enquête de terrain – observation semi-participante au Centre – et une méthode d'analyse inductive centrée sur les argumentaires et les références mobilisées par les acteurs, il montre comment le souci de rendre la notion de conservatisme accessible à la population a encouragé la politisation de thèmes liés à la famille et la sexualité.
      Putting into the party versus putting into politics
      This article examines the ways in which political ideas are spread and appropriated in the United Russia party, created in 2001 to support Vladimir Putin and has been the overwhelmingly dominant party for more than fifteen years at all levels of power. It shows how a think tank, the Center for Social-Conservative Policy, was put in charge of the work that led to the formulation of a second definition of conservatism used by United Russia representatives to define themselves. This definition differed from the first one, more consensual one that was formulated by experts and academics. Using content analysis and fieldwork involving semi-participant observation at the Center, this article analyzes how the concern to make the notion of conservatism accessible to the population has encouraged the politicization of issues related to family and sexuality.
    • Le parti, l'expert et les théories économiques : Le cas du Parti socialiste d'Épinay (1971-1981) - Mathieu Fulla p. 85-109 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'histoire sociale des idées économiques du Parti socialiste (PS) de sa refondation par François Mitterrand à l'accession de ce dernier à la présidence de la République en 1981 présente un double intérêt méthodologique. Elle permet tout d'abord de mettre en lumière une configuration partisane originale où les idées constituent une ressource de première importance dans le combat politique. Les dirigeants du PS, pour la plupart portés vers la théorie, partagent alors un ethos commun qui les pousse à justifier théoriquement leurs positions politiques. L'approche mobilisée dans cet article contribue également à la réflexion plus large sur la figure de l'expert engagé en milieu partisan. Resserrer la focale sur cet acteur permet de ne pas considérer le parti comme une simple « entreprise politique ». Au cours de cette période, le PS d'Épinay est aussi un récepteur, un producteur et un médiateur d'hétérodoxies économiques comme le néo-marxisme états-unien ou les théories françaises de la Régulation. La multiplication des supports de diffusion des idées partisanes (colloques, livres, brochures de formation, presse partisane, revues de courant, etc.) témoignent ainsi d'un souci des idées que l'on ne retrouve ni au temps de la SFIO de Guy Mollet (1947-1969) ni dans les périodes plus récentes de son histoire.
      The Party, the expert, and the economic theories: the French Socialist Party (1971-1981)This article uses the social history of economic ideas and applies it to the case study of the French Socialist Party (PS), from its “rebirth” under François Mitterrand in 1971 to the latter's victory in the 1981 presidential election. This theoretical approach offers two methodological interests. First of all, it highlights an original configuration within the PS, in which the ideas it promoted were considered as a crucial weapon in the political contest. Most of its ruling elites took an interest in theoretical issues, which convinced them to systematically justify their political decisions by mobilizing a (more or less) complex theoretical apparatus. Second, the social history of economic ideas developed in this article is also a contribution to the wider debate on expertise and experts engaged in politics. Examining the economic history of the PS through the lens of its experts questions the widespread belief depicting the Western parties of government as “political corporations” only concerned with gaining power. Throughout the 1970s, the PS was also a receiver, a producer, and a mediator of heterodox economic ideas, such as the American neo-Marxism or the French “regulation theories.” Yet the party's use of various forms of media (including conferences, books, brochures, newspapers, and journals) to promote its rejuvenated economic program underscores the existence of a strong concern for ideas, which existed neither in the previous period under Guy Mollet's leadership nor afterwards.
    • La carrière militante du « grand remplacement » au sein du milieu partisan de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) - Cécile Leconte p. 111-134 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article retrace la carrière militante de la formule forgée par l'écrivain Renaud Camus, le « grand remplacement », dans le milieu partisan de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), formation émergente représentée au Bundestag depuis 2017. Il montre que si l'appropriation de cette formule permet à ses médiateurs allemands de réinvestir un discours raciste, tout en créant une distance symbolique avec la langue national-socialiste, la carrière de la formule au sein du parti lui-même s'explique avant tout par l'activation de réseaux préconstitués (néo-droitiers, Identitaires), qui ont largement pénétré les réseaux partisans, dans le contexte de luttes intra-partisanes relatives à la définition de la « marque ». Son appropriation y est indissociable d'une entreprise visant à faire de l'AfD une force identitaire, mouvementiste, dans le cadre de conflits ordonnés autour d'un double enjeu : la délimitation des frontières du parti envers les organisations mouvementistes et la définition des normes discursives de l'organisation, particulièrement autour du rapport à la langue national-socialiste.
      The socio-political career of the expression “the great replacement” among right-wing party networks in Germany: The case of the Alternative for Germany (AfD) partyThis article recounts the socio-political career of the expression “the great replacement,” coined by French writer Renaud Camus, within the party networks of Alternative for Germany (AfD), a newly founded party that has been represented in the Bundestag since 2017. It shows that while appropriating a foreign reference allows German right-wing activists to rehabilitate a racist discourse by circumventing the stigma associated with Nazi parlance, the main reason behind the widespread circulation of this expression within the party itself is to be found in the reactivation of preexisting networks (those of the New Right and of the Identity movement) that largely penetrate party structures, in a context of intra-party struggles about the definition of the “AfD” brand. The circulation of the “great replacement” reference within the party is indeed tightly linked with an attempt to transform it into an identitarian, movement-based force, against the background of a twofold fight: a fight related to the definition of the party's borders vis-à-vis its external environment, and a fight about the definition of speech norms within the organization, especially in relation to Nazi parlance.
    • La carrière de « la sécurité » en milieu socialiste (1993-2012). Sociologie d'une conversion partisane - Rafaël Cos p. 135-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la conversion, depuis le milieu des années 1990, des socialistes à « la sécurité », longtemps restée un marqueur de la droite et de l'extrême droite. Équipée de la notion de carrière appliquée aux idées politiques, l'enquête vise deux objectifs. En explorant les formes d'objectivation discursives, textuelles et organisationnelles de cette conversion, il s'agit d'une part de rendre compte des conditions de possibilité de ce braconnage en terres adverses. En suivant une approche processuelle des appropriations socialistes de « la sécurité », il s'agit d'autre part de prendre la mesure de leur caractère très erratique. Travaillée par des logiques contradictoires, la conversion du parti est ainsi loin d'exister sous la forme d'une séquence linéaire (prise en charge doctrinale, élaboration programmatique, mobilisation électorale et mise en œuvre gouvernementale). L'institutionnalisation de « la sécurité » se joue et se déjoue selon les différentes aspérités qu'offre l'enjeu pour les acteurs qui s'en saisissent, c'est-à-dire selon que la valeur de cet enjeu peut ou non se monnayer sur des marchés politiques différenciés. L'enquête mobilise des archives publiques et privées, un corpus de presse et une série d'entretiens conduits auprès des acteurs les plus directement impliqués dans cette entreprise de conversion.
      The career of “security” in the socialist milieu (1993-2012). Sociology of a partisan conversion
      This article analyzes socialists' conversion to “security” since the mid-1990s, which has long remained a typical issue of the right and the far right-wings. Using the concept of career applied to political ideas, the study has two main aims. First, by exploring the discursive, textual, and organizational forms of this conversion's objectification, it analyzes the conditions that make this poaching in opposing lands possible. Second, by following a process-based approach of socialist appropriations of “security,” it measures their very erratic aspect. Shaped by contradictory logics, party conversion is thus far from existing in the form of a linear sequence (doctrinal appropriation, programmatic elaboration, electoral mobilization, and jurisdictional implementation). The institutionalization of “security” depends on whether the value of this issue can or cannot be monetized on differentiated political markets. The study draws upon public and private archives, a corpus of articles, and a number of field interviews with the actors most directly involved in this conversion's dynamic.
  • Varia

    • Militants malgré eux ? Les jeunes contestataires face à la répression en Biélorussie - Tatyana Shukan p. 163-192 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la diversité des effets de la répression sur l'action collective à partir de l'exemple du militantisme contestataire des jeunes en Biélorussie. En prêtant une attention particulière au vécu des situations à risque et aux premières expériences de la répression – soutki, i.e. peines de détention de courte durée – ainsi qu'aux empreintes que ces expériences laissent sur les trajectoires sociales et militantes des jeunes engagés, il met en lumière les mécanismes de socialisation à la répression qui s'opère progressivement au cours du militantisme. Il montre aussi que si la répression renforce la détermination des jeunes à défier les autorités et consolide leurs collectifs, elle les enferme, sur le long terme, dans une marginalité tant sociale que politique dont ils peinent à sortir. À cet égard, l'exil offre une des rares portes de sortie de cet univers contraignant et une possibilité de continuer à militer, de l'étranger, pour la promotion de la démocratie en Biélorussie.
      Activists locked in their role? Young protesters in the face of repression in Belarus
      Using the example of youth protest activism in Belarus, this article analyzes the diversity of the effects of repression on youth collective action. By focusing in particular on the lived experience of risk situations by the young activists and on their first confrontation with repression – soutki, i.e., short-term sentences – as well as on the imprints that these experiences leave on their social and militant trajectories, it highlights the mechanisms behind the socialization to the repression, which takes place gradually during their activism. The article also shows that while repression reinforces young activists' determination to challenge the authorities and strengthens their collectives, in the long run it locks them into a social and political marginality from which it is difficult to escape. In this respect, exile offers them a way out of this repressive universe, along with the possibility to continue their fight for the promotion of democracy in Belarus from abroad.
    • « Vous allez trouver une façon d'être dirigeant. » Formation coopérative et résistances ouvrières dans une usine reprise par ses salariés - Maxime Quijoux p. 193-215 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les sociétés coopératives et participatives (SCOP) suscitent un regain d'intérêt depuis le milieu des années 2000 en France. Ancien, ce modèle réapparaît notamment à la faveur de certaines luttes salariales visant la reprise d'entreprise par les salariés. Cet engouement est rendu possible par la méconnaissance quasi généralisée des SCOP, y compris parmi les salariés engagés dans la reprise de leurs outils de travail. À partir d'une enquête au sein d'une imprimerie reprise par ses salariés en France métropolitaine, cet article vise à examiner la manière dont ces derniers sont formés à la démocratie d'entreprise par la principale organisation coopérative de France, la Confédération générale des SCOP. L'enquête montre que son travail d'accompagnement ne cherche pas à proposer des outils d'une meilleure répartition du pouvoir dans l'entreprise, mais à former une nouvelle classe de patrons vertueux. Cette ambition est néanmoins contrariée par des salariés fortement syndiqués qui refusent de reproduire le schéma antérieur à la reprise. Mais faute de modèle novateur, ils tendent à « syndicaliser » leurs pratiques coopératives, s'écartant finalement peu d'un modèle hiérarchique traditionnel.
      “You will find a way to be a leader”. Coopérative training and workers' resistance in a factory taken over by its employeesCooperative and Participative Companies (sociétés coopératives et participatives, SCOP) have been the subject of renewed interest since the mid-2000s in France. This old model has made a reappearance in particular thanks to certain wage battles whose ultimate aim is for the workers to take over the company. This craze has been made possible by the semi-generalized misunderstanding of SCOP, including among employees engaged in recovering their working tools. Using an investigation within a factory taken over by its employees in metropolitan France, this article aims to examine the way in which the employees are educated about the democracy of the company by the main cooperative organization of France, the Confédération générale des SCOP. The investigation shows that this organization's work of support does not attempt to propose tools that will allow for better power distribution in the company, but instead trains a new class of virtuous bosses. This ambition is nevertheless hindered by highly unionized employees who refuse to reproduce the scheme that existed before the takeover. But in the absence of innovative models, they tend to “unionize” their cooperative practices, ultimately deviating little from a traditional hierarchical model.
  • Notes de lecture