Contenu du sommaire : Refus de parvenir
Revue | Mil neuf cent |
---|---|
Numéro | no 37, 2019 |
Titre du numéro | Refus de parvenir |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- Avant-propos - Christophe Prochasson p. 3-4
- Hommage à Daniel Lindenberg : Lectures et parcours - Willy Gianinazzi, Gilles Candar, Christophe Prochasson, Éric Thiers, Yves Palau, Marie-Laurence Netter p. 5-22 Membre de la rédaction de Mil neuf cent depuis 1991, Daniel Lindenberg (1940-2018) nous a quittés en laissant derrière lui une œuvre singulière. Historien aux intérêts multiples et politiste volontiers polémique, il a balayé des pans essentiels de l'histoire intellectuelle et politique du monde contemporain qu'il a prolongée jusqu'à nos jours. Nous lui rendons hommage par la présentation d'un ouvrage ou d'une thématique dont il a été l'artisan : chaque auteur a choisi livre ou thème selon l'importance qu'il a eu dans son propre itinéraire.Daniel Lindenberg (1940-2018) was part of the editing team of Mil neuf cent from 1991 until his passing and left behind a unique body of work. He was a historian with many interests and a political scientist who never shied away from debate. His works cover vast swathes of the intellectual and political histories of the modern world, which he has contributed to shaping until today. Through this publication and its theme, we pay homage to what he believed in – each author has picked a book or a theme based on how relevant it was in his own career.
Dossier
- Le « refus de parvenir » : Introduction - Françoise Mélonio p. 23-41 Le « refus de parvenir » a été au xx e siècle un mot d'ordre du syndicalisme enseignant, de l'anarchisme et plus largement de la gauche. Ce numéro replace ce mot d'ordre dans l'histoire de la transition démocratique en France ; il en montre à la fois la proximité et la distance avec les valeurs chrétiennes et républicaines, et en suit la diffusion dans les récits de vie sans en masquer les ambiguïtés. Injonction morale, le refus de parvenir a été aussi au fondement du syndicalisme d'émancipation qui continue d'inspirer ceux qui refusent les dominations hiérarchiques.“The refusal to make a career” was a watchword of 20th century teacher unionism, of anarchism and of the Left more broadly speaking. This publication resets this watchword in the history of France's democratic transition. It shows how close and yet how far it was from Christian and republican values, and follows its dissemination through various life-stories without erasing potential ambiguities. Although it was a moral injunction, “the refusal to make a career” was also the bedrock of emancipatory unionism, which continues to inspire those who refuse hierarchical dominance.
- De la stigmatisation de l'ascension sociale à sa valorisation : Réflexions sur les cadres idéologiques de l'ambition et de la réussite - Jules Naudet p. 43-51 Cet article discute l'évolution des cadres idéologiques de la mobilité sociale depuis la période de l'Ancien Régime à aujourd'hui, avec une attention toute particulière pour la période de transition que constitue le long xix e siècle. Sous l'Ancien Régime, la mobilité est possible dans les faits mais moralement proscrite. Au xix e siècle, l'effacement des structures hiérarchiques de la France de l'Ancien Régime ne donne pas lieu à une disparition nette du tabou des ambitions, et ce dernier se maintient sous d'autres formes. Au début du xxi e siècle, les représentations associées à la mobilité rendent désormais possible la valorisation des parcours de réussite et, au sein des classes supérieures, l'origine populaire peut désormais être convertie en une ressource.This article discusses the evolution of ideological framings of social mobility from the Ancien Régime to today, and it studies the long 19th century as a transition between those two periods. Under the Ancien Régime, social mobility was technically possible but morally proscribed. In the 19th century, although previous hierarchies fell, the taboo of ambition remained in other ways. At the beginning of the 21st century, representations associated with mobility now make it possible for people to value success stories and, in the higher classes of society, coming from an underprivileged background can be converted into an asset.
- Charles Péguy ou le parti pris de l'aventure - Denis Labouret p. 53-67 C'est un choix réfléchi, d'ordre à la fois éthique et politique, qui a conduit Charles Péguy à préférer l'action sociale à l'ascension individuelle. Par ses combats de militant socialiste et dreyfusiste, par son investissement personnel dans les risques et périls des Cahiers de la quinzaine, par sa conception et sa mise en œuvre d'une responsabilité familiale engagée dans la Cité, Péguy a résolument pris le parti de l'aventure, à contre-courant des valeurs bourgeoises et de l'idéologie du progrès.Charles Péguy (1873-1914) made a deliberate ethical and political choice which led him to favor social activism over individual advancement. Through his struggles as a socialist party member and Dreyfus supporter, through his personal commitment despite the risks of writing in the Cahiers de la Quinzaine, through his conceptualization and application of family duties in society, Péguy resolutely chose adventure over the ideology of progress and bourgeois values.
- « J'ai tous les courages sitôt qu'il ne s'agit plus de moi… » : Dick May entre refus de parvenir et stratégies d'effacement - Sarah Al-Matary p. 69-88 La trajectoire de Jeanne Weill (1859-1925) – qui écrivait sous le pseudonyme de Dick May – semble illustrer le « refus de parvenir » théorisé dans les cercles qu'elle fréquente. À l'en croire, cette militante dreyfusarde aurait voué sa vie à l'action sociale. Plusieurs de ses contemporains affirment au contraire qu'elle était prête à tout pour assurer le succès de ses entreprises. L'article postule que l'analyse des stratégies d'écriture à l'œuvre dans un corpus de témoignages, de courriers, de textes journalistiques et de fictions peut aider à mieux comprendre pourquoi Dick May est aujourd'hui largement oubliée : cet effacement, qu'on attribue volontiers au processus d'invisibilisation des femmes, n'a-t-il pas d'autre explication ? Dick May n'a-t-elle pas eu intérêt à se mettre en retrait ?The life journey of Jeanne Weill (1859-1925) – who wrote under the pseudonym of Dick May – illustrates “the refusal to make a career” that was then theorized by the groups she socialized with. According to this Dreyfus supporter's own account, she dedicated her life to social activism. Some of her contemporaries argue that she would actually do anything to make sure her endeavors would succeed. Although it doesn't resolve the question, this article postulates that to analyze writing strategies within a corpus of testimonies, letters, press articles and fiction writings, can help us understand why Dick May is now almost forgotten. Could this disappearance, which is commonly attributed to the processes that render women invisible, have another explanation? Was it not in Dick May's own interest to disappear?
- L'école et le refus de parvenir ou le refus de parvenir à l'école ? - Philippe Geneste p. 89-108 Le refus de parvenir est au centre des Réflexions sur l'éducation d'Albert Thierry (1881-1915). Quelles conséquences ce principe a-t-il sur la pédagogie en tant que pratique de l'enseignement ? Comment une conception syndicale de l'école peut-elle proposer une organisation de l'éducation pour l'égalité sociale à travers la reconnaissance des savoirs prolétaires et leur intégration dans une configuration générale des savoirs ? Le refus de parvenir à l'école interroge le dépassement de la division de la scolarité en filières d'enseignement, où on retrouve l'opposition manuel/intellectuel liée à la division du travail. S'ouvrent alors d'autres questions : l'orientation scolaire, les finalités de l'éducation primaire et secondaire, l'enjeu de la formation supérieure et de la formation continue.The refusal to make a career is at the heart of Albert Thierry's Reflections on Education (1881-1915). What consequences did this principle have on pedagogy as a teaching practice? How could a union conception of school suggest an organization of education aimed at social equality through the recognition of proletarian knowledges and their inclusion within a more general economy of learning? The refusal to make a career through school questions the end of the division of education in various teaching fields, wherein lies the opposition between manual and intellectual work, which is itself premised on the division of labor.
- Y a-t-il des formes catholiques du refus de parvenir ? - Frédéric Gugelot p. 109-126 Si certaines formes d'engagement (au sein du monde ouvrier ou en faveur des plus démunis) ou de gestes (refus des promotions, des grades ou des médailles) peuvent être identifiées au sein du monde catholique à un refus de parvenir d'origine syndicaliste révolutionnaire, elles en diffèrent profondément, même pour les catholiques de gauche, par leur source d'inspiration évangélique.While some types of activism – within the working class or in favor of those most in need – or certain gestures – refusing promotions, grades or medals – can be identified within the world of Catholicism as a refusal to make a career inspired by trade unionism, they differ greatly, even for left-winged Catholics, in their evangelical sources of inspiration.
- Refuser la Légion d'honneur : Du geste à la doctrine - Olivier Ihl p. 127-143 Le refus du ruban rouge de la Légion d'honneur est souvent présenté comme une énigme. L'éclat d'une telle récompense n'est-il pas évident depuis deux siècles ? Mis en scène par la presse, ce geste de refus suscite le plus souvent une interprétation de type psychologique. Ce qui revient à négliger la dimension proprement historique du fait d'être distingué. S'élever en dignité ? C'est une façon de parvenir. Mais contrairement à la fortune ou au statut professionnel, elle a toujours posé problème aux théoriciens de la République. C'est pourquoi cet article s'attache à interroger les fondements socio-historiques et les usages d'une telle pratique de refus. Une manière de découvrir combien la contestation des insignes de la Légion d'honneur est tout sauf anecdotique. Elle forme la trame d'une opposition doctrinale au management honorifique, cette technique de gouvernement qui, au nom d'un souci de reconnaissance, fait de l'émulation le ressort d'une sorte de rédemption d'État.To refuse the Legion of Honor is often presented as a puzzling gesture. Hasn't the prestige of such a high honor been obvious since its institution by Napoleon in 1802? This refusal is often dramatized by the media and is often interpreted in psychological terms – which boils down to negating the historical dimension of being granted such an honor. To rise in society means to make a career. But contrary to wealth or professional status, it has always been posited as an issue by the theoreticians of the Republic. That is why this article seeks to put into question the social and historical bases for such a practice, to show that to refuse the Legion of Honor is far from being an anecdotal gesture. It delineates the frame of a doctrinal opposition to honorific management, a governing technique whereby the State aims at redeeming itself through recognition and emulation.
- Formes de refus dans les années 68 : Au prisme du syndicalisme révolutionnaire - Willy Gianinazzi p. 145-153 En examinant quelques formes de refus qui ont émaillé l'insubordination de Mai et des années post-68, il est proposé un rapprochement nuancé avec l'époque 1900 qui a vu éclore le syndicalisme révolutionnaire en France et en Italie. L'accent est porté sur le rejet de l'intégration sociale qui, dans les années 68, a pris les couleurs particulières du refus de la carrière et du refus du travail salarié et continu. Établissement en usine et expérimentations sociales ont caractérisé le militantisme et l'engagement de cette période, marquée socialement par des phénomènes massifs de désinvestissement tels que l'absentéisme et le turnover.By examining some of the strategies of refusal that characterized the events of May 1968 as well as the following years, we will try to compare them carefully with what took place in the 1900's, a period which saw the birth of Revolutionary Syndicalism in France and Italy. We will lay the emphasis on the rejection of social integration, which, in 1968, took the specific shape of refusing to work and to make a career. Activists who established themselves in factories and other social experiments were typical features of activism in those years, which were marked by strategies of mass insubordination such as absenteeism and turnover.
- Le « refus de parvenir » : Introduction - Françoise Mélonio p. 23-41
Documents
- Testament d'un combattant : Le refus de parvenir - Albert Thierry p. 155-164 Le traité posthume d'Albert Thierry, Les conditions de la paix. Méditations d'un combattant, écrit en 1915, publié en 1916 et 1918, donne la première définition articulée du « refus de parvenir » : « Ce n'est ni refuser d'agir ni refuser de vivre : c'est refuser de vivre et d'agir pour soi et aux fins de soi. »This posthumous treaty by Albert Thierry, The Conditions for Peace – A Fighters' Meditations, written in 1915 and published in 1916 and 1918, gives the first articulated definition of “the refusal to make a career”: “It means neither to refuse to act nor to refuse to live: it means to refuse to live and act for oneself and one's purposes.
- Georges Vidalenc, l'éducation ouvrière et le refus de parvenir (1946) - Françoise Mélonio p. 165-170 Publié dans le Peuple, organe de la Confédération générale du travail, l'article du syndicaliste Georges Vidalenc, intitulé « Le refus de parvenir », rappelle aux militants leur devoir d'œuvrer à l'émancipation de la classe ouvrière sans se contenter de lutter pour des avantages matériels.Published in Le Peuple, the paper of the General Confederation of Labor, the article by unionist Georges Vidalenc entitled “The refusal to make a career” reminds activists that they should work to emancipate the working class without settling to fight only for tangible benefits.
- Une lettre de Marc Bloch sur le refus de parvenir (1941) : Autour d'un roman d'A.-V. Jacquet - Sarah Al-Matary, Michel Prat p. 171-197 En 1956, Refus de parvenir, de l'instituteur et syndicaliste Albert-Vincent Jacquet (1881-1955), paraît posthume. Ce titre, qui actualise un mot d'ordre du premier avant-guerre, est le fruit des négociations qui menèrent différentes figures de la vie intellectuelle (Daniel Halévy, Pierre Monatte, Camille Belliard, Marc Bloch, Lucien Febvre, Yves Delaunay, Éric de Dampierre, etc.) à publier un ouvrage que son didactisme et le caractère politiquement ambigu de son auteur ne destinaient pas à une postérité éclatante. Notre introduction à la lettre de Marc Bloch donnée en préface au roman – document partiellement inédit, ici retranscrit dans son intégralité – éclaire la genèse de ce projet collectif.In 1956, Refus de parvenir (Refusing to make a career), by school master and unionist Albert-Vincent Jacquet (1881-1955), was published posthumously. This title, which actualizes a watchword from before the First world war, was born out of the negotiations that pushed various figures of intellectual life (among whom Daniel Halévy, Pierre Monatte, Camille Belliard, Marc Bloch, Lucien Febvre, Yves Delaunay and Eric de Dampierre) to publish a book whose formalism and the politically ambiguous aura of its author did not prepare it for a bright future. Our introduction to Marc Bloch's letter, as the novel's preface, shines a light on the birth of this collective project. It is a partially unpublished document, transcribed, here, in full.
- Testament d'un combattant : Le refus de parvenir - Albert Thierry p. 155-164
Lectures
- Lectures - p. 198-204