Contenu du sommaire : Primates

Revue Cahiers d'anthropologie sociale Mir@bel
Numéro no 18, 2019
Titre du numéro Primates
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  • Introduction - Lys Alcayna-Stevens, Hiav-Yen Dam p. 9-24 accès libre
  • Une psychologie sans sujet - Véronique Servais p. 25-36 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le texte reprend très brièvement l'histoire conjointe de la naissance de la psychologie scientifique et de l'éthologie animale, devenue biologie du comportement, pour montrer que ces deux disciplines, bien que différentes, ont convergé dans l'absence de prise en compte de la subjectivité animale. Revenant à Buytendijk, il interroge ensuite la notion de subjectivité animale telle qu'elle est présente chez cet auteur ainsi que chez différents éthologues d'inspiration phénoménologique, pour conclure sur le fait que le sujet éthologique est toujours un sujet situé. À partir de là, il devient évident que la naturalisation du primate l'éloigne, forcément, de sa nature. En guise de conclusion, l'auteur cherche à envisager, à la suite de Kinji Imanishi, quelles pourraient être les conséquences concrètes de l'introduction de la subjectivité dans l'éthologie contemporaine.
    The paper first offers a brief summary of the birth of animal psychology and ethology (which has become behavioural biology) to show that, despite their differences, both disciplines converge in their rejection of animal subjectivity. Turning to the work of Buytendijk, it then examines the notion of animal subjectivity as it is used by that author, as well as others inspired by phenomenology, to conclude that an ethological subject is always a situated subject. The paper discusses the consequences of this conclusion in relation to the nature/culture debate and questions the « true nature » of primates in this perspective. Finally, following Kinji Imanishi, the author imagines how contemporary ethology would be different if animals were considered as subjects.
  • Multispecies ethnography from the perspective of Japanese primate social interaction studies - Pamela J. Asquith p. 37-51 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article a pour objectif de situer les études japonaises sur les interactions sociales en ce qui concerne la manière dont elles peuvent être comparées à, mais aussi en ce qu'elles ajoutent comme perspective aux ethno-graphies multi-espèces. Pour ce faire, les différentes réponses à l'usage et aux significations du terme ethnographie en ethno-primatologie et dans l'ethnographie multi-espèce sont brièvement revisitées. Ces visions sont ensuite comparées avec celles développées par la primatologie japonaise dans des études sur les interactions sociales, qui depuis le début ont impliqué des recherches à la fois primatologiques et anthropologiques. Ces visions sont ensuite distinguées des appels à mettre en œuvre une ethnographie multi-espèces en primatologie qui suggère d'incorporer certaines des approches traditionnelles japonaises à l'étude des primates. Ce qui a caractérisé de manière significative et depuis longtemps, bien que quelque peu différemment, l'ethnographie multi-espèces des études japonaises sur les primates (accessibles presque uniquement en japonais) est passée en revue afin de mettre en lumière certains résultats théoriques pertinents qui étayent ce que les Japonais appellent une « sociologie des primates ».
    This paper aims to situate Japanese social interaction studies in terms of how they compare with, and add another perspective to, the current research environment in multispecies ethnography. To that end, the different responses to the use and meaning of ethnography in ethno-primatology and multispecies ethnography among western social anthropologists and primatologists are briefly revisited. These views are contrasted to social interaction studies in Japanese primatology that are discussed in terms of having mutually engaged primatological and anthropological research from their outset. They are further distinguished from recent calls to operationalize multispecies ethnography in primatology that suggest incorporating some traditional Japanese approaches to primate studies. The somewhat different, but longstanding, multispecies ethnographies that have characterized significant Japanese primate studies (and are largely available only in Japanese) are reviewed to point to relevant theoretical outcomes that underpin what Japanese call a « primate sociology ».
  • On ne naît pas singe, on le devient : l'apprentissage dans un centre de réintroduction à Bornéo - Frédéric Louchart p. 52-67 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Nyaru Menteng est un centre de réintroduction pour orangs-outans de la fondation BOS (Borneo Orangutan Survival). Depuis la cage de quarantaine de son arrivée à un probable retour aux sources, l'orang-outan développe différentes techniques du corps. La question de la qualité de sa communication, ainsi que la structure sociale qui l'entoure restent en suspens. La culture locale des pensionnaires se développe d'elle-même, indépendamment des normes attendues, ce qui occasionne nombre de comportements inattendus. La question n'est plus alors de connaître l'influence humaine sur ces primates en termes d'efficacité comme en laboratoire, mais en termes d'altération par le contact avec le personnel et le dispositif de la réintroduction sur une culture animale, ce que savent déjà ses acteurs. Les interactions favorisent la créativité. Les primates hébergés recomposent leur culture entre ce que prévoit le dispositif, ce qu'ils en imitent, ce qu'ils y réinventent et ce qu'ils oublient, faisant preuve de flexibilité et tendant ainsi vers une sous-culture qui leur est particulière. Cette altération culturelle de l'animal intègre les mécanismes de transformation du monde résumés par le terme d'Anthropocène. Malgré la volonté de libérer l'animal – justifiant de cette façon l'activité des zoos qui lui viennent en aide – Nyaru Menteng affiche plusieurs aspects de l'apprivoisement et de la domestication.
    Nyaru Menteng is a reintroduction Center for orangutans, funded by the NGO « Borneo Orangutan Survival » (BOS). From quarantine cages to its potential « return to the nativeness », an orangutan develops different embodied skills. The quality of his communication skills, and the social structure which surrounds him remain suspended. The local culture of these residents develops by itself, independent of the standards expected of it, which leads to unexpected behaviours. The question is thus no longer to know if human presence enhances skills among orangutans, but to know how people and reintroduction mechanisms modify an animal culture, already known by the actors. These interactions allow individual creativity to flourish. The resident primates rearticulate their culture between that which is intended through reintroduction mechanisms, what they imitate, what they reinvent and what they forget, demonstrating flexibility and leading to a sub-culture which is their own. This cultural alteration by animals integrates the transformative mechanisms of the world which are summarized by the term Anthropocene. Despite the desire of animal liberation – which justifies the action by zoos that come to its aid – Nyaru Menteng shows a tendency towards taming and domestication.
  • Anthropologist or primatologist ? - Alexandra Palmer p. 68-86 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En m'appuyant sur deux projets de recherches que j'ai menés sur les relations hommes-orang-outans, je propose de réfléchir à des méthodes autres que l'ethnographie d'un seul site, qui pourraient faciliter l'étude des relations entre les humains et les autres primates (alloprimates). Le premier projet examine les relations entre les gardiens et les orangs-outans d'un zoo. En combinant une méthode ethnographique et une méthode éthologique, il a permis de mettre en lumière le fait que la manière dont les humains interprètent et décrivent les comportements des animaux dépend de leur positionnement et de ce qui les préoccupe, tel que leur rôle de soigneur. Un suivi des activités quotidiennes des deux espèces peut également rendre l'objet de l'étude symboliquement plus équitable – même si d'un point de vue méthodologique, l'équité demeure difficile. Le second projet s'est appuyé sur une méthode ethnographique multisituée afin d'étudier les débats concernant la réhabilitation et la réintroduction des orangs-outans. Cette approche multisituée donne un aperçu qui n'aurait pu être possible avec une méthode ethnographique se focalisant sur un seul site, tels que des différences fondamentales au niveau méthodologique et éthique entre les différents sites d'étude. De plus, en agissant comme une « quasi-primatologue » – à travers un usage de l'éthologie, ou en prenant au sérieux les défenseurs des alloprimates – peut changer dans un sens positif la manière dont les anthropologues sont perçus par les participants, facilitant de la sorte l'accès au terrain.
    Drawing on two research projects on human-orangutan relationships, I reflect on how methods beyond single-sited ethnography might facilitate research on relationships between humans and other primates (alloprimates). The first project, which examined keeper-orangutan relationships in a zoo, illustrates how combining ethnography and ethology can highlight how humans' interpretations and narrations of animal behaviour depend on their unique position and concerns, such as their role as caregivers. Examining both species' daily lives can also make the research focus more symbolically equitable – though methodological equality remains difficult. The second project employed multi-sited ethnography to examine debates about orangutan rehabilitation and reintroduction. This multi-sited approach revealed insights that may not have arisen in a single-sited ethnography, such as fundamental methodological and ethical differences between projects. Furthermore, acting as « quasi-primatologists » – through practising ethology, or taking seriously the views of alloprimate advocates – might positively change how social anthropologists are perceived by participants, thereby facilitating access.
  • Interspecies socialization. Humans and chimpanzees in captive settings - Gabriela Bezerra de Melo Daly p. 87-108 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La transmission sociale du comportement entre espèces est un phénomène à multiples facettes qui requiert un raffinement théorique et méthodologique au-delà des concepts comme l'acculturation. Il existe des contextes dans lesquels des comportements typiques d'une espèce nécessitent un certain environnement social pour se développer ; c'est, par exemple, le cas des jeunes mères chimpanzés en captivité qui ont dû apprendre auprès des humains les techniques du corps liées au soin des petits. Afin d'explorer les cas qui ne peuvent être aisément catégorisés comme « culturels » ou « instinctifs », cet article discute les relations sociales entre humains et animaux à partir d'une perspective nouvelle, à savoir, la socialisation entre espèces. Trois scénarios sont abordés – lorsque les humains ou les chimpanzés apprennent (a) les patterns de comportement de l'autre espèce, (b) des patterns partagés, et (c) des patterns typiques de sa propre espèce par l'interaction avec l'autre espèce. Les réflexions théoriques et les exemples ethnographiques présentés se basent majoritairement sur un terrain étho-ethnographique de longue durée à l'Institut de recherche sur les primates de l'université de Kyôto. De plus, l'article décrit quelques méthodes interdisciplinaires de base que peuvent utiliser les étho-ethnographes potentiels. D'un point de vue général, la « socialisation entre espèces » est proposée comme un concept fertile où l'acte de brouiller les frontières – entre nature et culture, et entre espèces – joue un rôle important dans l'apprentissage.
    Social transmission of behavior between species is a multifaceted phenomenon that requires a theoretical and methodological refinement beyond concepts such as enculturation. There are contexts in which species-typical patterns necessitate social support to develop ; for instance, new chimpanzee mothers in captivity that learned caretaking body techniques from humans. To address cases not fully categorized as « cultural » or « instinctive, » this paper discusses human-animal social relationships from a new perspective, namely, interspecies socialization. Three scenarios are outlined – when humans or chimpanzees learn (a) another species' patterns, (b) shared patterns, and (c) one's own species-typical patterns through interspecies interaction. The theoretical reflections and ethnographic examples were mainly based on a long-term etho-ethnographic work at the Primate Research Institute of Kyôto University. Moreover, the paper outlines the basic interdisciplinary methods available to potential etho-ethnographers. Overall, interspecies socialization is proposed as a prolific concept where the blurring of the boundaries – between nature and culture and between species – plays an important role in learning.
  • Chimpanzés, jaguars et ventriloquisme ethnographique - Lys Alcayna-Stevens p. 109-125 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Fondé sur des recherches ethnographiques dans l'un des rares sanctuaires pour primates installé en Europe, cet article aborde la question des « perspectives animales » sous l'angle du tournant « ontologique » en anthropologie pour interroger les limites des approches actuelles de l'anthropologie « au-delà de l'humain ». L'article commence par une exploration de la façon dont les gardiens du sanctuaire conceptualisent les « points de vue » des chimpanzés dont ils s'occupent. L'heuristique de la « double pensée » me permet d'affirmer que les gardiens opèrent dans des contextes différents : quand ils s'occupent du bien-être des chimpanzés, ils sont attentifs à leurs humeurs et leurs besoins, tandis que lorsqu'ils effectuent des visites guidées, ils maintiennent que les humains ne peuvent pas élever les primates, car ils ne peuvent pas savoir ce que cela signifie d'être chimpanzé. L'article soutient que lorsque les ethnographes parlent des acteurs sociaux non-humains, le principal écueil qui les guette n'est pas l'anthropomorphisme mais un genre de « ventriloquisme anthropologique » : ils finissent presque toujours par décrire leurs sujets par le biais de la voix et des concepts des humains auxquels ces acteurs non-humains sont reliés. L'article conclut en soutenant que les pistes les plus prometteuses de l'anthropologie des animaux seront celles qui prendront en compte un aspect de la condition humaine parfois oublié par les anthropologues : l'ambiguïté.
    Based on ethnographic research in one of the only primate sanctuaries in Europe, this article addresses the question of « animal perspectives » with a discussion of the « ontological turn » in socio-cultural anthropology, to reflect on the limitations of current approaches to an anthropology « beyond the human ». The article begins with an exploration of how keepers at the sanctuary conceive of the « points of view » of the chimpanzees they care for. The heuristic of ‘doublethink' allows for an appreciation of the fact that keepers operate in different contexts : when they take care of chimpanzees' well-being, they are attentive to their moods and needs, but when they conduct guided tours, they maintain that humans should not keep chimpanzees as pets, because they cannot know what it means to be a chimpanzee. The article argues that when ethnographers write about social actors who do not have human voices, the spectre which haunts them is not anthropomorphism, but a sort of « anthropological ventriloquism » : that is, they almost always end up describing their subjects with the voices and concepts of the humans to which they are related. The article concludes by arguing that the most promising avenues in an anthropology of animals will be those which appreciate an aspect of the human condition heretofore under-theorized by anthropologists : ambiguity.
  • An Anthropology of primatology exceeds the Primate order : A feminist and queer critique - Juno S. Parreñas p. 126-143 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article cherche à répondre à la question posée par Lys Alcayna-Stevens : qu'est-ce qui permet de distinguer l'anthropologie de la primatologie des autres analyses critiques de cette discipline ? Il soutient qu'une anthropologie de la primatologie ne saurait se limiter aux seuls primates non-humains. Typique de l'ethnographie, les analyses ethnographiques en anthropologie de la primatologie dépendent de la sensibilité ou des sensibilités de l'anthropologue, de ce qui est important pour ses informateurs, de l'impact des conditions dans lesquelles les recherches sont conduites, et de la manière dont les informateurs « interpellent » l'anthropologue. Le travail de l'anthropologue de la primatologie n'est pas de répéter ce que ses informateurs disent, ni de dépendre entièrement des données biologiques, mais d'offrir une analyse empirique afin de produire une théorie sociale et culturelle. Cet article propose une interprétation « queer » et féministe de l'expérience ethnographique. Une anthropologie de la primatologie vue depuis cet angle rejette la vision holiste de la « four-fields anthropology » de Franz Boas. Au contraire, elle reconnaît son incapacité de connaître et de contrôler pleinement ses sujets d'étude, qu'ils soient humains ou non.
    This essay responds to Lys Alcayna-Steven's question : What makes an anthropology of primatology distinct from other critical analyses of primatology ? This paper argues that an anthropology of primatology cannot be limited to the subject matter of nonhuman primates. Typical of ethnography, ethnographic analysis in an anthropology of primatology depends on the anthropologist's sensitivities and sensibilities, what might be important to informants, what impacts the conditions under which anthropologists conduct research, and how informants engage anthropologists. The work of an anthropologist of primatology is not to repeat what informants express, nor is it to depend entirely on biological data, but to offer empirically grounded analysis that produces social and cultural theory. This paper offers a queer and feminist interpretation of ethnographic experiences. Such an anthropology of primatology rejects holism espoused by four-fields Boasian anthropology. Instead, it recognizes the inability to ever fully know or control one's research subjects, whether human or otherwise.
  • Chimpanzee ethnography in the face of humankind's savage success - Nicolas Langlitz p. 144-159 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La primatologie culturelle récapitule l'anthropologie culturelle. Dans les années 1980, au moment même où nombre d'anthropologues culturels abandonnaient le concept de culture, en particulier aux États-Unis, les ethnographes des chimpanzés l'adoptèrent pour décrire les variations comportementales des communautés de grands singes vivant dans des espaces géographiquement distincts. Tout comme leurs collègues en sciences humaines qui en avaient fait l'expérience depuis plus d'un siècle, ils avaient eu peur d'être arrivés trop tard : au mieux, allaient-ils pouvoir documenter ces cultures sur le déclin alors que la sixième extinction de masse était en train d'éradiquer les communautés les unes après les autres. Cet article brosse un portrait de l'ethnographie des chimpanzés comme une primatologie de sauvetage dont l'objet est de décrire la diversité des cultures sauvages. Tandis que les anthropologues évolutionnistes essaient de comprendre notre place dans l'histoire naturelle, il nous faut de même inventer de nouvelles manières de raconter cette histoire et de regarder en face le succès sauvage de l'espèce humaine.
    Cultural primatology recapitulates cultural anthropology. In the 1980s, just as many cultural anthropologists, especially in the United States, abandoned the culture concept, chimpanzee ethnographers took it up to describe geographical differences in behaviour between communities of apes. Like their colleagues in the human sciences had done for more than a century, they worried that they might have come too late : at best, they would document cultures on the wane as the sixth mass extinction in natural history eradicated chimpanzee community after community. This article sketches chimpanzee ethnography as a form of salvage primatology that documents the diversity of wild cultures. As evolutionary anthropologists try to understand our place in natural history, we also need to invent new ways of telling the story and coming to terms with humankind's savage success.
  • L'écho de leur chant : anthropologie de l'extinction d'un primate chinois dans l'Anthropocène - Hiav-Yen Dam p. 160-176 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les gibbons sont des grands singes endémiques des forêts tropicales et subtropicales d'Asie. Ils ont fait l'objet de moins d'intérêt que leurs cousins plus médiatiques. Le gibbon de Hainan (Nomascus hainanus) – classé dans la catégorie « En danger critique d'extinction » (CR) sur la Liste rouge de l'UICN –, figure parmi les primates les plus menacés au monde et pourrait être la première espèce de grands singes à s'éteindre à cause de l'Homme. Cet article se base sur un terrain dans la Réserve naturelle nationale de Bawangling (île de Hainan, Chine) protégeant la dernière population de gibbon de Hainan. Son objectif est de décrire les relations entre les gibbons et la forêt à travers le regard des chinois Han, des Tlay (nationalité minoritaire Li, en chinois) et des primatologues. L'Anthropocène – cette nouvelle époque géologique qui met l'Anthropos au centre –, nous fait oublier l'existence d'une humanité multiple ainsi que celle des multiples mondes non-humains. À l'aube de leur extinction, les gibbons nous offrent des pistes pour (re)penser l'Anthropocène et la sixième extinction de masse.
    Gibbons are species of apes endemic to Asian tropical and subtropical forests. They have been relatively neglected compared to the great apes. The Hainan gibbon (Nomascus hainanus) is listed as Critically Endangered (CR) by the IUCN Red List. They are among the most endangered primates and might become the first ape driven to extinction by humans. Drawing on my fieldwork within Bawangling National Nature Reserve (Hainan Island, China) which protects the last remaining population of Hainan gibbon, I describe the link between the gibbons and their forest as perceived by the Han Chinese, the Tlay (Li ethnic minority in Chinese) and the primatologists. The Anthropocene – this new geological epoch which puts Anthropos at its core – makes us forget the existence of multiple humanities as well as multiple non-human worlds. At the dawn of their extinction, gibbons offer some food for thought to (re)think the Anthropocene and the Sixth Mass Extinction.
  • Local primatologies in central Africa - Tamara Giles-Vernick p. 177-186 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'analyses anthropologiques et historiques des « primatologies locales » en Afrique centrale, cette contribution montre qu'elles permettent de mettre en lumière les savoirs accumulés et en mutation sur l'alimentation, l'écologie et le comportement des primates non-humains, et elles peuvent également servir de cadre pour comprendre ce que cela signifie de dire que les primates non-humains sont « presque comme les humains ». Le terme « primatologies locales » fait référence à la manière dont des populations vivant à proximité de primates non-humains les observent afin de mieux comprendre leurs rapports sociaux et leurs comportements. Ce terme reprend et étend les débats dans le domaine des sciences sociales sur les « savoirs écologiques locaux ». J'examine ici, à travers une analyse historique et anthropologique, les récits et la manière dont les populations habitant dans la forêt en Afrique centrale entrent en relation avec les primates non-humains, en particulier les grands singes. Cette analyse révèlent d'autres modèles d'humanité, d'animalité, et de changement historique, qui peuvent offrir un socle potentiel sur lequel peut s'appuyer la protection des primates non-humains.
    The present essay suggests how anthropological-historical investigation of « local primatologies » can simultaneously reveal central Africans' accumulated and changing knowledge of primate food consumption, ecologies and behavior and their situationally-produced frames for understanding what it means for nonhuman primates to be « almost like people ». The term « local primatologies » refers to how lay people living in proximity to nonhuman primates observe them in order to gain insight into their social relations and behaviors. The term convenes to and extends decades-long debates in the social sciences which have addressed the promises and challenges of interpreting « local ecological knowledge ». Here I examine Central Africans' narratives and engagements with nonhuman primates, and particularly great apes, to reveal how they offer historically contingent understandings of humanity and animality, as well as life and death. This essay concludes with some reflections about how such local primatologies may provide grounds upon which to premise the protection of nonhuman primates.
  • L'anthropologie stabilisée par le singe - Vincent Leblan p. 187-200 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les singes n'ont cessé d'intriguer les anthropologues, à telle enseigne que la comparaison avec l'homme se présente comme un passage presque obligé de tout programme d'anthropologie manifestant quelque ambition générale. La primatologie stabilise l'anthropologie, la plupart des confrontations avec le singe ayant conduit à réaffirmer l'exclusivité des concepts et des principes épistémologiques centraux de la discipline. Néanmoins certaines recherches sur les primates questionnent cette exclusive. Sur le plan épistémologique, repenser la position occupée par les singes et les autres animaux en anthropologie revient à réarticuler l'opposition classique entre explication causale et explication intentionnelle à l'endroit de leurs comportements. Cette démarche constitue tout à la fois un rempart efficace contre les tendances naïvement intentionnalistes concernant les non-humains, et le gage d'une meilleure stabilité de l'anthropologie face aux « vents contraires » dont le réductionnisme des théories biologiques est porteur.
    Anthropologists have always been intrigued by monkeys and apes, to such a degree that referring to primates appears as a near necessary passage for any anthropological program aiming at a general conception of the discipline. Primatology stabilizes anthropology, as most confrontations with monkeys and apes have led to reasserting the exclusivity of the discipline's main concepts and epistemological principles. However, some primatological research does question that exclusivity. From an epistemological perspective, rethinking the place of primates and other animals in anthropology amounts to striking a new balance between causal and intentional explanations of their behaviors. This approach is as much an efficient buffer against naive intentionality concerning non-humans, as it is a stabilizer of anthropology in the face of biological theories' reductionism.
  • Postface : compétences et vulnérabilités des primates dans l'Anthropocène - Frédéric Keck p. 201-205 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En reprenant la distinction faite dans l'introduction à ce volume entre approche centrifuge et centripète des primatologues, cette postface discute la façon dont les articles du volume articulent compétences cognitives et vulnérabilité écologique dans les relations entre primates humains et non-humains, en ouvrant une nouvelle piste autour des pathogènes que les primates partagent en commun. Lorsque les primates non-humains servent à la fois de modèles expérimentaux et de sentinelles écologiques pour les maux qui vont affecter les humains en tant qu'espèce, les compétences et vulnérabilités partagées sont redistribuées.
    Rethinking the distinction made in the introduction to this volume between the centrifugal and centripetal approach of primatologists, this postface discusses how the volume articles articulate cognitive skills and ecological vulnerability in the relationships between human and nonhuman primates, by opening a new line of thinking around the pathogens that primates share in common. When non-human primates serve as both experimental models and as ecological sentinels for the diseases that will affect humans as a species, competences and vulnerabilities are redistributed.