Contenu du sommaire : Petits arrangements avec la race dans les organisations internationales (1945-2019)

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 86, janvier-mars 2020
Titre du numéro Petits arrangements avec la race dans les organisations internationales (1945-2019)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial : Critique internationale, revue en luttes - p. 5-7 accès libre
  • Thema. Petits arrangements avec la race dans les organisations internationales (1945-2019)

    • Faire avec ou contre la race ? Les dilemmes des organisations internationales - Juliette Galonnier, Patrick Simon, Julie Ringelheim p. 11-24 accès libre
    • L'Unesco, à l'origine de l'antiracisme ? Ethnographie historique de la question raciale (1946-1952) - Elisabeth Cunin p. 25-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'Unesco est considérée comme un des principaux acteurs de l'antiracisme international qui émerge au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pourtant, la « question raciale » n'est pas une priorité de l'institution au tournant des années 1940-1950 et celle-ci n'a jamais été en mesure de définir et de mettre en œuvre une politique claire et explicite sur le sujet. Une ethnographie historique des archives de l'Unesco à Paris, notamment au moment de la création et des premières réunions du Département des sciences sociales, révèle que ce dernier accueille les discussions sur la question raciale de façon souvent contrainte et improvisée. Loin du récit linéaire des origines de l'antiracisme, il convient donc d'insister plutôt sur l'indétermination constitutive de l'élaboration des programmes sur la race à l'Unesco entre 1946 et 1952.
      UNESCO is considered as one of the main actors of international antiracism politics, which emerged after the Second World War. However, the “racial question” is not a UNESCO priority at the turn of the 1940-50s and this institution was never able to define and implement a clear and explicit policy on the subject. A historical ethnography of the UNESCO archives in Paris, especially at the time of the creation and the first meetings of the Department of social sciences, reveals that the debates on racial questions took place in an often forced and improvised way. Far from the linear narrative of the origins of antiracism, I will insist on the indeterminacy of the elaboration of UNESCO programs on race between 1946 and 1952.
    • De la « race indigène » à l'essentialisme pratique : le rapprochement de l'Institut indigéniste interaméricain et de l'Organisation internationale du travail (1940-1957) - Juan Martín-Sánchez, Laura Giraudo, Julia Chardavoine p. 45-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La collaboration compétitive entre l'Institut indigéniste interaméricain et l'Organisation internationale du travail (OIT) est analysée ici en tant qu'élément constitutif et exemple de la construction du champ indigéniste durant la période allant de 1940 à 1957. La différence de pouvoir organisationnel et politique entre les deux organisations joue en effet un rôle décisif dans la configuration du champ et dans la définition conceptuelle et opérationnelle des « indigènes ». L'analyse révèle la difficile et ambivalente mise à distance de la perspective racialiste au sein des deux organisations et permet d'observer comment, en l'absence d'un accord théorique, l'accumulation de caractérisations pragmatiques a finalement rendue possible la définition des « indigènes » et de l'indigénéité. La victoire de l'OIT dans la lutte amicale l'opposant à l'Institut pour prendre la tête du mouvement apporte au champ indigéniste interaméricain un rayonnement qu'il aurait difficilement atteint avec le seul appui des institutions régionales. L'« essentialisation pratique » du concept d'indigène qui s'opère alors convertit l'« indigène d'Amérique » en un cas paradigmatique, celui des « peuples indigènes » à l'échelle internationale.
      This article examines the competitive collaboration between the Inter-American Indian Institute and the International Labor Organization (ILO) as an integral component and example of the construction of the indigenista field in the years 1940-1957. The difference in the organizational and political power respectively wielded by these two organizations played a decisive role in the configuration of the field and the conceptual and operational definition of “Indians”. The article reveals the difficulty and ambivalence experienced by the two organizations as they moved away from a racialist perspective and allows one to see how, in the absence of theoretical agreement, the accumulation of pragmatic considerations ultimately made it possible to define “Indians” and indigeneity. The victory of the ILO in its friendly struggle against the Institute for leadership of the movement gave the inter-American indigenista field an influence that it would have had difficulty obtaining solely on the basis of regional institutions. The “practical essentialization” of the concept of “Indian” that then took place converted the “Indian of the Americas” into a paradigmatic case, that of “Indigenous Peoples” at the international scale.
    • Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale : une approche pragmatique des statistiques ethniques (1970-2018) - Juliette Galonnier, Patrick Simon p. 67-90 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) a été mis en place dans le cadre de la Convention internationale éponyme, adoptée en 1965 et aujourd'hui ratifiée par 182 États. Au cours de ses cinquante années d'existence, ses méthodes de travail ont évolué. Dans un souci de documenter la discrimination de fait (et non seulement de droit), le Comité a, entre autres, été amené à demander aux États de se doter de dispositifs statistiques et catégoriels permettant de mesurer les inégalités entre les différentes composantes, dont ethniques et raciales, de leurs populations. Notre analyse des archives du CERD de 1970 à 2018 et les entretiens que nous avons conduits auprès de plusieurs de ses experts actuels montrent comment la demande de données démographiques faisant apparaître entre autres l'origine ethnique ou raciale s'est imposée en dépit de débats internes entre experts et de nombreuses réticences étatiques. Cette mise en évidence d'un tournant pragmatique dans la lutte contre les discriminations contribue à la littérature sur le rôle de la statistique dans la gouvernance globale ainsi qu'à la littérature sur la question raciale au sein des organisations internationales.
      The Committee on the Elimination of Racial Discrimination (CERD) was established in the framework of the international Convention of the same name, which was adopted in 1965 and has since been ratified by 182 states. Its working methods have evolved over the course of its fifty years of existence. Its ambition to document de facto rather than solely de jure discrimination led the Committee to request that states equip themselves with statistical and categorization systems allowing for the inequalities between the various population groups – including ethnic and racial groups – to be measured. Our analysis of CERD's archives from 1970 to 2018 and interviews conducted with several of their present-day experts show how the request for demographic data revealing, among other things, ethnic and racial origins became established despite internal debates among experts and widespread reluctance on the part of states. Underscoring this approach, that we called a pragmatic turn in the fight against discrimination, contributes to the literature on the role played by statistics in global governance as well as that on the way international organizations deal with racial issues.
    • Juger la « race » et l'« ethnicité ». Les tribunaux internationaux face aux dilemmes du référentiel racial - Julie Ringelheim p. 91-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment trois juridictions internationales – le Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour européenne des droits de l'homme – interprètent-elles les concepts de race et d'ethnicité lorsque la résolution d'affaires portées devant elles nécessite une telle interprétation ? Si les juges internationaux manifestent un malaise croissant face aux visions anciennes, figées et naturalisantes de ces notions, la recherche de nouveaux modes d'élucidation de celles-ci se fait par tâtonnements, moyennant hésitations et ambigüités. Les trois juridictions caractérisent l'enjeu qui se pose à elles comme une opposition entre approches objective et subjective de la race et de l'ethnicité. À l'analyse, cette distinction se révèle en partie trompeuse car elle masque la pluralité des enjeux en présence et agrège des positions en réalité contradictoires. On observe par ailleurs certaines différences dans l'approche de la Cour européenne, d'une part, des deux tribunaux internationaux, d'autre part, qui peuvent s'expliquer en partie par les différences de contraintes structurelles pesant sur ces deux types de juridiction.
      How do three international courts – the International Criminal Tribunal for Rwanda, the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia and the European Court of Human Rights – interpret the concepts of race and ethnicity when it is necessary to do so in order to rule on cases brought before them? While international judges are increasingly uncomfortable with the older, rigid and essentializing visions of these notions, the search for new modes of elucidating them has taken place via a process of trial and error that has been a source of hesitation and ambiguity. The three courts characterize the issue that arises for them as an opposition between objective and subjective approaches to race and ethnicity. Upon examination, this distinction is revealed to be partly misleading as it masks the plurality of competing issues and conflates what are in reality contradictory positions. One further observes certain differences in the approach taken by the European Court, on the one hand, and the two international tribunals, on the other hand, that may partly be explained by the distinct structural constraints that impinge upon them.
    • Diversité génétique et groupes humains : les travaux du Comité international de bioéthique et les Déclarations de la Conférence générale de l'Unesco (1993-2005) - Sonia Desmoulin-Canselier p. 115-137 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Conférence générale de l'Unesco a adopté trois Déclarations évoquant les données génétiques humaines qui ont été préparées par des sessions et des rapports du Comité international de bioéthique, créé en 1993. Longtemps resté la seule instance mondiale de réflexion en matière de bioéthique, celui-ci n'ignore pas le problème des interprétations racistes des connaissances et des données génétiques, tant au niveau individuel qu'au niveau des populations. L'analyse des actes de sessions et des rapports du Comité, principalement sur la période 1993-2005, et leur comparaison avec les trois Déclarations adoptées en 1997, 2003 et 2005 permettent de rendre compte du lexique et des valeurs des instances et des normes de régulation internationales en matière de bioéthique relativement aux groupes humains et à la diversité génétique. L'objectif est ici d'éclairer la manière dont la catégorisation en groupes humains est problématisée au regard de la montée du paradigme génétique et de la place accordée aux entités intermédiaires entre l'individu et l'espèce.
      The UNESCO General Conference has adopted three Declarations referring to human genetic data. They were prepared by sessions and reports from the International Bioethics Committee, established in 1993. For a long time the only world body devoted to the examination of bioethical issues, it was aware of the problem posed, both at the level of individuals and populations, by racist interpretations of genetic data and knowledge. By examining the proceedings and reports of the Committee, mainly for the period 1993-2005, and comparing them with the three Declarations adopted in 1997, 2003 and 2005, it is possible to take stock of the vocabulary and values of the international bioethical regulatory body and norms as they relate to human groups and genetic diversity. The aim here is to clarify how the categorization of human groups is problematic in the light of the rise of the genetic paradigm and the place accorded to entities that occupy an intermediary position between the individual and the species.
  • Coulisses

    • Mettre la peur à distance par la fabrique collective de la réflexivité - Marie-Laure Geoffray p. 141-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Il existe désormais de nombreux travaux sur le rapport de l'ethnographe à son terrain, notamment dans le cas des « terrains difficiles ». En revanche, peu de textes abordent la façon dont il·elle travaille dans des contextes ressentis comme anxiogènes. De façon générale, ses émotions font rarement l'objet de comptes rendus ou ne sont abordées qu'indirectement, même quand il·elle raconte son vécu dans des situations où il·elle s'est trouvée en danger. On ne sait donc pas grand-chose sur la façon dont l'expérience de la peur peut déterminer l'accès au terrain ou construire la relation d'enquête. Et surtout, on ne trouve quasiment pas de textes sur les outils grâce auxquels l'ethnographe parvient à objectiver son expérience pour finalement produire les résultats de ses recherches. Pourtant, son rapport aux contraintes du contexte détermine autant son appréhension du terrain que ses capacités à restituer son expérience. À partir d'une enquête ethnographique sur des collectifs contestataires que j'ai menée à Cuba, j'analyse donc non seulement les effets de ces états affectifs mais aussi la façon dont j'ai pu les circonscrire dans la mise en écriture.
      Much has now been written about the ethnographer's relationship to her field, particularly in what concerns “difficult fields”. By contrast, few texts have addressed the manner in which she works in stressful contexts. In general, the ethnographer's emotions rarely figure in accounts or are only indirectly touched upon, even when discussing her experience of dangerous situations. Little is thus known regarding the manner in which the experience of fear can determine access to the field or shape the investigative relationship. Above all, virtually no text considers the tools used by the ethnographer to objectify her experience so as to ultimately draw up the results of her research. Yet the ethnographer's relationship to the constraints of the context do as much to determine her understanding of the field as they do her ability to reconstruct her experience. On the basis of an ethnographic study I conducted of contentious collectives in Cuba, I will thus consider, not just the effects of these affective states, but also the manner in which I was able to contain them when writing my ethnographic account/via the activity of writing.
  • Varia

    • (Re)produire le syndicat, produire la classe : la formation de la classe ouvrière dans un syndicat argentin - Sandra Wolanski p. 167-188 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment la classe ouvrière se produit-elle et se reproduit-elle dans la pratique quotidienne des militants et des militantes d'un syndicat ? À la FOETRA, le principal syndicat des télécommunications de la région métropolitaine de Buenos Aires, l'engagement à produire la classe ouvrière comme une catégorie politique créatrice de solidarités consiste à construire un horizon d'égalité tout en identifiant les clivages qui séparent les travailleurs et les travailleuses. Deux mécanismes sont à l'œuvre. D'une part, un effort actif de définition de la classe par le biais d'initiatives formelles de formation syndicale, en relation avec un projet politique d'élargissement des limites de la classe ouvrière. D'autre part, l'élaboration d'un récit partagé et d'une mémoire collective, entreprise informelle et affective dépendant des liens tissés entre les militants et les militantes, notamment entre les anciennes et les plus jeunes. Dialoguant avec des débats récents sur le concept des « classes sociales », cette analyse s'appuie sur une recherche doctorale ethnographique menée durant les années 2013-2014.
      How is the working class produced and reproduced in the everyday practice of labor union activists ? In FOETRA, the largest telecommunications labor union in the metropolitan region of Buenos Aires, efforts to produce the working class as a political category and source of solidarity consist in constructing a sense of equality while simultaneously identifying the divisions separating workers from one another. Two mechanisms are at work. On the one hand, an active effort to define the class by way of formal initiatives and labor union training conjoined with a political project to expand the limits of the working class. On the other hand, the development of shared narrative and collective memory, an informal and affective undertaking that depends on the ties woven between activists, particularly the youngest ones and their elders. In dialogue with recent debates regarding the concept of “social class”, this analysis draws upon ethnographic doctoral research conducted in 2013-2014.
    • Une climatisation des enjeux agricoles par la science ? Les controverses relatives à la climate-smart agriculture - Marie Hrabanski p. 189-208 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les enjeux agricoles ont été longtemps absents des négociations relatives au changement climatique. À la fin des années 2000, une fenêtre d'opportunité s'est toutefois ouverte en faveur de leur mise à l'agenda dans la gouvernance du climat. C'est dans ce contexte qu'a émergé la notion de climate-smart agriculture. Portée d'abord par la FAO, celle-ci a été présentée comme un concept scientifique qui permettait de penser de façon conjointe les enjeux climatiques et les enjeux liés à la sécurité alimentaire. La démarche de process tracing utilisée ici éclaire le cheminement de la notion et, à travers elle, le processus de climatisation des politiques agricoles, en analysant notamment le rôle performatif de la science dans cette dynamique. Deux périodes sont identifiées : celle de l'ouverture en faveur de la mise à l'agenda de l'agriculture dans les négociations internationales sur le climat entre 2001 et 2009, puis celle de la diffusion et de la dépolitisation de la notion à partir de 2010. En proposant un cadrage technique des problèmes, la climate-smart agriculture tend à effet à gommer les controverses politiques dont elle est pourtant porteuse.
      Agricultural issues were long absent from negotiations relating to climate change. In the late 2000s, a window of opportunity nevertheless opened for placing them on the agenda of climate governance. It was in this context that the notion of climate-smart agriculture emerged. Initially championed by the FAO, it was presented as a scientific concept that would allow climate issues and issues relating to food safety to be jointly conceived. By examining the performative role that science played in this dynamic, the process tracing approach used here casts light on how the notion developed and thereby the process by which agricultural policy came to be climatized. I identify two periods: the period from 2001 to 2009 during which agriculture first made it onto the agenda of international negotiations regarding climate change; and the diffusion and depoliticization of this notion that began in 2010. For, by setting problems in a technical framework, climate-smart agriculture tends to obscure the political controversies with which it is nevertheless associated.
  • Lectures