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Revue | Gérer et comprendre (Annales des mines) |
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Numéro | no 140, juin 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- In memoriam : Jérôme Tubiana - Michel Berry p. 3
Réalités méconnues
- Chief Happiness Officer : quelles contributions au bien-être en entreprise ? - Sabrina Tanquerel, Roland Condor p. 5-18 L'intérêt et la controverse suscités par l'émergence de la fonction de Chief Happiness Officer (CHO) posent la question de sa contribution effective au bien-être au travail. Le CHO incarne-t-il une fonction « gadget » ou constitue-t-il une réelle avancée dans le développement du bien-être en entreprise ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes appuyés sur la littérature consacrée au bien-être au travail et sur une étude qualitative menée auprès de CHO ou apparentés. Nous montrons que si le recrutement de CHO s'inscrit dans une logique de contribution au bien-être hédonique et de recherche de transversalité, il relève assez peu d'une logique de bien-être eudémonique. Nos résultats montrent également que le CHO peut être recruté dans une perspective utilitariste, ce qui peut compromettre sa contribution au bien-être sur le long terme. La contribution du CHO au bien-être est donc partielle et doit être complétée par d'autres dispositifs ou d'autres fonctions.The interest and controversy spawned by the creation of a “chief happiness officer” (CHO) lead to asking how this position will actually contribute to well-being at the workplace. Is the CHO a “gadget”, or does this position signal an actual advance toward improving well-being in firms ? Answers to this question are based on an analysis of the literature on well-being at the workplace and on a qualitative study of CHOs (or their equivalent). Although CHOs are recruited in an effort to improve hedonistic well-being and foster horizontal management, appointing a CHO has little to do with the pursuit of happiness (eudemonic well-being). Some CHOs are recruited for utilitarian purposes, but this might undermine any contribution they make to well-being in the long run. The contribution to well-being made by appointing a CHO falls short and has to be completed with other arrangements.
- La gestionnarisation des forces armées - Sophie Lefeez p. 19-29 L'introduction de la rationalité managériale au sein des armées françaises date du début du XXIe siècle. Elle se caractérise par une multiplication des textes réglementaires et l'instauration d'outils de comptage et de mesure, des pratiques de flux tendu et des regroupements destinés à réduire la quantité de ressources employées. Pour garantir la performance des armées face à n'importe quel adversaire à moindre coût, les matériels comportent une architecture modulaire apte à recevoir le kit approprié à la situation, tandis que les servants sont invités à suivre le geste prescrit et se font aider d'intelligence artificielle. Dans l'idéal gestionnaire, l'interchangeabilité des hommes comme des matériels serait totale. Mais cette armée se retrouve enserrée dans un étau de normes de plus en plus souvent issues du civil. Toute déviance au mode commun étant désormais mal perçue, en proie à l'exigence biopolitique de faire vivre, les spécificités militaires sont plus difficilement reconnues et acceptées, questionnant l'opérationnalité, voire l'existence même, de l'armée.Since the introduction at the turn of the century of a managerial rationality in the French armed forces, there has been : a multiplication of regulatory texts, the adoption of tools for counting and measuring, the implementation of just-in-time procedures and the conduct of many a reorganization in order to reduce the quantity of resources that are used. To see to the low-cost performance of the armed forces when faced with any adversary, materials have been designed for modules so that the modules can be assembled in kits to suit the situation. Meanwhile, “servants” are invited to adhere to prescribed routines and are assisted by artificial intelligence. Under this “managizing” ideal, the interchangeability of men and materials is total. However this army is locked in a straitjacket of norms and standards increasingly buckled by civilians. Any deviancy from the ordinary is now frowned upon and has fallen prey to biopolitical requirements. Meanwhile, the specific nature of the military is hardly recognized or accepted ; the operational effectiveness of the armed forces is at stake, and their very existence is under question.
- Chief Happiness Officer : quelles contributions au bien-être en entreprise ? - Sabrina Tanquerel, Roland Condor p. 5-18
L'épreuve des faits
- Entre contrainte managériale et opportunité de développement du travailleur : l'application du « besoin de savoir » dans le secteur protégé - Sarah Richard p. 30-40 La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 élargit les opportunités de partage des informations confidentielles dans le secteur médico-social. Cette mesure est supposée répondre à une problématique de gestion majeure, l'absence de partage d'informations engendrant des coûts de fonctionnement et nuisant à la qualité de l'accompagnement des personnes accueillies. Le dilemme de savoir quelles informations peuvent être divulguées ou relèvent de l'intimité des travailleurs fait partie intégrante de la réalité de gestion des Etablissements et services d'aide par le travail (ESAT). Dans la littérature, le partage d'informations a priori confidentielles ou secrètes est supposé s'effectuer sur la base du « besoin de savoir ». L'application de ce principe permet d'éviter des situations où l'absence de partage induirait des effets négatifs sur l'organisation. Le présent article vise à caractériser l'application du « besoin de savoir » dans le secteur protégé. Pour ce faire, deux études de cas auprès de deux ESAT multi-activités ont été réalisées. Nos résultats montrent que les ESAT étudiés gèrent une tension permanente entre « besoin de savoir » et défense d'un « droit de ne pas savoir ». Cette tension façonne la manière dont les ESAT compartimentalisent le partage des informations, et aboutit à deux paradoxes de gestion d'informations. Nous montrons in fine comment les acteurs et l'organisation réagissent, ou non, face à ces paradoxes.A French act of 26 January 2016 has broadened the possibilities for sharing confidential information in medical and social services. This is supposed to be a response to a major problem of management, since not sharing information has an operational cost and is detrimental to the followup on the disabled persons enrolled in work programs. But how to know which information may be disclosed and which is highly personal ? This dilemma is typical of the actual management of ESATs, the establishments and services that provide work to the disabled. In the literature, the grounds for sharing information that is, in principle, confidential or secret is supposed to be the “need to know”. Applying this principle helps avoid situations where not sharing would have negative effects on the organization. How to describe the application of the “need to know” in this protected social service sector ? According to the findings of two case studies, both ESATs had to cope with a constant tension between the “need to know” and the defense of a “right to not know”. This tension shaped the way that these establishments compartmentalized the sharing of information ; and it led to two paradoxes in information management. These case studies show how actors and organizations react, or not, to these paradoxes.
- Appel à la créativité des agents pour « sortir des rails » : la SNCF au milieu des voies - Justine Arnoud, Isabelle Vandangeon-Derumez p. 41-51 Nous proposons d'analyser dans cet article la manière dont la SNCF a mis en place des initiatives visant à faire appel à la créativité des agents pour se renouveler et faire face à l'ouverture à la concurrence. Afin d'explorer ces initiatives, nous avons privilégié une approche pragmatiste de la créativité, centrée sur la créativité située et associée à la possibilité d'enquêter ensemble lorsqu'un doute s'installe dans les situations de travail. Cet éclairage original s'est révélé utile pour comprendre l'évolution des initiatives mises en place à la SNCF au sein de la région Normandie et étudiées dans le cadre d'une étude longitudinale. À deux reprises, les agents ont eu le sentiment de vivre une expérience créative collective qui s'est avérée être proche d'une dynamique d'enquête. L'analyse fine de cette dynamique permet de mieux comprendre comment celle-ci a pu se produire au sein d'une entreprise réputée être une grande bureaucratie professionnelle, tout en soulignant les limites et le retour rapide des approches rationnelle et normative de l'agir humain, peu propices au développement de la créativité. Nous discutons cette expérience de créativité inattendue et les enjeux et difficultés d'une compréhension renouvelée de la créativité au sein des organisations.How has the SNCF, the French national railway, taken actions for appealing to the creativity of its employees in order to cope with the opening of the country's rail system to competition ? To explore these actions, a pragmatic approach has been adopted to a situated creativity associated with the possibility of investigating work situations together in cases of doubt. This fresh approach is useful for understanding how the SNCF in Normandy has modified its actions, which have been the focus of a longitudinal study. On two occasions, employees had the feeling of a creative group experience. A granular analysis of this experience helps us better understand how it could occur in a firm with the reputation of being a big bureaucracy ; but it also emphasizes the limits of this experience and the quick return to rational, normative approaches to human actions, which are not well suited to fostering creativity. These unexpected experiences of creativity are discussed along with the difficulty of forging a new understanding of creativity within organizations.
- Entre contrainte managériale et opportunité de développement du travailleur : l'application du « besoin de savoir » dans le secteur protégé - Sarah Richard p. 30-40
En quête de théorie
- L'entreprise, le bien commun et la question du pluralisme - Benjamin Chapas p. 52-62 Symbole fort du tournant que l'entreprise est en train de prendre à l'heure où il est question d'étendre son objet social à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux de son activité (loi Pacte), on ne compte plus les voix qui s'élèvent pour dire que l'entreprise peut et doit produire du bien commun. Teinté de progressisme, ce nouvel horizon d'attente n'en est pas moins problématique dans un contexte de redéfinition du partage des rôles entre l'Etat et l'entreprise dans l'organisation du monde de demain. Le risque est notamment celui d'une possible « privatisation du bien commun » qui pourrait contribuer à renforcer les structures de domination de l'homme par l'homme à travers une colonisation des esprits et l'imposition d'une conception unique de la « vie bonne ».A strong symbol of the shift that firms are making at a time when their legally defined objective is being broadened to include the social and environmental issues related to their business activities (the Pacte Act in France) : countless voices are being raised to demand that firms can and must produce a common good. Tinted with progressivism, this new expectation is, nonetheless, problematic in a context where the distribution of roles between the state and firms in the organization of tomorrow's world are being redefined. In particular, there is the risk that an eventual “privatization” of the common good would reinforce the structures of domination of man over man via a colonization of minds and the imposition of a single conception of the “good life”.
- L'entreprise, le bien commun et la question du pluralisme - Benjamin Chapas p. 52-62
Mosaïque
- L'entreprise comme lieu de pouvoir : pour un renouveau de l'économie politique - Xavier Hollandts p. 63-64
- Une parfaite boîte à outils pour patrons de PME - Jacques Sarrazin p. 65-66
- « Miroir, mon beau miroir » : les Narcisse ont pris le pouvoir - Antoine Masingue p. 66-68