Contenu du sommaire : Science et science-fiction
Revue | Socio |
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Numéro | no 13, 2019 |
Titre du numéro | Science et science-fiction |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Michel Wieviorka p. 5-6
- « Welcome to the real world » - Julien Wacquez p. 7-21 Après avoir présenté l'attitude prévalente des sociologues de la littérature à l'égard de la science-fiction, cet article vise à développer une approche originale de cette dernière, capable de rendre compte de sa spécificité ; à savoir qu'elle se situe aux frontières entre la science et la littérature, la réalité et la fiction, la technique et la culture. Plutôt que de réduire et d'enfermer la science-fiction dans l'un ou l'autre terme de ces dichotomies, cette approche a pour ambition d'inviter la sociologie à saisir pleinement cet entre-deux qui la caractérise, ce qui revient à dire que la science-fiction est l'un des lieux privilégiés où s'observe comment le partage entre les catégories mentionnées se constitue, se déplace, se renouvelle ou, au contraire, se consolide, se renforce.After presenting the mainstream perspectives of sociologists of literature towards science fiction, the article aims at developing an original approach that could account for the specificity of science fiction, i.e. seeing it as being positioned at the very boundaries of science and literature, reality and fiction, and technique and culture. Rather than confining science fiction into either poles of those dichotomies, this approach wants to invite sociology to fully embrace the « space between » that characterizes it. It also entails that science fiction may become one of the privileged loci from where the scholars can observe how the split between the categories mentioned above is being constituted, displaced, renewed or, conversely, consolidated and reinforced.
- Mots et discours de science dans la science-fiction - Ugo Bellagamba, Roland Lehoucq p. 23-44 La science-fiction entretient des rapports avec la science, on le sait, mais cet article se penche plus particulièrement sur les mots de science, le vocabulaire scientifique, que l'on retrouve souvent dans les textes de science-fiction et surtout sur la manière, éclairante, dont les auteurs de science-fiction mettent en scène, dans leurs récits, des discours de science, ou des discours de scientifiques sur la science. Au fond, les mots de science aident les auteurs à bâtir des mondes fictifs, et, en retour, les récits de science-fiction font écho aux représentations culturelles de la science, dans des contextes et des époques différentes. Ce faisant, ils contribuent parfois à interroger la démarche scientifique elle-même, tout en stimulant la curiosité des lecteurs pour la science, y compris les plus jeunes.Science fiction has close ties with science, as we know, but this article focuses more specifically on the words of science, the scientific vocabulary, which we often find in science fiction texts and, in particular, on the enlightening way in which science fiction authors depict, in their narratives, either discourse about science or the discourse of scientists about science. Essentially, the vocabulary of science helps authors to build fictional worlds, and, in return science fiction narratives echo the cultural representations of science, in different contexts and periods. By so doing they contribute at times to question the scientific approach itself, while at the same time stimulating readers' curiosity about science, including the youngest readers.
- Science-fiction et futurologie de la colonisation martienne - Arnaud Saint-Martin p. 45-69 Le thème de la « colonisation » de la planète Mars hante les passionnés de l'espace. Il trouve à s'actualiser dans les récits de science-fiction et de futurologie, lesquels fonctionnent comme autant de signes de référence et d'appartenance au sein de la communauté spatiale. Cet article propose d'étudier comment et pourquoi ces récits sont mobilisés, ainsi que les imaginaires et conceptions des sciences et techniques qu'ils contribuent à véhiculer. Outre cette analyse fondée sur un corpus d'œuvres, on illustrera cette « mise en culture » de l'idée de colonisation de Mars à partir de l'histoire de la Mars Society. La croyance collective dans la transplantation de la vie humaine sur Mars est d'autant plus ancrée chez les « enthousiastes » qu'elle ne cesse pas d'être déçue par les reports du lancement des missions censées réaliser ce projet.The “colonization” of the planet Mars is a theme that haunts those who are passionate about space. It finds its relevance in science fiction and futurology narratives, which function as signs of reference and appartenance within the space community. This article explores how and why these narratives are mobilised, as well as the imaginations and conceptions of the sciences and technologies they help to communicate. In addition to this analysis based on a corpus of writings, we will illustrate this cultivation of the idea of the colonization of Mars using the history of the Mars Society as a starting point. The collective belief in the relocation of the human life on Mars is reinforced among “enthusiasts” by the fact that it is constantly being deceived by the delays in the launching of the missions that are supposed to accomplish this project.
- Making Science, Making Scientists, Making Science Fiction: On the Co-Creation of Science and Science Fiction in the Social Imaginary - Brad Tabas p. 71-101 La plupart des travaux sur la relation entre science et science-fiction se concentrent sur la manière dont la science-fiction peut faire progresser la science en élaborant de manière spéculative des théories scientifiques. Ce texte, au contraire, soutient que nous devrions comprendre certains textes de science-fiction comme contribuant à faire de la science une pratique sociale de façon assez differente, notamment en les considérant comme une forme de littérature didactique qui offre un exemple moral aux scientifiques ou aux lecteurs scientifiques potentiels. Pour illustrer ce propos, cet article examine la représentation de héros scientifiques dans Cosm de Gregory Benford et dans The Dispossessed d'Ursula K. Le Guin. Il illustre la manière dont ces auteurs décrivent des scientifiques modèles qui peuvent aider les lecteurs à imaginer ce que cela signifie d'être scientifique et à faire de la science leur profession. Il montre également comment leur volonté de créer de tels exemples didactiques a pu émerger d'une crise au sein de l'idéologie de la science elle-même, à savoir la crise de la légitimité et de l'autorité de la science, connue aujourd'hui sous le nom de Guerre des sciences.Most work on the relationship between science and science fiction focuses on how science fiction can advance science by speculatively elaborating scientific theories. This text, to the contrary, argues that we should understand some science fiction texts as contributing to the making of science as a social practice rather differently: namely by seeing them as a form of didactic literature which offers moral exempla to scientists or potential scientist readers. In order to illustrate this point, this article considers the representation of scientist-heroes in Gregory Benford's Cosm and Ursula K. Le Guin The Dispossessed. It illustrates the ways which these authors depict model scientists that can help readers to imagine what it might mean to be a scientist, and to engage in science as a profession. It brings out the ways in which their drive to create such didactic examples may have emerged out of a crisis within the ideology of science itself, namely the crisis of legitimacy and authority of science today known as the Science Wars.
- Pour une analyse symétrique des illustrations de science et de science-fiction - Pierre Lagrange p. 103-133 À partir de la célèbre scène de Vingt mille lieues sous les mers (Jules Verne, 1869-1871), dans laquelle un calmar géant surgit face à la baie vitrée du Nautilus, au moment même où les héros sont en train de débattre de son existence, cet article propose de s'interroger sur une contradiction du discours sur les images en science. Le roman populaire et la vulgarisation scientifique ne cessent de construire des images de scientifiques qui regardent la réalité directement, comme les héros de Jules Verne, images qui illustrent un double discours sur les sciences et sur les cultures populaires : alors que les scientifiques regardent la nature en face parce qu'ils auraient su s'affranchir des « ombres de la caverne », et de l'influence des images précisément, les non-scientifiques prendraient un grand risque à faire de même car ils sont susceptibles d'être influencés par ces images de roman populaire et d'imaginer toutes sortes de choses qui n'existent pas. Cet article essaie de montrer que ces images gagnent à être étudiées autrement en n'oubliant pas une partie du temps qu'il s'agit précisément d'images et en construisant une analyse symétrique qui traite les images scientifiques et ces images « populaires » dans les mêmes termes. Cela permet de sortir de l'opposition entre pensée scientifique et croyance populaire pour décrire comment les images déploient à la fois le savoir scientifique et un discours public sur les sciences.Beginning with the famous scene in Jules Verne's Twenty Thousand Leagues under the Sea (1869–71) in which a giant squid appears facing the large window of the Nautilus, just as the heroes were discussing its possible existence, this article is an attempt to question a contradiction in the discourse on the images in science. The popular novel and the scientific vulgarisation are constantly constructing images of scientists who are looking directly at reality, like the heroes in Jules Verne, images which illustrate a two-fold discourse on the sciences and on popular culture. Whereas the scientists are looking directly at nature precisely because they are capable of going beyond the ‘shadows in the cave' and the influence of images, those who are not scientists would take a great risk if they were to do the same precisely because they may well be influenced by these popular novel images and might imagine all sorts of things which do not exist. This article attempts to demonstrate that these images gain by being analysed in other terms while at the same time bearing in mind that it is precisely a question of images and by constructing a symmetrical analysis which deals with the scientific images and these “popular” images in the same terms. This enables us to move away from the opposition between scientific thought and popular beliefs to describe how the images display both scientific knowledge and public discourse on the sciences.
- Vérité romanesque et fictions scientifiques : Philip K. Dick chez les criminologues - Julien Larregue, William Wannyn, Laurent Dartigues p. 135-153 Cet article examine les emprunts conceptuels des chercheurs à la science-fiction à travers le cas de The Minority Report de Philip K. Dick. Dans cette nouvelle, K. Dick dépeint la ville de New York comme une société sans crime, et ce grâce au travail d'une unité de la police appelée Précrime, dont le rôle est d'identifier et d'arrêter les futurs criminels avant qu'ils ne passent à l'acte. Cet écrit a attiré l'attention de nombreux chercheurs, en particulier criminologues et neuroscientifiques. Tandis que certains proposent une lecture utopique des idées de K. Dick, d'autres accentuent sa dimension dystopique, selon qu'ils se positionnent comme des partisans ou des critiques de l'utilisation de méthodes prédictives dans le champ pénal. Par ailleurs, nous montrons que si les critiques ont tendance à inscrire The Minority Report dans un régime de vérité qui a quelque chose à dire de l'état actuel de nos sociétés, les promoteurs des méthodes prédictives ont tendance à élaborer des visions futuristes qui viennent compléter et étendre celles de Philip K. Dick.This paper investigates scientists' conceptual borrowings from science fiction through the case of Philip K. Dick's The Minority Report. In this short story, K. Dick depicts New York City as a crime-free society, thanks to the work of a police division, Precrime, whose function is to arrest criminals-to-be before they actually commit any crime. This writing has spurred academics' attention, including criminologists and neuroscientists. While some of them propose a utopian reading of K. Dick's ideas, other accentuate its dystopian dimension, depending on whether they are proponents or critics of the use of predictive methods in the criminal justice system. Moreover, we show that while critics tend to inscribe The Minority Report into a regime of truth that tells something about the current state of our societies, proponents tend to elaborate futuristic visions that come to complement and extend Philip K. Dick's.
- Les réalismes de l'anneau-monde - Julien Wacquez p. 155-180 Le roman le plus célèbre de l'écrivain américain Larry Niven, intitulé L'Anneau-monde (1970), est le premier à avoir été explicitement vendu et présenté comme un roman de hard science fiction (alors que ce sous-genre existait bien avant sa publication). En proposant à la fois une analyse du texte et de sa réception par les critiques et les lecteurs, cet article rend compte du fait que les récits de science-fiction, loin de n'être que des fantaisies sans fondement, obéissent à des impératifs de réalisme, voire de crédibilité scientifique. En l'occurrence, en écrivant un tel roman, Larry Niven n'a pas seulement pris position dans le champ de la littérature de la science-fiction américaine, il s'est également engagé dans un dialogue scientifique indirect – par texte interposé – avec le mathématicien et physicien Freeman J. Dyson, tout en proposant une variante du concept de « biosphère artificielle » que ce dernier avait développé dans un article académique antérieur.Ringworld (1970), the most famous novel of the American writer, Larry Niven, is the first novel to have been explicitly sold and presented as a novel of “hard science fiction” (although the sub-type existed well before its publication). By proposing both an analysis of the text and its reception by critics and readers, this article reflects the fact that science fiction, far from being a creation of the imagination with no foundation, does in fact obey imperatives of realism and even of scientific credibility. In this instance, by writing a novel of the sort, Larry Niven has not only taken a stance in the field of American science fiction; he has also participated indirectly in a scientific dialogue—by means of the text—with the mathematician and physicist, Freeman J. Dyson, while at the same time suggesting a variant of the concept of “artificial biosphere” which the latter had developed in an earlier academic article.
- L'enchâssement ou la quête de « Dieu » au-delà du langage - Christian Walter p. 181-197 Dans l'espace public ou dans les conversations privées, on entend souvent aujourd'hui l'idée selon laquelle « Dieu est au-delà des dogmes et des religions ». Ceux qui disent cela imaginent qu'un « Dieu au-delà du langage » favoriserait le dialogue interreligieux, car le dépassement des énoncés de croyances permettrait, en surmontant leurs différences, de faire disparaître les conflits religieux grâce à une convergence spirituelle vers un dénominateur commun à toutes les religions. Or ce n'est pas le cas. On constate que le potentiel de violence porté par les expressions religieuses n'a pas été neutralisé par l'idée d'un Dieu au-delà du langage, et que le dialogue interreligieux semble en attente de solution durable. C'est donc que quelque chose doit être inexact dans l'idée que Dieu est au-delà du langage. Cet article propose d'aller à la recherche de cette inexactitude en effectuant un détour par le roman de science-fiction de Ian Watson, L'enchâssement, que nous utilisons ici comme support d'une réflexion épistémologique pour rendre visible l'impasse du dénominateur commun et le scepticisme auquel elle conduit. Finalement, à la question de savoir quoi penser de l'idée d'un Dieu au-delà du langage, nous pourrions répondre, à la suite de L'enchâssement : cette idée est une thèse de science-fiction.In public discussions or in private conversations, one frequently hears the idea expressed that “God is beyond dogmas and religion.” Those who say this imagine that a “God beyond language” would promote inter-religious dialogue, because going beyond statements of beliefs would enable differences to be overcome and religious conflicts to be eliminated by a process of spiritual convergence around a link shared by all religions. Now this is not the case. We observe that the potential for violence inherent to expressions of religion has not been neutralised by the idea of a God beyond language and the dialogue between religions seems to be awaiting a lasting settlement. There must therefore be something wrong with the idea that God is beyond language. This article proposes to investigate this inaccuracy by making a detour via Ian Watson's science fiction novel, The Embedding, which we use here as a support for an epistemological reflection to reveal the impasse of the shared link and the scepticism to which it leads. Finally, to the question of knowing what to think of the idea of a God beyond language, we could reply, in the wake of The Embedding: this is an idea from science fiction.
- Entretien avec Bertrand Méheust - Bertrand Méheust, Pierre Lagrange p. 199-229