Contenu du sommaire : Les irrécupérables

Revue Tracés Mir@bel
Numéro no 37, 2019/2
Titre du numéro Les irrécupérables
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Les irrécupérables - Émilie Guitard, Igor Krtolica, Baptiste Monsaingeon, Mathilde Rossigneux-Méheust p. 7-31 accès libre
  • Articles

    • « Il ne mérite pas l'indulgence ». Des condamnés à mort irrécupérables ? Les recommandations des magistrats en faveur de l'exécution, en France à la Belle Époque - Nicolas Picard p. 35-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au sommet de l'échelle des peines avant 1981, la peine de mort était censée éliminer les pires criminels de la société. Les individus reconnus coupables d'assassinat ou de meurtre aggravé étaient voués, selon le code pénal, à la mort par décapitation, s'ils ne bénéficiaient pas de circonstances atténuantes. Sans surprise, ce sont des individus issus de populations déjà marginalisées qui en font les frais. Les condamnés à mort n'étaient cependant pas complètement irrécupérables : le chef de l'État disposant du droit de grâce avait toujours le pouvoir de les extraire de leurs fers et de leurs angoisses pour une autre forme d'élimination, avec la transportation en Guyane, malgré tout considérée comme une deuxième chance. De 1908 à 1914, seule une fraction minoritaire (environ un tiers) de ces condamnés était considérée comme vraiment irrécupérable, ne méritant pas d'indulgence, et donc de vivre. Pour étayer et produire ce caractère, le ministère de la Justice demandait aux magistrats ayant contribué à la condamnation, soit le procureur de la République, l'avocat général et le président des assises, des avis motivés. C'est l'étude de ces motivations qui fait l'objet de cet article en partant de l'analyse des rapports contenus dans les dossiers de grâce conservés dans les archives de la chancellerie ou de la présidence – rejoignant ainsi, dans la lignée de la sociologie morale, les préoccupations de récents travaux portant sur les justifications données par les acteurs de la chaîne pénale à leurs décisions. Outre les caractéristiques générales portant sur l'âge, la situation sociale ou familiale ou la situation de récidive, d'autres signes contribuent à incliner les magistrats vers l'exécution : il s'agit de l'attitude au procès, ou en prison, des marques du cynisme, voire de la monstruosité, laissant présager d'un échec de toute perspective de relèvement moral. Plus encore, la sévérité des magistrats est surtout imprégnée d'idées de rétribution, avec la question centrale de la responsabilité, ainsi que par des visées d'exemplarité. Elle montre une pratique du droit encore largement tributaire des représentations chrétiennes et plus largement spiritualistes, très éloignées des théories positivistes de « défense sociale » pourtant en plein essor.
      Before 1981, the death penalty was the ultimate punishment, reserved for the worst criminals. Unless they were spared due to mitigating circumstances, those found guilty of premeditated or aggravated murder were sentenced, in accordance with the penal code, to an ignominious beheading. These people often came from marginal backgrounds. However, criminals who were sentenced to death were not entirely beyond redemption. The President could always grant them pardons and spare them the guillotine. They were then sent to the hard labour camps in French Guyana – another form of elimination, but one which was considered a second chance. From 1908 to 1914, only a minority (less than a third) of these convicts were actually considered to be beyond any form of redemption and undeserving of survival. To help the President make decisions in these matters, the Ministry of Justice sought the advice of those who had worked on these cases (the judge and public prosecutors). Our intention is to look at how the magistrates justified their advice, with reference to reports stored in government and presidential archives. This study fits into a wider field – indeed, recent “moral sociology” studies pay close attention to how the various participants in the penal chain justified their decisions. Judges took into account some general characteristics relating to age, social status and recidivism. But, more than anything, the attitude of the criminal during the trial or in prison, and any display of cynicism, or even of outrageous behaviour, were key factors in the issuing of death sentences. These could be seen as signs that any attempt at “moral correction” would be doomed to failure. Moreover, the severity of the judges was underpinned by the concept of retribution. The issue of “responsibility” was then paramount. The need to create a deterrent effect was also important. The judges' reports show us that Christian and spiritualist ways of thinking had a profound influence on the practice of penal law – far removed from the growing positivist theories of “social defence”.
    • L'être humain comme « déchet social » ? L'irrécupérabilité dans la France des Trente Glorieuses - Axelle Brodiez-Dolino p. 55-72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Questionnant le thème de l'irrécupérabilité appliqué à l'être humain, en particulier dans la France des Trente Glorieuses, cet article s'attache plus particulièrement à recontextualiser son emploi en recourant à une étude de cas, le bidonville de Noisy-le-Grand (berceau de l'association ATD Quart Monde) à la fin des années 1950. L'analyse conduit à exhumer, corrélativement, l'emploi du champ sémantique du déchet ainsi que la question de l'eugénisme. Un second temps est consacré à la progressive disparition de ces notions au profit de tentatives, ici principalement associatives, de requalification de ces personnes.
      Examining the topic of “irrecoverability” as applied to human beings, particularly in post-war France, this article focuses more specifically on recontextualising the term's use through a case study - the Noisy-le-Grand slum (the cradle of the ATD Fourth World organisation) at the end of the 1950s. The analysis leads to the correlative discovery of the use of the semantic field of waste, as well as the issue of eugenics. A second stage covers the gradual disappearance of these notions in favour of attempts (in this case primarily by community organisations) to reclassify these people.
    • Éradiquer les bidonvilles en France : de la cabane à l'Algeco ? Enjeux des logements temporaires - Elise Roche p. 73-90 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Selon la loi française, les bidonvilles sont qualifiés de locaux « insalubres et irrécupérables ». La réapparition des bidonvilles depuis les années 2000 a conduit les pouvoirs publics à développer des réponses : l'éradication simple, le plus souvent, et parfois le relogement de leurs occupants, dans des dispositifs généralement temporaires. Le développement de ces structures, faites de bungalows ou de préfabriqués éphémères, ne laisse pas d'interroger : comment expliquer ce continuum, le choix de l'administration de reloger des habitants issus de locaux irrécupérables, dans des logements eux-mêmes destinés à la démolition ? Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur une enquête qualitative réalisée à Saint-Denis (93) sur le relogement des habitants du bidonville du Hanul dans le courant des années 2010. Nous analysons d'abord en quoi la notion d'irrécupérabilité peut s'appliquer non seulement aux bidonvilles, mais aussi aux locaux mis à disposition pour le relogement de leurs habitants. Nous montrons ensuite comment ce type de relogement peut paradoxalement contribuer à l'exclusion des populations relogées en les rendant également « irrécupérables » aux yeux de leur environnement.
      In French law, slums are described as “unhealthy” and “irreparable” areas. Since the 2000s, accommodation has been created to rehouse slum residents. Many solutions have been developed: slum clearance, in most cases, and sometimes rehousing in new accommodation. This housing has usually been short-term accommodation, such as cabins or temporary prefabricated buildings, which raises the question of how to explain the paradox of the governmental decision to rehouse the residents of irreparable slums in housing which is itself designed to be demolished. This analysis is based on a study conducted in Saint-Denis (Paris region, France) on the rehousing of the residents of the Hanul slum during the 2010s. We will analyse how the notion of irreparability applies to both slums and to the new housing offered to their inhabitants. Then, we will demonstrate how this way of dealing with slums simply further marginalises those rehoused in this way, by treating them as equally irreparable.
    • Réhabiliter les « éléments dangereux pour la société » ? La politique mémorielle à l'égard des internés administratifs en Suisse - Sandrine Maulini, Cristina Ferreira p. 91-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Légitimés au nom de la moralisation de la vie publique, les internements administratifs pratiqués en Suisse jusqu'en 1981 ont pris pour cible des populations dont les conduites, bien que non délictueuses, n'en sont pas moins identifiées comme préjudiciables pour la collectivité. À ce titre, certaines populations ont été durablement reléguées au motif de leur caractère incorrigible. Amorcée au début du XXIe siècle, une politique mémorielle entend réparer ce qui est désormais reconnu comme une injustice induite par des procédés arbitraires. La mise en perspective de ces deux moments historiques révèle que des aspects du passé doivent demeurer dans l'oubli pour qu'une condition victimaire puisse s'affirmer publiquement.
      In Switzerland, up until 1981, certain individuals whose behaviour, though not criminal, was considered detrimental to society were targeted for administrative – and sometimes permanent detention - if their behaviour was deemed incorrigible. The perceived improvement to the collective moral character was believed to grant the practice legitimacy. Since the turn of the twenty-first century, a politics of memory has sought to make reparation for what is now acknowledged as an injustice driven by arbitrary processes. By comparing and contrasting these two periods of history, we identify what has to remain forgotten if a status of victim is be publicly affirmed.
    • L'inaptitude au travail, dispositif de protection ou de relégation des salariés ? - Frédérique Barnier p. 109-125 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'inaptitude au travail concernerait aujourd'hui près d'un million de salariés en France, dont plusieurs dizaines de milliers sont chaque année déclarés totalement inaptes et finalement licenciés. Dispositif de protection de la santé des salariés, l'inaptitude conduit finalement à exclure les plus âgés ou abîmés, parfois à cause de la nature du travail exercé. Alors que les entreprises y sont contraintes par la loi, peu de salariés sont en effet reclassés en interne sur un autre poste, compatible avec leur état de santé. Grâce à l'analyse des parcours de vingt salariés jugés « inaptes », notre enquête vise à comprendre le processus qui conduit une partie d'entre eux vers le chômage et l'exclusion. En fait, le licenciement pour inaptitude vient toujours clore un parcours long et complexe, qui commence par une atteinte à la santé, et qui est ensuite ponctué d'arrêts maladie (longs ou fréquents), engendrant parfois isolement et conflits, mais aussi des retours plus ou moins réussis. Les aménagements et les restrictions apparaissent plus ou moins respectés selon les univers productifs et peuvent conduire ainsi malades et accidentés au licenciement et à une situation éprouvante de chômage et de recherche d'emploi.
      Today about one million French employees are unfit for work. Every year, a hundred thousand of these are deemed totally unfit for work and eventually dismissed. Although they have a legal obligation to do so few companies actually redeploy them to another post compatible with their state of health. Recognition of unfitness for work is a system for protecting workers' health, but it ultimately leads to the oldest or most infirm being excluded (sometimes due to the nature of the work they do). Tracking twenty employees deemed unfit for work, the survey seeks to explain the process which consigns some of them to unemployment and exclusion. Dismissal on the grounds of incapacity is always the culmination of a long and complicated process which starts with a health problem, and is then followed by long and frequent periods of sick leave, which can result in isolation and conflict, and also by attempts to return to work with variable degrees of success. The provisions and restrictions seem to be respected to different extents in different workplaces. All this culminates in the dismissal of sick or injured employees and leads to a stressful situation of unemployment and job-seeking.
    • Réfractaires et irrécupérables. Penser la résistance à l'incorporation sociale - Céline Hervet p. 127-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les écrits politiques de Thomas Hobbes apparaît une figure étonnante qui vient interroger les limites du corps politique et social en ce qu'elle contrevient à la loi naturelle de complaisance dont le but est d'assurer la viabilité des échanges et la stabilité du lien social : celle du réfractaire, inspiré de la parabole biblique de la pierre réfractaire devenant pierre angulaire. Au lieu de ce renversement, on lit chez Hobbes une prescription : le réfractaire est irrécupérable et doit être purement et simplement rejeté hors de la société. Mais ce rejet apparaît illusoire et le réfractaire est ce résidu de l'incorporation sociale avec lequel toute société doit en permanence composer et qui travaille constamment sa cohésion. Accompagnant les soubresauts du corps social et politique, le terme réfractaire est au XIXe siècle tantôt revendiqué par ceux qui refusent de s'accommoder d'un ordre social et économique jugé injuste et oppressif, tantôt utilisé pour disqualifier des incorrigibles, ennemis d'une société menacée de l'intérieur. Dans le contexte de paupérisation né de la seconde révolution industrielle, le réfractaire, loin d'être une exception, semble devenir une catégorie de plus en plus large, englobant tous ceux qui perdent plus qu'ils ne gagnent au jeu des échanges économiques. Exerçant un pouvoir de nuisance qui menace la cohésion de la société tout entière, les réfractaires rendent compte par là de la fragilité de l'édifice social, ce que Hegel décrit dans les Principes de la philosophie du droit. Les récits de Jules Vallès restituent ces figures insaisissables, faisant de cette résistance à la machine sociale une forme de vie à part entière. Mais au-delà de ces instanciations, le réfractaire en tant que propriété physique suppose dès son apparition dans le texte biblique une analogie entre une qualité matérielle et une conduite humaine, que le contexte hobbesien d'une nécessaire complaisance dans les échanges économiques entre les membres du corps social vient renforcer. Le réfractaire, matériau ou être humain, constitue un obstacle à ce métabolisme. Aussi l'analyse des matériaux dits réfractaires, inassimilables par le corps social, entravant la circulation des flux et des matières et menaçant la viabilité des sociétés et des individus eux-mêmes, permet de tester l'hypothèse d'une continuité entre le politique, le social et l'environnemental. L'exemple de l'amiante, sa nature, ses usages et ses conséquences sur les corps des malades et la solidarité du corps social, en est une illustration : le scandale suscité par l'exposition délibérée des travailleurs à la toxicité de cette fibre résistant à la combustion témoigne des limites opposées par les corps à la plasticité exigée par la logique du profit.
      In Thomas Hobbes' political writings we encounter a remarkable figure who tests the limits of the political and social system by contravening the natural law of compliance. This law ensures the viability of interaction and the stability of the social bond. This figure, a refractory rebel inspired by the biblical parable of the refractory stone which becomes a cornerstone, embodies the impossible unification of society. Whereas the Bible transcends the incapacity of the refractory stone to fit into the social edifice, Hobbes recommends that refractory rebels be considered beyond redemption and treated as outcasts from society. But this rejection seems unrealistic: every society must compromise with this remnant of social incorporation which constantly threatens its stability. Accompanying the upheavals of the social and political system, the word réfractaire was, in the nineteenth century, both claimed by those who refused to accept an unfair and oppressive social order, and also used to preclude those considered incorrigible, the enemies of a society under threat from within. In the context of the pauperisation which resulted from the second industrial revolution, the réfractaires, far from being an exception, seemed to become a larger category, including all those who lost out in commerce, which undermined the unity of society, as Hegel explains in his Elements of the Philosophy of Right. Jules Vallès'collection of portraits, Les Réfractaires, presents those elusive figures whose resistance to social incorporation was a way of life. Beyond these multiple instances, the physical property of a refractory body implies an analogy between a material quality and human conduct which constitutes an obstacle to metabolism. Refractory materials which cannot be assimilated impede movement and threaten the viability of societies and of the individuals themselves. They suggest the possibility of a continuity between political, social and environmental issues. Asbestos, its characteristics, and its effects on workers' bodies and on the solidarity and cohesion of the social fabric is a good illustration: the scandal caused by the deliberate exposure of workers to this toxic, combustion-resistant material attests to the resistance bodies can mount against the malleability required by the profit motive.
  • Archive

    • Double peine et exclusion en République - Dominique Kalifa p. 147-154 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article analyse la loi du 15 juillet 1889 (dite loi Freycinet) qui réorganise le recrutement militaire en France, introduisant notamment un principe de double peine pour les individus ayant subi des condamnations préalables à leur conscription. Il revient également sur la loi antérieure (1885) sur la relégation des multirécidivistes et souligne combien ces deux mesures tendent à organiser l'exclusion des « irrécupérables » en République.
      This essay examines the French law of 15 July 1889 (also known as the Loi Freycinet) which reorganised the military conscription system and introduced the principle of double punishment for all conscripts who had been convicted of an offence prior to their conscription. The article also revisits the previous law of 1885 on the transportation of recidivists, and argues that these two measures were responsible for the exclusion of “incorrigible/incurable” people during the French Third Republic.
  • Entretien

    • Des fripes, des restes et des champignons : de l'irrécupérable en toute chose et de quoi en faire dans un monde fini - Delphine Corteel, Sophie Houdart, Émilie Guitard, Baptiste Monsaingeon p. 157-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Peut-on analyser sur un même plan les dimensions matérielle et humaine de la mise hors du monde ? Le terme irrécupérable n'est-il pas en tant que tel investi d'une charge morale qui condamne irrémédiablement ce qu'il désigne, surtout lorsqu'il s'agit d'individus ? Quels problèmes épistémiques et éthiques apparaissent lorsque le même terme est utilisé pour désigner des choses comme des gens ? Cet entretien croisé entre Sophie Houdart et Delphine Corteel entend faire dialoguer les perspectives de terrain de deux chercheuses qui, l'une comme l'autre, placent au centre de leurs écrits le souci du détail ethnographique et qui consacrent une partie de leurs travaux à ces allers-retours signifiants entre humains et non-humains. Cet échange met en perspective des situations où des individus cherchent à faire face à la production continue de choses irréductibles et à faire avec elle en développant chaque jour de nouvelles techniques et de nouveaux dispositifs pour tenter soit de récupérer et de réhabiliter ce qu'on ne peut se résoudre à considérer comme perdu, soit de vivre au mieux avec l'irrécupérable dans un monde fini.
      Can we analyse the human and material dimensions of “removal from the world” on the same level? Isn't the term “irrecoverable” imbued with a moral tone which irremediably condemns what it describes, especially when that is human individuals? What epistemic and ethical issues emerge when the same term is used to describe things and people? This conversation between Sophie Houdart and Delphine Corteel enables the comparison of the on-the-ground perspectives of these two researchers, both of whom focus on ethnographic details and this important to-ing and fro-ing between humans and non-humans. This interview covers situations where individuals attempt to cope with the continuous production of intractable things, and try to deal with it by developing, on a daily basis, new techniques and new strategies to enable them to try either to salvage or restore what cannot be considered lost, or to live as well as possible with the irrecoverable in a finite world.
  • Témoignages

    • « Mendiants thésauriseurs », « Diogènes » ou « Pluchkines » : travailler auprès de personnes vivant dans l'incurie en France - Émilie Guitard, Igor Krtolica p. 181-203 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans ce dossier sont rassemblés des témoignages de professionnelles – infirmières, psychologue et sociologues de formation – travaillant au quotidien avec des personnes qui ont été diagnostiquées comme souffrant du « syndrome de Diogène ». Ce syndrome, qui fait encore l'objet d'une controverse nosographique et clinique, est parfois défini comme un trouble associant une tendance à l'accumulation d'objets dénués de valeur d'usage (syllogomanie), une forte négligence de l'hygiène physique et domestique, ainsi qu'un isolement social prononcé. Une continuité particulière semble ainsi s'établir entre ces personnes et les choses déchues dont elles s'entourent, contamination à la fois symbolique et sensible (par les odeurs qui se transmettent au corps, par les vêtements négligés, etc.), jusqu'à les rendre ensemble « immondes » et « irrécupérables » aux yeux de l'entourage et du voisinage. Les témoignages recueillis ici permettent ainsi de questionner la mise en place, dans les discours comme dans les pratiques, d'un continuum entre des choses et des individus placés hors du monde, perçus et gérés comme ne pouvant y être réintégrés, ou alors au prix d'efforts obstinés.
      Here are gathered a series of accounts coming from professionals – nurses, psychologists, sociologist, urbanist – working with people diagnosed as suffering from the “Diogenes Syndrome”. This syndrome, which comprehension is still controversial, is often defined as a trouble combining a tendency to compulsive hoarding (syllogomania), a great neglect of oneself and of one's habitation, and a pronounced social isolation. Between these persons and the fallen objects they gather and share their lives with, a type of continuity appears, symbolic as well as concrete (by the smells, the clothes, etc.), to such an extent that they both become “irrecoverable” in the eyes of their relatives and of their neighbourhood. Thus, these accounts are a way of questioning a hypothetical continuum, discursive as well as practical, between people and things placed out of the world, seen and handled as if they couldn't be reintegrated in it, or else at a very great cost.