Contenu du sommaire : Écrire autrement ?

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 269-270, octobre 2019-mars 2020
Titre du numéro Écrire autrement ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • 1960-2020 : soixante ans d'histoire sociale. À nos lecteurs - p. 3 accès libre
  • Les écritures alternatives : faire de l'histoire « hors les murs » ? - Axelle Brodiez-Dolino, Émilien Ruiz p. 5-45 accès libre
  • Incursions littéraires

    • Écrire l'histoire en images. Les historiens et la tentation de la bande dessinée - Sylvain Lesage p. 47-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quatre décennies après le succès éditorial de l'« Histoire de France en bandes dessinées », ce sont les historiens qui s'emparent aujourd'hui de la médiation visuelle de l'histoire par la bande dessinée. Ces initiatives s'inscrivent dans le temps long des mises en images de l'histoire, des planches didactiques de l'imagerie d'Épinal aux dispositifs de catéchèse visuelle en passant par les rubriques documentaires de la presse enfantine. Le regain de médiations visuelles de l'histoire est aussi à inscrire dans un contexte de recompositions du périmètre de la bande dessinée et de redéfinition des frontières entre fiction et non-fiction. Cet article explore les nouvelles formes d'écriture historique offertes par la narration visuelle, et les processus de médiation qui permettent de toucher de nouveaux lectorats.
      Four decades after the publishing success of “Histoire de France en bandes dessinées” (“History of France in Comics”), historians have now seized upon the idea of narrating history visually through comics. These initiatives fit into a longer-term trend of portraying history in pictures, from the didactic Épinal prints to visual Catechism materials and documentary sections of youth press publications. The revival of visual portrayals of history also fits into a trend of a changing scope for comic books and shifting boundaries between fiction and non-fiction. This paper explores new ways of historical writing made possible by visual narration, as well as the mediation processes that reach new audiences.
    • Mettre en scène l'enquête en sciences sociales : formes et enjeux de la valorisation artistique des travaux de recherche - Odile Macchi p. 67-83 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parmi les productions théâtrales déployant une écriture scénique des sciences sociales, certaines privilégient l'exposition du processus de recherche, en particulier au travers de la restitution de l'enquête de terrain. En s'appuyant sur la démarche de la compagnie Si et seulement Si, tout en la resituant dans un paysage plus large de spectacles issus de la collaboration entre artistes et chercheurs en sciences sociales autour de l'enquête, l'article décrit les traits spécifiques de cette écriture dramaturgique du social et la façon dont elle peut constituer un mode alternatif de présentation de la recherche. Cette démarche modifie tant le rapport du public aux travaux d'histoire et de sciences sociales que le rapport du chercheur qui y participe à son travail, propre à interroger et stimuler l'écriture scientifique.
      Among the theatrical productions that apply stage writing to the social sciences, some focus on the research process, especially by reconstructing a field study. This paper is based on the approach of the “Si et seulement Si” theatre troupe, while also situating it in a broader context of performances created jointly by artists and social scientists and related to field studies. It describes the specific features of this theatrical scripting of social science and how it can be an alternative way of presenting research findings that changes the audience's relationship to history and social science research, as well as the researcher's relationship to his/her work in a way that can challenge and stimulate scholarly writing.
    • « Là est son gibier ». Achoppements théoriques et pratiques d'un historien écrivain - Sylvain Pattieu p. 85-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Je fais retour sur la façon dont je suis devenu historien et romancier, en distinguant les pratiques et les finalités de ces deux activités. Mes romans s'inscrivent non pas dans la soumission de résultats à la communauté scientifique sur la base de procédures partagées, mais dans l'espace de la production de littérature française contemporaine. Ils participent d'un secteur éditorial et artistique bien précis, qui possède une certaine autonomie, a une histoire, n'est pas constitué par des règles aussi précisément définies que l'espace de l'histoire universitaire, connaît néanmoins une certaine organisation et hiérarchisation. Il s'agit donc d'un geste artistique, orienté, entre autres éléments, par ma profession historienne, sans s'y résumer, tout en s'inscrivant dans une économie et une histoire bien différentes de la discipline historique.
      In this paper, I look back on how I became an historian and a novelist, distinguishing between the practices and final goals of both activities. My novels do not entail presenting results to the scholarly community based on shared processes; instead, they belong to contemporary French literature. They are part of a very specific publishing and artistic sector that enjoys a degree of autonomy, has its own history, is not made up of rules as clearly defined as the history discipline in academia, but nevertheless has a certain organisation and hierarchy. My novel-writing activity is therefore an artistic effort that is guided by, but cannot be reduced to, my occupation as an historian, amongst other things. It also has an economic and historical context that is very different from that of the academic field of history.
  • Explorations audiovisuelles

    • Sous l'œil des Houillères. Retour sur une expérience documentaire - Marion Fontaine p. 101-116 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'intérêt et l'engagement des historiens dans les expériences d'écriture documentaire n'ont cessé de s'accroître ces dernières années. Cet article entend revenir sur l'une de ces expériences, à laquelle j'ai participé de manière étroite, et qui a abouti au documentaire intitulé Sous l'œil des Houillères (2017), dont je suis l'auteure avec le réalisateur Richard Berthollet. Il s'agit de traiter cette expérience comme un cas bon à penser, à la fois pour lui-même et pour les enjeux plus généraux qu'il soulève. On s'interroge en particulier sur les relations entre historiens d'une part et professionnels du documentaire (réalisateurs notamment) d'autre part, sur les différents paramètres du dialogue qui peut s'établir entre eux, comme sur les ressemblances qui se manifestent et les différences qui demeurent dans leur rapport au savoir et à l'objet historiques.
      Historians' interest and involvement in the writing of scripts for documentary filmmaking have grown constantly over the past few years. This paper endeavours to look back at one of these experiences that I was closely involved in, which led to the production of a documentary entitled Sous l'œil des Houillères (“Beneath the Eye of the Coal Mines”, 2017), for which I was the scriptwriter in collaboration with director Richard Berthollet. This paper endeavours to regard the documentary experience as a good case for thought, both in and of itself, and due to the more general issues it broaches. We will focus on the ties between historians and documentary filmmaking professionals (notably directors), on the various parameters of the dialogue that they can build together, as well as on the resemblances that arise and the differences that persist in their relationship to knowledge and the historical object.
    • Entendre l'histoire pour comprendre son élaboration : des bulles sonores à la webapp « passe-ici.fr » - Isabelle Backouche, Sarah Gensburger p. 117-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Isabelle Backouche et Sarah Gensburger décrivent leur expérience de valorisation des recherches scientifiques qu'elles produisent. Animées par le souci de faire partager au plus grand nombre ces connaissances, à des fins citoyennes et pour répondre aux injonctions de leurs institutions qui portent le message de l'utilité des sciences sociales, elles ont depuis près de cinq ans surmonté plusieurs écueils pour parvenir à imposer l'idée que les chercheurs et chercheuses doivent être moteurs dans cette entreprise, sans laisser la part belle aux professionnels du numérique. Elles sont parvenues ainsi à élaborer plusieurs balades sonores dans Paris, partant du principe qu'il faut ancrer une histoire sociale dans le territoire parisien, et à coconstruire une webapp qui peut offrir des chemins sonores au plus grand nombre grâce à l'usage du smartphone. Au-delà de ces enjeux sociaux, elles analysent également les défis épistémologiques soulevés par leur démarche de médiation, montrant que cette dernière n'est pas du tout éloignée des exigences du métier d'historien. Leur engagement dans la valorisation est aussi une manière de mettre en doute certaines dérives du monde de la recherche, notamment les humanités numériques, grand vertige techniciste qui emporte l'adhésion sans qu'aucun programme de recherche ne les accompagne.
      Isabelle Backouche and Sarah Gensburger describe their experience in disseminating and promoting the scholarship that they produce. They are driven by their desire to share this knowledge with the widest possible audience, both for civic purposes and to meet the demands of their institutions that emphasise the usefulness of social science scholarship. For the past five years, they have overcome several obstacles to lend credence to the idea that scholars should play a key role in this undertaking, without turning the reins over to digital professionals. They have produced several recorded walking tours in Paris, based on the principle that social history must be anchored in the Paris geography. They have also co-produced a web app that distributes these walking tour recordings to a broad audience via smartphone. Aside from the social stakes, these two scholars also analyse the epistemological stakes of their media-based approach, showing that it is in no way removed from the demands of the historian's craft. Their commitment to disseminating and promoting scholarship challenges certain prevailing trends in the research field, such as the “digital humanities”, a dizzying technician-centred approach that has gained popularity despite not being associated with any scholarly programme.
  • Expérimentations numériques

    • Le carnet de recherche. Un nouvel outil dans l'écriture d'une histoire du temps présent - Malika Rahal p. 133-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le présent article s'intéresse à la place de la rédaction d'un blog (ou carnet de recherche) dans le travail des historiens, en partant du carnet Textures du temps, consacré à l'histoire de l'Algérie contemporaine et présent sur la plateforme Hypothèses depuis 2012. L'article caractérise l'écriture historienne permise par le blog et la compare aux écritures plus traditionnelles. Il décrit les circulations de textes entre différents supports (du blog aux revues ou aux médias) ainsi que les liens, en amont et en aval de la mise en ligne, entre réseaux sociaux et blog. Cette écriture renouvelle les relations entre historiens et témoins et ouvre une diffusion de la recherche sous des formes et vers des publics différents, contribuant à une histoire du temps présent dont l'ambition est d'être désormais mondiale.
      This article analyses the experience of research-blogging by focusing on Textures of Time, a history blog hosted on the Hypothèses platform since 2012 and dealing with present-time Algeria. The article aims to characterise the style of writing developed on this blog to compare it with more traditional forms of history writing. It describes circulation of texts from one media format to the other, from blog to academic journal or to the press, as well as circulations of texts between blogs and social media (before or after online publication of blog posts). While blogging transforms relations between historians and witnesses, it also allows for broader circulations of scientific research reaching a different readership, thus supporting the ambition of a present-time history that aims at becoming global.
    • Écrire pour le (grand) public sans renoncer aux pairs : trois expériences de revues en ligne - Axelle Brodiez-Dolino, Émilien Ruiz, Nicolas Delalande, Emmanuel Bellanger, Charlotte Vorms, Sébastien Poublanc p. 149-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les revues en ligne et en libre accès connaissent depuis dix ans un réel dynamisme, qui se manifeste tant par la hausse du nombre de revues et d'articles consultés que par leur inventivité et leur attractivité – et ce, auprès des chercheurs comme du grand public. Pour mieux comprendre ce phénomène, qui implique une adaptation des écritures académiques, démultiplie l'audience potentielle des chercheurs et interroge les modèles économiques classiques de l'édition des revues scientifiques, trois publications pluridisciplinaires et en libre accès ont répondu à notre invitation : La Vie des idées, Métropolitiques et Mondes sociaux. Elles atteignent un lectorat sans commune mesure avec les tirages papier (par ailleurs en baisse) des revues classiques : plus de 450 000 visiteurs uniques par mois pour La Vie des idées et 20 000 à 30 000 pour Mondes sociaux ; 4 500 par jour en moyenne pour Métropolitiques.Quels sont leurs objectifs et leur modèle économique ? Quelle place y représente l'histoire, en particulier l'histoire sociale contemporaine ? Quel est leur lectorat – et celui-ci est-il en accord avec les visées initiales ? Quelles sont les clés d'un article à succès ? Est-ce valorisant pour un chercheur d'y publier ? Ont-elles recours à une écriture si différente des revues académiques classiques ? Comment élargir le public des sciences humaines et sociales tout en conservant ce qui fait leur spécificité en termes de démonstration, de rigueur et d'investigation empirique ? Autant de questions auxquelles cet entretien croisé vise à répondre.
      Free online journals have enjoyed considerable momentum over the past decade, as shown by the increased number of journals and papers viewed and by their inventiveness and their appeal—both to scholars and to the general public. To better understand this trend, which requires academic writing to be adapted, grows the potential audience for scholars and challenges the traditional business models for scholarly journals, three free multidisciplinary publications responded positively to our request for an interview: La Vie des idées, Métropolitiques and Mondes sociaux. These three journals reach an audience that is unparalleled for the print publications of traditional journals (whose circulation figures are declining): more than 450,000 unique visits per month for La Vie des idées, 20-30,000 for Mondes sociaux, and 4,500 a day on average for Métropolitiques.What are these journals' objectives and their business model? What place does history hold for them, especially contemporary social history? Who are their readers – and is their actual audience the one they initially targeted? What are the keys for a successful paper? Is it rewarding for a scholar to publish a paper in these journals? Do they use a writing style that is very different from traditional academic journals? How can the readership for the social and human sciences be expanded, while keeping their specific requirements in terms of proof, methodology and empirical enquiry? This joint interview endeavours to answer all these questions.
  • Innovations académiques ?

    • Les Français, la mémoire de la Grande Guerre et son centenaire - Antoine Prost p. 165-183 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Grande Guerre reste la plus grande épreuve subie par la France depuis la Révolution. L'ampleur de ses commémorations le confirme. Celles-ci s'inscrivent dans un temps plus long : depuis plus de vingt ans, la présence de cette guerre se renforçait dans la société et, grâce aux immenses ressources documentaires mises en ligne, des conversations se développaient sur le Web, débordant souvent l'histoire familiale. La commémoration a mobilisé sous des formes diverses de multiples acteurs ; les mémoires familiales et locales se sont exprimées comme les composantes d'une mémoire nationale et les manifestations officielles leur ont donné une place. Le recours à l'histoire a enrichi et consolidé ces mémoires, mais elles font de la guerre un moment exceptionnel de souffrance et de deuil dont on ne voit plus les raisons.
      The First World War, the “Great War”, is the greatest trial that France has had to face since the French Revolution. This is confirmed by the magnitude of World War I commemorations. These commemorations fit into a long-term perspective: for more than two decades, the war's presence has grown stronger in French society, thanks to immense documentary resources available online, with conversations developing on the web, often going beyond family history. Commemoration has involved multiple stakeholders in various ways; family and local memories have been expressed as components of a national memory, and official events have granted a role to such memories. References to history have enriched and bolstered these memories, but the latter make the war into an exceptional period of suffering and grieving that obscures the reasons behind the war.
    • L'histoire populaire : label éditorial ou nouvelle forme d'écriture du social ? - Émilien Ruiz p. 185-230 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      S'il fallut plus de deux décennies pour que l'ouvrage d'Howard Zinn, People's History of the United States (Harper Collins, 1980), fût traduit en français sous le titre Une histoire populaire des États-Unis (Agone, 2002), les années 2010 ont vu se multiplier les histoires dites « populaires ». Il s'agit, pour partie, de traductions de people's history of… qui offrent ainsi au lectorat francophone des histoires populaires de l'humanité, des sciences ou encore du sport. Mais depuis trois ou quatre ans, l'historiographie française s'est aussi enrichie de multiples « histoires populaires », qu'il s'agisse, par exemple, de Nantes, du football ou, bien entendu, de la France avec les parutions successives, en 2016 et 2018, des sommes de Michelle Zancarini-Fournel et Gérard Noiriel. Cette multiplication interroge : relève-t-elle d'une simple labellisation éditoriale ? Le succès commercial des travaux d'Howard Zinn et de ses déclinaisons (en BD, documentaires, versions abrégées, pour enfants, etc.) aurait ainsi conduit des éditeurs à tenter, sinon de reproduire le phénomène, de profiter de « la marque » que représente le titre. À moins que la lecture des ouvrages ainsi publiés nous conduise à observer l'émergence d'une nouvelle forme d'écriture du social ? Fruit de renouvellements historiographiques conduisant à renoncer à des formulations plus classiques, au premier rang desquelles « une histoire sociale de… ».
      While it took over two decades before Howard Zinn's People's History of the United States (Harper Collins, 1980) was translated into French as Une histoire populaire des États-Unis (Agone, 2002), the 2010s have seen an increased number of so-called “histoires populaires de…”. Some of these are translations of books entitled A People's History of… and published in English, offering French readers ‘people's histories' of humanity, of the sciences or of sport. However, over the past three to four years, French historiography has been enriched with many “people's histories”, e.g. of Nantes, football or of course France, with the successive publications by Michelle Zancarini-Fournel and Gérard Noiriel in 2016 and 2018. This rising trend raises questions: are “people's histories” just a trendy publishing category? The commercial success of Howard Zinn's book and its many variants (as comic books, documentaries, abridged versions or versions for children, etc.) may have prompted publishers to attempt to copy this phenomenon, or at least to take advantage of the title's “brand”. Or rather, might the reading of these books prompt us to identify the emergence of a new way of writing about society? That is, a product of renewed historiographic approaches whereby more classic formulations—such as “a social history of…”—are set aside.
  • Notes de lecture