Contenu du sommaire : Hirak, Algérie en révolution(s)
Revue | Mouvements |
---|---|
Numéro | no 102, été 2020 |
Titre du numéro | Hirak, Algérie en révolution(s) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Hirak, Algérie en révolution(s)
- Éditorial - Amin Allal, Youcef Chekkar, Lalia Chenoufi, François Gèze, Nacira Guénif, Farida Souiah p. 7-10
- Tahremni men houria (Tu me prives de liberté) - Saadia Gacem p. 11-21 « – Mais pourquoi veux-tu que les gens sortent ici ? Pour fêter quoi ? Tout le monde est déçu, profondément dégoûté, désespéré ici.– Brûlée par ce soleil d'été en hiver, je suis un groupe d'enfants qui tambourinent joyeusement sur des boîtes de conserve transformées en percussion, chantant houria, liberté… ».Saadia Gacem, militante féministe, nous fait vivre un an de Hirak à partir de ses observations des marches à Alger, où elle vit, et à Bordj Bou Arreridj, où elle est née et retourne régulièrement rendre visite à sa famille. Dans la juxtaposition des temps et des espaces, se dégage un récit juste et subtil des espoirs révolutionnaires et de leurs déclinaisons locales.
- Le Hirak algérien ou l'émergence d'une rhétorique de rupture : Le cas d'Oran - Karim Ouaras p. 22-34 Karim Ouaras retrace et trace la circulation des langages du Hirak qui lui ont conféré une visibilité et une sonorité reconnaissables entre toutes. Par la profusion des signes intercalés, le mélange des langues algériennes toutes retrouvées, la réhabilitation d'emblèmes longtemps disparus de l'espace public, comme celui de l'amazighité, l'inventivité et le bricolage des slogans par des activistes improvisé.es, et la jeunesse qui sans relâche les imagine et les crie, le mouvement trouve sa verve révolutionnaire, la partage et la transmet coûte que coûte.
- Rhétorique de l'ingérence et lutte pour la légitimité - Farida Souiah p. 35-42 Les manifestant·es affirment la singularité du Hirak et rejettent toutes les prises de position diplomatiques étrangères, y compris lorsqu'elles s'expriment en leur faveur. Dans un pays où la question de l'ingérence est sensible pour des raisons historiques, et sa rhétorique partagée aussi bien par le pouvoir que par ses opposant·es, ce rejet doit être analysé dans le contexte spécifique où il est énoncé ainsi qu'en miroir des discours des autorités visant à décourager ou à discréditer la contestation.
- Hirak, paroles et musiques : Petite histoire sélective des chants contestataires algériens de la colonisation à aujourd'hui - Hajer Ben Boubaker p. 43-52 Paroles et musiques scandent chaque journée de mobilisation du Hirak, voire l'ont annoncé avant même qu'il ne débute, et ponctuent depuis toutes les expressions qui en dérivent. Pour en donner à comprendre toute la réverbération, Hajer Ben Boubaker retrouve le temps long des chants contestataires algériens depuis la colonisation, durant son imposition violente, puis au fil de la lutte pour l'indépendance et depuis lors face à l'autoritarisme, en suivant ses voix dissonantes dans toutes les langues qui font ce pays. Fortes de sonorités musicales dont l'écho politique n'a rien de nouveau, elles traduisent une inventivité et une inspiration puissantes, venues de loin.
- Le Hirak : un cas d'école ? - Lydia Haddag Depuis un an, la population algérienne s'est levée contre la hogra (le mépris) comme mode de gouvernance d'une classe politique autoritaire et corrompue. Pacifique et déterminée, elle réclame le droit à la dignité, à la liberté et à la démocratie. La dimension morale de l'engagement politique se lit dans le répertoire des chants et des slogans qui, avec créativité et pertinence, scandent la mobilisation, s'adaptant de semaine en semaine aux réponses bornées du pouvoir.
- J'ai raté la révolution du 22 février - Abdallah Benadouda p. 53-56 L'absent a toujours tort. A fortiori s'il rate la révolution qui chante dans son pays, quitté pour le Nouveau Monde. Abdallah Benadouda tente, avec un brin de mauvaise foi, de faire mentir l'adage en livrant une ode à son pays et à son peuple et rétablit ainsi la voix de l'absent qui n'en croit pas ses yeux face au surgissement du monde nouveau.
- Hirak : l'an I ? - Belkacem Benzenine, Cherif Dris, Amin Allal, Farida Souiah p. 57-69 Dans cet entretien croisé, deux politistes algériens, Belkacem Benzenine et Chérif Dris, livrent leurs analyses du Hirak. Ils offrent de précieuses clés de lectures à celles et ceux qui souhaitent appréhender les séquences, les dates clés, les acteurs.trices du mouvement ainsi que les perspectives et défis qui se présentent.
- (Dés)engagements militants et pratiques de la contestation (2011-2019) - Layla Baamara p. 70-81 En suivant à huit ans d'intervalle Lina et Riad, Layla Baamara donne à voir et à entendre le parcours de jeunes militant.es algérien.nes, leur désenchantement passé et leurs questionnements au moment de rejoindre les cortèges du Hirak. Les différences entre hier et aujourd'hui et les apprentissages qu'il.elle ont façonné au fil du temps les conduisent à se joindre aux mobilisés ordinaires pour exprimer leur contestation. Leurs discours et leurs pratiques aident à prendre la mesure du caractère révolutionnaire du mouvement, vu et vécu à hauteur d'individu.
- Femmes et Hirak : pratiques de « desserrement » collectif et d'occupation citoyenne de l'espace public - Ghaliya Djelloul p. 82-90 « Ma place est dans le Hirak et pas dans la cuisine », adressent les femmes algériennes au pouvoir politique et plus largement à un ordre socio-culturel et patriarcal diffus, qui les enserre d'injonctions multiples : spatiales, familiales, éducatives, professionnelles, etc. En occupant les rues insurgées et en investissant le Hirak comme espace de lutte, les Algériennes ont desserré les logiques de domination masculine et accédé à une forme de visibilité politique nouvelle. Elles ont fait de la question de l'égalité homme-femme, acquise en droit mais déniée en pratique, un enjeu de la mobilisation citoyenne pour une nouvelle Algérie, libre et démocratique.
- Youcef Krache et Fethi Sahraoui, deux photographes algériens témoins et acteurs de la contestation - Atlal Brahimi p. 91-96 Les photographes algérien.nes ont connu une médiatisation sans précédent depuis le début du Hirak, qu'ils et elles ont couvert de l'intérieur, semaine après semaine, répondant entre autres aux sollicitations des médias étrangers. Leur travail de mise en image du présent révolutionnaire articule, à travers l'expression d'une subjectivité engagée, exigence artistique et urgence politique.
- Raviver la « Guerre de libération nationale » et la dépasser : l'Algérie attend le 1er novembre - Salah Badis p. 97-102 « Dépasser Novembre n'est pas une rupture telle que l'interpréteraient l'État et son histoire officielle. Dépasser Novembre implique d'assimiler ce legs révolutionnaire et de le reconnaître afin de tourner la page pour en écrire une nouvelle », écrit le journaliste et poète Salah Badis le 30 octobre 2019, dans un texte publié initialement en arabe dans le journal électronique Al Manassa. Le titre est sans concession : « Raviver la “Guerre de libération nationale” et la dépasser : l'Algérie attend le 1er novembre ». La 37e marche coïncide en effet avec la date hautement symbolique du 65e anniversaire du déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance. En se réappropriant l'histoire nationale et en ouvrant le champ des possibles, le Hirak non seulement en rappelle les fondements mais surtout les actualise, faisant de la révolution un processus d'avenir.
- Mise en perspective du Hirak. Retour sur le « Printemps berbère » d'avril 1980 - Ahmed Dahmani p. 103-113 Suite à l'interdiction d'une conférence de Mouloud Mammeri à l'université de Tizi Ouzou, le mouvement de contestation d'Avril 1980 a constitué une rupture inédite dans l'histoire de l'Algérie indépendante. Jaillissent pour la première fois le combat pour le pluralisme politique, la garantie des libertés démocratiques et la promotion de la diversité culturelle et linguistique. Se pose plus largement la question de la nation et de ses composantes. Quarante ans plus tard, les revendications du Hirak actualisent ces luttes, déjouant les clivages régionalistes, dans un élan transversal et partagé par l'ensemble de la population.
- Aux origines de la surprise des médias français dominants face à l'irruption du Hirak algérien - François Gèze p. 114-121 Les médias français dominants ont été largement pris de cours par l'irruption du Hirak, au point d'en proposer souvent des analyses largement décalées par rapport à la réalité. Pour tenter de comprendre ce décalage, cet article revient sur les circonstances des années 1990, quand la « sale guerre » qui a brisé la société algérienne s'est accompagnée en France de campagnes de désinformation systématiques. Et il explique comment l'ampleur inédite du mouvement a contribué en France à l'émergence progressive d'un regard nouveau, moins chargé d'idéologie, sur l'Algérie contemporaine.
- Consigner le Hirak : de l'expérience à l'archive - Lalia Chenoufi, Karima Dirèche p. 122-130 Prenant à bras le corps le déferlement d'images et de sons qui ont dès le premier jour accompagné, traduit, doublé le Hirak, les auteures entreprennent une méditation sur leur « goût de l'archive », ces archives-ci et leur nature singulière autant que révolutionnaire, en ce qu'elles sont aussi inattendues que le soulèvement lui-même. L'histoire de l'Algérie, tant ancienne que récente, a été trouée et confisquée par un pouvoir constant dans sa stratégie d'occultation. Il est alors décisif d'arrimer ces flux d'images concomitants aux événements aux différents régimes d'apparition, de visibilisation, de mise en récit, de conservation et d'analyse dont ils sont désormais justiciables, ce afin d'éclairer la question plus vaste du désir d'y trouver sa place.
- « Ça passe ou ça ne passe pas ? » : Dessiner malgré la censure - , Farida Souiah p. 131-138 Dans cet entretien, les paroles de deux dessinateurs, Slim et Nime – et par leurs biais de deux générations différentes – se croisent et se font écho. Ils reviennent sur leur rapport au dessin, les difficultés à en faire un métier ainsi que sur leurs expériences dans le contexte politique algérien actuel et passé où les lignes rouges sont floues et mouvantes ; il est difficile de prédire quand la censure va frapper. Slim est le créateur de certains des personnages emblématiques de la BD algérienne : Bouzid, Zina, le Gatt M'digouti (le chat dégoûté). Il a contribué à des aventures éditoriales qui ont marqué l'histoire du pays : la première revue dessinée algérienne M'Quidèch ou encore la revue dessinée satirique El Manchar. Il collabore aujourd'hui avec Le Soir d'Algérie, dans lequel il publie une planche hebdomadaire. Nime est quant à lui l'auteur de plusieurs dessins emblématiques du Hirak, notamment L'élu et Le regret de la juge pour lesquels il fut emprisonné. Il partage ses créations sur son blog, Dans ma bulle, et sur sa page Facebook.
- Soulèvement et création – Fièvres ou faire théâtre « avec du Hirak » - Mustapha Benfodil p. 139-145 Mustapha Benfodil est écrivain, poète, dramaturge et journaliste au quotidien algérien El Watan. Il est notamment l'auteur de la pièce Fièvres, écrite lors d'une résidence de création à La Chartreuse (Centre national des écritures du spectacle) à Villeneuve-Lès-Avignon, du 23 septembre au 4 octobre 2019, et dont les premières représentations ont eu lieu les 21 et 22 février 2020 au Kaaitheater, à Bruxelles, dans le cadre du festival Moussem Cities / Algiers. Il nous en présente ici quelques extraits.
- Quand l'armée algérienne occupe le devant de la scène politique : Retour sur des phases de transition depuis 1962 - Saphia Arezki p. 147-156 En Algérie, l'armée occupe les devants de la scène politique lors des temps de crise ou de transition politique : de l'été 1962 à la démission forcée d'Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, en passant par la désignation de Chadli Bendjedid (1978-1979) et l'interruption du processus électoral en janvier 1992. En retracer l'histoire permet de mieux appréhender ces moments, où la façade civile du régime politique algérien vient à tomber.
- L'économie politique du soulèvement algérien : quelles perspectives pour la transition économique ? - El Mouhoub Mouhoud p. 157-165 Cet article propose une analyse en termes d'économie politique du Hirak algérien. Les symptômes clés du régime de croissance sont d'abord rappelés : prépondérance des hydrocarbures, désindustrialisation accélérée, faible taux de participation de la force de travail, corruption et relations de connivence entre certaines entreprises et le pouvoir politique, vulnérabilité aux chocs externes… Une analyse des opinions algériennes révèle les signes avant-coureurs d'une rupture dès 2016 auxquels le clan au pouvoir est resté insensible. Enfin, les scénarios de transition économique ne peuvent échapper à une analyse des liens étroits qu'entretiennent transition politique et transition économique.
- Les mécanismes constitutionnels de l'autoritarisme algérien face au Hirak - Massensen Cherbi p. 166-176 La constitution algérienne est l'objet de fervents débats depuis le début du Hirak. Bien que la souveraineté du peuple y soit formellement proclamée, cette constitution demeure profondément autoritaire et confère des pouvoirs exorbitants au Président. Abdelaziz Bouteflika a pu se présenter à un cinquième mandat présidentiel puis proroger son propre mandat, sans qu'il soit possible de le destituer. C'est finalement l'armée qui l'a poussé à la démission, alors même que la Constitution ne lui confère aucun rôle politique.
Itinéraire
- Une poétique féministe de l'Algérie en lutte - Habiba Djahnine, Giulia Fabbiano, Nacira Guénif p. 177-192 Lorsqu'elle se résout à parler d'elle-même, Habiba Djahnine nous introduit dans un univers où prédominent les images qu'elle réalise sur « ce qui se passe, sur ce qui se joue dans les imaginaires, dans la vie, dans les événements ». Née en 1968, cinéaste, poétesse et formatrice, elle conjugue ces trois engagements qui peuvent sembler irréconciliables si on ne les voit pas comme trois écritures sœurs, car, dit-elle, « former les gens, ce n'est pas seulement apprendre à faire des films, mais apprendre à penser par l'image, à penser l'image produite aussi par les autres ». Et, affirme-t-elle, finissant de nous intriguer : « Je considère que l'Algérie est un pays extrêmement poétique et […] j'appréhenderais mal le monde sans écriture poétique, sans un rapport poétique au monde qu'on retrouve dans mes films, qu'on retrouve dans certains films de l'atelier que j'encadre, enfin dans le regard que je porte au monde. »
- Une poétique féministe de l'Algérie en lutte - Habiba Djahnine, Giulia Fabbiano, Nacira Guénif p. 177-192