Contenu du sommaire : Du salaire minimum au salaire décent : un débat renouvelé
Revue | La Revue de l'IRES |
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Numéro | no 100, 2020/1 |
Titre du numéro | Du salaire minimum au salaire décent : un débat renouvelé |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Pierre Concialdi, Frédéric Lerais p. 3-4
- Introduction - Pierre Concialdi, Frédéric Lerais p. 5-13
- Salaire minimum et emploi : histoire d'un débat - Michel Husson p. 15-42 Un salaire minimum trop élevé conduirait à des destructions d'emplois. Cet article propose une brève histoire de cette très ancienne assertion, et débouche sur deux constats. Le premier est l'opposition permanente entre l'invocation des lois incontournables de l'économie et les projets visant à l'amélioration du sort des salariés.Cette tension était présente dès la mise en place des premiers dispositifs au début du XXe siècle, et un débat similaire s'est développé aux États-Unis, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Le second constat est que ce débat a pris une tournure très technique en raison des développements de la science économique et du recours croissant à l'économétrie. Cependant les études empiriques les plus récentes conduisent à une remise en cause progressive du principe selon lequel une augmentation du salaire minimum conduirait mécaniquement à des pertes d'emploi.Too high a minimum wage leads to the destruction of jobs. This article offers a brief history of this age-old statement, and it makes two observations. The first concerns the perpetual conflict between those invoking certain incontrovertible rules of economics and those making plans to improve the lot of employees.This tension has been around since the implementation of the first schemes at the start of the twentieth century, and a similar debate developed in the United States, particularly after the Second World War. The second observation is that this debate has taken a very technical turn in light of developments in economics and an increasing reliance on econometrics. However, the latest empirical studies lead to a steady reconsideration of the principle that raising the minimum wage automatically causes jobs to be lost.
- Le salaire minimum européen frappe à la porte - Torsten Müller, Thorsten Schulten, Michel Husson p. 43-66 Le 14 janvier 2020, la Commission européenne a lancé une initiative visant à mettre en place des salaires minima décents en Europe. Prenant appui sur un examen du concept de « living wage », cet article analyse la manière dont les récentes initiatives nationales d'augmentations substantielles du salaire minimum dans plusieurs États membres de l'Union européenne et celle de la Commission pour mettre en place une politique de salaire minimum européen pourraient se renforcer mutuellement et déboucher, au final, sur des salaires minima décents en Europe, garantissant aux travailleurs un niveau de vie décent. Compte tenu des différences substantielles de régimes de salaire minimum et de traditions en matière de protection sociale entre les États, cet article adopte une approche pragmatique, et établit le seuil de pauvreté laborieuse à 60 % du revenu médian national pour une personne travaillant à temps plein, ce seuil permettant de définir des salaires minima décents en Europe.On January 14, 2020, the European Commission started its initiative to establish fair minimum wages in Europe. Based on a discussion of the living wage concept, this article analyzes how recent national initiatives for substantial minimum wage increases in various EU Member States and the Commission's initiative to develop a European minimum wage policy could mutually reinforce each other and eventually lead to fair minimum wages in Europe that enable workers to enjoy a decent living standard. In view of the significant differences in the minimum wage regimes and welfare state traditions, this article argues for a pragmatic approach of taking the “in-work-poverty-wage” threshold of 60% of the national full-time gross median wage as the reference for the assessment of the adequacy of minimum wages in Europe.
- Au Royaume-Uni, du National Minimum Wage au National Living Wage - Jacques Freyssinet p. 67-101 En 2015, le gouvernement conservateur crée un national living wage (salaire national « permettant de vivre ») avec l'objectif d'atteindre 60 % du salaire médian en 2020. En 2019, un autre gouvernement conservateur porte ce ratio aux deux tiers du salaire médian d'ici 2024. Comment expliquer ces choix alors que le parti conservateur avait combattu en 1998 la création par le gouvernement du New Labour d'un salaire minimum d'un niveau bien inférieur ?L'objectif de long terme est de briser le cercle vicieux « bas salaires – basses qualifications – faible productivité » dans lequel le Royaume-Uni s'est enfermé. L'objectif immédiat est de réaliser des économies sur les prestations sociales en transférant aux entreprises la responsabilité de rendre le travail payant.Si le recul est trop limité pour mesurer l'impact à moyen terme, un premier résultat émerge : la forte augmentation du salaire minimum n'a pas provoqué de choc négatif sur l'emploi, mais elle a eu peu d'impact sur le taux de pauvreté.In 2015, the Conservative government established a national living wage with the aim of bringing it up to 60% of the median wage in 2020. In 2019, a new Conservative government increased this ratio to two thirds of the median wage by 2024. How can these decisions be explained given that the Conservative party opposed the New Labour government's creation of a minimum wage at a much lower level in 1998?The long-term objective is to break the “low pay, low skill, low productivity” vicious circle in which the UK has become trapped. The immediate objective is to make savings on social welfare spending by transferring the responsibility to make work pay back to businesses.While it may be too soon to measure the medium-term effects, an early indication has emerged: the steep increase in minimum wage has not resulted in a negative impact on jobs, but it has had little effect on rates of poverty.
- La loi sur le salaire minimum en Allemagne : un bilan globalement positif, des enjeux d'application majeurs - Odile Chagny, Sabine Le Bayon p. 103-143 En Allemagne, le salaire minimum interprofessionnel légal n'a été introduit qu'en 2015. Il a marqué une étape majeure dans la reconnaissance de l'incapacité du système de négociation collective à garantir désormais à lui seul des conditions de travail décentes pour de nombreux salariés. Le constat pouvant en être tiré est globalement positif : le salaire minimum a contribué à limiter, du moins temporairement, les inégalités de salaires ; il a bénéficié à de nombreux salariés ; enfin, l'augmentation relative des prix d'un certain nombre de biens et services a été indolore, dans un contexte général d'inflation modérée. La question du contournement de la loi est en revanche loin d'être résolue. Si le salaire minimum n'a en tout état de cause pas eu d'effet significatif négatif sur l'emploi, il ne permet pas non plus à nombre de salariés de sortir de la pauvreté, du fait du trop faible nombre d'heures travaillées.The interprofessional legal minimum wage was not introduced in Germany until 2015. It marked a major step in recognizing the inability of the system of collective bargaining to continue to guarantee, on its own, decent working conditions for many employees. The outlook is broadly positive: the minimum wage has helped to limit wage inequality, temporarily at least; it has benefited many employees; and price rises of certain goods and services turned out to be innocuous, against a general backdrop of moderate inflation. The issue of circumvention of the law is, however, far from resolved. While the minimum wage has not in any event had a significant negative impact on jobs, it has failed to help a great many workers to get out of poverty, due to too few hours worked.
- Le salaire minimum en France : historique et débats - Pierre Concialdi p. 145-177 L'article retrace l'histoire du salaire minimum en France, depuis sa création en 1950. Une première partie met en perspective les modifications législatives et réglementaires qui ont accompagné cette histoire et identifie trois grandes périodes (1950-1967, 1968-1981, depuis 1982). Une deuxième partie met en évidence l'impasse où conduit la politique d'exonération des cotisations sociales sur les « bas salaires » en ce qui concerne le salaire minimum. On y souligne notamment les trous noirs des analyses développées par le groupe d'experts sur le Smic mis en place en 2009. Une troisième partie aborde les principaux débats autour du salaire minimum, en considérant successivement le point de vue de l'employeur et celui du salarié. On propose en conclusion une estimation du salaire minimum décent (living wage) qui s'appuie sur les budgets de référence publiés par l'Observatoire nationale de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes).This article traces the history of the minimum wage in France, beginning with its creation in 1950. The first part addresses the statutory and regulatory changes that have accompanied this history, identifying three broad periods (1950-1967, 1968-1981, and 1982 onwards). The second part highlights the dead-end policy of social contributions exemptions on “low wages” in relation to the minimum wage. In particular, it highlights the blind spots in the analyses produced by the group of SMIC (minimum wage) experts established in 2009. The third part addresses the main debates surrounding the minimum wage, considering first the employer's point of view and then that of the employee. The conclusion offers an estimate of a decent minimum wage (living wage) based on the reference budgets published by the National Observatory for Poverty and Social Exclusion (ONPES).