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Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 271, avril-juin 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Lectures de Pierre Laborie
- Pierre Laborie (1936-2017), hors des sentiers battus - Laurent Douzou p. 3-14
- Sauve-mémoire» et trouble-mémoire ou l'historien double en lui-même. Une lecture de Pierre Laborie - Cécile Vast p. 15-24 Mental-émotionnel collectif, très contemporain, penser-double, non-consentement : ces notions imaginées par Pierre Laborie tentent de rendre compte de la complexité sociale du réel et de traduire la singularité épistémologique de l'histoire des années 1939-1945. Elles parcourent une œuvre scientifique originale marquée par un va-et-vient constant entre l'analyse d'un objet ou d'un terrain bien circonscrit (le Lot dans les années 1930 et 1940, l'opinion et les comportements collectifs, la Résistance, les enjeux mémoriels) et la réflexion méthodologique sur l'écriture de l'histoire. Parmi celles-ci se distingue l'expression en forme d'oxymore sauve-mémoire et trouble-mémoire, que cet article propose d'explorer. Plutôt insolite, en apparence antinomique, elle renvoie à la déontologie du métier d'historien confronté à des usages du passé de plus en plus éloignés de la connaissance. Si trouble se réfère au savoir critique, sauve renferme une polysémie qui appelle quelques éclairages.Collective emotions, collective mindset, very contemporary, double-thought, non-consent: All these concepts developed by Pierre Laborie are an attempt to explain the social complexity of reality and to describe the epistemological singularity of the history of the period 1939-1945. These concepts are frequently referenced in Laborie's unique scholarly works that constantly shift back and forth between the analysis of a clearly defined object or area (the Lot département of south-west France in the 1930s and 1940s, the opinion and behaviour of groups, the Résistance, the stakes of memory) and a methodological reflection on how to write history. Among the concepts used, Laborie's oxymoron sauve-mémoire et trouble-mémoire (preserve or ‘save' memory, and disrupt or ‘forget' memory), which this paper explores in detail. This odd, apparently contradictory concept refers to the historian's ethical approach, faced with uses of the past that are increasingly far removed from direct knowledge. While trouble refers to critical knowledge, sauve has multiple meanings that help shed light on the concept.
- Lire les mots de Pierre Laborie… « parce qu'ils étaient eux-mêmes une histoire » - Olivier Loubes p. 25-36 Cet article donne à lire les mots de Pierre Laborie de deux façons. D'abord en analysant leurs fonctions essentielles dans l'écriture de l'histoire propre à Laborie. Puis en proposant une sélection de définitions de mots puisée aux textes mêmes de Pierre Laborie. Pour l'historien de l'imaginaire social, les mots sont cruciaux car son objet – les phénomènes d'opinion – est résistant aux lectures simples. Plus que d'autres, il nécessite « moins de parler des mots que de les faire parler ». Si on ajoute, au regard de son histoire personnelle, qu'ils aident à « faire reculer les ensevelissements de la mort », on comprend qu'ils jouent dans son œuvre un rôle crucial d'intercesseurs d'étrangeté (Carlo Ginzburg). C'est que, pour Pierre Laborie, les mots fonctionnent comme des écrans de temporalités, c'est-à-dire qu'ils nous permettent de restituer la concordance des temps de ce qui s'est passé dans les sociétés étudiées, futurs compris. En ce sens, ils sont « eux-mêmes une histoire ».This paper presents two ways of reading Pierre Laborie's words. Firstly, by analysing their essential functions in his specific way of writing history. Then, by proposing a selection of definitions of words drawn from Pierre Laborie's texts. For Laborie, as an historian of the social imagination, words are crucial because opinion phenomena—the focus of his scholarship—resist straightforward interpretation. More than other approaches, Laborie's approach must ‘make words speak, rather than speaking about words'. If we add that, in light of his personal history, words help to ‘postpone the burial by death', we understand that they play a crucial role in his œuvre as advocates for the unfamiliar (Carlo Ginzburg). This is because, for Pierre Laborie, words act as screens for temporalities, i.e., they allow us to restore the sequence of time in the events of the societies being studied, including the future tense as seen from the past. As such, words are ‘a story of their own'.
- Les mots des résistants. Essai lexicographique - François Marcot p. 37-50 Sous l'Occupation la presse clandestine se donne pour mission de « rendre l'identité des mots et des choses » (Combat, décembre 1942). Le corpus de 169 tracts et journaux clandestins diffusés en Franche-Comté entre 1940 et 1944, s'il emprunte aux grands organes nationaux, traite plus directement des relations entre la Résistance et la population. L'utilisation des techniques de la lexicologie permet ainsi de saisir comment varie le processus d'autodésignation : la Résistance pour les tracts et journaux des Mouvements (Combat, MUR, Libération-Nord, Lorraine, Défense de la France), la France pour ceux des communistes de la mouvance communiste (PCF, Front national, CGT, comités divers…), qui n'emploient presque jamais le terme de Résistance. De même pour la désignation de leurs lecteurs : la population dans son ensemble du côté des Mouvements, des catégories très particulières (femmes, jeunes ouvriers, paysans…) du côté des communistes. Les tracts clandestins des uns et des autres n'ont donc pas la même fonction : ceux des Mouvements informent, ceux des communistes veulent mobiliser. Leur analyse révèle des différences de cultures et de stratégies – proclamées ou masquées – qui évoluent avec le temps.During the Nazi Occupation of France, the underground press asserted its mission as ‘giving words and things back their identity' (Combat, December 1942). A corpus of 169 clandestine tracts and underground newspapers disseminated through Franche-Comté between 1940 and 1944, while borrowing from the major national press, focused more directly on the relations between the Résistance and the population. Lexicological techniques reveal the words each group used to identify itself: Résistance for tracts and newspapers of the non-communist Movements (Combat, MUR, Libération-Nord, Lorraine, Défense de la France), France for the publications of communist-linked movements (PCF, Front national, CGT, various committees, etc.), which almost never used the term Résistance. Similarly, in referring to their readers: the Movements addressed the population as a whole, whereas the Communists spoke to very specific categories (women, young workers, farmers, etc.). The underground tracts did not have the same purpose: those of the Movements aimed to inform the population, whereas those of the Communists want to mobilise it. An analysis of these publications reveals different cultures and strategies—either proclaimed or concealed—that changed over time.
- Pierre Laborie : le cinéma ou le souffle de l'histoire - Natacha Laurent p. 51-59 Si le cinéma ne constitua pas l'objet principal des recherches de Pierre Laborie, il n'en occupa pas moins une place importante et originale dans son travail, son parcours, sa pratique et sa conception de l'histoire. Au-delà de l'intérêt qu'il ne cessa de porter à l'œuvre de Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié, il choisit très tôt d'intégrer des films dans son univers de chercheur, et à une époque où cette démarche n'avait rien d'évident. Mû par la volonté d'explorer la complexité du social, il trouva ainsi dans le cinéma un exceptionnel réservoir où pouvaient se condenser les représentations. Passionné par le processus de fabrication des images animées, il exerça le rôle de conseiller historique à plusieurs reprises, ce qui le conduisit à réfléchir au décalage entre histoire et écriture cinématographique. Le cinéma devint ainsi son allié pour revenir, inlassablement, aux enjeux posés par l'écriture de l'histoire.While cinema was not the main topic of Pierre Laborie's research, it nevertheless held an important and unique place in his scholarship, his career and his conception of history. Apart from his long-standing interest in Marcel Ophuls' Le chagrin et la pitié (‘The Sorrow and the Pity'), he chose very early on to include films in his research universe, during a period when this approach was very unusual. Motivated by his desire to explore social complexity, he thus found cinema to contain an outstanding reservoir of concentrated representations. Fascinated by the process of producing animated pictures, he was a historical advisor for several productions, and this role prompted him to think about the gap between history and cinematic writing. Thus, cinema became his ally in his tireless endeavour to refocus on the stakes of writing history.
- « Lacombe Lucien. Un salaud dans l'histoire » - Pierre Laborie p. 61-63
Manager l'environnement (1972-1992)
- Gouverner le désir de rivage. La fondation du Conservatoire du littoral, 1972-1978 - Renaud Bécot, Giacomo Parrinello p. 65-82 Alors que le Conservatoire du littoral est une organisation emblématique de l'action publique environnementale, sa fondation fut initiée par les acteurs qui étaient à l'origine de l'expansion du tourisme de masse pendant les Trente Glorieuses. Au début des années 1970, les milieux de l'aménagement du territoire et de l'économie des loisirs estiment que la colonisation des rivages érode leur attractivité. Dès lors, le Conservatoire du littoral devient un dispositif de correction des impensés écologiques d'une pression anthropique croissante, en articulant les démarches de protection et de valorisation des littoraux. L'écologisation graduelle de l'organisation se produit dans le travail des agents qui entreprennent une requalification environnementale de dispositifs qui avaient été forgés à des fins d'aménagement du territoire. En s'appuyant sur des archives inédites, cet article retrace la création de cette institution de sa première conception en 1972 à sa consolidation en 1978.While the Conservatoire du Littoral, whose aim is conservation of the French shoreline, is an emblematic organisation of the ‘environmental turn' of public policies in the 1970s, behind its creation are the stakeholders who promoted the expansion of mass tourism during the ‘Trente Glorieuses' in France. In the early 1970s, regional planners and tourism and leisure business leaders assumed that heavy development of the shoreline eroded its attractiveness. The Conservatoire du Littoral became a way to correct the ecological consequences of increasing anthropic pressure, by combining environmental protection and economic promotion of coastal areas. The gradual ‘greening' of the organisation was undertaken by civil servants who incorporated environmental concerns into public policies that had been forged for territorial planning purposes. Based on unpublished archives, this paper retraces the trajectory of this organisation from its conception in 1972 to its consolidation in 1978.
- Les entreprises globales face à l'environnement, 1988-1992. Engagements volontaires, management vert et labels - Dominique Pestre p. 83-104 L'attitude de la plupart des entreprises globales vis-à-vis des questions environnementales change vers 1990. L'article défend l'idée qu'il y a là deux nouveautés. À travers leurs organisations, comme la Chambre de commerce internationale, les entreprises globales se positionnent au centre du jeu environnemental. Mais il s'agit aussi de refuser les modes de management mis en place par les États et de promouvoir l'autonomie de partenaires s'engageant librement sur des contrats. L'article détaille d'abord comment les entreprises ont organisé ce mouvement. Il regarde ensuite comment le management et les audits devinrent environnementalistes, et comment les labels devinrent privés. Il se clôt sur les nouvelles formes d'hégémonie que représentent ces propositions, et sur les formes alternatives apparues en parallèle, notamment aux États-Unis, et qui reposent sur la négation du changement climatique.The attitude of most global business towards environmental issues changed around 1990. The article argues that these changes were new in two ways. Global corporations, through business organisations such as the International Chamber of Commerce, chose to position themselves at the heart of environmental defence. But they also sought to reject government-led forms of management and to promote the autonomy of partners engaging freely in contracts. This paper first details the way business organisations strategically organised this shift. It then considers how environmental management, environmental audits and environmental marketing took shape. It closes with reflections on the form of hegemony this solution represents, and the alternative forms that appeared in parallel, notably in the United States, through the denial of climate change.
- Gouverner le désir de rivage. La fondation du Conservatoire du littoral, 1972-1978 - Renaud Bécot, Giacomo Parrinello p. 65-82
Mobilisations lycéennes
- « Nous ne sommes pas en vacances, nous voulons réformer l'enseignement » : 68 à hauteur d'élèves - Elsa Neuville p. 105-121 Les mobilisations des élèves de l'enseignement secondaire en mai et juin 1968 sont principalement connues pour Paris. Cet article les envisage du point de vue des élèves de l'académie de Lyon, en prenant en compte autant que possible tous les types d'enseignement (technique long ou court, général, mixte ou non). Les archives utilisées permettent de proposer un tableau de leur participation aux mobilisations en termes de progression chronologique, de nombre d'établissements touchés et de modalités de mobilisations. Une plongée dans le quotidien de ces deux mois est ensuite esquissée – cette approche au ras du sol permettant de mesurer ce que se mobiliser a pu signifier pour des élèves qui connaissent un encadrement social fort. Enfin, envisager de leur point de vue l'après-mai permet de percevoir pourquoi certains élèves en ressortent avec le sentiment de victoire, alors que les conséquences de ces deux mois sont souvent présentées comme mineures pour l'enseignement secondaire.The best-known secondary student movements in May and June 1968 are those that took place in Paris. This paper focuses on these movements from the perspective of high school students in Lyon, encompassing the broadest possible scope of schooling (long-cycle or short-cycle vocational training, general secondary schools, and single-sex or coed schools). The archives enable us to present a panorama of these students' participation in movements, in terms of the timeline, the number of schools affected and the kinds of events. Then, we focus on the daily events over these two months. This close-up perspective lets us assess what ‘mobilisation' or ‘activism' meant for students who were under strict social supervision. Lastly, by looking at the post-May world through their eyes, we can see why certain students felt that they had won a victory, even though this two-month period is often seen as having had a minor impact on secondary education.
- « Nous ne sommes pas en vacances, nous voulons réformer l'enseignement » : 68 à hauteur d'élèves - Elsa Neuville p. 105-121
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 123-166