Contenu du sommaire : Épistolaire politique IV : lettres et réseaux

L'étude des lieux et des réseaux de pouvoir au très haut Moyen Âge a beaucoup à gagner d'une confrontation entre les éléments présents dans les corpus épistolaires et les données des fouilles. La localisation des sites élitaires, leur structure interne et leur capacité à organiser l'espace environnant fait en effet l'objet d'un discours comparable. Protection, production et culture de l'otium se perpétuent dans le cadre d'une rhétorique semblable, que l'on considère les vestiges architecturaux ou les pièces contenues dans les collections gauloises des ve et vie siècles, et notamment dans la riche correspondance de Sidoine Apollinaire. Même si la comparaison ne saurait être menée de façon trop systématique, cette double documentation témoigne des modes de vie spécifiques aux élites sociales et indique une forte valorisation des espaces de domination ; dans les deux cas, elle offre des éclairages sur les centres autour desquels s'articulent les réseaux de pouvoir.

La recherche portant sur les lettres médiévales a eu tendance à concentrer son attention sur les correspondances. Cela est particulièrement vrai pour le haut Moyen Âge, qui a laissé plusieurs collections composées par les épistoliers ou par leur entourage. À l'inverse, très peu d'institutions ont transmis leurs archives, ou même des traces de leurs archives, sauf quelques formulaires. Il est donc naturel que l'histoire se soit tournée vers les sources les plus riches et les plus accessibles. Cet article se propose d'inverser cette orientation et d'écarter tous les ensembles de ce type. Il développe une expérience de composition d'un corpus original pour la première moitié du ixe siècle, dans l'intention de révéler ce qui se cache derrière Éginhard, Agobard et Loup de Ferrières. De fait, le tableau des échanges épistolaires change d'allure lorsque les personnages d'avant-plan se retirent. En particulier, Raban Maur y retrouve la place centrale.

Lors de la préparation de l'édition de son corpus épistolaire, Gerbert d'Aurillac retrancha 28 lettres compromettantes de son corpus initial. Ces lettres, principalement rédigées entre 984 et 987, lors des crises de succession aux trônes de l'Empire germanique et de Francie occidentale, témoignent du « triple jeu » de Gerbert et d'Adalbéron de Reims dans la lutte pour le pouvoir alors engagée entre les Ottoniens, les Carolingiens et les Capétiens. Mais, plus encore, ces lettres confidentielles constituent le canevas d'un réseau épistolaire impliqué dans les intrigues politiques de cette époque charnière dans la redéfinition des équilibres dynastiques continentaux. De par son contenu et les liens qu'il crée entre Gerbert et ses correspondants, ce corpus épistolaire constitue un témoignage unique sur les origines, la composition, l'organisation, la structure, la configuration et les stratégies d'un réseau épistolaire au cœur d'une crise politique. Surtout, son étude permet de saisir les bouleversements (désistements, ralliements, définition d'une nouvelle stratégie, …) qui l'impactent au gré des soubresauts de la crise. Enfin, l'étude est l'occasion de faire le point sur le devenir de ce réseau épistolaire après l'avènement d'une nouvelle dynastie.

Les recueils épistolaires d'importants religieux d'Europe occidentale du xiie siècle contiennent souvent des missives qui demandent au destinataire d'accueillir quelqu'un dans son entourage ou de pourvoir à ses besoins. La première partie de l'article analyse la structure typique de ces « lettres de recommandation », ce qui permet de présenter les éléments récurrents et les stratégies rhétoriques de ce sous-genre littéraire dans les lettres latines du xiie siècle. Des considérations sur l'analyse comparée des lettres de recommandation sont proposées dans la deuxième partie de l'article. Une comparaison basée sur la typologie des bénéficiaires s'y révèle particulièrement prometteuse. L'analyse de quelques exemples permet d'observer que, pour l'élite religieuse du xiie siècle, les lettres de recommandation étaient un instrument flexible et polyvalent pour construire, consolider et entretenir un réseau de relations.

Inspirée par les études sur la réception de la réforme pontificale dans les zones périphériques de la chrétienté romaine, cette contribution s'interroge sur les moyens dont disposaient les papes pour asséner le discours réformateur dans l'Italie méridionale tout juste conquise par les « Normands », et en particulier en Pouille et en Calabre, des zones où le souverain avait une autorité directe. On met en lumière l'intérêt des papes pour ces régions, mais aussi les difficultés d'y accéder, du moins dans de longues périodes des xie et xiie siècles, en raison du statut ecclésiastique du comte, puis du roi « normand ». La question des stratégies épistolaires est donc évaluée comme moyen supplétif de l'action pontificale. Elles apparaissent dès que le pape en a la possibilité, mais ne paraissent pas refléter de réseaux constitués et établis sur le long terme, non en raison d'une quelconque hostilité à l'égard de la réforme, mais probablement parce que les discours pontificaux n'avaient guère d'objet.

Les importantes lacunes de la série des registres de lettres apostoliques des XIIIe et XIVe siècles amène à s'interroger sur l'effectivité d'une mise en réseau, d'un networking, de l'espace chrétien par l'épistolographie pontificale. À cet effet, on examine les logiques de production et d'enregistrement des lettres. On questionne la représentativité des régions de l'Europe dans ces volumes, ainsi que les voies de subdélégation de la décision. On cherche enfin à comprendre comment fonctionne concrètement l'expédition des missives pontificales, en bouquets, mêlant réponses aux demandes royales, ordres, sollicitations et faveurs.

Une soixantaine de courriers et minutes, vestiges de l'activité professionnelle et personnelle d'un procureur municipal de Dijon (xve siècle), ont échu aux archives de la ville. Une première série d'échanges, avec ses interlocuteurs du Parlement de Paris, a trait au suivi des affaires en cours et accompagne la circulation des pièces juridiques et le versement de gages, mais laisse aussi transparaître des développements intimes et la circulation de cadeaux. D'autres envois adressés à la mairie lors de ses déplacements à Paris ou à la cour permettent de saisir habitudes de travail et mobilisation de réseaux d'intermédiation. Un exil temporaire, lié à un épisode de peste, ainsi que sa relation à son fils ouvrent la porte de son hôtel et de la vie familiale. Les derniers moments du procureur vieilli sont eux aussi entourés de tractations épistolaires entre la ville et le pouvoir ducal, qui tente d'imposer un successeur de son choix.