Contenu du sommaire : Prix du jeune auteur 2019

Revue Sociologie du travail Mir@bel
Numéro vol. 62, no 3, juillet-septembre 2020
Titre du numéro Prix du jeune auteur 2019
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Prix du jeune auteur

    • Éditorial - La rédaction accès libre
    • Des biens industriels publics. Genèse de l'insertion des logiciels libres dans la Silicon Valley - Gabriel Alcaras accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse l'insertion des logiciels libres dans l'industrie informatique, en retraçant la genèse d'un logiciel nommé CVS au sein des pratiques de travail et de marchandisation de la Silicon Valley dans les années 1980 et 1990. En mobilisant le concept de bien industriel public, nous montrons que la création de ce logiciel avait pour but d'affranchir les ingénieurs de certaines injonctions de l'informatique marchande qui pesaient sur leurs outils de travail. L'autonomie conquise n'est toutefois que relative, puisqu'elle est conçue comme une condition nécessaire à l'amélioration de la production logicielle, y compris marchande. L'article montre par ailleurs que, même dans les années 1990, les logiciels libres n'étaient pas qu'affaire de bénévoles, puisque la majorité des contributions à CVS étaient rémunérées ou s'effectuaient dans le cadre d'un emploi à temps plein. C'est d'ailleurs contre cette image de bénévolat et de gratuité, figure repoussoir pour les cadres de la Silicon Valley, que se sont élevés des ingénieurs-entrepreneurs. Ils ont cherché à montrer que la production de ces biens industriels publics avait une valeur pour l'informatique marchande en leur attribuant un prix, engageant un effort de traduction pour chiffrer un travail gratuit et mesurer l'impact de biens publics sur une industrie.
      This paper examines how free software is inserted in the digital industry, tracing the genesis of a program called CVS within the context of work and commodification practices in Silicon Valley during the 1980s and 1990s. Using the concept of industrial public goods, the paper demonstrates that the purpose of free software was to free engineers from the constraints brought about by the commodification of their tools. Yet the autonomy they gained was somewhat relative, since it was intended as a prerequisite to improving software production as a whole, including commercial and proprietary software. The paper also shows that even in the 1990s, free software was not just a question of volunteer work, since most of the contributions to CVS were made by engineers who made their living by working full time on free software. Indeed, many engineers and entrepreneurs fought against this image of volunteering and working for free, which was detrimental to its adoption by Silicon Valley executives. To convince managers that the production of industrial public goods was in fact beneficial to the software industry at large, they tried to give it a price, engaging in an effort of translation to measure the value of their free work and its impact on the industry.
    • Les élus. Les enjeux de la poursuite des études supérieures chez les Matsigenka (Amazonie péruvienne) - Raphaël Colliaux accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article repose sur une enquête ethnographique menée auprès des Matsigenka, une population amérindienne du sud-est de l'Amazonie péruvienne. On s'intéresse à la question de la poursuite des études au niveau de l'enseignement supérieur, un projet qui, pour les membres de cette ethnie, implique généralement des déplacements vers les grandes villes du pays. L'enquête montre que l'intérêt pour la professionnalisation de la jeune génération laisse apparaître, en miroir, la crainte de voir le groupe s'affaiblir face à la désertion des étudiants matsigenka, séduits par les tentations de la vie urbaine. Un tel dilemme justifie alors une reprise en main de la poursuite des études par ces collectifs amérindiens. Aussi, dès lors qu'ils sont mandatés — et parfois financés — par leur communauté d'origine, divers procédés visent à encadrer étroitement ces étudiants, de manière à garantir in fine leur retour et la redistribution des savoirs acquis. L'article explore ainsi le quotidien des jeunes Matsigenka établis en ville, les liens qu'ils créent avec les étudiants de même origine et ceux qu'ils entretiennent avec leurs proches restés en forêt. On verra que, loin de se réduire à un simple processus d'acculturation, ces séjours d'études reposent sur de fortes obligations et un devoir de reconnaissance envers le groupe d'appartenance.
      This article is based on an ethnographic survey of the Matsigenka, an Amerindian population in the southeastern Peruvian Amazon. We examine the issue of further education at the higher education level, a project that, for members of this ethnic group, usually involves travel to the country's major cities. The survey shows that interest in the professionalization of the younger generation mirrors a fear of seeing the group become weaker when faced with the desertion of Matsigenka students seduced by the attractions of urban life. Such a dilemma gives these Amerindian communities a justification for resuming control of further education. Moreover, since they are mandated — and sometimes funded — by their community of origin, various processes exist to provide these students with a strict framework, so as to ultimately ensure their return and the redistribution of acquired knowledge. The article explores the daily lives of young Matsigenka living in the city, the links they create with students of the same origin and those they maintain with their relatives in the forest. It will be seen that, far from being reduced to a simple process of acculturation, these study stays are based on strong obligations and a duty of recognition towards the group of belonging.
    • Faire groupe entre la poire et le fromage. Informalité et autonomie dans le travail des auteurs et autrices de bande dessinée - Pierre Nocérino accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Bien que né à la fin du XIXe siècle, le métier d'auteur de BD reste largement méconnu, que ce soit des lecteurs, des administrations, des chercheurs ou des auteurs eux-mêmes. Cette appellation recoupe des situations variées en termes de manières de travailler, de contenus produits et de statuts administratifs. Surtout, il s'agit d'un métier où l'informel occupe une place prépondérante. En se centrant principalement sur l'analyse d'une séquence issue d'une enquête ethnographique de longue durée, cet article vise à mesurer l'effet de cette informalité sur la constitution d'un groupe professionnel spécifique. Pour cela, on tente de repérer comment une pluralité de règles structure l'activité des auteurs et autrices de BD. Ces règles permettent effectivement de comprendre comment se définissent des styles professionnels spécifiques. Plus encore, cette compréhension de la manière dont ces règles et styles sont discutés conduit à expliquer les fondements pratiques de l'autonomie professionnelle. L'analyse montre finalement que l'informalité inhérente à ce métier s'apparente tant à une ressource qu'à un frein à l'autonomisation des auteurs et autrices de BD, mais aussi à la constitution de leur groupe professionnel.
      Although comic books have existed for over a century, the work of their creators remains largely unknown to readers, administrations, researchers and even to authors themselves. This occupation covers a variety of situations in terms of working methods, product content or administrative status. Above all, a large portion of this work is informal. By focusing on the analysis of a sequence extracted from a lengthy ethnographic survey, this article aims to measure the impact of this informality on the constitution of a specific professional group. For this purpose, we identify how a plurality of rules structures the activity of comic book authors. Indeed, these rules allow us to understand how specific professional styles are defined. Moreover, understanding how these rules and styles are discussed helps to explain the practical bases of professional autonomy. Finally, the analysis shows that the informality inherent to this occupation is both a resource and a barrier to the autonomisation of comic book authors, as well as to the formation of the professional group.
  • Varia

    • Les avocat·es en droit de la famille face à leur clientèle. Variations sociales dans la normalisation de la vie privée - Céline Bessière, Muriel Mille, Gabrielle Schütz accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans leur ouvrage de référence paru en 1995, Divorce Lawyers and Their Clients, Austin Sarat et William Felstiner ont mis l'accent sur le travail de normalisation juridique réalisé par les avocats en droit de la famille sur la vie privée de leur clientèle. Cet article enrichit cette analyse aveugle au genre et à la classe, à partir d'une enquête collective menée dans une cinquantaine de cabinets de conseil en droit de la famille, dans la région parisienne et l'ouest de la France, entre 2013 et 2016. En fonction de leurs propriétés sociales, les clientes et clients n'ont pas affaire aux mêmes cabinets, ni aux mêmes avocates et avocats, et y reçoivent un conseil plus ou moins approfondi et personnalisé, différencié selon les problèmes juridiques rencontrés. La normalisation juridique est le résultat d'une coproduction entre ces professions libérales du droit et leur clientèle, qui dépend de la confiance qui s'établit entre elles, mais aussi de la capacité de négociation ou de résistance de la clientèle face à son conseil. Dans ce processus, les avocates et avocats sont confrontés à un entrelacs de questions juridiques et morales. Nous montrons ainsi que la normalisation juridique s'accompagne souvent d'une normalisation morale et qu'elle prend des formes très différentes selon la proximité ou la distance sociale entre les avocat·es et leurs client·es. Cette proximité ou distance sociale est appréhendée principalement à l'intersection de rapports sociaux de classe, de genre et d'âge.
      In Divorce Lawyers and Their Clients, a book published in 1995, Austin Sarat and William Felstiner examine how a lawyer and a client discuss what aspects of the client's experience are to be the subject of legal inquiry. They put emphasis on how the law normalises clients' private lives. This article furthers this analysis using research conducted in the offices of fifty family law firms in the Paris region and western France between 2013 and 2016. Depending on their social situation, clients receive legal advice that is more or less detailed and personalised, and which varies according to the legal issues with which the clients are confronted. Legal normalization is the result of a co-production between lawyers and clients. It depends on the level of trust that the clients place in their lawyers, and on their capacity to negotiate or resist their lawyers' strategy. During these processes, lawyers are confronted with a mesh of legal and moral issues. In this article, we show that the legal normalisation of clients' private lives is often also a moral normalisation. It varies according to the social proximity or distance between lawyers and their clients. This proximity/distance is grasped at the intersection of class, gender and age.
  • Comptes rendus