Contenu du sommaire : Autoritarisme et Répertoires répressifs

Revue Pôle Sud Mir@bel
Numéro no 53, 2020/2
Titre du numéro Autoritarisme et Répertoires répressifs
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Souvenirs d'un septuagénaire : (Ou plutôt d'un professeur de science politique senior !) - Maurizio Cotta, Christophe Roux p. 5-19 accès libre
  • Thema

    • Introduction : les répertoires d'action répressifs en régime autoritaire - Paul Cormier, Isil Erdinç p. 21-35 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le but de ce dossier est de croiser deux domaines de recherche en plein renouvellement : d'un côté, l'analyse de la répression politique et de ses acteurs et, de l'autre, la sociologie des régimes autoritaires. Malgré l'abondance de la littérature sur les régimes politiques, le maintien de l'ordre et les mobilisations en contexte autoritaire, le croisement de ces objets de recherche reste négligé. Il s'agit donc de conduire une sociologie au plus près d'un pan entier des pratiques des régimes autoritaires. Après avoir dressé un état de l'art de la littérature sur ces deux questions en esquissant des pistes de croisement, cette introduction propose de prendre appui sur la notion de « répertoire d'action » forgée par Charles Tilly et de la déplacer des protestataires vers les autorités pour analyser les répertoires d'action répressifs en régime autoritaire. Cette notion est en effet à même de rassembler et de donner un cadre commun à l'étude des dispositifs répressifs dans les différents contextes qui constituent les cas d'étude de ce dossier.
      The aim of this issue is to cross two fields of research in full renewal: the analysis of political repression and its actors on the one hand, the sociology of authoritarian regimes on the other. Despite the rich literature on authoritarian regimes, maintaining order in different countries, and mobilizations in authoritarian contexts, the intersection of these areas of research remains neglected. It is therefore a question of conducting a sociology as close as possible to a whole range of practices of authoritarian regimes. After having drawn up a state of the art of the literature on repression and authoritarian regimes by sketching out paths of crossover, this introduction proposes to take the notion of the “action repertoire” popularized by Charles Tilly and to move it from protesters to the authorities in order to analyze the repertoires of repressive action in authoritarian regimes. This notion is indeed able to bring together and give a common framework to the study of repressive mechanisms in the different contexts that constitute the case studies of this issue.
    • La répression des étudiants en Égypte : expansion et diversification d'un dispositif historique - Farah Ramzy p. 37-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours du XXe siècle en Égypte, les étudiants du supérieur émergent comme avant-garde contestataire. L'État développe alors une « boîte à outils » spécifique pour contrôler leurs activités politiques. Cet article retrace la récurrence des pratiques de répression des mobilisations étudiantes, des séquences d'interaction et des acteurs pour mettre en avant la construction d'un répertoire. Cette étude analyse ensuite la suspension de la répression avec la révolution 2011, puis sa reprise avec le coup d'État de 2013, rompant avec les pratiques historiques et culminant avec le choix d'introduire une entreprise de sécurité privée dans les campus universitaires en 2014. Cette stratégie est révélatrice de l'expansion du dispositif sécuritaire et de sa diversification par la privatisation, et s'inscrit dans une reconfiguration plus générale de l'autoritarisme avec le nouveau régime.
      During the 20th century, Egyptian students emerged as a contentious avant-garde. In parallel, the state developed specific instruments to control their political activity. This article traces the actors and practices historically involved in the repression of student mobilizations in Egypt, to highlight the construction of a repertoire. Then, it analyses the suspension of repression after 2011, and more importantly emphasizes the changes in this historical repertoire after the coup d'État of 2013. This rupture, namely, the introduction of a private security company to control university campuses, signals a growing tendency to expand and diversify the security apparatus through privatization, revealing a broader reconfiguration of authoritarianism in post-2013 Egypt.
    • Répression participative et contrôle social de la dissidence sous l'AKP en Turquie - Cléa Pineau p. 53-68 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Par opposition à la thèse gramscienne, cette contribution montre que la répression n'est pas antinomique au renforcement de la légitimité d'un État. Elle étudie, à partir du cas de la Turquie contemporaine, comment un parti politique au sommet de l'État, le Parti de la Justice et du Développement (AKP), peut mettre en place des mécanismes répressifs, auxquels la population civile participe, qui consolident sa légitimité. Les ressources sont distribuées et les conduites sont récompensées ou réprimées selon leur conformité à une nouvelle forme de « citoyenneté » (« vatandaşlık ») définie selon des logiques partisanes. Ces mécanismes permettent à l'État-AKP de produire des subjectivés dominées et actives dans l'entretien des dispositifs exclusifs et punitifs. Les pratiques coercitives sont encouragées par l'État-AKP et utilisées pour contrôler les conduites dissidentes au sein de la société. L'encouragement de la répression participative est légitimé par le discours sécuritaire faisant appel au registre de la « menace terroriste » et renforcé par l'informatisation des techniques de pouvoir.
      In contrast to the Gramscian thesis, this contribution shows that repression is not antinomic with the reinforcement of state legitimacy. It examines, based on the case of contemporary Turkey, how a political party which control the state, the Justice and Development Party (AKP), can produce repressive mechanisms, in which the civilian population participates, that consolidate its legitimacy. Resources are distributed and behaviors are rewarded or repressed according to their conformity with a new form of ‘citizenship' (“vatandaşlık”) defined through partisan logics. These mechanisms allow the AKP-state to produce subjectivities that are both dominated and active in the maintenance of exclusionary and punitive dispositifs. Coercive practices are encouraged by the AKP-state and used to control dissenting conducts within society. Using the register of the “terrorist threat”, the encouragement of participatory repression is legitimised and reinforced by the digitalisation of technologies of power.
    • Gérer l'expression critique dans la rue en Russie : le répertoire coercitif et ses transformations entre 2000 et 2018 - Tatyana Shukan p. 69-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En retraçant les transformations du répertoire d'action coercitif entre 2000 et 2018 dans la Russie de Vladimir Poutine, cet article engage une réflexion sur la production de la répression dans ses formes multiples dans des régimes sans alternance. À travers une analyse de l'encadrement législatif et policier des protestations dans la rue, il identifie d'abord les pratiques et les dispositifs qui permettent aux autorités russes d'entretenir l'incertitude quant à l'usage effectif de la répression et de limiter par-là la mobilisation dans les années 2000. L'article étudie ensuite les changements intervenus depuis la réélection de Poutine à la présidence en 2012 et met en lumière la façon dont les autorités s'adaptent aux innovations contestataires, augmentent les coûts de la mobilisation et multiplient les agents de la répression au-delà du cercle d'acteurs étatiques traditionnels en leur déléguant implicitement la tâche de découragement et d'intimidation des opposants
      By retracing the transformations of the repertoire of coercive action between 2000 and 2018 in Vladimir Putin's Russia, this article begins a reflection on the production of repression in its multiple forms in regimes without political turnover. Through an analysis of the legislative and police framework of street protests, it first identifies the practices and mechanisms that allow the Russian authorities to maintain uncertainty about the effective use of repression and thereby limit mobilization in the 2000s. The article then examines the changes that have taken place since Putin's re-election to the presidency in 2012 and highlights the way in which the authorities have adapted to the innovations of protest, increased the costs of mobilization, and multiplied the agents of repression beyond the circle of traditional state actors by implicitly delegating to them the task of discouraging and intimidating opponents.
    • « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » : répression et violence structurelle au Soudan - Clément Deshayes, Anne-Laure Mahé p. 83-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de « trajectoires de répression » de militants opposés au régime soudanais de l'Inqaz (1989-2019) et d'une enquête ethnographique, l'article se propose d'étudier le « système répressif » de cette situation autoritaire. Il mobilise à cette fin le concept de continuum de la violence qui met en évidence les interactions entre violence d'État, violence structurelle et violence interpersonnelle et permet de questionner l'idée d'une violence propre au régime. L'analyse de la mise en œuvre de la violence d'État démontre la grande porosité de celui-ci aux hiérarchies sociales établies au cours du processus de construction postcoloniale de l'État. Le projet civilisationnel fondé sur l'arabisation et l'islamisation de la société porté par l'Inqaz provoque toutefois une reconfiguration des liens entre violence structurelle et violence d'État, cette dernière se déployant à travers un ensemble de pratiques d'humiliations et de violences quotidiennes. La répression est enfin une relation sociale dont le déroulement est défini en partie par l'autonomie limitée de l'appareil répressif aux normes et hiérarchies régissant la société dans son ensemble.
      Based on the «repressive trajectories» of militants opposed to the Sudanese regime of Inqaz (1989-2019) and an ethnographic survey, the article sets out to study the «repressive system» of this authoritarian context. To this end, it mobilizes the concept of the continuum of violence, which highlights the interactions between state violence, structural violence and interpersonal violence, and enables us to question the idea of a type of violence that is specific to the regime. The analysis of the implementation of state violence demonstrates how porous the state is to social hierarchies that have been built through the process of post-colonial state building. However, the civilizational project promoted by Inqaz, based on Arabization and Islamization, provokes a reconfiguration of the links between structural violence and state violence, the latter unfolding through a set of practices of humiliation and daily violence. In the end, repression is also a social relationship whose course is partly defined by the limited autonomy of the repressive apparatus to the norms and hierarchies governing society as a whole.
    • Les pratiques répressives des LTTE : dispositifs spatialisés de purification de la nation tamoule - Lola Guyot p. 101-115 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le cadre de la guerre civile sri lankaise, qui a duré de 1983 à 2009, le mouvement armé séparatiste des Tigres de Libération de l'Eelam Tamoul (LTTE) a eu recours à des pratiques répressives systématisées à l'encontre des Tamouls considérés comme dissidents, au Sri Lanka comme en diaspora. Si le mouvement a établi des institutions de gouvernance reposant sur le droit et sur des procédures objectivées, la répression, étendue à une large catégorie d'individus, a quant à elle été mise en œuvre hors de tout cadre institutionnel. Elle s'est inscrite dans un modèle répressif reposant sur l'idée de purification de la communauté politique de ses éléments présentés comme des « ennemis intérieurs ». Les pratiques répressives employées dans ce cadre par les LTTE ont pris différentes formes selon les espaces dans lesquels elles se déployaient. Au Sri Lanka, les LTTE ont pu avoir recours à la violence physique ostentatoire, à l'étranger ils ont dû adapter leurs pratiques à la contrainte d'un ordre légal extérieur et ont déployé un répertoire répressif principalement fondé sur la menace et la stigmatisation. Le cas des LTTE permet ainsi d'analyser les logiques politiques, mais aussi les contraintes associées à la constitution par un groupe armé d'un répertoire d'action répressif.
      During the Sri Lankan civil war, which lasted from 1983 to 2009, the armed separatist movement of the Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE) systematically repressed Tamils considered as dissidents, both in Sri Lanka and in the diaspora. While the movement set up institutions of governance based on law and formal procedures, the repression, which targeted a broad category of individuals, was conducted outside of any institutional framework. It was representative of a model of repression based on the idea of purifying the political community from its elements presented as “internal enemies”. The repressive practices developed in this perspective by the LTTE took different forms depending on the territories in which they were deployed. In Sri Lanka, the LTTE were able to resort to ostentatious physical violence, abroad they had to adapt their practices to the constraints of an external legal order and therefore used a repressive repertoire mainly based on threat and stigmatization. Through the case of the LTTE, we can then analyze the political logics as well as the constraints associated with the constitution of a repertoire of repression by an armed group.
  • Arena

    • Les rapports socialement différenciés des publics jeunes à la participation politique en ligne - Julien Boyadjian p. 117-134 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les travaux sur la participation politique en ligne, les jeunes apparaissent comme la catégorie la plus nombreuse et la plus active. Tout laisse ainsi à penser que le numérique constituerait un levier à l'engagement politique des jeunes, qui trouveraient avec les médias sociaux des outils ajustés à leurs engagements. Cet article propose de questionner cette hypothèse, à partir d'une enquête multiméthodes réalisée auprès de 1 370 jeunes, aux origines sociales diversifiées. Il apparaît que les jeunes qui participent politiquement en ligne ne constituent qu'une petite minorité, dont l'activisme dissimule des rapports plus contrariés et distants à la participation politique.
      In online political participation research, young people appear to be the most numerous and the most active. All this suggests that digital technology would be a lever for the political commitment of young people, who would find in social media the tools that best fit their commitments. This article proposes to question this hypothesis, based on a multi-method survey of 1 370 young people with diverse social backgrounds. It appears that young people who participate politically online are only a small minority, whose activism conceals more distorted and distant relations to political participation.
  • Lectures