Contenu du sommaire : Histoire(s) à vendre : la marchandisation du passé dans l'Asie contemporaine

Revue Extrême-Orient, Extrême-Occident Mir@bel
Numéro no 44, 2020
Titre du numéro Histoire(s) à vendre : la marchandisation du passé dans l'Asie contemporaine
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Le passé à vendre : commercialiser l'histoire en Asie - Isabelle Charleux, Matthias Hayek, Pierre-Emmanuel Roux p. 5-16 accès libre
  • I. Vendre l'histoire des lieux

    • Le commerce de la nostalgie dans la Chine d'aujourd'hui - Angel Pino, Isabelle Rabut p. 17-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les bouleversements qu'a connus la Chine au cours des trente dernières années ont suscité un sentiment de nostalgie qui n'a pas manqué d'être exploité sur le plan commercial. Le présent article évoque ce phénomène en se fondant sur deux exemples particuliers, tous deux liés au développement de l'industrie touristique : celui de la mise en valeur des villes ou quartiers anciens, et celui des hôtels et restaurants à thème. Il s'interroge sur les effets induits par cette intrusion de la logique consumériste dans le champ de la mémoire : le passé en sort-il réhabilité, banalisé, voire privé de sens ? Il souligne également les affinités paradoxales entre la nostalgie du passé et le culte de la modernité et de l'abondance matérielle qui caractérise l'époque actuelle. Des renvois aux œuvres de Yu Hua et de Jia Pingwa montrent comment ce nouveau rapport au passé a trouvé un écho dans la littérature contemporaine.
      The dramatic changes that China has experienced in the past thirty years have triggered a sense of nostalgia that has inevitably been used commercially. The present article discusses this phenomenon on the basis of two specific examples, both linked to the development of the tourism industry: that of the enhancement of old towns or districts, and that of themed hotels and restaurants. It reflects upon the effects induced by this intrusion of consumerist logic into the field of memory: Does it result in the past being rehabilitated, trivialized, or even deprived of meaning? It also highlights the paradoxical affinities between nostalgia for the past and the cult of modernity and material abundance that characterizes the present era. References to the works of Yu Hua and Jia Pingwa show how this new relationship with the past has found an echo in contemporary literature.
    • Au-delà des représentations de la Belle Edo : la marchandisation culturelle d'une époque et d'une ville - Iwabuchi Reiji p. 41-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Il est communément admis que « l'invention de la tradition » est le produit de deux phénomènes conjoints : d'une part l'interventionnisme du gouvernement découlant de la mise en place des États-nations contemporains, et d'autre part, le processus de « marchandisation ». Au Japon, la « marchandisation des traditions » se poursuit à un rythme effréné à l'approche des Jeux olympiques de Tokyo. L'objectif à court terme est d'attirer les touristes étrangers afin de stimuler l'économie du pays et à l'heure actuelle la recherche d'un « patrimoine culturel lucratif » est devenue le moteur de la politique culturelle et économique de la nation japonaise. Au cœur de cette marchandisation se trouve l'époque Edo, considérée comme le berceau d'une culture traditionnelle émanant du peuple. La marchandisation d'Edo qui s'opère à travers la mode vestimentaire, en passant par les romans et films historiques, et qui s'étend jusqu'au domaine du jeu vidéo, tend à présenter une vision unilatérale de cette période, celle d'une société dépourvue de contradictions, à l'origine de ce que nous nommerons « les représentations de la Belle Edo ». Par ailleurs, la construction de ces « représentations » constitue également un moyen pour l'État-nation d'encourager l'intégration d'une conscience nationale chez les Japonais, en les amenant à se détourner des problématiques actuelles pour contempler avec nostalgie les traditions d'une société bienheureuse. Après avoir analysé la genèse et la transformation des « représentations de la Belle Edo », nous examinerons de manière détaillée le projet de réalisation du « district des ressources culturelles de Tokyo » s'inscrivant au cœur d'une série de mesures politiques visant à la transformation du patrimoine culturel en ressources touristiques, et du programme culturel des jeux olympiques ; pour finir nous tâcherons de mettre en évidence de manière concrète les différentes problématiques liées à cette entreprise. Au-delà de la question des Jeux olympiques, il nous semble primordial que les historiens se mobilisent afin de contrer la déferlante du nationalisme culturel suscitée par la marchandisation des « représentations de la Belle Edo ».
      It is generally accepted that the “invention of tradition” is the product of two combined phenomena: on the one hand, government intervention in the economy resulting from the establishment of contemporary nation-states, and on the other hand, the process of “commodification”. In Japan, the “commodification of traditions” is being carried out at a tremendous pace in the run-up to the Tokyo Olympics. The short-term objective is to attract foreign tourists to Japan in order to stimulate the country's economy, and at present, the search for a “Profitable Cultural Heritage” has become the driving force of the Japanese nation's cultural and economic policies. The Edo period, during which a traditional culture created by the people was born, is at the heart of this process of commodification. The “commodification of Edo”, which appears through clothing trends, historical fictions and movies, and also video games, tends to present a one-sided vision of this period, a vision of a society devoid of any contradiction, which is at the origin of what we will call “representations of the Good Old Edo.” Moreover, the construction of these “representations” also constitutes a means for the nation-state to encourage the integration of a national consciousness among Japanese people, leading them to turn away from current problems to contemplate with nostalgia the traditions of a happy society. After first analyzing the constitution and evolution of “representations of the Good Old Edo”, we will examine in detail the creation of the “Tokyo cultural resources district,” which is at the heart of a series of political measures aimed at transforming cultural heritage assets into tourist resources, and at the center of the cultural program of the Tokyo Olympics. Finally, we will highlight in a concrete way the various problems related to this project. Beyond the matter of the Tokyo Olympics, it seems important to us that historians get to work in order to counter the wave of cultural nationalism caused by the spread of these “representations of the Good Old Edo”.
    • Patrimoine et tourisme dans le Jiangnan au prisme d'une coopération franco-chinoise originale - Françoise Ged p. 81-118 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À la fin du XXe siècle, les villes historiques chinoises faisaient l'objet de rénovations promouvant une vision stéréotypée de l'architecture chinoise. Malgré des travaux sur le patrimoine menés depuis une centaine d'années, les projets urbains délaissaient les apports de l'histoire locale ou des modes de vie. De 1998 à 2003, un projet pilote franco-chinois mené de manière expérimentale dans le Jiangnan, aux abords de Shanghai, a associé les autorités locales, des professionnels et des enseignants-chercheurs. L'approche incrémentale et pluridisciplinaire, primée en Chine et par l'UNESCO, a donné lieu à de nouvelles prescriptions qui sont appliquées dans certains quartiers de Shanghai dès 2003. Elle s'est accompagnée d'une méthodologie associant séminaires, formation continue et sur sites, avec des thématiques partagées par les deux pays. La pression d'un tourisme intérieur en plein essor a rendu encore plus complexe la recherche d'un équilibre entre développement social, économique et préservation des traces du passé. En outre, les villes historiques d'une même région, souvent concurrentes entre elles, sont peu ouvertes à une mise en réseau propice à une gouvernance partagée et à la mise en valeur de leurs diversités. L'adaptation du patrimoine à la vie contemporaine pose des questions communes sur ce qui fait vraiment patrimoine, mais aussi sur la place des habitants et des usagers dans un environnement où la marchandisation de l'histoire promeut de plus en plus la valeur commerciale des sites.
      At the end of the twentieth century, Chinese historic cities were undergoing renovations promoting a stereotypical view of Chinese architecture. Despite heritage work being carried out for around a hundred years, urban projects were neglecting the values of local history or traditional lifestyles. From 1998 to 2003, a Franco-Chinese pilot project carried out on an experimental basis in Jiangnan, close to Shanghai, involved local authorities, professionals, and university lecturers. The incremental and multidisciplinary approach, acclaimed in China and by UNESCO, is giving rise to new prescriptions that were applied in some Shanghai districts from 2003. It was accompanied by a methodology combining seminars, visits, and on-site training, with themes shared by the two countries. The pressure of booming domestic tourism made the search for a balance between social and economic development and the preservation of traces of the past even more complex. Moreover, historic cities in the same region, often in competition with each other, are not very open to networking conducive to shared governance and the enhancement of their diversity. The adaptation of heritage to contemporary life raises questions about what really constitutes heritage, but also about the place of inhabitants and customers in an environment where the commodification of history increasingly promotes the commercial value of sites.
  • II. Usages commerciaux de l'histoire

    • Comment l'histoire peut-elle devenir un objet de consommation dans les musées japonais ? - Alice Berthon p. 119-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Portés par la période de prospérité économique, les musées japonais d'histoire territoriaux à l'échelle des villes ou des départements fleurissent au Japon à partir des années 1970. Tandis qu'en Occident, subissant les chocs pétroliers, le rôle de l'État s'amoindrit dans les secteurs publics et la logique économique pénètre les musées qui se transforment : de lieu d'éducation et de conservation, ils deviennent également des lieux de divertissement. On parle de tournant commercial. Qu'en est-il au Japon et quels sont les effets de l'entrée du secteur de l'économie ou de logiques commerciales dans les musées d'histoire ? La présente contribution interroge ce phénomène dans le contexte japonais et plus particulièrement au sein des musées d'histoire pour regarder l'impact sur la représentation du passé. Elle propose de mettre en lumière quelques orientations et dérives observées dans ces musées et conclut, en abordant sous forme d'ouverture, sur un grand changement qui semble à venir dans le cadre d'une nouvelle politique touristico-culturelle.
      Supported by Japan's postwar economic prosperity, municipal or prefectural museums of regional history flourished in Japan from the 1970s. All the while, during that same period, under the strain of the oil crises, the West saw state involvement in the public sector diminish and a new economic logic pervade museums, which underwent a commercial turn: from educational and conservational sites, they became leisure facilities. How did this commercial turn manifest itself in Japan? What are the effects of the economic sector and commercial logics on regional history museums? The present article seeks to examine this phenomenon within the Japanese context, and more particularly in the case of history museums, in order to assess the impact of the commercial turn on representations of the past. I aim to bring to light certain trends and drifts, and conclude, by highlighting the emergence of new tourist and cultural policies, that significant shifts will impact the future of the museums.
    • L'empire Hünnü/Xiongnu, nouvel âge d'or des Mongols ? Imaginaire, nationalisme, mode et marketing en république de Mongolie - Isabelle Charleux, Isaline Saunier p. 149-208 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à l'engouement actuel pour l'époque des Hünnü (Xiongnu, IIIe siècle AEC-IIe siècle EC) en république de Mongolie contemporaine, en particulier à partir des grandes commémorations du « 2 220e anniversaire de la fondation du premier empire des steppes » en 2011. Les Mongols revendiquent aujourd'hui les Hünnü comme leurs ancêtres, et traduisent « Hünnü » par « Hun » dans les langues européennes : comme les Mongols de Gengis khan, ils (leurs descendants supposés) auraient envahi l'Europe. À tous points de vue, l'empire Hünnü apparaît comme le précurseur de l'empire gengiskhanide : on fait remonter aux Hünnü, outre l'invention de l'empire, un grand nombre de traits de la culture matérielle (arc, selle, yourte, marques du bétail, vêtement…), les institutions civiles et militaires, les jeux du Naadam, le code de loi, la « démocratie guerrière », le chamanisme et le culte du Ciel que l'on attribuait jadis à Gengis khan. Cet article propose d'étudier les discours et représentations des Hünnü en Mongolie contemporaine et leur exploitation commerciale, à partir d'entretiens qualitatifs, de manuels scolaires, d'ouvrages historiques, d'articles de presse, de blogs et sites internet et d'expositions muséales. Nous nous pencherons sur le rôle des archéologues et historiens dans la diffusion de cette mode, et sur sa réappropriation par des marques commerciales, les arts de la scène et en particulier par la mode vestimentaire.
      This article focuses on the current craze for the Hünnü era (Xiongnu, 3rd century BC–2nd century AD) in present-day Mongolia, especially on the occasion of the great commemorations of the “2220th anniversary of the founding of the first empire of the steppes” in 2011. The Mongols claim the Hünnü as their ancestors and translate “Hünnü” by “Hun” in European languages: like the Mongols of Genghis Khan, they (their supposed descendants) are believed to have invaded Europe. From all perspectives, the Hünnü empire appears as the precursor of the Genghis Khan empire: in addition to the invention of the empire, a large number of artefacts of material culture that were previously attributed to Genghis Khan (such as bow, saddle, yurt, cattle brands, and clothing), as well as the civil and military institutions, the Naadam games, the code of law, the “military democracy,” shamanism, and the worship of heaven, are now said to date back to the Hünnü. This article describes discourses and representations of the Hünnü in present-day Mongolia and their commercial exploitation, using qualitative interviews, textbooks, newspaper articles, blogs, websites and museum exhibitions. We will address the role of archeologists and historians in the diffusion of this recent trend, and the re-appropriation by trademarks, performing arts and fashion.
  • III. Regard extérieur