Contenu du sommaire : Racialisation et action publique

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 33, no 131, 2020
Titre du numéro Racialisation et action publique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier : Racialisation et action publique

    • Racialisation et action publique : les intermédiaires entre appropriation et contestation des catégories ethniques et raciales - Doris Buu-Sao, Clémence Léobal p. 7-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment visibiliser le rôle des institutions étatiques, y compris quand elles sont républicaines et color-blind, dans la production des catégorisations raciales ? Comment rendre compte des capacités créatrices voire contestatrices des personnes et groupes minorisé·es dans ces processus ? Dans cette introduction de dossier, nous déplions les liens entre action publique et racialisation : nous nous appuyons sur des définitions constructivistes des concepts de racialisation et de racisme institutionnel, qui allient l'analyse des structures discursives du racisme avec celle de leurs reformulations constantes, en situation, lors des interactions entre personnes minorisées et issu.es des majorités. Puis nous proposons une revue de littérature de travaux francophones qui ont abordé la question raciale en sociologie de l'action publique. Beaucoup de ces auteur·rices mobilisent la notion de discrimination et proposent une démonstration statistique. Nous nous référons ici plutôt à la racialisation comme un processus de catégorisation façonné par des rapports de pouvoir entre majorité et minorités, qu'il contribue à transformer en retour. Notre approche est étayée par l'ethnographie. Nous avons choisi un positionnement particulier pour ce dossier, auprès d'intermédiaires entre l'État et les publics minorisés racialement. Ce choix permet d'ouvrir le regard sur les capacités des personnes minorisées à co-produire, reformuler ou contester l'ordre social raciste.
      How can we highlight the role of state institutions, including republican and colorblind ones, in the production of racial categorizations? How can we account for the creative and even contesting capacities of minoritized people and groups in these processes? In this introduction, we reveal the links between public policy and racialization. We rely on constructivist definitions of the concepts of racialization and institutional racism, which combine the analysis of the discursive structures of racism with that of their constant reformulations, in situation, through the interactions between members of minorities and of majorities. We then propose a literature review of French-language work on the issue of race in the sociology of public policy. Often, these authors use the notion of discrimination and propose a statistical demonstration, but we refer to racialization as a process of categorization that is shaped by, and that in turn shapes, power relations between the majority and minorities. Our approach is supported by ethnographic methodology. Finally, we have chosen to focus on intermediaries between the state and racially minoritized populations. This choice allows us to look at the capacities of minority groups to co-produce, reformulate, or contest the racist social order.
    • La racialisation d'une politique publique : le contrôle de la natalité à La Réunion (années 1960-1970) - Myriam Paris p. 29-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Alors qu'en France, dans les années 1960 et 1970, les féministes affrontent une politique nataliste réprimant contraception et avortements, leurs homologues réunionnaises font face à une politique publique dite de « régulation des naissances » axée sur la réduction de la fécondité d'une population jugée surnuméraire par une multitude d'acteurs politiques, scientifiques et institutionnels. Cette politique antinataliste, contraire à la législation française, s'appuie principalement sur deux organisations : l'AREP (Association réunionnaise d'éducation populaire) et l'AROF (Association réunionnaise d'orientation familiale) réunissant notamment des notabilités politiques, économiques et des médecins.Basé sur l'examen des rapports que les protagonistes de ces associations, principalement des médecins, ont adressé aux autorités encadrant leur action, cet article met d'abord en lumière le rôle décisif de ces acteurs intermédiaires dans la production de catégories racialisées d'action publique. Il analyse comment leur prisme de genre, de race, de classe détermine les orientations et les modalités coercitives de l'action publique mise en œuvre, ciblant les Réunionnaises pauvres et minorisées racialement. Il s'agit ensuite d'étudier, à partir de leur presse militante, comment les militantes de l'Union des femmes de La Réunion, organisation réunissant majoritairement des femmes ciblées par l'action antinataliste, se sont positionnées et mobilisées contre le contrôle racialisé de leur fécondité. L'article examine la manière dont la mobilisation de ces intermédiaires minorisées a, à la fin des années 1970, contribué à infléchir l'action publique en contraignant les médecins qui la mettaient en œuvre à limiter leurs pratiques d'exception.
      While in France, in the 1960s and 1970s, feminists fought against a pro-natalist policy that included a ban on contraception and abortion, their counterparts in Réunion faced an anti-natalist policy focused on reducing the fertility of a population regarded as too large by many political, scientific, and institutional actors. This anti-natalist public policy, which violated French law, was mainly based on two organizations that brought together high-standing politicians and economists, as well as doctors: the Association réunionnaise d'éducation populaire (AREP, Réunionese Association for Popular Education) and the Association réunionnaise d'orientation familiale (AROF, Réunionese Association for Family Planning).Based on an analysis of the reports that the protagonists of these organizations, mainly doctors, submitted to the authorities supervising their activities, this paper first highlights the key contribution of these intermediary actors in the production of racialized categories of public policy. It investigates how their gender, race, and class perspectives shaped the coercive orientations and modalities of the public policy implemented, targeting poor Réunionese women of color. It then examines, based on their newsletter, how the activists of the Union des femmes de La Réunion (Réunion's Women Union), an organization that primarily brought together women targeted by the anti-natalist policy, took a stand and mobilized against the racialized control of their fertility. This paper analyzes the way in which the mobilization of these minoritized intermediaries contributed, in the late 1970s, to changing public policy by forcing the doctors who implemented it to limit their practices of exception.
    • Devenir éducateur/rice sous contrainte raciale : Enquête sur un secteur associatif aux frontières de la nation - Élise Lemercier, Élise Palomares p. 53-81 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Neuf ans après la départementalisation de Mayotte, l'action publique s'y institutionnalise et se normalise, notamment dans le champ des politiques sociales, restées longtemps facultatives du fait de l'histoire coloniale. Les principes majeurs de division et de hiérarchies issus de cette histoire – la race, le genre et la nationalité – n'ont pas disparu : ils se sont amplement recomposés au gré des évolutions historiques de grande ampleur que cet ensemble régional a connues. Par les nouvelles règles qu'elle impose dans tous les domaines et par les ressources qu'elle alloue, l'action publique joue un rôle considérable dans ce mouvement.En se centrant sur le secteur du travail social, cet article aborde les logiques de racialisation qui traversent l'action publique locale en contrastant les parcours et les points de vue de professionnel·les du travail social – éducateur/rices, médiateur/rices, chef·fes d'équipes et dirigeants associatifs –, que ces personnes soient en situations majoritaire ou minoritaires. Comment ces logiques de racialisation sont-elles reconduites, vécues, appropriées, parfois contestées par des professionnel·les aux positions contrastées, sinon antagonistes ?
      In the aftermath of the transformation of Mayotte's legal status into a French overseas administrative département in 2011, local public policy has become increasingly institutionalized and normalized, particularly in the field of social policies, which were previously optional and residual due to colonial history. The major principles of division and hierarchies that stem from this history—race, gender, and nationality—have not disappeared. Rather, they have changed over time, following the tremendous historical evolutions the Comoro Archipelago has faced. Public policies have played a tremendous role in these changes due to the new rules they set and the resources they allocate.Focusing on the social work sector, this paper deals with logics of racialization within public policy by comparing the biographies and the standpoints of social workers, forewomen, and leaders in this non-profit sector, be they in a minoritarian or a majoritarian situation. How are these logics of racialization reproduced, experienced, appropriated, and sometimes disputed by professionals who occupy contrasted, if not antagonistic, social positions?
    • Donner la parole aux immigré.es : Tensions et paradoxes du théâtre participatif (Turin, Italie) - Francesca Quercia p. 83-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis une trentaine d'années, avec la redéfinition des politiques culturelles et urbaines, les artistes se voient assigner des missions sociales : renforcer le « lien social », contribuer au décloisonnement des quartiers et à l'intégration des immigré.es. Ce processus touche de nombreux pays européens parmi lesquels l'Italie. Financées dans le cadre de programmes de rénovation urbaine, de nombreuses associations de théâtre ont ainsi investi les quartiers populaires. Elles y proposent des projets avec les populations immigrées, en affichant non seulement un objectif d'« intégration », mais aussi d'empowerment des participant.es. Basé sur une enquête ethnographique réalisée au sein d'une association de théâtre à Turin, cet article met en lumière la façon dont sa metteuse en scène réussit à se forger un rôle professionnel reconnu, en s'autodésignant en tant qu'intermédiaire entre les immigré.es et la société italienne. Si elle affiche un objectif d'émancipation de ces populations, elle se confronte ensuite à de nombreuses contradictions lors de la mise en œuvre des projets. Malgré ses croyances antiracistes, elle finit par contribuer à la minorisation des immigré.es. Basé sur une triple dynamique – de « racialisation », d'« ethnicisation » et de « culturalisation » –, ce processus assigne les minorisé.es à une altérité radicale, sur laquelle ils/elles ont peu de prise.
      Over the last thirty years, with the redefinition of cultural and urban policies, artists have been assigned social missions: strengthening social ties, contributing to breaking down barriers in working-class neighborhoods and the integration of immigrants. This process concerns many European countries, including Italy. As part of urban renewal programs, many theater associations have become involved in working-class neighborhoods. They have proposed artistic projects with immigrants, with a dual purpose of “integration” and “empowerment” of the projects' participants. Based on an ethnographic survey carried out within a theater association in Turin, this article examines how its director succeeded in forging a recognized professional role, by appointing herself as an intermediary between immigrants and Italian society. Although her goal was to emancipate these immigrant populations, she faced many contradictions during the implementation of her projects. Despite her antiracist beliefs, she ended up contributing to the minoritization of immigrants. Based on a triple dynamic—of “racialization,” “ethnicization,” and “culturalization”—this process consigns minorities to a radical otherness, over which they have little power.
    • Fabriquer les « autochtones » que l'on voudrait préserver : Ethnicisation et folklorisation des instituteurs de langue amérindienne au Mexique - Daniele Inda p. 105-128 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis les années 1970, à la suite de contestations de sa politique indigéniste jugée assimilationniste, l'État mexicain a déployé des politiques dites de « sauvegarde culturelle », qui visent la préservation des langues et des « cultures » amérindiennes. Cet article montre que ces politiques ont contribué à l'ethnicisation de certaines fractions des populations identifiées comme autochtones. La démonstration porte sur le cas des instituteurs de langue huichol du Nayarit, dans l'Ouest du pays. Au moment de leur recrutement, ces derniers avaient un style de vie proche de celui des habitants des zones urbaines, ainsi qu'une connaissance très limitée de la langue et des « traditions huichols ». Au cours de leur socialisation professionnelle, cependant, ils ont acquis des compétences et des dispositions`np pagenum="106"/b qui les ont progressivement rapprochés de l'image sociale de « l'indien authentique ». La portée de ces évolutions est telle que, de nos jours, ces fonctionnaires peuvent être perçus comme « plus autochtones » que les membres des autres fractions de la population de langue huichol. Il en résulte que les politiques de « sauvegarde culturelle » ont contribué à produire des « autochtones » dont le mode de vie correspond à celui qu'elles visent à « préserver ».
      Since the 1970s, following challenges to its indigenist policy, which was deemed assimilationist, the Mexican state has implemented so-called “cultural preservation” policies, which aim to preserve Amerindian languages and “cultures.” This article shows how these policies have contributed to the ethnicization of certain fractions of the populations identified as indigenous. The demonstration is based on a case study of Huichol-speaking teachers in Nayarit, in the west of the country. At the time of their recruitment, these teachers had an “urban” lifestyle and very limited knowledge of the Huichol language and “traditions.” During their professional socialization, however, they acquired skills and dispositions that gradually brought them closer to the social image of the “authentic Indian.” The significance of these developments is such that, today, these public servants may be perceived as “more indigenous” than members of other fractions of the Huichol-speaking population. As a result, “cultural preservation” policies have contributed to the production of “indigenous people” whose way of life corresponds to that which these policies wish to “preserve.”
    • Face au racisme environnemental : Extractivisme et mobilisations indigènes en Amazonie péruvienne - Doris Buu-Sao p. 129-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article porte sur l'ethnicisation des luttes environnementales face aux politiques extractives au Pérou. Si la revendication d'une identité « indigène » dans ces mobilisations est bien connue, elle est rarement vue comme étant contrainte par les pouvoirs publics et les catégories dominantes de l'ethnicité qui en résultent. Par ailleurs, les processus d'ethnicisation ne doivent pas occulter les clivages internes aux groupes mobilisés. L'ethnographie des abords du plus ancien lot pétrolier de l'Amazonie péruvienne permet de saisir l'ambivalente influence de la racialisation de l'action publique sur les processus de mobilisation. L'article replace d'abord le développement de l'industrie pétrolière dans l'histoire régionale, simultanément marquée par des politiques extractives et par la racialisation d'une partie de sa population – dès lors confrontée au « racisme environnemental » dans la mesure où, en tant que minorisée, elle est particulièrement exposée à la toxicité de l'industrie pétrolière. L'article revient ensuite sur la construction, dans les mobilisations, d'une image sociale ethnique unifiée et sur la trajectoire de leaders disposé·es à s'approprier la catégorie d'« indigène » dans une perspective contestataire. Il étudie finalement, depuis l'espace villageois, la pluralité d'appartenances sociales et le processus d'ethnicisation des divergences ; celui-ci est propice à l'émergence de porte-parole en concurrence avec les leaders contestataires pour la représentation des populations locales face aux politiques extractives.
      This article deals with the ethnicization of environmental struggles in the face of Peruvian extractive policies. While the claim to an “indigenous” identity in these mobilizations is well known, it is rarely seen as being constrained by the government and the resulting dominant categories of ethnicity. Furthermore, ethnicization processes should not hide the internal divides within the mobilized groups. The ethnography of the area surrounding the oldest oil field in Peruvian Amazonia provides an insight into the ambivalent influence of the racialization of public policy on mobilization processes. The article first places the development of the oil industry within the regional history, which is at once marked by extractive policies and by the racialization of part of its population—who thus face “environmental racism” insofar as, as a minority, they are particularly exposed to the toxicity of the oil industry. The article then returns to the construction, within the mobilizations, of a unified ethnic social image and to the trajectory of leaders inclined to appropriate the “indigenous” category from a protest perspective. Finally, from the village space, it studies the plurality of social affiliations and the process of ethnicization of differences; this process leads to the emergence of spokespersons competing with the leaders of protests for the representation of local populations faced with extractive policies.
  • Notes de lecture