Contenu du sommaire : Les grèves

Nous avons tenu à introduire le présent numéro par une étude panoramique de l'année 1971 relevant de deux sources : l'analyse des statistiques des grèves du ministère du Travail, une revue des thèmes revendicatifs de la presse CGT et CFDT. Ce premier article permet de situer l'année sociale 1971 dans la réalité de ses combats revendicatifs quotidiens. Cette analyse exhaustive des statistiques de grève montre que l'année 1971 fut une année sociale particulièrement combative aussi bien du point de vue du nombre de travailleurs mobilisés que de la participation à la grève ; la majorité des grèves sont des grèves majoritaires et par rapport à la décennie précédente leur durée moyenne se maintient. Les objectifs de grève montrent la prévalence des revendications salariales et, parmi elles , des augmentations en pourcentage. Parmi les revendications dites «nouvelles» les conditions de travail ne dépassent pas 7 % des revendications émises. Le contenu du modèle revendicatif reste traditionnel.

Après un bilan de la conjoncture économique en 1971, cet article présente une analyse de contenu des thèmes revendicatifs, professionnels et économiques, de la presse syndicale confédérale et d'une partie de la presse fédérale de 1971. Le thème revendicatif prédominant est celui de la retraite, suivi par ceux de la défense du pouvoir d'achat et de l'emploi. Si l'ordre des préoccupations diffère peu d'une confédération à l'autre, les argumentations varient de façon intéressante. L'évolution trimestrielle de la conjoncture paraît influer sur la distribution des revendications émises entre thèmes négociables ou non négociables selon que la conjoncture économique est perçue comme favorable ou défavorable.

Si le thème des revendications nouvelles fait vedette dans la presse, l'analyse des objectifs de grève de 1971 enregistre une grande constance par rapport à 1965 et, en dépit du mouvement de mai, la priorité traditionnelle accordée aux revendications salariales se maintient. Cependant, conditions de travail, organisation du travail et rapports d'autorité restent, de l'aveu des militants, des sujets d'insatisfaction profonde sous-jacents aux conflits. L'article s'interroge sur les raisons du décalage entre le latent et l'explicite dans les objectifs et les motivations des grèves.

La forme d'action violente que représente la séquestration est généralement liée à la répression patronale, soit quelle lui riposte, soit quelle l'appelle. Elle peut viser à raviver une mobilisation défaillante. Son rapport à l'autoritarisme ou à la bureaucratisation des directions n'est pas évident : pour les couches nouvelles de travailleurs elle représente plus un attrait qu'un passage à l'acte. A la fois elle change, dans l'instant, le rapport de pouvoir mais continue à s'insérer dans le système de négociation. Ces différents éléments objectifs et descriptifs sont complétés par la confrontation des jugements portés sur cette forme d'action par les organisations syndicales et par les militants d'entreprise dont le système de référence s'avère à cette occasion différencié.

La grève est ici analysée comme action de transformation des rapports sociaux , c'est-à-dire comme lutte de classe. La typologie des grèves s'encadre dans la définition de deux variables : le type de capitalisme affronté par les grévistes (entreprises capitalistes marginales, grandes entreprises capitalistes libérales et type intermédiaire) et les catégories de travailleurs engagés dans la grève (couches soumises, couches nouvelles, travailleurs intellectuels, ouvriers à traditions militantes). La nature du bouleversement introduit par la grève est classée dans sa dynamique comme participant à un mouvement social anti-patronal ou se limitant à une «action opérationnelle circonscrite» et dans son aboutissement : combativité accrue, renforcement de l'organisation, pas de changement. Le croisement des types de mouvements par les situations où ils se déroulent montre que les «mouvements sociaux vivaces» ne sont pas aujourd'hui le privilège de secteurs sociaux et industriels spécifiques.

Dans cet article la relation entre syndicats et grévistes dans la grève est analysée selon deux axes : le niveau de consensus entre syndicats et grévistes et les formes de démocratie syndicale. T rois indices définissent la démocratie : les formes de coordination, les réunions du personnel et les formes d'affirmation et d'expression des grévistes. Le croisement de ces formes de démocratie par la dimension consensus-décalage révèle que l'autoritarisme favorise un consensus partiel, la coordination ouverte entraîne un consensus général ou partiel, que l'AG souveraine favorise un consensus fort alors que le plus grand décalage entre grévistes et syndicats s'enregistre dans la situation de «coordination hétérogène». L'article se termine par une typologie descriptive des formes de démocratie , les unes révélatrices de situation d'équilibre (autoritarisme, parlementarisme, démocratie organisée), les autres issues de déséquilibres entre consensus et organisation : autoritarisme perturbé, démocratie sauvage.